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La terre sigillée gallo-romaine

 | 
Colette Bémont
, 
Jean-Paul Jacob

Les ateliers du centre de la France

Fabrique isolée du Centre‑Est

Jean‑Claude Notet

Texte intégral

Gueugnon

1L’atelier est situé à Gueugnon, département de Saône‑et‑Loire, arrondissement de Charolles, canton de Gueugnon, au lieu‑dit Le Vieux‑Fresne, à une altitude de 242 m.

■ Circonstances de la découverte et état du site

2La découverte eut lieu fortuitement lors du creusement d’une tranchée durant l’hiver 1965‑1966 : le premier four fut coupé en deux et un premier moule à sigillée fut exhumé par la pelleteuse. Depuis, des prospections magnétométriques effectuées par R. Scheib (Institut de géophysique du globe) ont donné des résultats très positifs ; en revanche les photographies aériennes n’ont rien révélé de significatif. Actuellement le site fait l’objet d’une fouille programmée.

3Certains secteurs sont recouverts après la fouille, mais le site est dans l’ensemble très menacé. Quelques substructions pourraient recevoir des protections modulaires (projet « d’archéosite »). Jusqu’à présent on a mis au jour des structures discontinues disséminées sur quelques hectares.

■ Contexte historico‑géographique

4L’atelier avait une implantation rurale en pays éduen, dépendant peut‑être d’une villa ou d’un vicus ; il jouissait en tout cas d’une situation privilégiée : le site est limité à l’ouest par l’Arroux (navigation à l’époque jusqu’à Autun) et à l’est par la voie Autun‑Digoin (qui rejoignait le Val de Loire).

5Des argiles grises étaient extraites dans les environs où les gisements ne manquent pas (exemple : au lieu‑dit Les Terres‑Blanches) ; les alluvions de l’Arroux (sables d’origine granitique) et la chamotte pouvaient être utilisées comme dégraissants. Par ailleurs, trois puits ont été retrouvés, la nappe phréatique y est à 3,70 m de profondeur. Le bois utilisé correspond aux essences couvrant actuellement les coteaux voisins.

6Pour la datation locale du site, des potins gaulois (Éduens) fournissent un terminus a quo, et des PB de Valens (ive s.) un terminus ad quem ; les monnaies de la période antonine abondent. Certains sites consommateurs voisins sont datés des iie et iiie s.

7La datation par la céramique est plus étroite : à la fin du ier s. on constate une production de Drag. 29 (ainsi que d’amphores « gauloises »), et de Drag. 37 et 45 au iie s. ; le maximum est atteint à la période antonine et durant une partie du iiie s. Autres productions : au iie s., statuettes en terre blanche, aux iie et iiie s., céramique métallescente ; de nombreuses fibules sont aussi attribuables à la même séquence. Le travail du verre n’était pas inconnu sur le site et peut être en relation avec la préparation des couvertes.

8L’atelier a été créé à La Tène III par des potiers éduens qui se sont convertis aux techniques italiques après la conquête. Son déclin, au iiie s., paraît lié aux troubles politiques et économiques (pseudo‑guerre menée par Aurélien contre Tétricus en 273 : présence d’une cachette de 20 PB de Tétricus dans les ruines d’un four).

■ Activité céramique

9Des céramiques sombres montées à la main ou lissées semblent avoir été produites initialement à La Tène III (vers ‑70) : urnes et jattes. Par la suite, des productions diverses paraissent contemporaines de celle de la sigillée : céramiques communes (jattes, urnes, cruches, brocs, dolia, lampes, amphores, mortiers, assiettes), céramique métallescente (à paroi fine, barbotinée, excisée, guillochée, estampée, à reliefs d’applique, patères à manche orné) et céramique plombifère (très peu) ; chenêts et statuettes. Après l’abandon de la sigillée, des potiers ont continué à travailler en produisant de la céramique métallescente et peut‑être de la céramique paléochrétienne. L’importance de la sigillée peut paraître très variable en fonction des secteurs ; dans certains dépotoirs elle est seule, mais sur l’ensemble de l’officine elle est aussi abondante que la céramique métallescente, toutes deux cependant étant largement dépassées par la céramique commune.

