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Les ateliers médiévaux de poterie grise en Uzège et dans le Bas-Rhône

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Jacques Thiriot

Conclusion

Volltext

1Les résultats obtenus tout au long de cette première recherche appellent quelques remarques et réflexions d’ensemble pouvant orienter la poursuite de ce programme dans plusieurs directions bien déterminées.

2Avant 1972, la connaissance des ateliers de potiers médiévaux dans le midi de la France était très sporadique, essentiellement liée aux découvertes fortuites, et restait le plus souvent inédite. L’étude entreprise pour l’Uzège et le Bas-Rhône a été très longue à couse des nombreuses fouilles à entreprendre et du matériel très abondant à classer. Le manque de recherches similaires suffisantes pour le Moyen Âge dans les régions méridionales a été un handicap ; quelques rares exemples nous étaient cependant fournis en France du Nord et de l’Ouest. L’étude a été limitée à quelques aspects surtout techniques afin de mieux comprendre l’organisation du travail et les modes de fabrication (problèmes de cuisson et fours) des seuls sites dont l’existence était connue. L’étude documentaire a été très modestement limitée aux dépouillements effectués par des érudits locaux à propos des arts ou de la poterie en particulier. L’extension des investigations dans ce domaine est bien évidemment nécessaire.

3Les moyens scientifiques les plus appropriés ont été recherchés. L’application des prospections magnétiques n’a eu ici aucune prétention expérimentale mais a servi chaque fois de point de départ à l’investigation du sous-sol. L’emploi des techniques de datation était destiné à pallier la carence des méthodes traditionnelles de l’archéologie. Les datations archéomagnétiques devaient être complétées par des expériences de thermoluminescence qui n’ont pu être achevées, nous privant des comparaisons très fructueuses qu’elles auraient permises.

4Après localisation des différents sites plus ou moins connus précédemment par des publications ou des travaux récents, les prospections essentiellement magnétiques ont permis de situer de très nombreux fours à partir des cartes et de leur interprétation. L’étude de la variation de champ a pu, dans le cas de prospection avec des appareils plus performants, discerner des structures à très faible susceptibilité magnétique tels que des silos ou des fosses. Ces travaux préliminaires ont facilité les opérations de fouille en les limitant, dans certains cas, au strict minimum. Les résultats, d’une grande précision, obtenus à l’aide des prospections géophysiques (essentiellement réalisées par le C.E.A. de Grenoble, suscitant toutefois quelques problèmes d’interprétation) incitent à étendre la recherche sous cette forme à l’ensemble du site de Saint-Victor-des-Oules surtout. Des recherches complémentaires sont également nécessaires à l’aide d’autres méthodes, telles que, par exemple, la prospection électrique. Le traitement d’ensemble de ces données en s’aidant des résultats de fouille obtenus devrait permettre une définition générale de l’occupation des sols et de l’organisation spatiale. Cette attitude rendrait possible une vision d’ensemble de ce site exceptionnel et limiterait la fouille à quelques secteurs clés à privilégier.

5Les fouilles réalisées sur les différents sites ont été d’une importance inégale. Aux dégagements très ponctuels d’un ou de plusieurs fours, dont la découverte était généralement liée à des travaux d’équipement, s’opposent les recherches d’ensemble réalisées essentiellement à Saint-Victor-des-Oules. Les investigations sur les fours de potiers ont permis de mettre au point une certaine méthode d’approche qui, actuellement, répond à l’essentiel des problèmes posés par ces structures. Les essais ultérieurs d’interprétation en ont, en outre, situé les limites. Les travaux effectués sur les autres vestiges constituant la majeure partie des installations de l’atelier ont été assez difficiles à cause de l’homogénéité des terres de remblais, de leur stratification complexe et difficilement discernable, et du matériel très pauvre qui y a été découvert.

6L’étude des productions s’est heurtée à une masse extrêmement considérable de tessons recueillis qu’il n’était pas humainement possible de traiter de manière classique (lavage, marquage, reconstitution, dessin). Il a donc fallu trier et compter plusieurs centaines de milliers de tessons et faire ressortir les caractéristiques des éléments de forme et leur variation. Le matériel de deux fours seulement (four 91B au xiie s. et four 128E au xiiie s.) a fait l’objet de cet essai limité afin d’expérimenter les méthodes de tri et de traitement manuel des données qui ont été conçues au cours de la recherche. La variation de l’angle (fond-panse) par rapport au diamètre du fond ou la morphologie très différente des becs pontés semblent des critères de datation déjà définis dans les études antérieures. La définition des typologies des lèvres dans les deux fours étudiés a présenté d’assez nombreuses difficultés qui en limitent la fiabilité. Plusieurs grands types regroupent la grande majorité des productions. Si certains restent assez flous dans leurs caractéristiques et doivent être regroupés, d’autres, malgré leur faible nombre, sont très nets et représentatifs d’un groupe de produits particuliers. La comparaison des types majoritaires en fonction du diamètre d’ouverture pour les deux fours en cause montre une évolution assez importante dans la conception même des poteries. Avec la multiplication des types dans le four du xiiie s. et l’accroissement en pourcentage de certains autres, on constate l’étalement très net des dimensions des poteries (matérialisées ici par leur diamètre d’ouverture) avec parfois une certaine spécialisation (type de lèvre-diamètre d’ouverture). Les recensements et la définition des différents types de décors ont permis une définition assez précise des différentes techniques employées et de l’évolution de leur utilisation dans les deux fours étudiés. Les résultats plutôt positifs obtenus rendent nécessaire la reprise sur ordinateur des données afin de rendre plus fiable l’évolution qui s’en dégage. Les différentes formes produites doivent être totalement déterminées ainsi que leur technologie de fabrication (évoquée ici très succintement). La confrontation de ce matériel avec celui de l’ensemble des sites utilisateurs pourrait apporter des points de comparaison importants quant à la datation possible (ce qui n’a pas été réalisé ici, malgré certaines études très avancées) et à l’aire de commercialisation. Ce type d’étude devrait également être multiplié, afin de mieux couvrir les différentes périodes facilitant la mise en place, avec précision, des grands principes d’évolution des formes et leur emploi possible comme indice chronologique pour répondre au rôle de fossile directeur privilégié assigné généralement à la céramique de fouille.

