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La terre sigillée gallo-romaine

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Colette Bémont
, 
Jean-Paul Jacob

Les ateliers du sud de la France

Groupe de Bram

Michel Passelac, Raymond et Maryse Sabrié

Texte intégral

Bram

1Les ateliers de Bram 9 sont situés dans la commune de Bram, département de l’Aude, canton de Fanjeaux, arrondissement de Castelnaudary‑Limoux, au lieu‑dit Cap‑de‑Porc, altitude de 132 m. Le site correspond au no 9 de la nomenclature établie pour les points du vicus de Bram ayant fait l’objet d’observations ou de fouilles.

■ Circonstances de la découverte et état du site

2Le site a été découvert en 1970 à l’occasion d’une prospection lors de travaux effectués à proximité de la gare de Bram pour l’implantation de poteaux d’éclairage. L’examen des déblais et l’exécution d’un sondage ont très rapidement mis en évidence les preuves de l’existence d’un atelier : tessons incuits, surcuits, séries de même forme, fragments de briques réfractaires, séparateurs... Des prospections au sol ont d’abord permis de localiser certaines installations et d’évaluer la superficie des ateliers. Le site a fait également l’objet de prospections aériennes. Des prospections au magnétomètre à protons ont été tentées, mais se sont révélées infructueuses à cause de perturbations dues à la proximité des voies ferrées et des lignes d’alimentation à haute tension. Des campagnes de fouilles programmées ont eu lieu en 1973, 1979 et 1980 ; une fouille de sauvetage, en 1975.

3La construction des voies ferrées a partiellement détruit et oblitéré le site sur une bande de 40 m de large. Au sud, un dépotoir est localisé dans l’enceinte de la coopérative agricole. Les structures partiellement fouillées dans des terrains agricoles au nord ont été recouvertes après fouille. La protection juridique du site reste à mettre en place. D’après les prospections de surface, on peut évaluer provisoirement la superficie des ateliers à 1 ha environ.

■ Contexte historico‑géographique

4Le vicus de Bram est situé dans la province de Narbonnaise, à mi‑chemin entre Narbonne et Toulouse, sur le territoire de la cité de Narbonne d’abord, puis de celle de Carcassonne, non loin de leur limite avec la cité de Toulouse. L’implantation des ateliers s’est faite à la périphérie du vicus Eburomagus dont ils dépendaient. Les installations sont distantes du centre de l’agglomération de 750 m environ, vers l’est, et situées à proximité de la voie d’Aquitaine. Dans cette zone existent des traces d’une cadastration antique, orientée à 21o est, comme celle de Narbonne, mais aucune relation précise n’a été établie entre les structures de l’atelier et ce cadastre. Le statut de vicus est attesté dès 70 avant notre ère dans le Pro Fonteio (IX,19) de Cicéron, puis précisé, au iie s., par la dédicace du théâtre antique. Cette inscription nous apprend en effet que le vicus est administré par trois magistri vici qui ont fait construire de leurs deniers le monument. Elle suppose aussi la présence d’un sanctuaire dédié à Apollon. Sous le Haut Empire, le vicus fait partie du territoire de la ciuitas lulia carcasse.

5Dès l’époque républicaine, le vicus apparaît comme un important carrefour du commerce des vins italiens permettant de quitter, en venant de Narbonne, la route de Toulouse. Cette fonction explicitement décrite dans le Pro Fonteio est abondamment confirmée par les découvertes archéologiques. La Montagne noire, au nord, et les vallées de l’Aude et de l’Ariège, au sud, sont les débouchés immédiats de ce carrefour. L’axe principal en est la voie d’Aquitaine, grande artère économique reliant l’Italie et l’Espagne à l’ouest de la Gaule. Le centre de production est donc établi sur une voie de grande importance commerciale, à un carrefour permettant les relations avec deux vastes arrière‑pays riches en matières premières, productions agricoles et consommateurs de produits importés. Il n’existe pas en revanche de cours d’eau navigable dans toute cette région. Dans le large couloir où est situé Eburomagus, les communications sont facilitées selon un axe est‑ouest. Mais les reliefs qui le bordent au nord et au sud ne font pas vraiment obstacle aux déplacements. Ils sont percés de nombreuses vallées qui ont permis dès l’Antiquité d’intenses communications.

