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La terre sigillée gallo-romaine

 | 
Colette Bémont
, 
Jean-Paul Jacob

Les ateliers de l’est de la France

Ateliers de la Moselle

Marcel Lutz et Gabriel Stiller

Texte intégral

  • 1 Cf. essentiellement : LUTZ (M.). — L’Atelier de Saturninus et de Satto à Mittelbronn (Moselle). 197 (...)

1Existe‑t‑il des groupes d’ateliers ? Nous connaissons dans le département de la Moselle six ateliers qui ont fabriqué de la céramique sigillée ; dans l’ordre de leur découverte, ce sont ceux de Chémery, Mittelbronn, Haute‑Yutz, Boucheporn, Metz et Eincheville. À la question posée, nous répondrons immédiatement par l’affirmative car il existe au moins un groupe : celui, très important, de Saturninus‑Satto qui, ainsi qu’il a été dit à plusieurs reprises1, englobe les ateliers de Boucheporn, d’Eincheville, de Chémery et de Mittelbronn, avec en plus, précédant ce dernier, l’atelier sarrois de Blickweiler, nomenclature donnée cette fois‑ci dans l’ordre chronologique.

2Nous entendons par groupe un certain nombre de potiers qui semblent constamment constituer une équipe qu’on peut suivre d’un atelier à l’autre (fig. 1). C’est ainsi que nous pouvons retrouver un nombre appréciable de potiers dans la chronologie des ateliers de Boucheporn à Mittelbronn. Les trois plus anciens ateliers semblent avoir formé un ensemble cohérent (Boucheporn, Eincheville et Chémery), tandis que Mittelbronn n’apparaît en quelque sorte que comme une période terminale, avec une équipe fortement réduite. Quant à Blickweiler, il s’agit là du seul Satto venu sur le site pour y exercer une activité sans doute dirigeante. Reste évidemment, pour Mittelbronn, les cas de Cibisus, potier d’Ittenwiller (entre autres) dont toutefois l’estampille se trouve à Mittelbronn rayée dans les moules, ce qui semblerait signifier que ces moules ont été apportés d’ailleurs et ont encore servi dans notre atelier, utilisés par des gens qui se respectaient et reconnaissaient qu’ils n’étaient pas les auteurs de ces décors. Mais que dire de certaines scènes décoratives qui semblent plus récentes ? Que ces poinçons auraient également été apportés à Mittelbronn pour servir à l’établissement de nouveaux décors ?

• 1. Ateliers de la Moselle. Exemples de divers styles décoratifs, importés de Gaule du Centre ou indigènes.

  • 2 LUTZ (M.). — La Sigillée de Boucheporn (Moselle). 1977 (XXXIIe suppl. à Gallia).

3Bien entendu nous ne devons pas prendre en compte ici le rayonnement des officines Saturninus‑Satfo dont nous retrouvons les traces en bien d’autres ateliers, tels ceux d’Argonne, de Trèves ou de La Madeleine et ces influences se sont exercées dès le début ; il convient de se rappeler que Boucheporn est à considérer comme un atelier d’essais2.

  • 3 STILLER (G.), MULLER (H.), ZUMSTEIN (H.), HATT (J.‑J.). — Découverte d’une officine de céramique ga (...)
  • 4 HULD‑ZETSCHE (I.). — Reliefsigillaten des Alpinus aus Haute‑Yutz (Dép. Moselle) und die sogenannte (...)

4Quant aux ateliers de Haute‑Yutz et de Metz, il est évidemment assez risqué de se prononcer : ils sont encore fort mal connus, notamment celui de Metz. Haute‑Yutz a sans doute des liens avec l’Argonne3 d’un côté et, comme le prétend I. Huld‑Zetsche, avec le potier Alpinus de Trèves4 qui, d’après l’auteur, serait avant tout un potier de Haute‑Yutz. Il convient donc surtout de souligner une nouvelle fois le rôle de tout premier plan qu’ont joué Saturninus et Satto dans la sigillée de la Gaule de l’Est dès l’époque domitienne et durant une grande partie du iie s.

Boucheporn

5L’officine est située dans la commune de Boucheporn, département de la Moselle, arrondissement de Boulay, canton de Boulay, aux lieux‑dits Le Vinckel et Ziegelgarten, à une altitude de 335 m.

■ Circonstances de la découverte et état du site

6En 1961 G. Lévy‑Mertz signala la découverte à Boucheporn, en 1958, au lieu‑dit Ziegelgarten et dans les champs environnants, d’innombrables tessons de céramique sigillée et de fragments de tuiles (LEVY‑MERTZ (G.). — Les Établissements antiques de Boucheporn. A.S.H.A.L. LXI, 1961, p. 27 et sq}. Dès 1959 nous trouvions dans les Cahiers Lorrains (no 4), sous la signature de l’abbé N. Baroth, un article intitulé « Un Atelier de céramique gallo‑romaine à Boucheporn » où l’auteur donnait les premiers renseignements sur la céramique recueillie en ces lieux. Ce sont là les premières prospections faites à Boucheporn. Elles furent suivies d’autres, plus importantes, ainsi que de photos aériennes prises par la base aérienne américaine de Phalsbourg (sans résultats notables). Quelques sondages furent entrepris avec succès dès 1962 et en 1963 eut lieu une première campagne de fouilles, qui profita de travaux d’aménagements pétroliers, suivie de quatre autres les années suivantes. L’existence d’un atelier à Boucheporn ne peut donc plus se discuter. Après la dernière campagne, J.‑J. Hatt, directeur des fouilles, fit protéger fours et installations qui avaient été remblayés et entourer le terrain d’un grillage, protection qui s’avère comme totalement insuffisante. La surface du parc de fouilles est d’environ 100 x 70 m., mais la surface du terrain occupée par l’officine est au moins dix fois plus importante.

■ Contexte historico‑géographique

7Boucheporn, dont on ne connaît pas le nom antique, est situé en Gaule Belgique dans la cité des Médiomatriques. L’implantation de l’officine a été faite en pleine campagne, sans qu’on puisse, pour le moment du moins, conclure à l’existence d’un vicus ou même d’une villa importante bien que des vestiges aient été découverts sous le village. On n’a pas rencontré de traces d’installations militaires. Pour le moment la cadastration régionale est mal connue ; cependant d’après des travaux récents mais encore inédits Boucheporn semble parfaitement s’intégrer dans un type de cadastration médiomatrique différant des systèmes environnants, ainsi celui des Leuques, par une orientation distincte. La communauté humaine importante la plus rapprochée est Diuodurum‑Metz, cité stipendiaire.

8Boucheporn est situé sur la voie romaine conduisant de Metz à Worms, voie dont les traces sont encore bien visibles. Une autre voie de moindre importance conduit vers le sud, dans la direction de Chémery par Bambiderstroff et Pontpierre, et rejoint du côté de Vic‑sur‑Seille (?) la grande voie qui conduit de Metz à Strasbourg. Cette route nord‑sud coupait d’autre part la voie qui allait de Metz en direction de la vallée de la Sarre qu’elle atteignait à Keskastel, aujourd’hui dans le département du Bas‑Rhin. D’autre part la proximité de la Nied permettait de rejoindre la Moselle par voie d’eau, voie d’eau importante qui se jette dans le Rhin. Les liaisons étaient donc intéressantes par l’eau comme par la route.

9Les argiles du groupe de l’anhydrite donnent une très bonne terre à briques et à poterie (P.‑L. Maubeuge, Nancy). La proximité d’une zone gréseuse (Buntsandstein) a sans doute laissé quelques traces de sable dans ces argiles. Le niveau aquifère est constant, lié aux changements de terrains perméables‑imperméables. Encore de nos jours la forêt est riche : feuillus et conifères, ces derniers sans doute contestés pour l’Antiquité mais ayant cependant donné un motif décoratif à la sigillée d’Argonne.

10La datation de l’atelier de Boucheporn se fait surtout par comparaison de la céramique qu’il a fournie, avec, par exemple, celle des ateliers de Chémery, de Mittelborn et maintenant d’Eincheville. Bien entendu nous pouvons également relever des indices chronologiques dans les exportations. Mais d’autres mobiliers archéologiques, telles les monnaies, ne donnent que des renseignements assez flous.

11La région a d’autre part laissé des traces bien apparentes de prospérité industrielle comme, entre autres, des gisements de plomb (nord‑ouest de Dourd’hal) et de cuivre (Dalem, Falck, Longeville‑lès‑Saint‑Avold ; cf. LUTZ (M.). — Industries régionales dans l’Antiquité. C.L., 1982, 1, p. 85 et sq). Par ailleurs, la quantité de monnaies qu’on a recueillie, et qu’on recueille encore clandestinement au Héraple, permet sans doute de le mentionner comme marché important mais il se trouve à quelque distance de Boucheporn. Finalement en dehors de forges artisanales qu’on signale fréquemment sur le site d’une villa, aucune activité artisanale particulière n’apparaît clairement à proximité de l’atelier de céramique.