7L’étude des structures de cuisson a pu être poussée assez loin, peut-être trop, grâce à une fouille menée assez arbitrairement sans idées préconçues. L’interprétation des vestiges conservés (construction ou remplissage) a permis la reconstitution presque complète des deux grands types de four. Les fours circulaires du type Saint-Victor-des-Oules, exceptionnellement grands, sont, par leur conception, dans la tradition des fours plus modestes découverts sur les autres sites et de datation très variable, sans doute issus de modèles primitifs antiques. La grandeur des fours de Saint-Victor-des-Oules est sans doute à mettre en rapport avec le caractère quasi industriel des installations sur ce site par opposition aux ateliers plus modestes étudiés par ailleurs. Les fours allongés du type Saint-Blaise-de-Bauzon correspondent à un stade beaucoup plus artisanal de la production. La comparaison de ces structures de cuisson avec des fours dont la découverte est souvent plus ancienne dans d’autres régions de France ou d’Europe Occidentale ou avec les recherches ethnologiques récentes a été très utile.

8L’examen des stratigraphies conservées dans les foyers a permis une estimation d’une durée de vie minimale (d’un nombre de cuissons et de nettoyages minimal) à partir d’un premier essai de calcul, à améliorer sans doute encore. Ces travaux (vue de l’esprit ?), s’ils présentent une certaine idée des fours, montrent par là même leurs insuffisances auxquelles il semble possible de remédier par l’expérimentation. Seule la reconstitution des conditions de cuisson de l’époque permettra une observation fructueuse aussi bien des problèmes de construction et de réparation des structures que de leur réglage pour une meilleure conduite, des problèmes de cuisson des poteries quelle que soit leur position dans la chambre de cuisson, des questions d’atmosphère et de température au cours des différentes phases entraînant une qualité et un aspect des produits très variables, des problèmes de cycles de cuisson répétés et de leur trace spécifique dans le foyer introduisant la notion de durée de vie de la structure.

9L’étude d’un atelier de potier, c’est aussi l’examen de l’ensemble des installations utilisées, de la transformation de l’argile de carrière au produit fini et sa commercialisation. Les recherches à Saint-Victor-des-Oules ont permis cette approche. Si de nombreux points restent à y préciser, les différents bâtiments artisanaux s’organisent autour d’une cour au nord d’une voie de circulation qui les sépare de la zone des fours. Plusieurs étapes de fabrication ont pu être déterminées. Les difficultés survenues au moment de la fouille n’ont pas permis de définir avec précision la chronologie même relative des différentes installations. En 1980, le manque de découvertes comparables ne permettait malheureusement pas de préciser l’organisation spatiale de cet atelier du xiie s. à Saint-Victor-des-Oules.

10L’impact des différents centres producteurs, et en particulier de Saint-Victor-des-Oules, dans l’économie locale et régionale est difficile à définir en l’absence de tout recensement exhaustif de ces productions dans les sites utilisateurs actuellement connus en Languedoc et en Provence. Il semble toutefois que Saint-Victor-des-Oules ait dominé très largement le marché de la poterie tant que la céramique culinaire a été majoritaire et primordiale dans la vaisselle employée.

11Ces recherches très limitées et ponctuelles nous ont apporté une masse de documents importante mais très sporadique sur quelques sites, documentation qu’il faudrait maintenant généraliser par des enquêtes et prospections à grande échelle cherchant à définir ce qu’ont été l’implantation et le rayonnement de l’artisanat de la terre pendant tout le Moyen Âge dans cette zone surtout rhodanienne de contact entre Languedoc et Provence. Parallèlement, les dégagements méthodiques sont à poursuivre pour répondre aux nouvelles questions esquissées tout au long de cette étude.

12Cette première recherche a tenté d’apporter un certain nombre de points de repère, de documents, tout en essayant de définir une certaine attitude devant les problèmes techniques et technologiques de l’étude de l’artisanat de la terre cuite au Moyen Âge. Des méthodes d’approche ont été mises au point tout au long de ce travail mais n’ont pas abouti à une technique de fouille universelle et figée. L’évolution maintenant très rapide des connaissances dans ce domaine entraîne une publication rapide, une constante remise en cause des moyens d’investigation. Parallèlement aux recherches de terrain, il semble devenir indispensable d’aborder cette recherche par un autre biais. L’expérience acquise tant en France méridionale qu’au Proche-Orient incite à croire que l’expérimentation de ce que nous croyons être les méthodes de travail des potiers devient indispensable pour mieux saisir ce qu’a été leur attitude en face de l’œuvre à accomplir. Ces recherches, antérieures à 1980, sont également à améliorer grâce à une approche plus large mettant en relation les données textuelles (travaux en cours sur la longue durée d’H. Amouric et J. L. Vayssettes), la documentation provenant des enquêtes sur l’artisanat traditionnel récent dans le sud-est de la France et en Espagne du Nord, et les résultats de terrain (prospections à grande échelle, fouilles, études de provenance) afin d’avoir une vue plus globale de l’économie de la terre cuite dans cette région.

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