La civilisation des Champs d’Urnes
|Étude typologique
Texte intégral
1On sait que les objets métalliques ont toujours été privilégiés par les typologistes. C’est sur eux que les systèmes chronologiques se fondent, car ils connaissent une répartition parfois très vaste pour un même type, et ainsi permettent de synchroniser des ensembles culturels sur un grand espace. Cela explique l’existence de typologies très fines. Elles sont utilisées ici en suivant la terminologie mise au point par la Commission du Bronze et publiée sous forme de fiches par la Société préhistorique française. Si cette catégorie d’objets ne présente aucune difficulté typologique, il n’en va pas de même pour la céramique. Celle‑ci a fait l’objet de classements, mais ces travaux balancent entre les systèmes à vocation universelle et les descriptions intuitives. On rencontre dans la littérature archéologique, pour les périodes qui intéressent la présente étude, un vocabulaire descriptif manquant de précision : assiette, terrine, écuelle, coupe, etc., vaguement traduit de l’allemand. C’est pourquoi il a été décidé de construire une typologie propre à la céramique prise en compte.
Typologie de la céramique
2Pour l’essentiel, les objets céramiques sont des récipients. Dans le corpus traité, les autres cas se révèlent tellement exceptionnellement associés en ensembles clos, qu’il n’a pas été utile de les soumettre à un classement typologique ; chaque objet représente un type. Les récipients, en fonction de divers critères, possédaient à l’évidence des fonctions plus ou moins spécialisées. Les termes utilisés couramment — certains sont évoqués ci‑dessus — induisent une fonction particulière, cependant aucune typologie fonctionnelle n’est apparue suffisante.
◼ Typologie fonctionnelle
3Le premier critère permettant de cerner la fonction d’un récipient est le volume qu’il peut contenir. Pour plus de rapidité, un indice de ce volume suffit : la surface du plan vertical passant par le centre, c’est‑à‑dire la surface intérieure du vase tel qu’il est figuré sur les dessins normalisés. En pratique, on applique une feuille transparente de papier millimétré sur le dessin, et il suffit de compter les carreaux qui remplissent ce plan.
4En général, on ignore si le récipient a servi à contenir un liquide plutôt qu’un solide. Mais la morphologie de certains autorise à déduire qu’il est prévu d’y boire. Une telle fonction nécessite la conjugaison de deux contraintes : l’absence de rebord, ce qui signifie que le profil de la panse se termine sans transition par une lèvre ; un rapport diamètre à l’ouverture / hauteur inférieur à 3, ce qui implique un volume suffisamment creux pour qu’un liquide ne déborde pas à la moindre maladresse (un échantillon de tasses et de bols contemporains répond absolument à cette contrainte).
5Selon qu’un récipient présente un étranglement marqué ou, au contraire, une forme en tronc de cône évasé, il ne peut être dévolu à la même fonction. L’indice d’ouverture, donné par le rapport diamètre à l’ouverture / hauteur permet d’effectuer une partition en deux catégories nettement séparées (fig. 11).
6Il convient de décomposer maintenant la procédure d’obtention des classes d’objets à chaque étape de l’introduction d’un nouveau critère. L’étude a porté sur 240 récipients archéologiquement complets. La projection de l’indice de volume des récipients du corpus sous la forme d’un histogramme montre une répartition en trois modes principaux. Les céramiques dont l’indice est inférieur à 90 cm2 constituent une catégorie des récipients petits ; ceux dont l’indice est compris entre 90 et 179 cm2 se regroupent dans la catégorie des récipients moyens; au‑dessus de 179 cm2, ils forment la catégorie des récipients grands (fig. 12, 1).

● 12. 1. Histogramme des indices de volume — 2. Histogramme des indices d’ouverture — 3. Classe B : histogramme des diamètres à l’ouverture — 4. Classe B : histogramme du rapport diamètre de la base/diamètre à l’ouverture — 5. Histogramme du rapport : hauteur du rebord/hauteur de la partie supérieure de la panse.
7Une fois isolés, les récipients répondant aux contraintes qui leur confèrent la potentialité d’y boire (fig. 12, 2B), l’histogramme de l’indice d’ouverture laisse diviser les vases restants en deux modes, de part et d’autre de l’indice 2,2 (fig. 12 A, C, D, E).
8Seuls les individus de la catégorie des récipients petits sont concernés par les critères de potentialité d’y boire. Ainsi, les catégories « récipients moyens » et « récipients grands » restent inchangées. La catégorie « récipients petits », en revanche, se divise en deux. C’est dans ces deux dernières catégories que joue la partition opérée en fonction de l’indice d’ouverture. Selon ce même indice, les individus des catégories « récipients moyens » et « récipients grands » correspondent, sans exception, au critère « fermé ». Au contraire, dans la catégorie « récipients petits », si tous les individus dans lesquels il est possible de boire sont qualifiables d’« ouverts », les autres se séparent en « ouverts » et « fermés ».
9On constate que les récipients pour lesquels on retient la potentialité d’y boire montrent, sur l’histogramme, une distribution homogène et limitée (fig. 12, 2B).
10En conclusion, on obtient cinq classes fonctionnelles :
-
A : récipients petits, non prévus pour y boire, ouverts ;
-
B : récipients petits, prévus pour y boire, ouverts;
-
C : récipients petits, non prévus pour y boire, fermés ;
-
D : récipients moyens, fermés ;
-
E : récipients grands, fermés.