6Dans la plaine environnante, les argiles accessibles appartiennent aux formations bartoniennes appelées molasses de Castelnaudary où alternent molasses, argiles et graviers. Ces formations se rencontrent en plusieurs points dans un rayon de 2,5 km autour des ateliers. Il s’agit de limons carbonatés. Les analyses de J.C. Echallier (I.G.A.L.) ont montré que les potiers avaient utilisé ces matériaux, mais qu’ils avaient également fait appel aux argiles de plusieurs gisements situés dans la Montagne noire, des terres non carbonatées renfermant des dégraissants issus des formations granitiques et métamorphiques du versant sud‑ouest. L’alimentation en eau ne pose aucun problème dans cette plaine où la nappe phréatique se rencontre à de très faibles profondeurs (1,5 à 2 m). L’approvisionnement en bois a sans doute soulevé plus de difficultés : le centre de production est établi dans une riche plaine agricole dont la mise en culture est antérieure à la période augustéenne. Si le bois provenant des environs a pu servir d’appoint, il semble que le plus gros de l’approvisionnement ait été recherché dans des zones extérieures quelquefois assez lointaines. Les identifications (A. Plu, M.H.N.) montrent l’utilisation de chêne à feuilles caduques et de sapin pour l’essentiel, et la présence de chêne vert et d’alisier.

7Sur le site, on ne peut établir de relations stratigraphiques entre les structures reconnues. La datation repose sur la présence d’un rare mobilier intrusif recueilli dans les dépotoirs (notamment des fragments d’amphores). Aussi a‑t‑on recours surtout à l’étude des associations, sur les sites de consommation (vicus de Bram, Vieille‑Toulouse), avec des mobiliers datés pour éviter de fonder sur la seule typologie la datation de l’atelier. Enfin, la comparaison avec des céramiques de technique et de typologie semblables, découvertes dans d’autres régions de l’Empire et bien datées (notamment au Magdalensberg), contribue également à établir la chronologie du centre de production. Ainsi la période d’activité des ateliers de Bram 9 a‑t‑elle été précisée : elle couvre le dernier quart du ier s. avant notre ère, avec, probablement, un floruit entre 20 et 10.

8Dans le vicus, de nombreuses couches de scories pourraient attester — si elles ne sont apportées — une activité métallurgique locale. Il convient de souligner à ce propos que l’agglomération est située au pied de la Montagne noire dont on connaît les nombreux et importants complexes métallurgiques gallo‑romains.

■ Activité céramique

9On trouve, dans le dépotoir considéré comme le plus ancien, des céramiques communes à pâte claire fine, des céramiques communes à pâte claire sableuse et grise sableuse, des céramiques à parois fines. Sa couche la plus récente renferme en outre des céramiques fines à pâte grise et vernis noir. Leurs formes sont, dans leur grande majorité, italiques. Les ateliers ont fabriqué toute la gamme des productions céramiques en même temps que les « sigillées » : gobelets à parois minces lisses et décorés, lampes, céramiques communes à pâte fine, céramiques communes culinaires à gros dégraissant, objets domestiques comme des chandeliers et des brûle‑parfum, mortiers, dolia et matériaux de construction. Il est difficile toutefois d’évaluer l’importance relative de la sigillée, qui varie selon les hasards des dépôts. Elle compte, approximativement, pour un quart à un cinquième de la production totale.

10Le rôle du centre de production de Bram parmi les officines de la région est difficile à cerner, car aucune relation certaine n’a été établie avec les ateliers de sigillée du sud de la Gaule. Dans l’introduction des formes et des techniques italiques, il a pu jouer un rôle de jalon, car il est situé plus près des sources d’influence romaine. Cependant cette hypothèse reste à étayer par des illustrations concrètes. À l’échelle de la micro‑région, le centre de Bram a très certainement joué le rôle de métropole. Cette présomption se fonde sur la similitude de formes et de techniques rencontrée sur trois autres ateliers du Lauragais qui constituent, avec Bram 9, un groupe spécifique.

