Présentation générale
p. 122‑124
Texte intégral
1L’histoire de la fabrication de la terre sigillée dans les ateliers du centre de la Gaule peut se diviser en cinq périodes : au début du ier s., le début de la fabrication et la première réussite, puis une récession, ensuite une reprise et une expansion au iie s., le iiie s., et enfin la disparition de la production vers la fin du ive s.

● 1. Ateliers de sigillée dans le centre de la Gaule. Carte de répartition par rapport au tracé (pour une grande part hypothétique) des principales voies romaines.
2C’est à l’époque de Tibère qu’apparaissent en même temps les premières copies de terre sigillée lisse et moulée, produites en série, dans les fouilles des ateliers de Lezoux, de Coulanges, de Saint‑Bonnet, de Saint‑Rémy, de Saint‑Didier‑la‑Forêt… L’insuffisance des recherches peut laisser supposer qu’elles sont apparues en d’autres lieux aussi. Ces fabrications simultanées suggèrent‑elles une organisation de la production sous quelque autorité directrice ? Ce serait une hypothèse bien imprudente dans le contexte de cette région. Nous savons en effet que plusieurs phénomènes économiques ont eu lieu à la période de La Tène1. En même temps que les commerçants et les artisans échappent à l’emprise de l’aristocratie foncière, ils organisent leur production. Les bronziers fondent des fibules, de petits animaux, des monnaies... en quantité. Les potiers, dès l’arrivée des produits italiques, avaient déjà adopté le tour, vers 300 ou 200 av. J.‑C. Ils avaient copié les céramiques campaniennes et les avaient exportées à leur tour. Quand la sigillée arrive, ils la copient aussi en apprenant l’usage d’un tour plus rapide, du tournassin, du moule, de l’estampille... Vraisemblablement, ils s’installent sur de nouveaux bancs d’argile mieux appropriés aux nouvelles techniques. En effet, si des productions antérieures existaient, il n’en a été découvert de façon certaine qu’à Saint‑Bonnet et à Gueugnon2, et non dans les autres ateliers. Pourquoi cette vive réaction du peuple arverne ? Il habite une région riche, à la fois ouverte aux influences étrangères et gardienne de son dynamisme indigène3. On en pourrait voir la preuve dans l’érection du Mercure colossal qu’il demande au Grec Zénodore de réaliser pour la somme énorme de quarante millions de sesterces. Chez les potiers, la fabrication des poinçons‑matrices par surmoulage direct des calices italiques et par modelage est aussi vite apprise que la reproduction des profils italiques des assiettes, des gobelets..., la glaçure plombifère, etc.
3Ce bon départ ne résiste pas à la concurrence des fabriques de La Graufesenque qui mettent sur le marché une sigillée dont la pâte et le vernis sont bien supérieurs à ceux des ateliers arvernes. Le système de production massive est probablement bien mieux structuré aussi. Les ateliers du centre de la Gaule abandonnent pratiquement la production de cette vaisselle pendant toute la période où les ateliers du Sud inondent le marché de l’Occident romain. À notre connaissance, seul Lezoux produit encore des vases moulés, très influencés par le style rutène (Titos particulièrement), et des formes lisses souvent peu ou mal estampillées. La reconversion s’est effectuée avec la fabrication des céramiques fines et communes (cruches...), utilitaires (bols, tripodes…), à Lezoux, Coulanges, Varennes par exemple, avec les vases à glaçure plombifère (Vichy…), avec les copies de vases métalliques (oenochoés...), avec les statuettes en terre blanche...
