La fin des ateliers
p. 183‑193
Texte intégral
1Je n’entretiens plus avec la sigillée que des rapports épisodiques et je ne suis qu’un méditerranéen établi depuis peu dans l’est de la Gaule. Cette non‑familiarité avec le sujet peut cependant présenter aussi quelques avantages, en particulier celui d’une plus grande liberté d’esprit, qui, j’espère, ne passera pas seulement pour de l’iconoclasme ! Conscient de mes limites, j’ai abordé l’étude de cette disparition par la lecture, ou la relecture, de quelques classiques1, et surtout par celle des dix‑sept notices transmises par les organisateurs du colloque. À titre de repère chronologique, j’ai également fait figurer sur les cartes et les tableaux trois ateliers « allemands » dont il sera question : Trèves, Blickweiler, Rheinzabern, d’après une bibliographie plus ancienne2 et souvent indirecte, car leur histoire est étroitement liée à la question qui nous préoccupe.
2Si on analyse de ce point de vue les dix‑sept questionnaires disponibles3, les informations sur la disparition de ces ateliers tiennent au maximum en quelques lignes ; une date, une cause possible (ou le refus d’une cause anciennement proposée) constituent pour chacun d’eux la matière qui m’était offerte : un tableau et une carte (fig. 3et 1) synthétisent cette situation. Celle‑ci, tout à fait classique au sens où elle ne présente aucun bouleversement dans nos connaissances, montre des disparitions qui s’échelonnent du milieu du iie s. au début du ve s., sans distinguer a priori les fabrications classiques au moule de celles décorées à la molette. Mon propos sera donc d’essayer de faire parler ce double document, avec toutes les difficultés que présente l’étude d’une disparition4, où le poids des arguments a silentio est encore plus grand que pour les phases de croissance. Une analyse préalable de ce qui se cache derrière ces différentes enquêtes apparaît de ce fait indispensable, ne serait‑ce que pour harmoniser ces données brutes ou du moins être conscient des distorsions qui n’apparaissent pas directement à la lecture de ce tableau.
● 2. Ateliers de l’Est. Carte des relations actuellement déterminées entres les fabriques.
Analyse critique des données fournies par les questionnaires
3La plus ou moins grande ancienneté des fouilles constitue un paramètre de la plus grande importance : la preuve est fournie par les ateliers dont l’étude a pu être reprise après 1960, en comparant ces résultats à d’autres connus antérieurement. Dans presque tous les cas les auteurs récents concluent à un allongement de la durée d’existence des ateliers, de même qu’on a tendance à « rajeunir » certains potiers comme Cibisus, dont la période d’activité (110‑125 selon Knorr) dépasse obligatoirement (cf. infra) 170. Pour ceux qui n’ont pas eu la chance de bénéficier sur le terrain de recherches nouvelles5 on peut admettre que la date traditionnellement proposée ne constitue plus qu’un minimum (cf. fig. 3). On peut également faire une remarque annexe, d’ordre historiographique : les dates de fermeture des ateliers proposées dans ces études anciennes sont toutes en rapports étroits avec un événement militaire et leur précision est celle de cet événement. Au contraire, plus on avance dans le temps plus l’imprécision augmente en même temps que la référence à un événement précis disparaît, quand elle n’est pas ouvertement niée6. Dans ces conditions, on est en droit de penser que certaines datations anciennes reposent davantage sur un a priori que sur une analyse intrinsèque de l’atelier.
4Cette dernière remarque permet d’aborder une autre question : comment ont été établies les dates proposées pour la fin des ateliers ? Deux méthodes sont possibles : ou l’on utilise le « dernier » jalon rencontré sur place et la « fin » est donc contemporaine de la dernière phase de fabrication ; ou l’on cherche un site daté7 où le produit ne se rencontre plus et la « fin » correspond alors au moment où la fabrication (ou la diffusion, et c’est là une autre difficulté) a totalement cessé. L’importance de ce choix n’échappe à personne car il se traduit par des décalages chronologiques qui peuvent atteindre plusieurs dizaines d’années et modifier sensiblement les explications possibles du phénomène.