11Plusieurs laboratoires ont effectué des analyses des productions des ateliers de Bram, en utilisant leurs méthodes propres : le laboratoire de céramologie de Lyon, Maison de l’Orient (M. Picon): spectrométrie rayons X ; le laboratoire Pierre Sue (F. Widemann) : activation neutronique; le laboratoire de recherche des Musées de France (Ch. Lahanier) : spectrométrie rayons X. À l’heure actuelle, seuls les résultats obtenus par M. Picon sont disponibles, les autres étant en cours d’interprétation. Le résultat le plus significatif est la mise en évidence de groupes de pâte différents, calcaires et non calcaires. Les sigillées présentent des pâtes calcaires dont la teneur en CaO varie dans une large fourchette (de 9,7 à 17,8 %). Ces résultats sont confirmés et complétés par les analyses pétrographiques réalisées par J.‑C. Échallier.

■ Définition archéologique du matériel sigillé

12Les pâtes sont relativement tendres, de couleur généralement brun très clair, quelquefois jaune rouge lorsque la cuisson est insuffisante. Apparemment fines, elles révèlent à la binoculaire un dégraissant sableux composé de grains de quartz, de mica blanc et de micaschiste, de particules blanches calcaires de granulométrie variable selon le degré d’épuration atteint. L’engobe est généralement fin et peu résistant, non grésé. Selon les conditions de conservation, il peut avoir un aspect brillant, « savonneux » au toucher, ou subsister seulement dans les parties non exposées, mat et délavé. Sa couleur est très variable d’un vase à l’autre, et parfois sur le même récipient. Elle peut aller du gris ou du brun très foncé au jaune rouge ; mais la couleur dominante est le rouge avec ses nuances brun rouge et brun rouge foncé. Dans certains cas l’engobe peut présenter de nombreuses fines particules brillantes.

13Le marquage des vases est à Bram une pratique peu usitée. Néanmoins les potiers ont apposé sur certaines formes, mais de façon non systématique, des timbres épigraphiques et des timbres anépigraphes. Sur la sigillée, on compte 11 timbres épigraphiques sûrs et 8 timbres anépigraphes. Dans la première catégorie, on connaît 1 cartouche circulaire et 10 cartouches rectangulaires, dans la seconde, 6 cartouches circulaires et 2 carrés.

14Les formes principales des vases sont limitées en nombre (fig. 1). Dans les dépotoirs 1, 2, 4 correspondant à la phase la plus ancienne et de grande production, on rencontre surtout des plats et assiettes à bord redressé (à rapprocher de Lamb. B 5/7 plus que de Goud. 1 ), des plats et assiettes à lèvre tombante (à rapprocher de Goud. 6), des bols à paroi oblique concave (à rapprocher de Morel 2651), des bols à paroi concave et lèvre tombante (à rapprocher de Goud. 7), des bols à paroi oblique et lèvre épaissie (à rapprocher de Morel 2654), des bols à paroi convexe (à rapprocher uniquement pour la forme de Morel 2784 a), des coupelles à paroi oblique concave, des coupelles à paroi convexe (à rapprocher de Lamb. C20) ; et, moins fréquemment, des plats et assiettes à bord convexe, des askoi à anse de panier, goulot circulaire et goulot trilobé, des coupes à anses en boucle (antécédents des Haltern 14), des modii. Le répertoire a cependant évolué vers des formes plus classiques de la céramique sigillée italique. Ainsi dans le dépotoir 3, le plus récent, apparaissent notamment, à côté de formes anciennes, des assiettes dérivées de la forme Goud. 12, des bols à rapprocher des Goud. 13.

• 1. Bram. Principaux types de céramiques « présigillées ».

15Le nombre des potiers producteurs est très difficile à appréhender, notamment à cause du caractère sporadique du marquage des productions (fig. 2). Les timbres et graffites permettent de connaître 10 ou 11 noms qui semblent correspondre, dans certains cas, non à des tourneurs, mais à des patrons d’ateliers : ABV( ), ANEP( ) ou A NEP( ), AQV( ), ARG( ), BIRA( ), ERA( ), HERAO POMP( ), IACCI ou I ACCI ou MACCI ou M ACCI, PROTIS, VERNA, TAP( ). Le problème se pose par ailleurs de savoir si les marques anépigraphes désignent des potiers ou ateliers s’ajoutant à ceux dont les produits portent une marque épigraphique. Plus de la moitié des timbres épigraphiques comportent deux lignes. La mention FEC( ) ou FECIT se rencontre sur 4 timbres. Par ailleurs, dans les dépotoirs 1, 2 et 4, les timbres radiaux sont nombreux et souvent disposés par 3 avec ou sans timbre central. Cette disposition est caractéristique des ateliers de Bram et paraît liée au mode de séparation des plats dans le four.