■ Activité céramique

12L’activité de l’officine de Boucheporn comme productrice de sigillée semble débuter sous Claude et se poursuivre (surtout comme atelier d’essais) durant la plus grande partie de la première moitié du iie s., alors que la production industrielle était déjà passée à Chémery. Mais il est probable que son déclin intervint en même temps que celui des autres officines de la Gaule de l’Est, à la suite de troubles survenus vers les années 160‑170, troubles qui auraient eu pour origine une épidémie de peste qui entraîna, indirectement, la désertion des campagnes.

13À Boucheporn, les premières productions de sigillée remontent donc à Claude ; mais auparavant un atelier avait déjà fabriqué de la céramique gallo‑belge, probablement dès Tibère. Plus tard on fabriqua de la céramique vernissée et de la céramique commune. La production de ces dernières semble avoir été de pair avec celle de la sigillée mais il est possible que la céramique commune ait survécu un certain temps à l’abandon de la vaisselle fine, naguère production de base.

14Nous avons pu constater maintes fois l’existence d’un groupe Saturninus‑Satto incluant quelques autres potiers, par exemple le Maître aux boucliers et aux casques. Ce groupe exerça son activité de toute évidence non seulement à Boucheporn mais aussi à Chémery, à Eincheville, à Mittelbronn et à Blickweiler où nous rencontrons notamment Satto. Leurs produits ont été recueillis partout en quantités importantes, parfois même exclusivement, sinon toujours ; on a de même recueilli nombre de moules qui ont servi à les fabriquer.

15Pour Boucheporn les analyses du laboratoire de cristallographie sont les suivantes : AI2O: 20, 61 ; SiO: 59,73 ; K2O : 6,36 ; CaO : 0,66 ; TiO2 : 1.04 ; Fe2O3 : 6,33 ; MgO : 4,22.

■ Définition archéologique du matériel sigillé

16La pâte de la sigillée de Boucheporn est de couleur ocre rosé (no 17 clair du tableau Steiger) tandis que l’engobe ou plutôt le « film » correspond au coloris 17 foncé du même tableau. Bien entendu les exemplaires surcuits sont encore plus foncés.

17Nous comptons à Boucheborn 38 estampilles épigraphiques (pour 28 potiers) et 8 estampilles anépigraphes. Les cartouches sont une fois de forme ronde et, pour le reste, de forme rectangulaire (avec angles arrondis ou avec angles relativement marqués). La sigillée unie (fig. 2 et 3) comporte des formes importées qui, au début, ont servi de prototypes (Hait. 8a, Ritt. 5, Drag. 24/25, 15/17, Ritt. 12, et surtout Drag. 18, 27). Dans les fabrications locales nous relevons les formes suivantes : Drag. 24/25, 22, 15/17, Ritt. 12, Curle 11, Drag. 18, toutes en principe jusqu’à Vespasien ; à partir de ce règne et du début de celui de Domitien, apparaissent les formes suivantes : Drag. 18/31, 31, 27 (évoluée), 35, 36, 42, 33, 40, 32, Curle 21, Drag. 38, 45, Ludowici SMc, Drag. 46, Ludowici Tb, ainsi que quelques types de vases insolites ou représentés par de rares tessons. Les estampilles ne révèlent aucun exemple de tria nomina ; pour le ier s., nous notons 22,66 % de noms d’origine romaine, 46,66 % d’origine gauloise et 26,66 % de noms d’origine douteuse ; pour le iie s., ces chiffres varient assez sensiblement en ce sens que nous comptons 66,66 % de noms gaulois contre 20 % de noms d’origine romaine, tandis que le total des noms d’origine douteuse tombe à 13,33 %.

• 2. Boucheporn. Sigillée lisse : formes précoces (Claude‑Flaviens).

• 3. Boucheporn. Sigillée lisse : productions du IIe s. (en haut : Trajan‑Hadrien ; en bas : fin du IIe s,).

18Pour la sigillée décorée nous notons cinq formes : Drag. 11, 29, 30, 29/37 et 37, cette dernière étant la plus fréquente, bien entendu après Domitien. Au départ, les décors sont proches de ceux de la Gaule du Sud avant qu’on arrive à des scènes décoratives rappelant celles de la Gaule du Centre représentée localement par le Maître aux boucliers et aux casques. Ensuite apparaît un style nouveau, infiniment plus sobre, plus dépouillé : celui de Saturninus‑Satto. Finalement et de façon assez inattendue, tel ou tel potier nous rapproche des décors d’Argonne. Les potiers se répartissent en cinq groupes: les potiers ruténo‑gabales, avec lucundus ; les potiers arvernes, avec un groupe ancien (Canaus, Rutanus) et un groupe récent (six maîtres anonymes auxquels on a attribué un nom basé sur des détails de leur répertoire décoratif) ; un autre groupe de six potiers anonymes sans doute indigènes, dont le principal est le Maître au petit cheval ; viennent ensuite Saturninus et Satto ainsi qu’un groupe étroitement lié aux précédents: le Maître aux boucliers et aux casques, le Potier à la rosette et le Maître à la rosette‑croix; au total on compte donc un minimum de vingt potiers. Peu de marques : sur les plus anciens vases ornés nous lisons CALVSF sur un fond intérieur, SEXTVS sur Drag. 11, dans une zone inférieure ; nous avons également une estampille illisible dans une zone supérieure : O RVTAN (rétro) dans un décor Drag. 29. À l’exception d’un seul exemplaire, tous les cartouches des estampilles épigraphiques sont rectangulaires. Tout le reste du mobilier ne comporte aucune estampille à part les productions de Saturninus et de Satto : l’estampille du premier est intradécorative, le graffite du second, intradécoratif également. Nous avons tenté (cf. La Sigillée de Boucheporn. o.c., p. 196) un essai de chronologie où nous concluons à un établissement de Saturninus vers 80 ap. J.‑C. à Boucheporn. La sigillée de Boucheporn ne présente que des types classiques en plus d’un seul relief d’applique (moule).

■ La fabrication

19D’après le relevé de plan, l’installation repose essentiellement sur un grand bâtiment long de plus de 40 m sur environ 28 de large et surtout sur la présence de 26 fours de formes variées, de fosses de lavage, de dépotoirs ; toutes ces installations sont reliées entre elles par des chemins aménagés. Plusieurs fours ont été intégralement fouillés mais ces fouilles sont restées inédites à ce jour.

■ Les potiers

20En ce qui concerne les potiers, on a pu tirer quelques conclusions sur leur origine et leurs migrations (Gaule du Centre ou Gaule du Sud, vers la Gaule de l’Est) ou de leur appartenance au groupe Saturninus‑Satto qui se forme dès la création de Boucheporn. Les migrations se font surtout à l’intérieur du groupe, d’un atelier à l’autre. Il n’existe pas d’attestations épigraphiques d’esclaves ou d’affranchis (cf. LUTZ (M.). — Les Estampilles sur sigillée de l’Est mosellan etc. In : Hommages à L. Lerat, Besançon, 1984).

■ La diffusion

21La diffusion des fabrications de Boucheporn apparaît actuellement d’une façon diffuse étant donné que le grand atelier de production du groupe Saturninus‑Satto est surtout Chémery. Toutefois divers produits provenant de Boucheporn ont pu être repérés çà et là, mais ils sont rares.

Bibliographie

22LUTZ (M.). — La Sigillée de Boucheporn (Moselle). Paris, 1977, p. 201. (XXXIIo suppl. à Gallia).

23BAROTH (N.). — Un Atelier de céramique gallo‑romaine à Boucheporn. C.L., ns, 11, 1959, pp. 54‑58.

24ÉON (M.). — Boucheporn (officine). Origine des tessons étudiés. Assoc. Amis de l’Arch. Mosell., 4, 1961, pp. 1‑38 ; analyse dans R.A.C., II, 5, 1963, p. 69.

25HATT (J.‑J.). — Informations archéologiques. Gallia, XVIII, 1960, p. 224 ; XXII, 1964, pp. 344‑347 ; XXVI, 1968, pp. 382‑385.

26HATT (J.‑J.). — Les Fouilles de Boucheporn. Aperçu sur les deux premières campagnes. R.A.E., 60 bis, 1964, pp. 353‑358.

27HATT (J.‑J.). — La Chronologie de l’officine de terre sigillée de Boucheporn d’après les fouilles de 1963 à 1967. R.C.R.F.. Acta XIX‑XX, 1979, pp. 72‑76.

28LÉVY‑MERTZ (G.). — Les Etablissements antiques de Boucheporn. A.S.H.A.L., LXI, 1961, pp. 27‑29.

29LUTZ (M.). — Une Nouvelle officine de céramique gallo‑romaine en Moselle, Boucheporn. R.C.R.F., Communicationes 1‑2, 1960.

30LUTZ (M.). — Une Nouvelle officine de céramique en Moselle, Boucheporn. A.S.H.A.L., LXI, 1961, pp. 30‑43.

31LUTZ (M.). — Aperçu sur l’officine de Boucheporn, de découverte récente. R.C.R.F. Acta IV, Tongres, 1962, pp. 77‑83.

32LUTZ (M.). — Fours de Boucheporn et production de Saturninus. Le Pays Lorrain, 44, 1963, p. 147.