5Pour les ateliers de la Gaule de l’Est, c’est la première méthode qui semble avoir été presque unanimement choisie8 bien que cela ne soit pas toujours dit de façon claire. La raison est que l’ensemble de la production est classé selon une chronologie relative interne dans chacun des ateliers ou groupes d’ateliers entre lesquels ont circulé les mêmes potiers : les éléments de chronologie absolue comme le vase de Cibisus réalisé à l’aide d’une monnaie de 170 constituent l’exception et ne concernent pratiquement que la phase d’apogée. Comme, de plus, les « stratigraphies » à l’intérieur des ateliers sont rares, on assimile la fin de la production aux produits de la plus mauvaise qualité rencontrés sur place et rarement exploités. On se trouve donc devant une nouvelle distorsion, selon la nature de l’enquête réalisée, avec, à une extrémité, les ateliers récemment et largement étudiés et, à l’autre, les officines connues presque exclusivement par des objets recueillis sur des lieux de consommation parfois éloignés de plusieurs centaines de kilomètres. Il est plus difficile de préciser la durée (pour ne pas parler de l’importance quantitative) de cette dernière phase de fabrication presque toujours absente des sites de référence extérieurs aux ateliers. L’absence de précision pour dater la fin des ateliers, même les mieux étudiés, trouve là sa principale raison d’être.
6Une dernière distinction est nécessaire entre les réponses qui portent sur les ateliers où seule la céramique sigillée est fabriquée et ceux où d’autres productions (c. commune, matériaux de construction, etc.) ont été étudiées. Là encore il semble bien que la plus ou moins grande ancienneté de l’enquête, fouille ou prospection, constitue un critère déterminant, car longtemps seule la sigillée a vraiment été prise en compte (cf. fig. 4) ; on s’aperçoit que, lorsque d’autres productions sont étudiées, la conclusion habituelle est que l’arrêt de la sigillée se produit avant les autres, avec toutefois la possibilité comme à Mittelbronn d’une interruption de courte durée. La seule exception proposée est celle du Pont‑des‑Rèmes où l’arrêt de la production est présenté comme rapide et total9. Si l’on admet une spécialisation étroite des potiers, cette survie ne présente pas un grand intérêt pour notre propos. En revanche, si on adopte la position inverse, ce qui semble être le cas à l’époque actuelle, la signification de l’expression « fin de la sigillée » est tout autre : il ne s’agit plus de la disparition pure et simple d’ateliers, mais d’une reconversion, même si elle témoigne d’un certain repli.
7La reprise ultérieure que l’on note en Argonne prend alors une autre signification, même si les techniques de décoration changent10. Elle s’inscrit en effet dans une continuité des ateliers dont paraît témoigner de façon exceptionnelle le site de Jaulges. Il convient également de noter qu’à l’heure actuelle il n’est pas possible de distinguer l’arrêt de la production des vases unis par rapport aux formes décorées au moule : on admet seulement que le premier s’est produit « postérieurement » au second, et donc antérieurement à celui de la céramique commune. Tout cela tend à confirmer l’idée d’ateliers où tous les types de céramique ont pu, sauf exception, être produits, même si les rapports entre eux sont loin d’être éclaircis. De tout cela il ressort que le mot « fin » peut être appliqué à des réalités tout à fait différentes, qu’il convient donc d’expliciter.
Les « fins » diverses
8Les conditions dans lesquelles dix‑sept ateliers de sigillée ont cessé de fonctionner dans un laps de temps supérieur à deux siècles ne peuvent être identiques pour tous. Il est utile de dégager en quelque sorte une « typologie » de ces arrêts avant d’aborder la question des causes. Trois cas de figure sont à envisager.