• 2. Bram. Timbres épigraphiques et anépigraphes.

■ La fabrication

16Comme dans maints ateliers, les outils découverts sur le site sont très rares. La plupart des outils utilisés devaient être en bois. Quelques pièces de fer pourraient avoir servi au tournassage. Les pièces techniques rencontrées sont des séparateurs, des cales utilisées pour l’enfournement. Les séparateurs en bobine sont d’un type courant. On a cependant utilisé un type de séparateur qui paraît spécifique du groupe d’ateliers auquel appartient Bram 9 : il s’agit de tripodes plats. Ces séparateurs portent des marques soit imprimées avec un timbre épigraphique ou anépigraphe, soit le plus souvent, incisées dans la pâte fraîche.

17Aucun four n’a été décelé sur le site. Les perturbations apportées aux prospections magnétiques en sont la cause. Néanmoins, dans les dépotoirs, de grosses briques de terre réfractaire (terre additionnée de paille) et des éléments de lutage proviennent de la destruction de fours et nous permettent de préciser qu’il s’agit de fours de type romain. Un seul élément (fragment de sole à supports rayonnants) semble appartenir à un four de type indigène. Par ailleurs le site ne comporte aucun aménagement en dur. Les structures mises au jour sont des structures en creux : des fossés et fosses ayant servi au traitement des argiles. Ainsi, deux larges fossés (1 et 2) se joignent en angle droit à l’emplacement d’une fosse à décantation. L’un d’eux a été suivi sur 50 m environ. Il renfermait par endroits des dépôts d’argile. Le dépotoir 3 est constitué par le comblement d’une dépression circulaire d’un diamètre de 4 m et d’une profondeur d’à peine 0,22 m, utilisée pour le traitement de la terre. Le dépotoir 4 est un remblai de tessons établi à l’emplacement d’un bâtiment de bois dont on a reconnu les trous de poteaux et les sablières basses.

■ Les potiers

18Comme témoins épigraphiques de l’organisation ou du statut des potiers il n’existe à Bram aucun graffite d’enfournement du type connu à La Graufesenque. Cependant, les graffites et timbres relevés sur séparateurs d’enfournement pouvaient jouer, à notre sens, le même rôle en permettant la reconnaissance des productions apportées dans un four commun. Aucune attestation épigraphique de tria nomina n’a été relevée. Toutefois on peut supposer que les noms d’origine grecque sont ceux d’affranchis : Protis, Erac( ), Hera( ) Pomp( ) et peut‑être Arg( ).

■ La diffusion

19La diffusion telle qu’on la cerne aujourd’hui est régionale. Elle couvre une zone allant de la Méditerranée à l’Aquitaine, étirée essentiellement le long de « l’isthme gaulois ». Ce sont d’abord le vicus lui‑même et les sites ruraux du bassin de l’Aude qui consomment les céramiques de ces ateliers. La voie d’Aquitaine, axe économique au bord duquel est établi le centre de production, a joué un rôle prépondérant dans cette diffusion. Les agglomérations desservies par cet axe livrent le plus grand nombre de pièces : Carcassonne, Vieille‑Toulouse d’abord, Narbonne, Ensérune, vers l’est ; Auterive, Saint‑Jean‑de‑Castex vers l’ouest.

■ Bibliographie

20Informations de la circonscription de Languedoc‑Roussillon. Gallia, XXX, 1971, p. 370‑371 ; 31, 1973, p. 476 ; 33, 1975, p. 494‑ 495; 39, 1981, p. 503.

■ Collection principale et lieu de conservation connus en 1984

21Dépôt archéologique de Castelnaudary.

■ Responsables actuels du site

22Michel Passelac, Le Roc, Villeneuve‑la‑Comptal, 11400 Castelnaudary
Le Directeur des Antiquités de la région Languedoc‑Roussillon.

Centre de production de Narbonne

23Michel PASSELAS
Raymond et Maryse SABRIÉ

24On peut attribuer des ateliers à Narbonne et peut‑être à ses environs : département de l’Aude, arrondissement et canton de Narbonne.

