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La peinture murale antique

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Alix Barbet

Une frise iliaque à Cologne

Renate Thomas

Résumé

Présentation d’un ensemble particulièrement lacunaire d’un frise iliaque de Cologne, combinée avec un décor à candélabre original dont la base montre têtes et animaux mêlés dans des feuillages. La datation archéologique indique le début du iie s., mais les rapprochements avec la peinture romaine des 2e et 4e styles montrent des influences dont les modèles exacts sont inconnus. Cependant certaines scènes, non décrites dans l’Iliade, se retrouvent également sur des sarcophages attiques ; la ressemblance se limite à l’iconographie car les styles diffèrent. Cologne combine des influences diverses et constitue une œuvre originale.

Texte intégral

1Même si les peintures iliaques de Cologne sont en très mauvais état, elles sont assez intéressantes à cause du schéma décoratif dans lequel elles sont insérées. L’acquis important, avant tout, est la restitution des fragments de peintures iliaques dans une frise et non dans des tableaux encadrés ; cette frise était combinée avec un mur à candélabre.

Données de la fouille

2Les peintures en question ont été trouvées lors des fouilles autour de la cathédrale de Cologne, en 1969, dans une petite maison à péristyle, qui se trouve juste à côté de la grande maison à péristyle avec la fameuse mosaïque dionysiaque, à l’angle nord‑est de la ville romaine (Precht 1971 : 52‑64). Les peintures (Linfert 1972/73 : 65‑76 ; Linfert 1975 : fig. 39‑ 46) appartiennent à une chambre adjacente au couloir qui entoure la cour à péristyle.

3La partie du socle de la décoration était partiellement conservée in situ sur les murs sud et ouest de la chambre (Linfert 1972/73 : pl. 12, 1). Le mur ouest et, de ce fait, les peintures appartiennent à la seconde phase de construction de la pièce, quand on y installa un chauffage à hypocauste. Le mur sud, comme il s’agit là du mur extérieur de la maison, remonte à la première phase de construction qui peut être datée de l’époque claudienne, d’après la céramique contenue dans un puits au‑dessous de la prolongation du mur à l’ouest (Doppelfeld 1952 : 107‑109, pl. III ; Precht 1971 : fig. 2 ; Precht s.d. : 16‑17).

4Pour le mur ouest il n’y a pas de datation exacte, mais il a dû être construit avant le milieu du iie s. ap. J.‑C.

  • 1 Les fouilles et les peintures seront publiées en détail dans une monographie sur toutes les peintur (...)

5Durant une troisième période de construction, datant de la deuxième moitié du iie s., fut érigé un nouveau mur est, qui réduisit la longueur originale du mur sud de la chambre de 6 m à 4,20 m1. Le niveau s’éleva de 50 cm et la chambre reçut une nouvelle décoration murale. Pour permettre une bonne adhérence de la nouvelle couche de peinture, la première couche fut piquetée.

6De cette deuxième couche de peinture, une partie du socle s’est conservée sur les murs ouest et sud. D’après les fragments avec et sans piquetage, qui se trouvaient en débris dans la chambre, il a été possible de faire une restitution des deux schémas décoratifs. C’est la première décoration qui porte la frise iliaque.

Restitution graphique

7Au‑dessus d’une sous‑plinthe composée de deux bandes, verte et ocre jaune, d’une hauteur de 25 cm, se trouve un socle à fond noir avec une frise continue où alternent des masques et des bêtes bondissantes entre des feuillages verts (fig. 1, 2). La hauteur totale du socle devait atteindre 40 cm. Il est bordé en haut par une bande verte de 4 cm séparée du socle par un filet rouge et de la zone médiane par un filet blanc.

⦁Fig.1‑ Cologne, restitution graphique de la peinture.

● Fig. 2 – Cologne, détail de la partie basse aux félins et aux masques.

8Quelques fragments avec piquetage prouvent que la zone rouge médiane était décorée de candélabres à ombelles de couleur jaune et blanche (Linfert 1972/73 : pl. 12, 3). Les candélabres sont ornés de volutes rondes et anguleuses et de fleurs. L’ombelle située le plus haut était surmontée d’un buste. Les candélabres étaient délimités par des bandes blanches qui se terminaient en nœuds qu’on peut interpréter comme des chapiteaux stylisés.