9Le plus simple, auquel il vient d’être fait allusion indirectement, est l’arrêt total d’un atelier à un moment précis. Le seul cas où cela est dit, outre la forêt de Hesse, est celui de Metz, atelier urbain, mais pour lequel nos connaissances sont élémentaires. Il est à noter qu’aucun rapport ne mentionne clairement de traces de destruction brutale, notamment par incendie, encore qu’une couche d’incendie dans un atelier consacré « aux arts du feu » puisse avoir des significations très diverses. Le seul site où le doute ne semble pas permis est l’officine de Jaulges‑Villiers‑Vineux : « vers 406 » tout s’arrête. On peut seulement se demander si pour cette période qui appartient à la frontière entre Antiquité et Haut Moyen Âge on n’assiste pas, du fait de la spécialisation des chercheurs, à ce que je suis tenté d’appeler le « recroquevillement » des chronologies ; en d’autres termes, chacun ayant tendance à tirer la couverture à soi, il se crée un fossé chronologique artificiel entre les deux périodes, comme cela s’était déjà peut‑être produit pour la coupure décor au moule/décor à la molette.
10Le deuxième cas de figure envisageable est le transfert de l’activité sigillée d’un site à un autre (fig. 2). Ces transferts de potiers sont bien notés et ont déjà été étudiés dans les rapports précédents. Ce qui me frappe (fig. 5) est que ces transferts ne semblent jamais correspondre exactement à la fin de l’atelier de départ, pas plus d’ailleurs, bien que cela ne soit pas mon problème, aux débuts véritables de l’atelier qui les accueille : le départ des potiers de Boucheporn, par exemple, ne correspond pas exactement aux débuts de Chémery. De même, le départ des potiers d’Heiligenberg et d’Ittenwiller pour Rheinzabern ne coïncide pas exactement avec la fin des premiers et les débuts du troisième. Faut‑il voir dans cette discordance la prudence d’archéologues manquant d’arguments pour dater plus précisément cet événement ? Ou plus vraisemblablement admettre des transferts très progressifs, plutôt des techniques et des outils de travail11 que du personnel proprement dit ? Si l’on adopte cette seconde hypothèse et que l’on admet la survie des ateliers « donneurs » pendant au moins quelques années, la notion de crise générale est, dans ce cas précis, discutable, et il vaudrait mieux parler de réorganisation à l’intérieur de la profession dans un contexte géographique limité. Je ne préjuge absolument pas ici du statut des artisans, de l’organisation rigide ou non de ces différents ateliers, etc.
11Mais le cas le plus fréquent, du moins d’après ce tableau, est celui d’un arrêt progressif sur une période plus ou moins longue, éventuellement marquée par le départ de certains potiers, alors que l’activité céramique « annexe » de la sigillée12 se maintient parfois encore plusieurs décennies. Cette poursuite de l’activité apparaît comme une notion capitale pour la compréhension générale du phénomène. Cette distinction ne permet cependant pas d’éviter la question de fond : pourquoi la fabrication de la sigillée s’arrête‑t‑elle dans la Gaule de l’Est ?
L’arrêt de la sigillée : les raisons possibles
12Différents facteurs sont plus ou moins clairement envisagés par les auteurs des notices, facteurs que je suis tenté de regrouper en deux grandes catégories, les facteurs internes et les facteurs externes au produit lui‑même.
■ Facteurs internes
13Pour schématiser encore, cette explication se réfère à deux pôles : la baisse de la qualité, la diminution de la demande. Si les deux phénomènes sont habituellement observés13, l’ordre relatif est loin d’être évident. La position habituelle, bien qu’elle soit rarement aussi explicite, est qu’une baisse de la qualité a entraîné celle de la diffusion et en définitive l’arrêt de la production14. Cependant l’ordre inverse est, théoriquement du moins, possible et permettrait peut‑être d’expliquer la survie d’ateliers après le départ des potiers les plus représentatifs (c’est‑à‑dire assurant généralement une production de meilleure qualité) vers des centres leur assurant le maintien ou la reconquête de leur clientèle ancienne15. Ce débat n’est pas que de pure forme car la diminution des achats de sigillée, que l’on a tendance à imputer à une crise du consommateur, phénomène négatif, pourrait également ressortir aux changements d’habitudes, à un transfert de la demande vers des produits nouveaux, peut‑être plus luxueux comme le verre et les vases métalliques. Cette hypothèse a déjà été présentée par C. Goudineau à propos de l’Italie et de la fin de la céramique « arétine »16. Pour ce qui est de la fin de la sigillée dans la Gaule de l’Est, une analyse poussée des différents produits de substitution possibles dépasse le cadre de ce rapport. On peut cependant rappeler l’importance à partir du iie s. des ateliers du verre à Trèves17 et dans différents vici secondaires, comme le Titelberg18 : les formes et donc les usages sont différents de ceux de la sigillée, mais des changements au moins partiels d’habitudes culinaires ne sont pas plus impossibles a priori à ce moment‑là qu’à la fin de la protohistoire19. De même les différents trésors d’argenterie découverts dans la zone de commercialisation de la sigillée (à l’intérieur des frontières romaines) ne sont pas antérieurs au iie s. L’idée que le produit « sigillée de l’Est » était seulement passé de mode au moins pour la partie la plus riche de sa clientèle locale traditionnelle ne peut être totalement écartée, même s’il ne s’agit que d’une hypothèse. La baisse de la qualité que l’on observe ne pouvait de toute façon qu’accentuer ce phénomène si elle ne l’a pas précédé. L’épuisement des ressources locales (bois principalement) n’a été évoqué, à titre d’hypothèse, que pour le site de Chémery.