■ Circonstances de la découverte

25Cependant la présente notice ne décrit pas des ateliers connus par des prospections ou des fouilles, mais des ateliers dont l’existence se manifeste, indirectement, par la présence à Narbonne de productions aux caractéristiques (matériau, technique et formes) communes et locales. Il s’agit pour une part de céramiques issues de fouilles anciennes ; dans ce cas, les circonstances de la découverte sont rarement précisées. Pour une autre part, du matériel de fouilles effectuées ces dix dernières années par R. Sabrié et Y. Solier, notamment au quartier Razimbaud, au lieu‑dit Maraussan et au boulevard Tassigny. Outre les caractéristiques communes et locales des productions, l’existence d’ateliers à Narbonne et dans ses environs est suggérée par la répartition de marques de potiers inconnus dans les centres de production italiques ou sud‑gaulois. À Narbonne même, enfin, l’activité céramique est attestée par des déchets de cuisson et des restes de fours (briques réfractaires, lutage...) et par un séparateur tripode du type des séparateurs de Bram, utilisés pour l’enfournement des plats à l’époque augustéenne. On doit aussi mentionner la mise au jour d’un moule de gourde Déch. 63, en pâte locale, mais les productions correspondantes n’ont pas été retrouvées.

■ Contexte historico‑géographique

26Est‑il nécessaire de rappeler l’ancienneté de la présence coloniale à Narbonne et son statut de capitale de province ? Première déduction en dehors de l’Italie, la Colonia Narbo Martius reçoit dès 118 avant notre ère un premier contingent de colons venus d’Ombrie, du Picenum, du Latium et de Campanie. En 45, la déduction césarienne installe des vétérans de la dixième légion et crée la Colonia lulia Paterna Narbo Martius Decumanorum. Dès cette époque, Narbonne joue un rôle politique, militaire et économique considérable. Siège du gouvernement provincial, elle est une capitale politique ; siège du concile provincial et résidence des flamines provinciaux, elle est une capitale religieuse. Sa population— qui atteint probablement au Haut Empire 35 000 habitants — est extrêmement variée, et comporte une forte proportion de citoyens romains, descendants de colons, immigrants et affranchis. À Narbonne même, les ateliers devaient être de type urbain, implantés, comme en témoignent les indices trouvés à Razimbaud, à la périphérie, dans des zones à vocation artisanale.

27Industrielle et commerciale sous le Haut Empire, la ville est, par son port— le plus important de la Gaule selon Strabon —, et le nœud routier sur lequel elle est établie, le point de contact privilégié entre l’Italie, l’Espagne, l’Afrique et la Gaule, en particulier pour sa partie sud‑occidentale. Au ier s. avant notre ère, elle inonde, par la voie d’Aquitaine, le sud‑ouest de la Gaule de produits importés : vins, céramique campanienne. À l’époque républicaine, et plus encore à l’époque augustéenne, des relations commerciales privilégiées l’unissent à l’Espagne, tant par la voie maritime que par la voie Domitienne. À la fin du ier s., c’est à Narbonne et dans les arrière‑pays qu’elle alimente que se diffuse plus que partout en Gaule la céramique arétine précoce et ancienne. Par la suite, elle jouera un grand rôle dans l’exportation de la sigillée sud‑gauloise vers tout le Bassin méditerranéen.

28L’argile abonde au sud et à l’ouest de la ville où des tuileries s’étaient maintenues jusqu’à ces dernières années. Il s’agit de marnes très calcaires de l’OIigocène supérieur d’origine fluviale. L’abondance de mica dans certaines pâtes pourrait situer l’origine des argiles au sud‑ouest de Narbonne, mais aucune étude pétrographique précise n’a encore été effectuée. La datation des céramiques découvertes anciennement ne peut se fonder que sur leur typologie, en l’absence de contexte précis. En revanche, le matériel issu des fouilles récentes peut être daté avec une relative précision, par référence aux produits importés : sigillée italique, amphores, céramiques à parois fines, monnaies.