33LUTZ (M.). — Quelques potiers de sigillée ornée récemment découverts à Boucheporn. R.A.E., XVII, 67‑68, 1966, pp. 237‑ 240.

34LUTZ (M.). — Boucheporn et la céramique gallo‑romaine. Mémoires de l’Académie Nationale de Metz, 1976, pp. 63‑74.

■ Collections principales et lieux de conservation

35La collection principale du matériel recueilli à Boucheporn se trouve dans les réserves du musée archéologique de Strasbourg (Château de Rohan). Une collection restreinte se trouve à l’hotel de Ville de Saint‑Avold.

■ Responsable actuel du site

36Le Directeur des Antiquités historiques de la région de Lorraine.

Chémery

37L’atelier se trouve dans la commune de Chémery, département de la Moselle, arrondissement de Boulay, canton de Faulquemont au lieu‑dit Les Quarante‑Jours, à une altitude de 282 m.

■ Circonstances de la découverte et état du site

38En 1934 M. Marcus, secrétaire général des Aciéries de Hagondange, signala le site à T. Welter (cf. A.S.H.A.L.. XLV. 1936, p. 137 et sq.]. Des prospections au sol furent entreprises et révélèrent la présence en surface d’une grande quantité de tessons. Une première campagne de fouilles suivit, de juillet à octobre 1934, et confirma la présence d’ateliers de potiers. La commune de Faulquemont vient d’acquérir les terrains des Quarante‑Jours dans le but de défendre le site archéologique contre les dégâts que pourraient causer les travaux agricoles, notamment les labours profonds. Le site, dont la fouille est loin d’avoir été exhaustive, se trouve ainsi protégé. Toutefois les fours découverts en 1934‑1935 dans la forêt de Kritzbesch ne sont pas compris dans les terrains acquis. Il semble d’ailleurs que ceux‑ci soient actuellement en majeure partie détruits. L’étendue du terrain des Quarante‑Jours est d’environ 160 m sur 110, soit environ 18 ha. Mais en réalité l’extension du site archéologique est plus grande, notamment du côté ouest.

■ Contexte historico‑géographique

39En ce qui concerne la ciuitas, cf. Boucheporn. Chémery est également une implantation rurale. Les fouilles ont révélé l’existence de quelques pièces d’habitation (cf. WELTER (T.). — art. cit., notamment le plan général). Les questions concernant la cadastration antique ne trouvent pas plus de réponse qu’à Boucheporn, pas plus d’ailleurs que la question juridique. Dans la cité des Médiomatriques, Diuodurum‑Meiz est la communauté humaine importante la plus proche et des découvertes récentes semblent reconnaître un vicus à Grostenquin. Chémery est situé à proximité de la voie qui conduit de Metz à Keskastel et se trouve relié à Boucheporn par une voie nord‑sud déjà citée. Par ailleurs les communications par eau sont les mêmes que pour Boucheporn.

40La géologie locale révèle des formations du sol dites « keupériennes » ; marnes et argiles y alternent sur une base de calcaire dolomitique qui émerge par endroits. T. Welter dit avoir cherché en vain de l’eau dans le voisinage du site mais on lui a parlé de deux puits dont il n’a jamais trouvé trace. Il est certain qu’aux confins de la forêt de Romilly le bois ne manquait pas, bien que nous n’en connaissions pas les essences ; elles ont toutes les chances d’avoir été identiques à celles de Boucheporn ou du moins très proches d’elles, avec peut‑être moins de conifères, le terrain de Chémery n’étant pas sablonneux. Toutefois il est probable que cette forêt s’appauvrit et que les potiers décidèrent de transplanter l’officine à Mittelbronn vers 150‑160 ap. J.‑C. À moins qu’ils n’aient voulu s’approcher du Rhin.

41La datation de Chémery repose sur les mêmes bases que celle de Boucheporn, mais il est certain que l’absence de céramique flavienne, ou même préflavienne, ne permet pas d’atteindre une datation aussi haute à Chémery dont les débuts doivent être placés aux environs de 90 ap. J.‑C. Mêmes remarques au sujet des nombreuses fouilles extérieures et de la datation du matériel de Chémery qu’elles ont fourni. Les monnaies recueillies, frappées entre l’époque républicaine de la bataille d’Actium et les Antonins, ne contredisent pas nécessairement les dates avancées.

■ Activité céramique

42Aucune autre activité industrielle n’a été signalée mais il convient sans doute de noter la richesse en bois de la forêt de Remilly ainsi que les riches terres agricoles de la région, notamment de la plaine du Bischwald (cf. HOERNER (B.). — La Plaine du Bischwald à l’époque romaine. CL., 1981,1).

43En ce qui concerne les industries antiques, il convient de préciser aussi que Chémery n’est guère distant que de 15 km de Boucheporn. Si Boucheporn, comme nous l’avons vu, est sans doute l’atelier d’essais, Chémery, par contre, est à considérer comme l’atelier de production sur une grande échelle de marchandises que l’on rencontre du mur d’Antonin au Danube. Pour le reste, ce qui a été dit de Boucheporn est également valable pour Chémery. Les premières traces de fabrication de céramique sur le site sont celles de la sigillée, vers 90 ap. J.‑C., plusieurs échantillons de sigillée provenant de Boucheporn ont d’ailleurs été recueillis à Chémery. D’après de récents sondages encore inédits, on a également fabriqué à Chémery de la céramique commune et de la céramique vernissée et, bien entendu, des tuiles et tuyauteries diverses en terre cuite ; il est possible que ces productions aient persisté après qu’on eut abandonné la fabrication de la sigillée qui avait été primordiale à Chémery.

44Nous avons déjà étudié les relations entre notre atelier et les autres ateliers mosellans ou rhénans ; mais il semble que les potiers de Chémery aient également influencé d’autres fabriques, comme par exemple, celles de La Madeleine ou d’Argonne.

45T. Welter mentionne les résultats de plusieurs analyses chimiques entreprises vers 1935 par les Aciéries de la Marine à Homécourt, analyses dont il publie les résultats (art. cit., p. 138).

■ Définition archéologique du matériel sigillé

46La couleur du film de la sigillée de Chémery se rapproche de celle de Boucheporn, tirant sans doute un peu plus sur le rouge, soit les nos 17‑18 de la gamme Steiger. Quant à la pâte, elle est ocre rouge.

47Les estampilles de Chémery sont au nombre de 102, soit 77 épigraphiques et 25 anépigraphes. Les premières sont inscrites dans des cartouches rectangulaires généralement assez développés, aux coins légèrement arrondis ; nous n’en notons qu’une seule dans un petit rectangle. Douze d’entre elles sont inscrites dans un cercle (cf. DELORT (E.). — L’Atelier de Satto, art. cit., pl. I et Il ; LUTZ (M.). — Les Estampilles sur sigillée de l’Est mosellan..., art. cit., pl. II et III).

48Les formes de vases unis (fig. 4) produites par l’atelier de Chémery sont les suivantes : Drag. 17 (en quantité insignifiante), Drag. 18 (?), 18/31, 31 (?), 27, 32, 33, 35, 36, 40, 46 (en nombre infime), ainsi que quelques types non déterminés. Il semble que les formes Drag. 17 et 18 soient à considérer comme des prototypes apportés probablement de Boucheporn. Le ductus des estampilles est celui du iie s., à part peut‑être l’estampille AI+. Deux autres ne comportent que des initiales (OES et OFA).

• 4. Chémery. Principales formes de sigillée lisse. Échelles diverses.

49En sigillée ornée nous notons surtout la forme Drag. 37, quelques rares exemplaires de la forme Drag. 29/37 et d’autres, plus rares encore, de la forme Drag. 30. Peut‑être l’atelier a‑t‑il encore fabriqué la forme Drag. 29 si l’on se fonde sur les trouvailles hors atelier ; mais il s’agit plutôt de productions de Boucheporn. Au début, c’est‑à‑dire vers 90 ap. J.‑C., le patron est Saturninus dont les décors présentent quelques particularités, tant du point de vue du style que de celui du répertoire de poinçons (cf. LUTZ (M.). — Saturninus et Satto en Grande‑Bretagne. R.C.R.F., Acta XXIII ; notice de Boucheporn). Les types de décor employés à Chémery sont les suivants: décor géométrique, rinceaux, festons, arcades, métopes, scènes de vendanges, scènes de chasse, scènes relatant la légende de Polyphème, scènes à décor de griffons. Les potiers qui ont produit cette sigillée se réduisent pratiquement à Saturninus et à Satto, mais on a également recueilli deux estampilles MARTIALIS et une troisième SEN/S. D’autre part on connaît plusieurs graffites, notamment de Siluinus (sur fond de moule) et de Satto (sur fond de moule aussi), intradécoratifs et une fois, hors‑officine d’ailleurs, sous le décor ; nous avons également dix exemplaires de signatures de Saturninus intradécoratives. Par ailleurs les estampilles Saturninus et Satto sont constamment intradécoratives.