■ Facteurs externes
14La dégradation de la situation générale forme ce que l’on peut appeler les facteurs externes à la fin de la sigillée dans la Gaule de l’Est. Qu’elle soit très souvent invoquée, cela n’étonnera personne, mais cette unanimité me semble cacher des situations très diverses qu’il convient donc d’éclairer. Je ne reviens pas sur ce que j’ai dit des catastrophes militaires autrefois invoquées puisqu’aucune destruction brutale d’atelier n’a été signalée et qu’elles paraissent en contradiction avec l’impression de lente agonie de la production qui caractérise la majorité des centres. L’attention se focalise aujourd’hui sur les conséquences de cette anarchie militaire : épidémies décimant la clientèle20, baisse du pouvoir d’achat des survivants ou, plus généralement encore, arrêt du commerce à longue distance sur lequel repose depuis ses origines la fabrication de la sigillée. Cette analyse repose essentiellement sur l’étude de quelques textes où les précisions d’ordre géographique font malheureusement souvent défaut, émanant rarement de témoins directs, y compris pour 40621. S’il est hors de propos de nier l’existence de ces troubles divers, leur impact réel sur la vie régionale, et donc en particulier sur les ateliers de sigillée, est beaucoup plus difficile à établir. Il ne faut pas oublier que plus de deux siècles séparent l’arrêt de l’atelier sigillée de Chémery et celui de Jaulges‑Villiers‑Vineux.
15Pour dépasser ce constat de semi‑impuissance, je voudrais essayer d’établir quelques comparaisons entre ces ateliers et un autre groupe de sites régionaux relativement étudiés, les villae. La documentation22 sur ces dernières vient d’être réunie par une étudiante strasbourgeoise, Véronique Poinsignon, pour les seuls départements de Lorraine et d’Alsace : 685 sites recensés dont 27 pour lesquels nous disposons d’indices chronologiques précis, même s’ils ne sont pas toujours faciles à interpréter en raison de fouilles anciennes, partielles, etc.23. Deux documents synthétiques, une carte et un tableau chronologique, réalisés suivant les mêmes critères que pour les ateliers permettent quelques comparaisons (fig. 6 et 7). Au niveau de la chronologie on observe un certain parallélisme entre le développement des villae et celui des ateliers, la disparition de quelques unités étant compensée par l’apparition de nouvelles sans que l’on puisse parler de véritable rupture. Il me paraît surtout important de souligner l’influence très différente des événements de 175 sur les villae et les ateliers. Cette période que l’on présente généralement comme un moment de rupture capital pour les ateliers de l’Est apparaît de façon tout autre dans les villae ; certes on note des « destructions » dans 10 cas, placées entre 160 et 175, mais une seule villa est véritablement abandonnée et l’importance des reconstructions minimise l’idée d’une crise économique générale. En revanche, la date de 350, fatale d’après ce tableau à la quasi‑totalité des villae, n’est absolument pas sensible dans la vie des ateliers encore existants. On peut, et l’on doit, s’interroger sur les critères utilisés pour présenter cette chronologie des villae 24; elle permet cependant d’admettre que le contexte dans lequel se ferment les ateliers n’est pas entièrement négatif.