9Sur la longueur originale du mur de 6 m, on pourrait restituer trois champs à candélabres avec un candélabre au milieu du mur, pris comme composition centrale. C’est une hypothèse assez probable parce que la frise du socle montre aussi une composition centralisée. L’un des deux masques se trouve exactement au milieu du mur. À droite de celui‑ci, les animaux bondissent vers la droite, à gauche de ce masque, ils sont orientés vers la gauche.

10À cette place, au milieu du mur, une assez grande partie de la zone médiane était conservée in situ sur le mur ; mais à cet endroit on ne peut distinguer aucune trace de candélabre, à part un petit triangle jaune exactement à la place où on en attendrait le pied (fig. 1, 2). Que ce soit tout ce qu’il en reste ne doit pas nous étonner, si l’on prend en considération le mauvais état dans lequel se trouvent les peintures piquetées et le fait que les couleurs appliquées « a secco » sur le fond rouge s’effacent assez facilement.

11Il y a d’autres fragments qui font voir la zone rouge en combinaison avec une suite de trois bandes. Une bande verte de 5 à 6 cm, adjacente à la zone rouge, est séparée du rouge par un filet blanc, comme la bande du socle, mais cette fois la bande verte est limitée de l’autre côté par un filet noir ; une bande blanche de 10 cm subdivisée en lignes parallèles de couleur ocre et verte lui fait suite ; puis vient une bande noire de 6 à 7 cm surmontée d’une zone à fond bleu clair et verdâtre (Linfert 1972/73 : pl. 13, 1).

12Une grande quantité de fragments bleu clair et verdâtres témoigne que sur ce fond étaient peintes des représentations figuratives.

13Plusieurs indices montrent qu’il doit s’agir là d’une frise au‑dessus de la zone médiane et non de panneaux encadrés dans la zone rouge (Linfert 1972/73 : pl. 66). Ce qui me fait dire cela, c’est que l’ensemble des bandes d’au moins 20 cm serait assez large pour l’encadrement d’un tableau entre les candélabres ; mais les fragments qui ne laissent aucun doute sur la restitution d’une frise sont ceux qui sont incurvés et qui proviennent d’un angle de mur, et ceux qui appartiennent au haut du mur : vus en coupe, ils ont un profil en biseau aplati comme le long d’une poutre. Cette frise avait au moins une hauteur de 0,90 m à 1 m.

Description de la frise iliaque

  • 2 Comparables sont les vignettes de la maison des Vettii : Curtius (L.). — Die Wandmalerei Pompejis. (...)

14Malheureusement la surface des peintures est très endommagée par le piquetage et il est presque impossible d’identifier les représentations. Ce qu’on peut distinguer, ce sont des bateaux avec des guerriers, armés de boucliers et de lances, qui sont attaqués par d’autres guerriers venus probablement de la côte2 (Linfert 1972/73 : 66, pl. 14, 2 ; Linfert 1975 : fig. 45) ; en effet il y a aussi des fragments non adjacents qui montrent des arbres et des bâtiments. Les personnages sont représentés à diverses échelles. Ceux en bas de la frise sont plus grands que ceux montés sur les bateaux, en haut de la frise ; cela signifie que les uns se trouvent en avant‑plan et les autres en arrière‑plan.

  • 3 Autrement Linfert 1975 : fig. 44‑46. Comme comparaison pour des bateaux avec yeux apotropaïques : B (...)

15Un autre ensemble de fragments montre un homme nu qui s’agrippe à un bateau, pendant qu’il est attaqué par un autre homme armé d’un bouclier et d’une lance. À sa droite, on peut distinguer un second bateau avec des yeux apotropaïques sur la proue3. Entre les deux bateaux s’enroule la queue d’un monstre marin. Il y a encore d’autres fragments de serpents marins. Sur l’un des fragments, il me semble qu’on peut reconnaître un homme tombé sur le dos, au‑dessus de son bouclier, sous la quille d’un bateau.

16Une autre série de fragments, cette fois sur fond verdâtre, révèle une scène champêtre avec une chèvre et un renard et des personnes nues vues de dos (Linfert 1972/73 : pl. 12, 2 ; 12, 3 ; Linfert 1975 : fig. 42). Évidemment cette scène appartient à un autre mur que celui des combats navals.