50E. Delort avait avancé les dates suivantes pour Chémery : début, 90 ap. J.‑C., fin, environ 150 ; ces dates semblent acceptables. Dans notre essai de chronologie (cf. Boucheporn, o.c., pp. 196‑197), nous avons repris la date de 90 pour les débuts mais avons quelque peu reculé la date finale (150‑160 ap. J.‑C.). D’autre part nous voyons Satto accéder au patronat à Chémery vers 125 (cf. article Boucheporn).

■ La fabrication

51À part un soc (?) de charrue signalé avec réserves par T. Welter, nous ne trouvons de mention d’outillage ni chez ce dernier, ni chez E. Delort, si ce n’est une sorte de lissoir en silex et une spatule. Bien entendu il n’est pas question ici des moules déjà cités plus haut. Aucun poinçon n’a été signalé mais de nombreux accessoires de fours et de cuisson ont été recueillis, malheureusement restés inédits, à l’exception de trois vagues dessins donnés par E. Delort dans « L’Atelier de Satto » (art. cit., pl. IV) et quelques dessins plus précis dans « Vases ornés de la Moselle » (pl. 93 et 94).

52Six fours ont été mis au jour par T. Welter mais n’ont pas été publiés. Enfin E. Delort donne un très bref résumé de la découverte dans « Vases ornés de la Moselle » (p. 12). D’autre part, en 1981 un important sondage a amené la découverte d’un nouveau four qui semble avoir été utilisé pour la céramique commune. Un rapport de fouille, dont le double existe à la S.H.A.L., a été remis à la Direction des Antiquités historiques de la région de Lorraine. En ce qui concerne les bâtiments, une construction, vraisemblablement une habitation, a été mise au jour dans la partie ouest des Quarante‑Jours, exactement dans les parcelles 464 et 465. La surface est d’environ 50x25 m mais il semble que la totalité des constructions n’ait pas été exhumée. On a dégagé des restes de bâtiments en pisé ainsi que les traces d’un hypocauste. Par ailleurs, on signale des vestiges de deux autres abris en pisé, une « soute » à charbon de bois, des traces de foyers, une canalisation‑drainage, un grand dallage ainsi qu’un chemin pavé.

53Vers 1978, un graffite d’enfournement sur tesson de sigillée de petites dimensions a été recueilli par Pierre Weiler (Morhange) et déposé au musée du Pays de Sarrebourg où il n’a pas encore été déchiffré.

■ Les potiers

54En ce qui concerne les potiers, on pourra se référer à ce qui a été dit au sujet de Boucheporn ; leurs relations ont été largement traitées, tant en ce qui concerne les rapports internes au groupe Saturninus‑Satto, que ceux qu’il entretient avec d’autres ateliers (cf. LUTZ (M.). — Mittelbronn et Boucheporn, o.c.). Il en est de même des migrations.

■ La diffusion

55Si la diffusion des vases de Boucheporn a laissé peu de traces, il n’en est pas de même de Chémery où l’exploitation des produits de Saturninus‑Satto battit son plein : nous trouvons cette sigillée du mur d’Antonin, en Grande‑Bretagne, au Bas‑Danube. La diffusion en Gaule est moins importante et ne sort guère de la Gaule de l’Est, ou plus précisément ne dépasse pas la Moselle ou la Meuse ; toutefois le marché local a été en fin de compte plus important qu’on ne le croyait il y a encore quelques années (cf. LUTZ (M.). — Mittelbronn, o.c., pp. 289‑290, fig. 40 et 41).

Bibliographie

56DELORT (E.). — Les Vases ornés de la Moselle. Nancy, 1953, p. 232.

57BÉMONT (C.), LUTZ (M.). — Lezoux, Chémery et le potier à la Rosette. R.A.E., 1983, pp. 131‑132 et 135‑151.

58DELORT (E.). — La Céramique de Satto et de Saturninus. A.S.H.A.L., XLIV, 1935, pp. 355‑406.

59DELORT (E.). — L’Atelier de Satto. Vases unis. 3000 marques. Mémoires de /’Académie nationale de Metz, XVII, Nancy, 1948, pp. 3‑35.

60HATT (J.‑J.). — Les Céramiques des Martres‑de‑Veyre (Puy‑de‑Dôme) (?) et de Chémery (Moselle) au musée archéologique de Strasbourg. Gallia, XVI, 1958, pp. 251‑261.

61WELTER (T.). — La Poterie de Chémery‑Faulquemont (Moselle). Les fouilles de 1934. A.S.HA.L., XLV, 1936, pp. 137‑156.

62GAUDRON (G.). — Vases ornés de la Moselle (E. Delort). R.A.E., 18, 1954, p. 173.

63HARTLEY (B.‑R.). — Les Vases ornés de la Moselle, E. Delort, Nancy, 1953, (compte rendu). A.J., XXXV, 1955, p. 102.

■ Collections principales et lieux de conservation

64La collection de Chémery se trouve intégralement au musée de Metz. De nombreux tessons de vases de Saturninus‑Satto, recueillis lors de fouilles hors‑atelier, se trouvent disséminés dans un grand nombre de musées dont on trouvera en partie la liste dans l’ouvrage cité ci‑dessus (cf. p. 153 et sq.).

■ Responsable actuel du site

65Le Directeur des Antiquités historiques de la région de Lorraine.

Eincheville‑le‑Tenig

66L’atelier est situé dans la commune d’Eincheville, département de la Moselle, arrondissement de Forbach, canton de Grostenquin, au lieu‑dit Le Tenig, à une altitude d’environ 307 m.

■ Circonstances de la découverte et état du site

67La découverte fut faite en 1978, à la suite de recherches en surface par P. Weiler, de Morhange, dont l’attention fut attirée par le nombre de tessons sigillés. Trois brèves campagnes de sondage suivirent et donnèrent d’excellents résultats ; ces sondages ont été remblayés.

■ Contexte historico‑géographique

68Il s’agit ici également d’une implantation rurale fort proche de celle de Chémery, située d’ailleurs à peine à 2 km de distance à vol d’oiseau et à laquelle il y a peut‑être lieu de la rattacher. Pour l’instant aucune cadastration n’apparaît et la surface de terrain occupée par l’officine n’est pas connue mais pourrait facilement atteindre l’extension de celle de Chémery. Pour le reste, cf. Chémery, notamment pour les routes et cours d’eau.

69Les argiles sont probablement identiques à celles de Chémery ; pour l’instant on ne connaît pas le mode d’alimentation possible en eau, mis à part un ruisseau à distance relativement faible.

70La datation de l’atelier doit naturellement se faire par rapport aux autres ateliers du groupe de Saturninus‑Satto, notamment celui de Chémery. Les premiers sondages ont fait apparaître la présence marquée de décors attribuables à Saturninus, ce qui donnerait à l’atelier du Tenig une date plutôt haute parmi les ateliers du groupe. Hypothèse que ne contredit pas le fait qu’on recueille également beaucoup de sigillée du Maître aux boucliers et aux casques. Une autre confirmation est apportée par la présence de céramique gallo‑belge sans doute préflavienne. Les périodes de déclin, notamment celle du deuxième tiers du iie s., sont les mêmes que celles qu’on observe dans les autres ateliers de la Gaule de l’Est.

■ Activité céramique

71D’après les résultats obtenus jusqu’à présent, il semble que la production de sigillée ait dominé à Eincheville, bien que les premières productions sur le site aient été gallo‑belges, suivies de céramique commune et de céramique vernissée. On ignore cependant si ces fabrications ont persisté après l’abandon de la sigillée.

■ Définition archéologique du matériel sigillé

72Pour le moment aucune analyse n’a été faite, mais il est probable que l’argile d’Eincheville est identique à celle de Chémery, ou du moins s’en rapproche fortement. D’ailleurs l’aspect des pâtes ou des « films » est identique.

73Les estampilles épigraphiques sur sigillée unie sont celles de Chémery. Elles sont pour l’instant au nombre de six, auxquelles il faut ajouter cinq estampilles anépigraphes figurant également dans le répertoire de Chémery. La sigillée ornée est fabriquée par sept ou huit potiers, plus nombreux donc qu’à Chémery. Nous y rencontrons les formes Drag. 29 (éventuellement Drag. 29/ 37) et tout récemment on a recueilli plusieurs tessons de coupes cylindriques Drag. 30. Les décors de Saturninus‑Satto ne varient pas, mais ceux qu’on attribue au premier sont les plus nombreux ; ce sont surtout des frises de style géométrique. Plusieurs décors sont inédits dans les autres ateliers du groupe, ainsi ceux des vases Drag. 30. Nous n’avons recueilli que des estampilles de Saturninus et un seul graffite de Satto.

■ La fabrication

74Jusqu’à présent aucun outillage n’a été signalé. Aucun four n’a encore été mis au jour, cependant la présence d’accessoires de four et de cuisson et de ratés de cuisson indique bien la présence d’un atelier. Récemment les sondages ont mis au jour un important dallage ainsi que des pavages, et la présence de tuiles prouve que nous nous trouvons à proximité de constructions. Précédemment nous avions signalé la présence d’un canal d’amenée ou d’évacuation d’eau et d’une fosse en forme d’entonnoir, aux parois revêtues de moëllons, sans mortier.