4À la période Domitien‑Trajan, après les derniers fm. 29 au décor très appauvri, apparaissent des fm. 37 au décor minutieux, riche et renouvelé (Lezoux, Courpière, Vichy...). Mais leur pâte est toujours dans la tradition du ier s., c’est‑à‑dire laténienne et non calcaire, et leur vernis, non grésé (Lezoux, Courpière, Vichy...). La révolution artistique et technique la plus importante est marquée par l’équipe de Libertus‑Butrio. Avec leurs vases apparaissent à la fois un répertoire extrêmement riche, un style plus dégagé des influences du décor du fm. 29 (décor à plusieurs zones sur les panses des fm. 37), et d’autre part l’utilisation généralisée des argiles calcaires et du vernis grésé, technique qui avait participé grandement à la réussite des ateliers rutènes. Cette avancée technique est rapidement adoptée et utilisée pendant tout le iie s. dans la plupart des ateliers du groupe : Lezoux, Terre‑Franche, Vichy, Martres‑de‑Veyre, Gueugnon, Lubié… Le décor évolue au cours du iie s. avec des potiers importants comme Cinnamus, Patemus et beaucoup d’autres. Cependant, il se crée un style assez unifié pour être reconnaissable assez facilement : celui de la Gaule centrale. Cela tient en grande partie à ce qu’il n’y a pas de changement important dans le répertoire des sujets, à la circulation des moules qui partent de Lezoux aux Martres‑de‑Veyre, à Vichy, Lubié, Terre‑Franche, Toulon‑sur‑Allier, Gueugnon, et peut‑être à la mobilité des ouvriers. Les produits de la plupart de ces ateliers sont d’excellente qualité et se vendent non seulement en Gaule, mais en Grande‑Bretagne, en Germanie et au‑delà. De la même façon qu’Arezzo et La Graufesenque avaient influencé Lezoux, les ateliers du centre de la Gaule diffusent leurs moules et probablement leurs potiers vers les ateliers de l’est de la Gaule.
5Nous ne savons ni ce qui a provoqué alors la venue d’artistes nouveaux dans le centre de la Gaule, ni leur origine. Cependant, comme dans la phase I de l’histoire de ces fabriques au début de notre ère, cette deuxième révolution apparaît comme soudaine par rapport à la longue dégradation de la fabrication de la sigillée au cours du ier s. De la même façon, elle se diffuse très rapidement (Lezoux, Vichy, Les Martres‑de‑Veyre, Saint‑Bonnet‑Yzeure…) comme cela se produit normalement dans une région aux communications faciles et rapides, où travaille un artisanat actif qui sait mettre en commun matériel et connaissances. Les apports qui apparaissent au début du iie s. furent nombreux et divers, comme ils le furent au début du ier s. : nouvelles techniques et nouveaux décors de sigillée, lampes, moulages au plâtre, nouveaux modèles de figurines, reliefs d’applique analogues à ceux qui seront fabriqués bien plus tard dans la vallée du Rhône... De tout cela survivra et se développera surtout une fabrication importante de terre sigillée, vraisemblablement parce qu’elle était la plus rentable. L’apogée de la production « industrielle » de la sigillée se situe de Vespasien à Commode.
6Au iiie s. un phénomène de récession se produit dans la fabrication de la sigillée, comme elle était survenue après l’essor tibérien ; mais nous sommes encore bien mal renseignés sur son processus pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les récessions sont plus difficiles à étudier que les expansions car les mêmes décors, sans cesse reproduits, se dégradent plus ou moins vite. La fouille des ateliers ne nous a donné que peu d’indices chronologiques. Plicque écrit avoir découvert à Lezoux « sous la toiture effondrée d’une habitation de potiers » une monnaie de Philippe l’Arabe et 18 de Gallien et de Salonine4. J.‑C. Notet a trouvé à Gueugnon 20 petits bronzes de Tétricus dispersés dans l’alandier d’un four. Il semble que la production des autres ateliers périphériques de Lezoux, à l’exception peut‑être de Toulon‑sur‑Allier, ait cessé dès la fin du iie s. (Terre‑Franche, Les Martres‑de‑Veyre…). L’exportation de la terre sigillée vers le limes breton, qui a été un excellent critère de datation au iie s., s’est arrêtée ; même si elle dure plus longtemps qu’on ne l’avait supposé, puisque qu’A. King5 envisage comme hypothèse qu’elle ne soit terminée que vers 220‑230, elle ne marque pas la fin de toute fabrication de terre sigillée.
7Au ive s., il se fabriquait sans doute encore de la terre sigillée, lisse et moulée, dans les ateliers de la Gaule centrale, mais c’est seulement à Lezoux que nous en avons actuellement découvert. Elle ne subsiste qu’en petite quantité au milieu d’une majorité de céramiques grises et noires fabriquées en grande quantité, comme l’attestent de grands dallages servant au stockage d’argile6. L’usage des argiles calcaires a beaucoup diminué et l’on en est revenu aux argiles non calcaires de La Tène. Neuf monnaies du ive s. ont été découvertes, leur date d’émission s’échelonne sur une cinquantaine d’années et nous mène jusqu’à 385 ; leur perte peut s’être produite évidemment à une date plus tardive.