16La répartition géographique des uns et des autres pose d’autres problèmes dus en grande partie à l’insuffisance du nombre de sites de villae étudiés (fig. 6 et 7). Mais là encore l’impression dominante est celle d’une zone globalement troublée sans que des secteurs apparaissent, suivant les époques, particulièrement frappés ou épargnés. Cette dernière remarque permet d’aborder une dernière question, redoutable, celle d’une disparition de la sigillée secteur par secteur suivant un mouvement commencé aux frontières (où les ateliers ferment les premiers) jusqu’aux régions tenues longtemps pour défavorisées25, à l’intérieur, où seules les invasions de 406 viennent à bout des ateliers. Il convient cependant, d’une part d’apporter des nuances importantes à ce schéma général, d’autre part de l’expliquer.
17La première réserve concerne le côté incomplet de cette carte. Si on ajoute en effet aux officines étudiées jusqu’alors celles que J.‑J. Hatt signale26 en Alsace, généralement à la suite de Forrer27, mais aussi d’après des fouilles récentes, la situation se modifie sensiblement (cf. fig. 1) ; les zones les plus orientales continuent d’accueillir des ateliers au‑delà du dernier quart du iie s.28. Il faut également rappeler que le système des frontières ne correspond absolument pas à celui de l’époque moderne et que les ateliers mosellans étaient tout autant exposés et, dans l’autre sens, tout autant capables de répondre à une demande au‑delà des frontières. Assez curieusement en effet ces va‑et‑vient d’une vallée à l’autre ont été expliqués autant par des raisons positives — désir de se rapprocher d’une clientèle — que par des raisons négatives — menaces sur la frontière. L’idée d’un repli au ive s. sur des zones « isolées » comme l’Argonne semble en contradiction avec le développement précoce des ateliers au iie s. dans ces mêmes régions. Là encore Jaulges constitue d’une certaine façon une exception, mais il est inutile d’insister sur le très grand isolement géographique qui est le sien et qui fait de lui un cas toujours particulier.
18Comment conclure ce rapport ? De la confrontation de ces différentes notices, il me semble que l’on peut tirer une idée générale : la fin de la sigillée dans la Gaule de l’Est ne peut être considérée uniquement comme un événement négatif, le révélateur d’une crise qui aurait commencé vers 150‑160 avant même les premières traces d’invasion et qui se serait poursuivie jusqu’à l’anéantissement final de 406 : les créations pendant toute cette période compensent largement les disparitions. De plus, la disparition du produit lui‑même, après une série de bouleversements internes, que l’on peut interpréter également comme une évolution inévitable, ne fut sans doute pas ressentie comme une catastrophe pour les usagers dont certains au moins ont pu trouver des produits de substitution de valeur égale sinon supérieure. Sans nier les malheurs du temps, je pense qu’il est donc nécessaire de relativiser l’effet qu’a pu produire la disparition de la sigillée.
Notes de bas de page
1 CHENET (G.). — La Céramique gallo‑romaine d’Argonne au ive siècle et la terre sigillée décorée à la molette. Mâcon, 1941. CHENET (G.), GAUDRON (G.). — La Céramique sigillée d’Argonne des iie et iiie siècles. 1955 (suppl. VI à Gallia). LUTZ (M.). — L’Atelier de Saturninus et Satto à Mittelbronn (Moselle). 1970 (suppl. XXII à Gallia). LUTZ (M). — La Sigillée de Boucheporn. 1977 (suppl. XXXII à Gallia).
2 Renseignements fournis par M. Lutz oralement ou dans les ouvrages cités, note 1.
3 Je n’ai pas eu connaissance de la notice concernant Haute‑Yutz : la chronologie adoptée m’a été fournie par J.‑J. Hatt et M. Lutz. Celle qui concerne Luxeuil ne présentait aucune indication chronologique : j’ai donc repris les dates données par Lerat et alii (La Céramique sigillée de Luxeuil, Besançon, 1960). D’une façon générale, le tableau proposé ici caricature peut‑être la pensée des différents auteurs par son côté trop systématique et en quelque sorte « définitif » et sans nuances. Je les prie de bien vouloir m’en excuser.