■ Les potiers et la diffusion

75En ce qui concerne les potiers, leurs associations éventuelles, leurs filiations ou leurs migrations, cf. Boucheporn, Chémery ou Mittelbronn. Même remarque pour la diffusion.

■ Bibliographie

76LUTZ (M.). — Eincheville‑Le Tenig, nouvel atelier de potiers ? C.L., 1981, pp. 33‑50.

77LUTZ (M.). — L’Officine de céramique gallo‑romaine d’Eincheville‑Le Tenig. R.C.R.F. Acta XXIII‑XXIV, 1984, pp. 38‑49. (Studien zur römischen Keramik).

■ Collections principales et lieux de conservation

78Le matériel provenant des sondages se trouve au musée du Pays de Sarrebourg, mais le produit des ramassages fait partie de la collection P. Weiler.

■ Responsable actuel du site

79Le Directeur des Antiquités historiques de la région de Lorraine.

Mittelbronn

80L’atelier est situé dans la commune de Mittelbronn, département de la Moselle, arrondissement de Sarrebourg, canton de Phalsbourg, au lieu‑dit Oxenzung, à une altitude d’environ 317 m.

■ Circonstances de la découverte et état du site

81L’atelier de Mittelbronn a été découvert en automne 1952 par le R.P. Morand Hartmann, professeur au collège Saint‑Antoine de Phalsbourg, à la suite d’une vaste opération concertée de recherches en surface par la section de Sarrebourg de la Société d’histoire et d’archéologie de Lorraine. Cette découverte donna immédiatement lieu à des sondages qui confirmèrent l’existence d’une officine. Des prospections aériennes et géophysiques suivirent et finalement des fouilles programmées débutèrent en 1953 et se poursuivirent jusqu’en 1960. Dès les prospections en surface, des tessons de sigillée étaient apparus. Après la dernière campagne de fouilles, le terrain a été remblayé. La superficie peut être évaluée à environ 1 ha mais il reste certainement encore à examiner une surface d’environ 2 ha, prolongement supposé de l’officine.

■ Contexte historico‑géographique

82Mittelbronn était situé en Gaule Belgique, à peu de distance de la frontière entre Médiomatriques et Triboques. Il s’agit d’une implantation rurale ; celle‑ci n’a pas laissé de traces de cadastration antique. La communauté humaine de quelque importance la plus rapprochée est Sarrebourg‑Pons Saraui, un vicus dont le statut juridique reste inconnu. Nous devons également citer Melz‑Diuodurum, cité de statut stipendiaire (?). Mittelbronn est située sur la voie Reims‑Strasbourg qui lui offre de bonnes communications, d’une part avec le Rhin et le limes sud, de l’autre avec la Sarre et la Moselle et le limes nord. Le franchissement des Vosges par le col de Saverne ne devait pas représenter un gros obstacle, même à l’époque romaine.

83Le gisement local d’argile donnait entière satisfaction aux potiers, il contenait la proportion voulue d’oxyde de fer et de chaux ; il fallait même laver et sédimenter la terre pour enrichir l’argile en alumine et diminuer la proportion de sable qu’elle contient naturellement. L’eau n’est pas rare sur le plateau de Mittelbronn où, comme nous le savons, elle était amenée vers l’atelier par un canal principal, probablement alimenté par un bassin collecteur auquel elle parvenait par des drainages. La forêt vosgienne voisine pourvoyait aux besoins en bois. C’est peut‑être là qu’il faut reconnaître l’une des raisons qui ont attiré les potiers vers cet endroit. Il est possible que la forêt ait alors produit des bois résineux.

84La datation de l’atelier se fait assez aisément par comparaison avec Chémery d’une part (Satuminus‑Satto), avec Ittenwiller de l’autre (Cibisus) et le lot de céramique commune recueilli à Mittelbronn permet lui aussi d’arriver à certaines conclusions sans même tenir compte des monnaies.

85La région de Mittelbronn est voisine de la montagne vosgienne qui a vu s’épanouir cette culture originale que nous avons appelée « civilisation des sommets vosgiens » ; cette occupation de la montagne reposait pratiquement sur la seule exploitation du grès et du bois. D’autre part la forêt a conservé des traces, sans doute éparses mais néanmoins certaines, de petits ateliers de verriers et la chasse y était sans doute pratiquée sur une large échelle. Les rapports existant entre les différentes étapes de l’activité de l’atelier de Mittelbronn, sa naissance, son développement, ses périodes de crise, son déclin, sont les mêmes que celles qui nous sont connues pour Boucheporn et pour Chémery.

■ Activité céramique

86Sans doute l’atelier de Mittelbronn a‑t‑il laissé de nombreuses traces de fabrication de céramique vernissée et de céramique commune, mais c’est néanmoins la sigillée qui y joua le rôle principal, bien qu’il soit difficile de dire dans quelles proportions. La sigillée semble d’ailleurs bien avoir été le premier type de céramique fabriqué sur le site, mais elle fut plus ou moins contemporaine des plus anciens types de céramique vernissée et de céramique commune. La production de cette dernière paraît d’ailleurs avoir été reprise après l’hiatus que nous constatons entre 160‑170 et 230 environ. D’une part, Mittelbronn est l’une des officines du groupe Satuninus‑Satto et, de l’autre, nous y rencontrons les traces d’une relation avec Ittenwiller du fait de la présence de vases tirés de moules de Cibisus.

87Des analyses ont été faites par M. Maréchal, directeur du Centre de recherches de l’Université de Caen, analyses dont nous avons publié les résultats (LUTZ (M.). — Mittelbronn, o.c., p. 33 et sq.}.

■ Définition archéologique du matériel sigillé

88La pâte de la sigillée de Mittelbronn se place dans la table de Ruth Steiger dans le voisinage du no 11, tandis que le film correspond à peu de choses près au no 16.

89Mittelbronn a fourni neuf estampilles épigraphiques imputables à six potiers ainsi que dix estampilles anépigraphes. Les cartouches des estampilles épigraphiques sont en général rectangulaires avec coins arrondis ; un exemplaire est toutefois ovalisé aux deux bouts (CASSIVS). On ne connaît pas de graffite sur sigillée unie, on en a trouvé un seul sur moule (SILVINVS).

90Les formes de sigillée lisse recueillies à Mittelbronn sont les suivantes : Drag. 40, 32, 33, 18/31, 38, Lud. Tm’ (ou rapprochant), 37 (fig. 5) ou Niederbieber 16 guillochée, Drag. 46, Curle 15, Drag. 43, Walters 80, Lud. Tb, Ritt. 9, Drag. 36, Lud. Tg, RSb, Sq, SMb, SMc (fig. 6). L’évolution du répertoire, par rapport à Chémery par exemple, indique nettement une époque antonine évoluée, l’exemplaire Ritt. 9 ne devant évidemment être considéré que comme une simple ressouvenance. Le nombre des potiers ne dépasse pas le chiffre de 16. Les ductus des noms ne présentent pas de particularités, du moins en ce qui concerne les estampilles épigraphiques (noter le libellé TRITVS en gaulois). Mais quelques estampilles anépigraphes retiennent notre curiosité (nos 11, 22 et surtout 24).

• 5. Mittelbronn. Formes lisses produites dans l’atelier.

• 6. Mittelbronn. Formes lisses produites dans l’atelier.

91Les formes ornées se réduisent pratiquement au Drag. 37, à part quelques Drag. 29/37 et d’encore plus rares Drag. 30. On ne constate aucune évolution dans le répertoire de Saturninus‑Satto qui reste identique à celui de Chémery. Quant aux décors de Cibisus, il semble s’agir de compositions plus tardives que celles d’Ittenwiller, donc peut‑être nouvelles. L’estampille SATTO FECIT a été recueillie 68 fois, SATVRNINVS FIICIT seulement trois fois, d’où on peut déduire que les moules apportés de Chémery sont essentiellement des moules à décors de SATFO. Par ailleurs l’estampille de Cibisus a constamment été rayée, ne laissant plus apparaître que le C initial et des traces de FEC. On constate d’autre part que toutes les estampilles sont intradécoratives.

■ La fabrication

92L’outillage recueilli à Mittelbronn comprend, en plus de nombreux accessoires de cuisson dont des cales et des supports de four sans graffite, un couteau de tournassage, une crapaudine de tour, un lissoir en silex, une hipposandale et un merlin à fendre le bois. Quatre fours furent mis au jour : deux fours à tuiles, dont l’un très grand (8 x 8 m), un petit four à double alandier, ainsi qu’un grand four constitué de puissants blocs de grès formant l’alandier d’un four à coupole ; tous ont été fouillés mais ne sont pas encore intégralement publiés. Les fouilles mirent également au jour une série de hangars, des conduits et des drainages ; d’autre part, on repéra avec précision plusieurs carrières d’argile ainsi que des fosses à argile et à sable.

■ Les potiers

93Ce que nous savons des potiers de Mittelbronn se confond très largement avec ce qui a été dit de ceux de Boucheporn et de Chémery en ce qui concerne leurs noms, leur rang social, leur place dans le groupe de Safurninus‑Satto et leurs migrations.