8Pour bien poser la question de la fin des terres sigillées dans les ateliers du centre de la Gaule, il est utile de se souvenir que ces ateliers eux‑mêmes s’inscrivent dans une évolution économique qui a commencé avant la conquête et qui se continue après le ive s. Il est utile aussi d’avoir présent à l’esprit que les potiers ont fabriqué et vendu parfois au loin d’autres céramiques, avant, pendant et après la fabrication de la terre sigillée. Certaines, comme les vases à glaçure plombifère par exemple, ont été produites moins longtemps, d’autres, comme les vaisselles culinaires, plus longtemps7. De nombreux facteurs ont pu intervenir dans l’abandon des techniques venues d’Arezzo : on a suggéré des guerres et des troubles détruisant les ateliers, gênant le commerce, une crise économique arverne, la concurrence d’ateliers fournissant des produits de meilleure qualité et à meilleur prix... Actuellement, les résultats des fouilles de la région ne permettent pas de mesurer l’impact des événements politiques. Ils ne permettent pas non plus de séparer les causes des effets : par exemple, la négligence de la fabrication a‑t‑elle été produite par la décadence de l’atelier, ou l’a‑t‑elle provoquée ? Dans le centre de la Gaule la fabrication de la terre sigillée semble suivre le cours normal d’un type de production qui, par sa structure même, implique des phases de développement suivies de phases de régression et de disparition. Cette activité présente en Italie des étapes organisées à peu près selon le même schéma : son installation se traduit par la venue d’ouvriers, de techniques et de décors nouveaux ; elle se développe alors, puis elle essaime et les nouvelles fabriques réduisent les débouchés de la maison‑mère en saturant les marchés. Ainsi en est‑il vraisemblablement aussi pour la production de sigillée de la Gaule centrale ; elle est concurrencée peu à peu par les fabriques de la Germanie qui fournissent à moindres frais, et leur région elle‑même, et la Grande‑Bretagne qui se dotera à son tour de succursales. Il paraît normal qu’une industrie qui ne prospère que par la conquête de nouveaux marchés et non en satisfaisant des besoins réels et vitaux disparaisse au bout de quelque temps. En l’occurrence, seul un renouvellement technique et décoratif avait permis aux ateliers du centre de la Gaule de relancer leur fabrication de sigillée au début du iie s. ; mais il n’en est point survenu au iiie s. Seul le centre de production de Lezoux, peut‑être en raison de la force que lui donnait sa concentration d’artisans, nous a donné des traces de sigillée jusqu’au ive s. D’autres ateliers, comme Toulon‑sur‑Allier, Lubié, Saint‑Bonnet..., actifs au iie s., n’ont pas laissé de vestiges aussi tardifs du moins aux endroits que nous avons pu fouiller. Leurs installations étaient‑elles devenues inutiles vu la réduction du marché d’exportation ? Nous ne le savons pas encore.
Notes de bas de page
1 Cf. par exemple les travaux d’A. Duval, J.‑P. Guillaumet, R. Périchon. On trouvera un résumé de leurs récentes conclusions dans : L’Art celtique en Gaule, pp. 149‑153, (collection des Musées de France, 1984‑1985).
Cf. aussi : DUVAL (A.). — Économies et sociétés en Gaule non‑méditerranéenne, IIIe‑Ier siècles avant notre ère d’après les données archéologiques. Paris, 1984, pp. 55‑68.
2 On notera qu’à Gueugnon, on n’a pas (encore ?) découvert de fabrication de sigillée tibérienne et que l’on a seulement découvert quelques fragments de fm. 29.
3 Cf. : VERTET (H.). — Les Figurations divines chez les Arvernes. In : Sanctuaires arvernes. Clermont‑Ferrand, 1985, pp. 102‑131.
4 DÉCHELETTE (J.). — Les Vases céramiques ornés de la Gaule romaine. I, p. 192.
5 KING (A.). — The Décliné of Central Gaulish Sigillata Manufacture in the Early Third Century. R.C.R.F. Acta XIII, Munich, 1984, pp. 51‑59.
6 Des formes lisses ont été retrouvées dans des nécropoles peu éloignées de Lezoux: PÉRICHON (R.), CHOPELIN (C.). — Une Nécropole du Bas‑Empire aux Martres d’Artières (Puy‑de‑Dôme). Gallia, XXVIII, 1970, 1, pp. 165‑191. DESFORGES (E.), FOURNIER (P.‑F.). — La Nécropole de la Maison blanche. Revue d’Auvergne, 1945, t. 59.
7 VERTET (H.). — Recherches sur les potiers de la Gaule centrale. In: Hommages à P.‑F. Fournier. Clermont‑Ferrand, 1985, pp. 15‑37.
Auteur
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