17Comme l’avait déjà vu M. Linfert, ces représentations sont inspirées de l’Iliade, les scènes nautiques sont à interpréter comme une bataille navale devant Troie, les scènes champêtres comme le jugement de Pâris (Linfert 1972/73 : 66 ; Linfert 1975 : 38).

Comparaisons iconographiques

18On ne peut pas trouver de prototypes pour ces représentations iliaques de Cologne, ni parmi les peintures pompéiennes, ni dans les codices iliaques, ni sur les reliefs.

19Mais ce qui est étonnant, en ce qui concerne le thème naval, c’est qu’il y ait des concordances iconographiques avec certains motifs d’un groupe de sarcophages iliaques attiques. Ces derniers ne montrent pas l’illustration d’une scène concrète de l’Iliade mais une combinaison de plusieurs événements, comme l’avait prouvé G. Koch (Koch 1982 : 410‑413, fig. 444). On peut y voir représenté un homme, qui était tombé d’un bateau, sauvé par ses camarades (Koch 1982 : fig. 444), événement qui n’est pas décrit expressis verdis dans l’Iliade, mais qui est aussi représenté dans la frise iliaque à Cologne. Les sarcophages montrent aussi un guerrier tombé sur son bouclier au‑dessous d’un bateau comme à Cologne. Le plus intéressant est également la présence de monstres marins pour symboliser la mer (Koch 1982 : 411, fig. 444).

20Ce ne sont là que des parallèles iconographiques ; il n’y a pas de ressemblance dans la façon dont les scènes sont traitées. Mais on peut déduire de cette concordance que les sarcophages et la frise iliaque de Cologne ont dû être faits à partir d’un même prototype connu.

Comparaisons stylistiques

21Je ne connais pas de parallèles pour le schéma décoratif des peintures de Cologne, qui se compose d’un socle avec une frise continue noire comprenant des animaux, d’une zone médiane rouge avec des candélabres à ombelles, terminée par une bande imitant une corniche architecturale, surmontée d’une frise continue mythologique.

22Les frises, et surtout les frises mythologiques, sont assez rares dans la peinture romaine. Le schéma décoratif est dérivé des schémas du 2e style, mais témoigne aussi de l’influence du 4e style pompéien.

23On peut aussi comparer avec les scènes de l’Odyssée trouvées sur l’Esquilin à Rome (Andreae 1962 : 106‑117). À Rome les scènes de l’Odyssée sont représentées dans la zone supérieure en une suite de tableaux, séparés par des colonnes en trompe‑l’œil qui semblent être placées devant le mur. Les scènes de l’Odyssée sont censées se continuer derrière les colonnes, comme une frise réelle (Blanckenhagen 1963 : 102). Un autre parallèle est constitué par les peintures du cryptoportique de la maison homonyme à Pompéi. On y trouve aussi un cycle de scènes iliaques dans la zone supérieure du mur, enserré entre des hermès peints devant le mur (Aurigemma 1953 : 905‑1027 ; Bianchi Bandinelli 1953 : 94‑96).

24Un parallèle du 4e style est à rechercher dans l’œcus de la maison dite d’Octavius Quartio (Aurigemma 1953 : 971‑972 ; Bianchi Bandinelli 1953 : 92‑94, 97). Au‑dessus d’une imitation d’incrustations de marbres sur le socle, il y a deux frises mythologiques, d’abord une petite frise iliaque et au‑dessus de celle‑ci une grande frise représentant les travaux d’Hercule.

25Le schéma décoratif de Cologne témoigne d’une combinaison entre le schéma du 2e style et celui du 4e style ; comme au 2e style la frise se trouve dans la zone supérieure, mais elle a ici l’importance des frises du 4e style.

26C’est au ive s. qu’on trouve encore une fois des décorations comparables à celle de Cologne. À Leptis Magna par exemple, une grande frise en zone supérieure est combinée avec une zone médiane peinte imitant des incrustations de marbre (Kollwitz 1969 : 99‑100, pl. 38, fig. 61).