10Nous tenons cet atelier pour un jalon entre les officines du Centre et celles de l’Est. En effet des relations sont attestées avec les ateliers du centre de la Gaule (types figurés, styles des décors, signatures communes, exemple : Cinnamus) mais on note certaines affinités avec les ateliers de l’Est, grâce en particulier à la céramique estampée. Il existe cependant une réelle spécificité gueugnonnaise liée à des potiers inédits.

11Des analyses des pâtes ont été faites par le laboratoire de M. Picon à Lyon : l’argile à sigillée est calcaire. Voici la composition moyenne : CaO : 5,1 %; Fe2O3 : 6,6 % ; TiO2 : 1,09 % ; K2O : 4 % ; SiO2 : 56,7 % ; AI2O3 : 24,2 % ; MgO : 2,2 % ; MnO : 0,144 %. Il faut noter que la céramique métallescente correspond manifestement à la variété non calcaire des céramiques sigillées.

■ Définition archéologique du matériel sigillé (fig. 1 à 5)

12La pâte est très fine, homogène, rouge‑orangé ; les teintes M45, N45‑47 (code Cailleux) se retrouvent souvent. L’engobe est peu brillant dans l’ensemble, à tendance brunâtre parfois (teintes R25 ‑ 35 ‑ 37 ‑ 39 ‑ 45).

13Les estampilles anépigraphes (rosaces) sont contemporaines des marques épigraphiques et aussi fréquentes que ces dernières (rectangulaires, sauf deux exemplaires circulaires). On trouve quelques graffites sur sigillée ornée et moules.

14Les formes lisses Drag. 31, 33, 40 et 46 sont les plus fréquentes (période antonine), mais les formes 15, 17, 18, 24/25, 27, 32, 36, 38, 42 et 43 ont aussi été trouvées. À la liste des potiers déjà publiée (R.A.E., XXVI, fasc. 3 et 4, pp. 367‑391) on peut ajouter en particulier Pagatus, Bisrus, Lottius, Capitus, Vitalus (ou Vitalis), Atianus, Ateianus, Marcianus, Potentinus (ou Potentini), Pitobuli. Les Drag. 46 portent généralement une rosace. Lottius et Attianus emploient parfois des marques circulaires.

15Les seules formes décorées archéologiquement complètes (des iie et iiie s.) sont les Drag. 37 et 45, dont nous possédons aussi des moules. De très nombreux tessons de Drag. 29 du ier s. nous sont également parvenus. Les formes 29 et 37 sont faites dans des moules ainsi que la tête de lion‑déversoir des formes 45. Il existe également des formes Drag. 37‑40 de faible diamètre ornées de guillochis. En général, l’iconographie est plus riche à la période antonine que postérieurement. Certains motifs de remplissage (palmette par exemple) sont spécifiques de certains potiers. Les décors tardifs (iiie s.) sont monotones et exécutés avec un nombre très réduit de poinçons. Parmi les potiers‑mouleurs on compte deux anonymes (l’un au gladiateur, l’autre à la rosette), deux potiers associés (Biracafus‑Comitianus), puis Cinnamus, Satto, Lupercus, Doccius, Diogenus, Attianus, Capellianus, Marcianus, Augurio. Sur les moules à têtes de lion, Priscus signe avec le graffite PRL Les signatures de ces potiers‑décorateurs prennent des formes variées : estampilles intradécoratives en cartouches à lecture rétrograde sur les vases finis (exemple : Biracafus‑Comitianus, Doccius, Attianus) ; graffites intradécoratifs à lecture directe (exemple : SATTO) ; graffites à lecture directe sur le fond des moules, invisibles sur les vases (Capellianus, Lupercus, Attianus, Diogenus, Augurio, Marcianus). La plupart de ces noms sont des découvertes récentes (1984 et 1985).