■ La diffusion

94La diffusion des produits de Mittelbronn a dû certainement se faire vers l’est ou le sud‑est, mais nous n’en avons pas de preuves évidentes. Vue la chronologie admise pour l’atelier, nous avons pensé que les conquêtes de Marc‑Aurèle avaient pu ouvrir une nouvelle voie économique vers les Balkans, notamment pour Cibisus dont on signalait la présence à Novae (Bulgarie). Mais s’agit‑il de fabrications de Mittelbronn ? Étant donné cependant la facilité de communication, d’une part avec le Rhin, et avec la Moselle de l’autre, il est possible que les exportations aient pris d’autres directions.

Bibliographie

95LUTZ (M.). — L’Atelier de Saturninus et de Satto à Mittelbronn (Moselle). Paris, 1970, p. 338, (XXIIe suppl. à Gallia).

96HATT (J.‑J.). — Informations archéologiques. Gallia, XII, 1954, pp. 478‑479 ; XIV, 1956, pp. 289‑293 ; XVI, 1958, pp. 322‑323 ; XVIII, 1960, p. 234.

97LUTZ (M.). — La Céramique de Mittelbronn. Communication à la Fédération historique lorraine, Nancy, 1954.

98LUTZ (M.). — La Céramique de Mittelbronn. R.C.R.F. Acta I, Zürich, 1959, pp. 24‑26.

99LUTZ (M.). — L’Officine de céramique gallo‑romaine de Mittelbronn. Gallia, XVII, 1959, 1, pp. 101‑160.

100LUTZ (M.). — La Céramique de Cibisus de Mittelbronn. Gallia, XVIII, 1960, pp. 111‑161.

101LUTZ (M.). — Note sur Mittelbronn (1959). R.C.R.F. Communicationes 1, 1960.

102LUTZ (M.). — Mittelbronn, l’une des officines de Saturninus et de Satto. Archéologia, I, 1964, pp. 76‑79.

103LUTZ (M.), MORAND‑HARTMANN (R.P.). — La Céramique de Mittelbronn. A.S.H.A.L., LIV, 1954, pp. 75‑97.

■ Collection principale et lieu de conservation

104L’ensemble du mobilier recueilli à Mittelbronn est conservé au musée du Pays de Sarrebourg.

■ Responsable actuel du site

105Le Directeur des Antiquités historiques de la région de Lorraine.

Haute‑Yutz

106L’officine se trouve dans l’actuelle Yutz : la localité de Haute‑Yutz, où eurent lieu les fouilles en 1960, a fusionné par la suite avec la localité voisine de Basse‑Yutz, donnant ainsi la nouvelle commune de Yutz, département de la Moselle, arrondissement de Thionville‑Est, canton de Yutz, au lieu‑dit Im Vockstveck, à l’altitude de 160 m environ.

■ Circonstances de la découverte et état du site

107L’antique ludicium, qui a donné Yutz en français, est connu depuis le xixe s. et surtout depuis le début du xxe s. par bien des découvertes remarquables datables de l’âge du Bronze au Bas Empire ; de nombreux tessons ou tuiles estampillés y furent trouvés ainsi que du mobilier funéraire gallo‑romain entre 1900 et 1914. Aucune fouille cependant n’avait jamais été organisée. Mais au printemps 1960, les services de la Navigation commencèrent d’importants travaux pour canaliser la Moselle. Le 26 mars, les bulldozers mirent au jour sur une petite terrasse en surplomb un matériel considérable d’officine antique de potiers ; on décida une fouille d’urgence qui dura jusqu’au 21 avril 1960. La surface fouillée, qui peut être estimée entre 800 et 1 000 m2 environ, est coincée entre l’escarpement du bois d’Illange et la plaine inondable de la Moselle. À l’automne 1962, une petite fouille au sommet de la nouvelle berge de la rive droite mit au jour un matériel beaucoup moins abondant et plus tardif que celui de l’officine de la petite terrasse.

■ Contexte historico‑géographique

108Iudicium, situé en Gaule Belgique dans la cité des Médiomatriques mais pas très éloigné de celle des Trévires, semble avoir été sur la rive droite de la Moselle une localité assez importante. Pour les communications, la route romaine Metz‑Trêves (rive gauche de la Moselle) était facilement atteinte en franchissant la Moselle par des gués et en gagnant soit la grosse bourgade correspondant actuellement à Daspich‑Ebange (commune de Florange), où un groupe important de potiers fonctionnait au moins depuis les Flaviens (céramique gallo‑belge au ier s., puis céramique ordinaire gallo‑romaine pendant le iie, voire au début du iiie s.), soit la bourgade qui forme une partie de l’actuelle Hettange‑Grande (Caranusca des Itinéraires romains?). La route Metz‑Trêves de la rive droite de la Moselle était elle aussi peu éloignée. Mais c’était surtout la Moselle, à 10 m alors au pied de la terrasse, qui de toute évidence attira à un moment donné les potiers : moyen de transport idéal en effet pour exporter sans grande casse leur marchandise vers le limes du Rhin et du Main, à son apogée sous les Antonins, et où existait une importante clientèle.

109De plus la terrasse repérée offrait une bonne couche d’argile dans le Charmouthien du Lias supérieur qui affleurait en cet endroit par le jeu de la faille d’Illange‑Koenigsmacker, rebord droit du « fossé » tectonique de Thionville ; le sable ne manquait pas, les alluvions dites « anciennes » sont fréquentes sur la carte géologique ; les bois ne manquaient certainement pas non plus, ils sont encore nombreux actuellement dans le secteur est de la rivière.

110L’officine de Haute‑Yutz semble avoir débuté assez tard, au moment où précisément tant d’officines de la Gaule du Nord‑Est déclinent ou ne font plus guère parler d’elles (Boucheporn, Blickweiler, Chémery, premier atelier de Trèves, etc.), en gros vers 150‑160. Une première génération de potiers vint faire une sorte d’essai sur la terrasse mosellane, l’un (ou les uns) était certainement de Lavoye en Argonne (style de Tribunus‑Toccius), l’autre semble avoir rapporté de l’officine en déclin de Blickweiler beaucoup de copies de poinçons et, par ce canal, des copies de poinçons de Satto ou des ateliers de Lezoux ; nous avons dénommé très vite ce potier le Maître au petit bonhomme, par allusion à un de ses poinçons pour une fois original. Argonnais et Maître au petit bonhomme travaillaient certainement en consortium.

111Selon J.‑J. Hatt, vers 170‑180 à la suite de troubles ou de razzias au temps de Marc Aurèle, l’officine fut saccagée (incendie). De 180 à 200 environ, une deuxième génération de potiers fonctionna sur la terrasse mais ils sont liés cette fois‑ci à Trèves (période du deuxième atelier), ce sont Censor et Alpinus. Entre ces deux générations, Comitialis de Haute‑Yutz semble faire la jonction, avec d’ailleurs, du moins dans le peu de fragments que nous connaissons de lui localement, les signes de la décadence qui va apparaître dans la sigillée ornée. Nous ne connaissons aucun témoignage de l’existence de negotiatores artis cretariae ni d’une garnison romaine à ludicium. Mais, comme nous l’avons déjà signalé, il y avait, à 3 km à peine à vol d’oiseau, sur la rive gauche, le groupe considérable des potiers de Daspich‑Ebange. Jamais ces potiers, gros fabricants de céramique ordinaire, n’ont fabriqué de sigillée; par contre, ils ont connu des spécimens des sigillées décorées de La Graufesenque au ier s., et d’autres, des sigillées décorées de Haute‑Yutz au iie s. ; nous ignorons totalement si Daspich‑Ebange et Haute‑Yutz avaient décidé, au iie s., de partager les tâches ; ce n’est pas évident car les deux officines ont fabriqué à cette période, concurremment parfois, de la céramique gallo‑romaine « classique» (cruches, écuelles) non sigillée. Enfin Daspich‑Ebange avait des forges, et plus à l’ouest, au fond de la vallée de la Fensch, Fontoy avait semble‑t‑il des carrières (calcaire Bathonien du Jurassique) et peut‑être un atelier de sculpture :

■ Activité céramique

112L’atelier de Haute‑Yutz ne semble pas avoir eu d’antécédent, le vase assez grossier de La Tène finale trouvé dans la fouille n’est guère une preuve. Haute‑Yutz d’autre part ne se cantonna pas dans la seule sigillée : la fouille de 1960 a livré un assez abondant échantillonnage de céramiques ordinaires, sablées ou lisses : cruches, écuelles, coupes, gobelets grossiers, d’une typologie conforme à celle de la deuxième moitié du iie s. ; la petite fouille de la fin 1962 permit de voir qu’on faisait encore de la céramique ordinaire au début du iiie s. (gobelets annelés) et même de la sigillée non décorée (goulot de type Gose 176). Puis les fabricants de tuiles vinrent encore hanter les lieux : signatures CRESCENTI, VIVA et surtout, à l’aube du ive s., celle d’Adiutex qui a fourni des tuiles à Metz et à Trèves et dont plusieurs modèles d’estampilles ont été retrouvés autour de la fouille.