29La découverte de tuiles et de briquettes déformées à la cuisson et non commercialisées, de moutons de céramique commune, de briques de fours, atteste, par ailleurs, l’existence d’ateliers de tuiliers et de potiers. L’épigraphie narbonnaise, si abondante, mentionne un seul potier, mais atteste l’importance d’un artisanat de la pierre, du bois et surtout du métal. À Razimbaud, l’archéologie a livré dans le même quartier les restes d’un artisanat de la céramique et ceux d’ateliers métallurgiques. L’activité artisanale qui commence très tôt à Narbonne atteint son apogée sous le Haut Empire. Le grave incendie de 145 ap. J.‑C. a pu accélérer son déclin qui commence à se manifester à la fin du ier s. La disparition des ateliers de sigillée narbonnais est‑elle à mettre en relation avec la diffusion massive des produits de La Graufesenque ?

■ Activité céramique

30La production de sigillée semble avoir suivi de près les premières importations italiques du début de l’Empire. En outre la production de céramique commune, de matériaux de construction est également attestée à Narbonne. Au Bas Empire, la ville apparaît comme le centre de l’aire de diffusion de certaines céramiques estampées, grises et orangées. Cependant la sigillée de l’époque augustéenne occupe une place très secondaire. Géographiquement, les ateliers narbonnais, situés au cœur même des premières influences italiques en Gaule, jouent le rôle de jalons. Néanmoins, s’ils marquent une rupture avec les formes et les techniques gauloises, ils n’introduisent pas pour autant la vraie technique de la sigillée (caractérisée par une cuisson de mode C). Par ailleurs, le déplacement de leurs potiers vers d’autres centres n’a pas été, à ce jour, observé.

31Un nombre restreint d’analyses de pâte a été fait par F. Widemann à Orsay (C.N.R.S.) : neuf des dix tessons analysés proviendraient d’une production locale, par référence à des analyses de tuiles, moutons, briquettes vitrifiées.

■ Définition archéologique du matériel sigillé

32À l’examen macroscopique, deux types de pâtes se distinguent en fonction de leur dégraissant et suggèrent un approvisionnement différencié en argiles : une pâte friable, se délitant souvent, renfermant un dégraissant sableux où se distinguent de nombreux cristaux de mica, une pâte brun clair, plus dure, peu ou pas micacée. Ces deux pâtes prennent en fonction du mode de cuisson (A ou B) des couleurs dominantes soit du brun clair au rose, soit du gris clair au gris foncé. Les vernis argileux, non grésés, souvent peu adhérents, quelquefois entièrement disparus, prennent selon les modes de cuisson des couleurs allant du rouge au brun foncé, du gris clair au gris foncé. Quelques exemplaires à pâte claire possèdent un vernis brun ou noir.

33Il est difficile d’identifier les timbres des ateliers narbonnais, en l’absence d’exemplaires portés par des ratés de cuisson sûrs. Néanmoins, la fréquence de certaines marques que l’on rencontre exclusivement ou essentiellement à Narbonne et la nature du support permettent de considérer comme hautement probable leur origine narbonnaise. Les estampilles épigraphiques sont les plus nombreuses mais demeurent souvent difficiles à lire, soit à cause de la mauvaise conservation des tessons, soit à cause d’une graphie irrégulière. Les cartouches sont carrés ou rectangulaires. Une particularité des timbres épigraphiques consiste en la présence d’une ligne de points triangulaires surmontant et soulignant le nom du potier. Les marques anépigraphes sont inscrites dans un ovale ou un rectangle.

34Une partie des formes lisses est issue du répertoire des campaniennes tardives ou de l’arétine archaïque décrite par C. Goudineau : plats et assiettes proches de Lamb. 5/7, plats et assiettes proches de Goud. 6, bols à paroi convexe, bols à paroi oblique, légèrement concave. D’autres se réfèrent à des productions plus classiques, se rapprochant du service I de Haltern, (la et Ib de Vogt et Fellmann) avec, dans le détail, des caractéristiques locales, notamment des parois plus épaisses, des pieds souvent larges et relativement bas: plats et assiettes à rapprocher de Goud. 12 et 15, bols à rapprocher de Goud. 13 et 18. Enfin, une dernière série, plus rare, fait appel aux formes du service II de Haltern : ce sont des assiettes Goud. 26 et des bols Goud. 27. Dans la même technique, deux formes ne font pas directement appel aux modèles italiques : il s’agit de grands bols et plats creux dont l’un présente un rebord épaissi rentrant, l’autre un bord divergent concave. Signalons en outre la présence de deux types de lagènes, l’un à panse piriforme, l’autre à panse carénée (fig. 3).