• 1. Gueugnon. Vases ornés : 1 et 2 ; vases unis : 3 à 16 ; vases produits en grandes séries :1 (4 ø différents), 4, 6, 7, 12, 13, 14, 15.

16Parmi les particularités remarquables on peut signaler que les formes Drag. 45, d’abord en sigillée rouge, deviennent noires au iiie s., et la très grande variété des types de têtes de lions (un dépotoir découvert en 1985 contenait une quarantaine de leurs moules).

■ La fabrication

17De nombreux outils ont été retrouvés : restes de tours (crapaudines, volant en pierre), ascia, pelle, burins, éléments de balance (plateau, aequipondium), couteaux, lissoirs, aiguisoirs, sarcloir, forces, serpe, meules à frittes en grès ou en lave. Outre les moules déjà signalés, un poinçon (Eros) non signé a été trouvé, ainsi qu’un poinçon pour moules à têtes de lions. De nombreux supports de vases portent un graffite en croix. Par ailleurs 47 fours ont été décelés et 44, fouillés. Fours‑canaux, fours circulaires et piriformes, fours ovales à 2alandiers, ils représentent 12 types au total ; certains contenaient de nombreux restes de tuyaux et de joints mais jamais en place. Parmi les autres installations on peut signaler des rangées de pierres marquant les limites d’ateliers (sur lesquelles on montait des cloisons légères). Autres aménagements : fosses de décantation, réserves d’argile, bacs à matériaux en tuiles, substructions arasées d’un balneum, niveaux de galets ou d’amphores pulvérisées. Outre les signatures habituelles sur moules et poinçons, on n’a révélé qu’un graffite : VARRO sur un support annulaire de tuyau.

• 2. Gueugnon. Style de Biracatus‑Comitianus (période antonine).

• 3. Gueugnon. Style de Satto (fin de la période antonine).

• 4. Gueugnon. Décors du iie (1, 2) et du début du iiie s. (3).

■ Les potiers

18En ce qui concerne les relations entre potiers et entre ateliers, on notera qu’Attianus de Gueugnon pourrait être un descendant d’Attianus (II) de Lezoux. Par ailleurs, localement, deux associations sont connues par les signatures : sur sigillée, Biracatus et Comitianus, et sur amphore, Adbucius et Macio (ainsi qu’Adbucius et un autre potier peu lisible, Liteus peut‑être). On sait en outre qu’il y eut des échanges entre les ateliers du Centre (Lezoux, Les Martres‑de‑Veyre, Toulon‑sur‑Allier, etc.) et Gueugnon, sans pouvoir en préciser le sens. Certaines homonymies, en tout cas, entre différents centres de production (par exemple Doccius) ne peuvent que susciter l’intérêt ; mais en raison du caractère récent de certaines de nos découvertes, le travail de comparaison est à peine ébauché.

■ La diffusion

19L’essentiel de la production devait alimenter Autun et la région immédiate, mais un courant semble se dessiner en direction du nord et du nord‑ouest de la Gaule. Signalons qu’une amphore gueugnonaise du ier s. signée ADBVCIVS a été retrouvée récemment à Londres. Ici encore, le travail n’est qu’à peine entamé.

• 5. Gueugnon. 1 : Maître à la Rosette (début de la période antonine) ; 2 : Capellianus (iiies.).

■ Collection principale et lieu de conservation

20Conservation et présentation sommaire au local‑musée de l’association « Les Amis du Dardon », rue du Vieux‑Fresne à Gueugnon.

■ Responsables actuels du site

21Directeur des fouilles : Jean‑Claude Notet.

22Le Directeur des Antiquités historiques de la région de Bourgogne.

Bibliographie

■Bibliographie

GAILLARD (H.)., PARRIAT (H.). — L’Officine gallo‑romaine de Gueugnon (Saône‑et‑Loire). R.A.E., n° 101‑102, 1975, pp. 307‑ 412.