4 Cette question rejoint celle que pose l’étude de la diminution de la surface habitée des villes gallo‑romaines à partir du iie s. et de la difficulté à l’apprécier et encore plus à la mesurer ; et par exemple: BAYARD (D.), MASSY (J.‑L.). — Amiens romain. 1983, pp. 201‑205.
5 Il faut entendre par là soit des fouilles relativement étendues (plusieurs centaines de m2), soit une prospection systématique reprise sur plusieurs années : aucun atelier de sigillée n’a, de toutes façons, fait l’objet d’études que l’on pourrait qualifier de totales et définitives. Le réexamen d’objets conservés dans les collections privées ou publiques constituées antérieurement à la date de référence n’entre pas dans cette catégorie.
6 Par E. Kern à propos des ateliers alsaciens.
7 La région rhénane bénéficie cependant plus que d’autres de l’existence de sites relativement bien datés : malgré cela Harald von Petrikovits (Fortifications in the North‑Western Roman Empire from the Third to the Fith Centuries A.D. J.R.S., LXI, 1970, p. 178) regrette l’imprécision de la chronologie des « petits objets », sigillée comprise, sauf exception.
8 CHENET (G.). — Op. cit., p. 153, semble faire exception. Assez souvent (par exemple, LUTZ (M.). — L’Atelier de S., op. cit., pp. 323‑331 ), on a l’impression qu’il y a assimilation entre la « phase apogée » et la fin de l’atelier proprement dite, que l’on décale seulement de quelques années, sans qu’intervienne l’examen des « derniers » produits.
9 Il s’agirait du départ de l’ensemble des potiers vers l’atelier voisin de Lavoye.
10 Dans le tableau il n’est pas fait de différence entre la sigillée décorée au moule et la vaisselle décorée à la molette. Le passage d’une technique à l’autre ne paraît jamais daté de façon très claire bien que CHENET (op. cit., p. 7 et 153) le présente comme « rapide ». De plus, la céramique unie, dont la fabrication se poursuit semble‑t‑il après celle de la céramique décorée au moule, contribue à assurer une certaine continuité qui fait que Chenet parle autant « d’évolution » que de « rupture » entre les deux périodes (op. cit., p. 7). Cf. p. 191.
11 Je pense à l’hypothèse plusieurs fois développée, en particulier par B. Hofmann, sur la division du travail entre fabricants de poinçons, fabricants de moules et potiers proprement dits. Cf. par exemple : HOFMANN (B.). — Les Relations entre potiers, fabricants de moules et artistes producteurs de poinçons. R.C.R.F. Acta XIII, 1971, pp. 5‑17.
12 « Annexe » à nos yeux, mais rien ne dit qu’il en était de même pour les potiers eux‑mêmes. Une différence dans le prix de vente que l’on peut déduire de la diffusion plus large de la sigillée n’implique nullement qu’elle soit d’un meilleur rapport pour les potiers, en raison des contraintes techniques plus grandes et donc plus coûteuses de la sigillée.
13 Les seules exceptions sont constituées par Jaulges‑Villiers‑Vineux et, à un degré moindre, par les ateliers abandonnés au profit d’un centre voisin, problème sur lequel je reviendrai.
14 LUTZ (M.). — L’atelier de Saturninus…, p. 306, met en avant la fermeture des débouchés : « Il semble que le plus souvent ce soit non pas l’épuisement des ressources […] locales, mais la perte de ses débouchés qui ait entraîné la décadence des officines ». Mais par ailleurs, il insiste sur le « second souffle » (l’expression est de moi) apporté par des potiers comme Satto et Saturninus (idem, p. 301) « et la vogue de la sigillée ornée de qualité n’aurait pu se maintenir aussi longtemps qu’elle l’a fait [sans eux] ». Dans tous les autres cas, on insiste sur la « décadence » du produit dans la « dernière phase » des ateliers qui sous‑entend un moindre intérêt pour la clientèle.
15 Cette question a dû être évoquée à plusieurs reprises à propos du développement des officines et il est donc inutile d’y revenir ici. Elle suffit cependant pour expliquer la disparition, même si elle est progressive, des trois quarts des ateliers.