Discussion

27Eric Moormann donne des parallèles aux têtes de femmes situées en zone basse et occupant toute sa hauteur : à Herculanum (maison de l’Insula orientale) et à Pompéi (maison d’Obellius Firmus et Insula occidentale). Renate Thomas, bien que considérant sa peinture plus tardive, admet qu’elle résulte effectivement de la combinaison d’éléments bien antérieurs.

28Jean‑Pierre Darmon trouve, sans proposer une autre interprétation, qu’il y a bien peu d’éléments pour identifier comme un jugement de Pâris la scène champêtre proche des scènes iliaques. Nicole Blanc ajoute que sur la frise iliaque du Sacello Iliaco à Pompéi, un cadre champêtre (rocher) avec des personnages féminins nus est également présent à côté du combat d’Hector et d’Achille.

Bibliographie

Bibliographie

Andreae 1962 : ANDREAE (B.). — Der Zyklus der Odysseefresken im Vatikan. RM, 69, 1962, pp. 106‑117.

Aurigemma 1953 : AURIGEMMA (F.). — Tre nuovi cicli di figurazioni ispirate all’lliade. In: Spinazzola (V.). — Pompei alla luce degli scavi nuovi di via dell’ Abbondanza, 1910‑ 1923. Rome, 1953, pp. 865‑1027

Blanchi Bandinelli 1953 : BIANCHI BANDINELLI (R.). — Continuité ellenistica nella pittura di età medio‑ e tardo‑ romana. Rivista dell Istituto di Archeologia e Storia dell’ Arte no 2, 2, 1953, pp. 77‑161.

Blanckenhagen 1963 : BLANCKENHAGEN (H. P. von). — The Odyssee frieze. RM, 70, 1963, pp. 100‑146.

Doppefeld 1952 : DOPPEFELD (O.). — Die Domgrabung. Kölner Domblatt, 6/7, 1952, pp. 102‑123.

Kollwitz 1969: KOLLWITZ (J.). — Die Malerei der Konstantinischen Zeit. In: Akten des VII Internationalen Kongresses fur Christliche Archäologie, Trier 1965. Rome‑ Berlin, 1969, pp. 29‑158

Koch, Sichtermann 1982 : KOCH (G.), SICHTERMANN (R.). — Römische Sarkophage. Munich, 1982, pp. 410‑414.

Linfert 1972‑73: LINFERT (A.). — Römische Wandmalerei aus der Grabung am Kölner Dom. KölnJ, 13, 1972/73, pp. 65‑76.

Linfert 1975 : LINFERT (A.). — Römische Wandmalerei der nord‑westlichen Provinzen. Cologne, 1975, 67 p.

Precht 1971: PRECHT (G.). —Die Ausgrabungen um den Kölner Dom. Vorbericht über die Untersuchungen 1969/70. KölnJ, 12, 1971, pp. 52‑64.

Precht s.d. : PRECHT (G.). — Jüngste Ausgrabungsergebnisse und Rekonstnjktion eines Stadtviertels im Nordosten der römischen Stadt. In : Rom am Dom. Ausgrabungen des Römisch‑Germanischen Museums. Schriftenreihe der Archäologischen Gesellschaft Köln, no 16, Cologne, s.d., pp. 13‑19.

Notes

1 Les fouilles et les peintures seront publiées en détail dans une monographie sur toutes les peintures murales romaines de Cologne, en préparation par l’auteur.

2 Comparables sont les vignettes de la maison des Vettii : Curtius (L.). — Die Wandmalerei Pompejis. Leipzig, 1929, 26‑27, fig. 17, 18, Sur les photos publiées par A. Linfert, les fragments, probablement par erreur, ne sont pas ajustés de façon exacte.

3 Autrement Linfert 1975 : fig. 44‑46. Comme comparaison pour des bateaux avec yeux apotropaïques : Beyen (H.G.). — Die pompejanische Wanddekoration vom zweiten bis zum vierten Stil. La Haye, 1939/60, fig. 113, 120 ; Reinach (S.). — Répertoire de peintures grecques et romaines. Paris, 1922, 273.

Table des illustrations

Légende ⦁Fig.1‑ Cologne, restitution graphique de la peinture.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/33115/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 121k
Légende ● Fig. 2 – Cologne, détail de la partie basse aux félins et aux masques.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/33115/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 69k

Auteur

(Musée de Cologne)

© Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1987

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