• 3. Narbonne. Principaux types de céramiques « présigillées ».

35La plupart des timbres sur vases lisses sont difficiles à interpréter, aussi renvoyons‑nous au dessin (fig. 4). Signalons cependant, parmi les timbres lisibles dont l’origine narbonnaise est hautement probable : SAT( ).MA( ), CHIT( ).MA( ), MA( ).MAR( ), ETK ou KTE, [ ] VROC, LICINI, L( ).T( ).C( ). Le marquage est, en fonction des formes et de la dimension des vases, central ou radial. Le marquage à l’aide de trois timbres radiaux et un timbre central paraît assez couramment pratiqué.

• 4. Narbonne. Timbres de potiers. 1‑10 : certainement narbonnais ; 11‑17 :  probablement narbonnais.

36Seul un moule de gourde Déch. 63 trouvé dans un dépotoir évoque la production de sigillée décorée. Mais les fabrications correspondant à ce moule n’ont jamais été rencontrées. Sa forme est la même que celle des productions connues à La Graufesenque, mais le moule de Narbonne en diffère cependant par le style du décor et la pâte que l’examen à l’œil nu et l’analyse désignent comme locale. La technique de décoration est identique à celle des ateliers rutènes, toutefois les poinçons utilisés diffèrent et la partie centrale est décorée, contrairement aux habitudes millavoises. Sa datation est incertaine, mais probablement antérieure à 50 de notre ère.

■ La fabrication

37Peu d’outils relatifs à la fabrication de céramique ont été mis au jour : nous connaissons seulement un séparateur tripode et quelques séparateurs parallélépipédiques ainsi que des supports cylindriques. Ces derniers semblent avoir été réservés à la cuisson de céramiques de grandes dimensions. Dans le dépotoir urbain de Razimbaud, où de nombreuses productions locales ont été retrouvées, on a recueilli des briques de four. Il est probable, mais non assuré, qu’il s’agit des restes des fours, construits dans le voisinage, où ont été cuites ces céramiques.

■ La diffusion

38La diffusion de ces productions semble assez limitée en quantité et dans l’espace. La région de Narbonne livre évidemment de tels documents. Ce type de céramique est attesté à Ruscino et Ampurias où la part d’importations narbonnaises et celle de fabrications locales restent à déterminer. Dans le couloir Aude‑Garonne, la diffusion des produits narbonnais semble parallèle à celle des céramiques de Bram, mais moins importante.

■ Collections principales

39Découvertes anciennes : musée archéologique de Narbonne ; découvertes récentes : dépôt archéologique de Narbonne.

■ Responsables actuels du site

40Yves Solier, conservateur.
Le Directeur des Antiquités de la région Languedoc‑Roussillon.

Bibliographie

■ Bibliographie

LAMBOGLIA (N.). — Bolli ampuritani su « campana C ». R.E.Lig., XXI, 1955, 1, pp. 51‑56.

SANMARTI‑GRECO (E.). — Nota acerca de una imitaciôn de la sigillata aretina detectata en Emporion. Ampurias, XXXVI‑XXXVII, 1974‑75, pp. 251‑261.

SOLIER (Y.), SABRIÉ (M. et R.). — Découvertes récentes à Narbonne. Archéologie, no 133, août 1979, pp. 50‑59.

GAYRAUD (M.). — Narbonne antique. Paris, 1981, pp. 487‑489. (Suppl. 8 à la R.A.N.).

WIDEMANN (F.), LAUBENHEIMER (F.), LEBLANC (J.).—Amphorae workshop in western narbonnensis. The non resolution space problem. British Museum Occasional Paper, 19, 1981, pp. 57‑71.

Table des illustrations

Légende • 1. Bram. Principaux types de céramiques « présigillées ».
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/32348/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 96k
Légende • 2. Bram. Timbres épigraphiques et anépigraphes.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/32348/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 33k
Légende • 3. Narbonne. Principaux types de céramiques « présigillées ».
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/32348/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 62k
Légende • 4. Narbonne. Timbres de potiers. 1‑10 : certainement narbonnais ; 11‑17 :  probablement narbonnais.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/32348/img-4.jpg
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