16 GOUDINEAU (Ch.). — La Céramique dans l’économie de la Gaule. Les Dossiers de l’Archéologie, n° 6, sept.‑oct. 1974, pp. 103‑109, particulièrement p. 109.
17 GOETHERT‑POLASCHECK (K.). — Katalog der römischen Gläser des Rheinischen Landesmuseums Trier. Trier Grabungen und Forschungen, IX, Mayence, 1977, passim. L’usage du verre est fréquent dès la fin du ier s. et surtout au iie s.
18 Documenté dans l’exposition : Augustusstadt der Treverer, Trèves, juillet 84 ‑ avril 85. Des ateliers de verriers sont mentionnés à plusieurs reprises à proximité des fabriques de sigillée en Argonne et à Strasbourg (HATT (J.‑J.). — Histoire de l’Alsace. Colmar, t. 1, 1978, p. 89) pour le iiie s.
19 L’apparition dans le mobilier funéraire d’assiettes plates, inconnues du monde celtique, semble s’opérer très vite après la guerre des Gaules. Un exemple est fourni par le mobilier de deux tombes récemment découvertes dans les environs du Titelberg et exposé au Musée d’État du Luxembourg.
20 Cette référence à une épidémie qui aurait ravagé une partie de la Gaule vient d’Ammien Marcellin. Elle est utilisée par M. Lutz, en particulier dans : État actuel des études céramologiques en France (R.A.C., XIX, janvier‑décembre 1980, p. 79). Archéologiquement elle s’appuie en particulier sur l’arrêt de la civilisation dite des « sommets vosgiens » selon la définition de M. Lutz, dont la chronologie demande peut‑être une révision.
21 La description de l’état de la Gaule en 406 est donnée par un passage de saint Jérôme, écrit en 409, à l’autre extrémité de l’Empire. COURCELLE (P.). — Histoire littéraire des grandes invasions germaniques. Paris, 1948, pp. 62‑63.
22 POINSIGNON (V.). — Les Villas gallo‑romaines en Alsace et en Lorraine (mémoire de maîtrise présenté en octobre 1984, Université de Strasbourg II, 2 vol., dactylographié).
23 Une partie importante de la clientèle locale de la sigillée n’habite pas dans les villae. On trouve par exemple autant de sigillée au col de Saverne (statio gallo‑romaine en cours de fouille depuis 1977 par l’Université de Strasbourg) que dans la villa de Saint‑Ulrich. Il ne s’agit donc que d’une comparaison générale.
24 La principale difficulté réside dans le fait qu’il s’agit assez souvent de fouilles anciennes (utilisant dans le meilleur des cas une chronologie dépassée de la sigillée) qu’il est souvent très difficile de contrôler. À cela s’ajoute aussi la tentation chez beaucoup de fouilleurs de rattacher leur propre découverte à des éléments déjà connus et donc d’opérer des rapprochements simplificateurs.
25 L’examen des villae connues et datées dans la cité des Trévires renforcerait davantage encore cette image d’une grande continuité de l’occupation malgré des destructions nombreuses; carte dans le catalogue de l’exposition : Trier, Kaiserresidenz und Bischofssitz, 1984, p. 77. Pour la France, il faut tenir compte de l’extrême variété de la recherche d’un département à l’autre et même d’un canton à l’autre.
26 HATT (J.‑J.). — Histoire de l’Alsace. Colmar, t. 1, 1978, p. 91.
27 FORRER (R.). — Die römischen Sigillata Töpfereien von Heiligenberg‑Dinsheim, 1911, passim.
28 Le fait que ces officines ne semblent avoir eu qu’un rayonnement très limité ne constitue pas un argument pour les oublier. Une étude plus approfondie de ces trouvailles permettrait peut‑être d’en évaluer mieux l’importance. L’officine d’Offemont ne paraît pas avoir joué un rôle plus grand et sa présence sur les cartes et tableaux précédents n’est due qu’aux fouilles qui s’y font actuellement. De façon plus générale, l’examen de ces petits centres de diffusion très locale suggère l’idée d’une survie relativement plus notable qu’on ne pourrait le croire du produit « sigillé » avant la nouvelle production argonnaise, en particulier dans le milieu urbain.
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