113L’atelier de Haute‑Yutz, au moins pour la première génération, semble avoir été un atelier d’essai, sinon pour les Argonnais dont nous possédons beaucoup de tessons et fragments de sigillée décorée, et dont il est difficile de dire parfois si la marchandise retrouvée sur le limes venait encore d’Argonne ou plutôt de Haute‑Yutz, mais en tout cas pour le Maître au petit bonhomme : dès le début de la fouille un dépotoir livra en fragments environ 40 types de moules. La majorité de ceux‑ci donnaient l’impression de n’avoir jamais servi, le dessin en creux du décor était souvent impeccable. S’agissait‑il d’expériences, ou de ratés ? Et autant il y avait abondance de fragments de moules dans le dépotoir, autant étaient rares les fragments de vases du Maître au petit bonhomme dans toute la fouille. Par contre, le dépotoir ne livra que 35 fragments de moules des Argonnais, donnant idée de 12 types de moules, mais les tessons de vases Drag. 37 de ces potiers furent trouvés en assez grande abondance dans la fouille. Autre énigme, les fragments de moules argonnais du dépotoir étaient eux aussi en général d’un aspect fort neuf.

114Pour ce qui est des produits importés la fouille livra une douzaine de fragments de vases de l’Argonnais Gesatus ; mais aucun fragment de moule, ni empreintes sur colifichets, aucune preuve que Gesatus ait travaillé à Haute‑Yutz. Quelques tessons représentaient La Madeleine, officine qui n’était peut‑être plus très active vers 170 (?). Pour ce qui est de la période de la deuxième génération des potiers de Haute‑Yutz, les tessons importés sont nombreux, très souvent trévires (nombreux poinçons dans le répertoire de E. Fölzer) — tel le char de Trèves — souvent fort décadents, souvent très proches du style d’Alpinus.

■ Définition archéologique du matériel sigillé

115En 40 ou 50 ans Haute‑Yutz a produit une sigillée de couleur brun‑rouge ou brune, la teinte corail fut rarement obtenue, parfois l’orange ; la qualité de certaines autres pièces du style de TribunusToccius (finesse de pâte, bon relief des figures) ne fut pas obtenue dans les variantes que nous possédons. A priori, l’argile correspondant à l’étage des marnes feuilletées ou à ovoïdes du Charmouthien moyen devrait être fort propice à l’art de la poterie, mais pour des raisons encore inconnues Haute‑Yutz a évolué, dans l’ensemble, vers la robustesse et n’a pas recherché les pâtes fines permettant des parois minces et des décors fins et précis.

116Sur la céramique sigillée non décorée nous avons relevé les estampilles des potiers suivants : Cintugnatus, Venicarus, Marinus, Natalis, Verecundus, Vepotal(), Macconius, Clemens, Victorinus, Tocca. Le cartouche est rectangulaire ; parfois il s’inscrit dans un cercle léger. Sur la céramique décorée, Comitialis appose deux estampilles rectangulaires de tailles différentes. J.‑J. Hatt a signalé une forme COMITIALIS AMIVS. Les vases de Censor portent en assez grandes lettres CENSOR ou (fragment de Drag. 37 à Daspich‑Ebange) CNSOR ; Alpinus a laissé sur un fragment de Drag. 37, parmi le décor, un graffite en écriture cursive ALPINI/[~] ORM (rétrograde); sur un fragment important de moule, Alpinus a inscrit en grandes lettres, au stylet, ALPIN F. Du Maître au petit bonhomme nous ne connaissons qu’une moitié de cartouche avec les lettres NGE sur la face extérieure du moule no XIX. Les marques anépigraphes de Haute‑Yutz sont intéressantes : 7 types de rosettes et 1 type de rosace‑fleur à 7 pétales, remarqué déjà par Ricken avec le curieux « ove cassé » qu’on retrouve à Haute‑Yutz. Le Maître au petit bonhomme utilise une rosette à 10 points autour d’un petit cercle central.

117Les formes principales de sigillée non décorée de Haute‑Yutz sont les Drag. 40, Drag. 38 avec collerette de préhension, Drag. 18/31, Drag. 32, Drag. 33, Drag. 43, Drag. 45, type Drag. 44 apparenté au Walters 81 ; une coupe apparentée au Ludowici Tn’, un mortier de type Drag. 45 avec versoir latéral en forme de tête de lion. Dans l’ensemble cette céramique évolue vers une grande robustesse, commode mais souvent peu élégante : coupes Drag. 40 à parois trop épaisses et à pied trop massif, voûte centrale du fond du 18/31 trop bombée, têtes de lions joliment en relief au début, puis s’aplatissant. D’après les estampilles et les rosettes on peut estimer à 15 ou 16 les producteurs.

118La sigillée décorée à Haute‑Yutz n’a utilisé que la forme très commode Drag. 37. Les Argonnais et le Maître au petit bonhomme savaient encore faire des Drag. 37 de grande dimension mais en fabriquaient aussi de plus petits; Comitialis, Censor et Alpinus ne semblent avoir fabriqué à Haute‑Yutz que des Drag. 37 de modestes dimensions réduisant ainsi le champ à décorer. Face au phénomène qu’à été le groupe Saturninus‑Satto, ou plus simplement face à un Cibisus, le Maître au petit bonhomme nous semble modeste avec 11 personnages, 15 animaux, 5 éléments végétaux, 22 éléments géométriques ou objets ; toutefois ce potier a encore des prétentions artistiques. Pour ses collègues argonnais de Haute‑Yutz, nous ne disposons que d’une douzaine de personnages, 5 ou 6 animaux, 6 motifs végétaux, quelques objets, cercles, arcades, festons, etc. Certains décors sont encore beaux mais la simplification là aussi limite les possibilités esthétiques ; de plus, si les fragments à ove cassé sont encore souvent de la céramique fine à bons reliefs des figures, les fragments avec le deuxième type d’ove montrent parfois les mêmes motifs empâtés, des parois plus épaisses et des reliefs moins nets. Comitialis a un répertoire réduit à Haute‑Yutz, il remplit vite sa surface avec des dauphins, de curieux sapins, quelques animaux lâchés sans ordre ; ses poinçons sont d’une qualité très variable. Censor fait des décors géométriques, avec quelques maigres éléments végétaux ou animaux, mais sa céramique est assez fine. Alpinus, rigoureusement circonscrit aux éléments venant vraiment de lui (cf. Ingebord Huld), a un répertoire très réduit : Actéon dévoré par les chiens, quelques animaux, quelques personnages, le décor obtenu est sommaire. La sigillée décorée arrive au bout de ses possibilités : elle n’est plus, comme auparavant, un habile moyen pour vulgariser dans un vaste public le sens de la mise en scène esthétique.

■ La fabrication

119La fouille de 1960 n’a pas permis de découvrir des outils de potiers; par contre, elle a mis au jour les bases d’un grand four rectangulaire, un peu du type de ceux de Mittelbronn mais plus petit, avec tunnel central orienté ouest‑est et une solide maçonnerie de blocs de grès et de briques; on recueillit beaucoup d’éléments de tuyauterie en terre cuite, beaucoup de supports, de colifichets, d’isolateurs, quelques luts pour boucher les fissures, une grande tuile de la paroi du tunnel (portant l’empreinte de la sandale d’un potier), des éléments de sole criblés de traces de sandales à clous, des blocs de pierre vitrifiés par la chaleur, des gobelets tordus par une cuisson trop violente, des colliers de raccord, etc. Un four plus petit de plan piriforme fut également mis au jour. Le grand four rectangulaire était entouré par les assises d’un beau bâtiment en blocs de calcaire bien taillés. Un bordereau fut découvert : ME XXXII CO XXXII/VIC XXXII TILI ([j’ai enfourné ?] 32 médimmes, 32 cotiles, 32 vingtièmes). Ce bordereau peut faire allusion à une association de potiers pour utiliser au moins le même four. Le Maître au petit bonhomme et les Argonnais furent certainement associés pour l’utilisation du grand four avant l’interruption violente de l’officine vers 170‑175.

■ La diffusion

120La diffusion des marchandises de Haute‑Yutz est peu connue : sur le limes il est difficile de dire la part des Argonnais de Haute‑Yutz parmi les tessons trouvés ; à Trèves on a trouvé bien des tessons de Censor et d’Alpinus ou proches. Avant 1914 on trouva quelques tessons d’Alpinus à Dalheim au Grand Duché de Luxembourg (= l’antique Ricciacum ?), sur la route romaine Metz‑Trèves de la rive gauche de la Moselle.

Bibliographie

121HATT (J.‑J.). — Informations archéologiques, Circonscription de Strasbourg. Gallia, XX, 1962, 2, pp. 486‑492.

122HATT (J.‑J.). — Découverte d’une officine inconnue de terre sigillée à Haute‑Yutz. C.R.A.I., 1960, pp. 328‑334.

123HATT (J.‑J.), STILLER (G.), MULLER (H.), ZUMSTEIN (H.). — Découverte d’une officine de céramique gallo‑romaine à Haute‑Yutz (Moselle). A.S.H.A.L. LX, Metz, 1961, pp. 1‑40.