Les Statuettes en terre cuite de l’officine céramique gallo‑romaine du Vieux‑Fresne à Gueugnon (Saône‑et‑Loire). Plaquette spéciale éditée par Les Amis du Dardon, Gueugnon, 1974. GROUPE DE RECHERCHES ARCHÉOLOGIQUES DE GUEUGNON‑MONTCEAU. — Découverte d’une officine céramique gallo‑romaine à Gueugnon. La Physiophile, Montceaux‑les‑Mines, no 66, juin 1967, pp. 3‑53.

Mêmes auteurs. — Les Fouilles du Vieux‑Fresne. Présentation de quelques trouvailles curieuses ou remarquables. La Physiophile, no 69, décembre 1968, pp. 9‑52.

Mêmes auteurs. — Id. Les fouilles de 1968‑1970. La Physiophile, n° 73, décembre 1970, pp. 9‑60.

Mêmes auteurs et VERTET (H.). — Glanes sur le chantier de fouilles du Vieux‑Fresne. La Physiophile, no 74, juin 1971, pp. 32‑45.

Mêmes auteurs. — L’Officine céramique gallo‑romaine de Gueugnon : les fouilles de 1971 à 1974. La Physiophile, no 81, décembre 1974, pp. 24‑61.

MITARD (P.‑H.). — Les Terrines à déversoir Drag. 45 de l’officine céramique du Vieux‑Fresne à Gueugnon (Saône‑et‑Loire). La Physiophile, n° 72, juin 1970, pp. 12‑29.

NOTET (J.‑C.). — L’Officine céramique gallo‑romaine de Gueugnon : les fouilles de 1975 à 1976. La Physiophile, n° 86, juin 1977, pp. 56‑73.

NOTET (J.‑C.). — Id. : Les fouilles de 1977 à 1980. Les structures. La Physiophile, no 94, juin 1981, pp. 33‑45.

NOTET (J.‑C.). — La Sigillée de l’officine de Geugnon (fouilles 1977 à 1980). La Physiophile, no 96, juin 1982, pp. 59‑76.

MITARD (P.‑H.). — Les Mortiers Drag. 45 de l’atelier de Gueugnon. Découvertes nouvelles. La Physiophile, no 96, juin 1982, pp. 77‑79.

GROUPE DE RECHERCHES ARCHÉOLOGIQUES DE GUEUGNON‑MONTCEAU. — Une Cachette d’objets sur le site du Vieux‑Fresne à Geugnon. La Physiophile, no 76, juin 1982, pp. 16‑29.

SCHEIB (R.). — Compte rendu sommaire de la prospection magnétique du site archéologique du Vieux‑Fresne à Geugnon. La Physiophile, no 69, décembre 1968, pp. 53‑55.

SCHEIB (R.). — Archéologues et géophysiciens font parler les briques. La Physiophile, no 77, décembre 1972, pp. 39‑47.

NOTET (J.‑C.). — L’Officine céramique gallo‑romaine de Gueugnon : inventaire du mobilier métallique récolté entre 1977 et 1982. La Physiophile, no 98, juin 1983, pp. 83‑103.

Table des illustrations

Légende • 1. Gueugnon. Vases ornés : 1 et 2 ; vases unis : 3 à 16 ; vases produits en grandes séries :1 (4 ø différents), 4, 6, 7, 12, 13, 14, 15.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/32473/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 80k
Légende • 2. Gueugnon. Style de Biracatus‑Comitianus (période antonine).
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/32473/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 244k
Légende • 3. Gueugnon. Style de Satto (fin de la période antonine).
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/32473/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 176k
Légende • 4. Gueugnon. Décors du iie (1, 2) et du début du iiie s. (3).
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/32473/img-4.jpg
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Légende • 5. Gueugnon. 1 : Maître à la Rosette (début de la période antonine) ; 2 : Capellianus (iiies.).
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/32473/img-5.jpg
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