124LUTZ (M.). — État actuel de nos connaissances sur la céramique sigillée de la Gaule de l’Est. R.A.C., no 18, 1966, p. 134, 135 et 136.

125LUTZ (M.). — Les Estampilles anépigraphiques sur vases sigillés de la Gaule de l’Est. Cahiers Alsaciens d’Archéologie, d’Art et d’Hisfoire, Strasbourg, 1967, p. 210 et pl. I.

126LUTZ (M.). — Les Estampilles sur sigillée de l’Est mosellan dans l’optique générale des estampilles recueillies en Moselle. In: Hommages à Lucien Lerat. Besançon, 1984, p. 467.

127LUTZ (M.). — La Puissance attractive de l’Est. Dossiers de l’Archéologie, no 9, 1975. Céramique en Gaule Romaine, p. 56.

128HULD (I.). — Reliefsigillaten des Alpinus aus Haute‑Yutz (Dép. Moselle) und die sog. Alpinius‑Ware aus Trier. Trierer Zeitschrift, 1969, pp. 221‑231.

129FÔLZER (E.). — Die Bilderschüsseln der ostgallischen Sigillata Manufakturen. Bonn, 1913.

130KNORR (R.), SPRATER (F.). — Die westpfälzischen Sigillata Töpfereien von Blickweiler und Eschweilerhof. Spire, 1927.

131RICKEN (H.). — Die Bilderschüsseln der Kastelle Saalburg und Zugmantel, I. Saalburg Jahrbuch, VIII, 1934.

■ Collection principale et lieu de conservation

132L’ensemble du matériel de Haute‑Yutz a été déposé au musée de la Tour aux Puces de Thionville (musée municipal) où les plus belles pièces sont exposées.

■ Responsables actuels du site

133Le Conservateur des fouilles : Laurent Olivier.

134Le Directeur des Antiquités de la région de Lorraine.

Metz

135L’atelier se trouve dans la commune de Metz, département de la Moselle, arrondissement de Metz‑Ville. Il est situé en pleine ville, dans la cour de la caserne De‑Lattre‑de‑Tassigny, à une altitude d’environ 182 m.

■ Circonstances de la découverte et état du site

136La découverte fut faite en 1969 par le major Boellinger, à la suite de travaux dans la cour de la caserne De‑Lattre‑de‑Tassigny (C.L., 1977, 4, p. 99 et sq.). Il s’agit en réalité d’un sauvetage opéré par les militaires auxquels s’associèrent rapidement la direction des Antiquités historiques de Lorraine et le musée de Metz. Une action de fouille suivit et se poursuivit jusqu’en 1972 sur une aire de 12 x 12 m, à une profondeur d’1,50 m. Sans doute n’a‑t‑on pas découvert de fours, mais on a recueilli suffisamment d’accessoires de cuisson tels que colifichets, cales, supports ainsi que des moutons et ratés de cuisson, pour pouvoir affirmer qu’il s’agit bien d’une officine. Quantité d’éléments de four viennent s’ajouter à ce matériel, tels que fragments de voûte vitrifiés, tubuli et aussi des fragments de moules. Le site a bien entendu été recouvert après cette fouille et une estimation de la surface occupée par l’atelier est actuellement impossible.

■ Contexte historico‑géographique

137Metz‑Diuodurum est la capitale de la cité des Médiomatriques, en Gaule Belgique. Il s’agit probablement d’une implantation urbaine, située toutefois hors les murs. Cette officine disposait d’excellentes communications par terre et par eau : voie du sud passant par Langres et conduisant vers Trèves d’une part, voie Reims‑Strasbourg de l’autre, ainsi que plusieurs autres routes de moindre importance. La voie d’eau principale est la Moselle qui conduit au Rhin. Nous ne savons rien sur la qualité de l’argile employée, ni sur son origine. L’approvisionnement en eau et en combustible ne semble pas avoir fait de difficultés. Le site a livré quelques témoins de céramique gallo‑belge d’époque préflavienne ; rappelons que l’atelier de Casicos, cité par ailleurs, n’est pas très éloigné. Toutefois les formes de la sigillée recueillie indiquent comme période d’activité principale de l’atelier la deuxième moitié du iie s. Il va sans dire que la région messine et la vallée de la Moselle ont fourni bien des témoins de prospérité dans l’Antiquité. Une littérature étendue le prouve amplement (cf. LUTZ (M.). — Industries régionales dans l’Antiquité. C.L., 1982/1981). À Metz même, un monument funéraire mentionne un potier. La vie de l’atelier messin a sans aucun doute suivi les péripéties des autres ateliers mosellans et a subi le même sort.

■ Activité céramique

138Il semble que la production de sigillée représente l’activité principale de l’atelier, du moins à partir du iie s., s’il est vrai qu’un atelier plus ancien fabriquant de la céramique gallo‑belge l’ait précédé. Nous ne savons pas ce qui s’est passé, par contre, après l’abandon de la fabrication de la sigillée. L’étude de la production de l’atelier messin n’a pratiquement pas encore été entreprise, du moins pour la sigillée ornée, aussi serait‑il malaisé et prétentieux de comparer sa production à celle d’autres ateliers. À première vue, il semblerait y avoir quelques relations avec l’Argonne, Haute‑Yutz, La Madeleine, voire Saturninus‑Satto, mais rien ne peut encore être affirmé.

■ Définition archéologique du matériel sigillé

139D’autre part il n’existe pas d’analyses. Tout ce que nous pouvons dire c’est que la couleur de la pâte et celle du film sont respectivement ocre rouge et rouge brique moyen. Une étude récente nous a révélé une quinzaine d’estampilles épigraphiques et six estampilles anépigraphes. Les formes des cartouches sont rectangulaires avec coins arrondis pour les premières, rondes pour les secondes (cf. LUTZ (M.). — Les Estampilles sur sigillée de l’Est mosellan …, p. 468). Les formes principales de la sigillée lisse sont les suivantes : Drag. 27, 31, 33, 40, 43 et 18/31, Drag. 33 et 40 étant les plus fréquentes. Il est intéressant de remarquer l’absence, du moins en l’état actuel des choses, de la forme Drag. 32. La sigillée ornée ne comporte que la forme Drag. 37.

■ La fabrication

140À part les cales et autres accessoires de four et de cuisson, aucun outillage n’a été mentionné. Quelques fragments de moules ont été recueillis mais ils ne comportent ni estampilles, ni graffites. Aucun poinçon n’a été signalé. D’autre part ni fours, ni bâtiments n’ont été découverts.

■ Les potiers

141Jusqu’à présent rien n’a été révélé au sujet des potiers sinon quelques renseignements généraux signalés plus haut.

■ La diffusion

142Nous ne savons également rien sur la diffusion des produits de notre officine.

■ Bibliographie

143BIELHLER (E.), FRANÇOIS (M.‑F.). — Une Officine de céramique romaine découverte à Metz dans l’enceinte de la caserne De‑Lattre‑de‑Tassigny. C.L., 4, 1977, pp. 99‑103.
BILLORET (R.). — Informations archéologiques. Gallia, 30, 1972, pp. 364‑366.

■ Collections principales et lieux de conservation

144Une partie du matériel découvert est conservée au musée de Metz, l’autre à la faculté des Lettres.

■ Responsables actuels du site

145Le ministère des Armées.

146Le Directeur des Antiquités de la région de Lorraine.

Notes

1 Cf. essentiellement : LUTZ (M.). — L’Atelier de Saturninus et de Satto à Mittelbronn (Moselle). 1970, p. 21 et s. et passim (XXIIe suppl. à Gallia) ; cl. Egalement : Idem — Relations entre les officines de céramique sigillée gallo‑romaines de Moselle et de Sarre.

2 LUTZ (M.). — La Sigillée de Boucheporn (Moselle). 1977 (XXXIIe suppl. à Gallia).

3 STILLER (G.), MULLER (H.), ZUMSTEIN (H.), HATT (J.‑J.). — Découverte d’une officine de céramique gallo‑romaine à Haute‑Yutz (Moselle). A.S.H.A.L., LX, 1960, p. 22 et s.

4 HULD‑ZETSCHE (I.). — Reliefsigillaten des Alpinus aus Haute‑Yutz (Dép. Moselle) und die sogenannte Alpinius‑Ware aus Trier. Trierer Zeitschrift, 32, 1969, p. 221 et s.

Table des illustrations

Légende • 1. Ateliers de la Moselle. Exemples de divers styles décoratifs, importés de Gaule du Centre ou indigènes.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/32528/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 182k
Légende • 2. Boucheporn. Sigillée lisse : formes précoces (Claude‑Flaviens).
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/32528/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 43k
Légende • 3. Boucheporn. Sigillée lisse : productions du IIe s. (en haut : Trajan‑Hadrien ; en bas : fin du IIe s,).
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/32528/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 85k
Légende • 4. Chémery. Principales formes de sigillée lisse. Échelles diverses.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/32528/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 37k
Légende • 5. Mittelbronn. Formes lisses produites dans l’atelier.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/32528/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 76k
Légende • 6. Mittelbronn. Formes lisses produites dans l’atelier.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/32528/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 73k

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