11Une synthèse de ces résultats apparaît clairement sur un diagramme croisant le volume (ordonnée), l’indice d’ouverture (abscisse), et la potentialité de boire (cercles vides) (fig. 13).
12Pour un matériel comparable, la typologie fonctionnelle allemande se compose de catégories plus nombreuses. Il semble préférable, à cette étape du classement, d’opter pour une définition large. Bols et tasses, par exemple, ne sont pas dissociés à ce niveau parce que leur fonction reste fondamentalement identique, et parce que, lorsque l’objet parvient incomplet, il reste impossible de les distinguer (ici en l’absence d’anse). Les mêmes raisons s’opposent à la division fonctionnelle de ce qui est nommé, couramment, assiette et coupe à pied. Ainsi, les catégories fonctionnelles ignorent la présence d’éléments rajoutés, de préhension par exemple ; ceux‑ci, au total peu nombreux, sont pris en compte ultérieurement et les récipients qui en comportent constituent pour la plupart chacun un type propre.
◼ Typologie descriptive
13Il a été choisi de décrire les récipients, à l’intérieur de chaque classe fonctionnelle, en quatre volets ; un symbole de codage venant à chaque fois préciser l’identification. Le récipient, déjà partiellement défini au niveau fonctionnel par une lettre majuscule (A, B, C, D et E), est décrit ensuite par trois chiffres : le premier indique les caractéristiques de sa morphologie générale, le second, de son embouchure, le troisième, de son fond ; enfin, une lettre minuscule symbolise son décor (fig. 14).
14De cette manière, on obtient un dendrogramme commode pour la manipulation et qui permet d’intégrer, avec une bonne probabilité, des récipients incomplets dans le type qui aurait été le leur. La somme des types possibles atteint le nombre de 2 700. La somme des types représentés est, heureusement, nettement inférieure : 140. On sait que la notion de ressemblance demeure floue. Il s’agit d’une difficulté non encore résolue. Les progrès de la recherche en intelligence artificielle et pour la reconnaissance des formes permettront probablement de débloquer cette situation. En attendant, on doit se contenter d’approximations. Ce problème pèse lourd pour la construction d’une typologie d’objets dont aucun ne présente une identité absolue avec un homologue, car, à l’extrême, chaque objet constituerait un type intrinsèque. Tout repose ainsi sur la valeur heuristique du seuil de ressemblance retenu. L’important est d’en rester conscient.
15On va commenter maintenant, pour chaque classe fonctionnelle, les descripteurs utilisés. Pour éviter les répétitions, on va d’abord examiner le code de description du décor qui reste le même pour tous les types fonctionnels. Quinze classes sont définies par des lettres minuscules de «a » à «o» (fig. 15)
Code |
Technique |
Thème |
a |
sans décor |
|
b |
rugosité partielle |
|
c |
impressions digitales |
|
d |
cannelures |
horizontales |
e |
cannelures |
horizontales et verticales ou obliques |
f |
bouton plastique |
|
g |
mamelon |
|
h |
languette |
|
i |
cordon |
|
I |
impressions avec un outil |
|
k |
incisions |
linéaires |
l |
incisions |
complexes |
m |
estampage |
|
n |
excisions |
|
o |
applications de peinture, graphite |
● 15. Code du décor des récipients.
16La description s’effectue par sélection du critère le plus complexe. La complexité se détermine par la technique qui réclame une élaboration plus grande au fur et à mesure de la progression alphabétique. Il faut donc employer le code de façon cumulative. Par exemple, un récipient portant à la fois des cannelures qui peuvent être obtenues avec un doigt et des incisions réalisées à l’aide d’un outil est codé par la lettre symbolisant la présence d’incisions.
17Ce système hiérarchisé du simple au complexe a l’avantage de limiter le nombre des types de décor dans un cadre logique. Cette hiérarchisation ne recouvre aucune signification chronologique.
18Quelques précisions s’imposent pour la définition de certains types :
-
b : rugosité partielle: la partie haute du récipient est lissée, le bas demeure volontairement irrégulier; parfois cette rugosité est amplifiée par des traces légères laissées après le passage des doigts;
-
f, g, h : le bouton plastique se distingue du mamelon par la taille, il n’excède pas deux centimètres de diamètre; il se distingue de la languette par sa forme, il est circulaire tandis que la seconde s’allonge horizontalement;
-
k, l : les incisions complexes s’opposent aux incisions linéaires en ce qu’elles présentent un tracé brisé continu ou ondulé allant jusqu’à s’organiser en panneaux ou métopes.
19La localisation du décor n’est pas retenue. Cette information se révèle non pertinente pour la plus large part du corpus car elle est redondante ; par exemple, la quasi‑totalité des récipients de la classe A ne comporte aucun décor externe.
◼ Description morphologique des récipients de classe A
20La description du profil comprend quatre catégories. Le profil est dit « brisé » lorsqu’il présente un angle vif, « tendu » s’il est rectiligne ou concave ; les termes « convexe » et « multi‑convexe » sont suffisamment explicites. A l’intérieur de chacune de ces catégories le bord permet une discrimination en quatre sous‑catégories (fig. 16, A). Pour chaque classe fonctionnelle le fond est décrit par trois qualificatifs : rond, plat et creux. Le premier concerne les récipients qui ne peuvent tenir droit sur une surface plane et rigide (ceci inclut les exemplaires dits « pointus » par les typologistes intuitifs). Les deux suivants n’exigent pas de précisions (fig. 17). Pour les récipients pourvus d’un pied, le fond est codé : 4.

● 16. A. Description du rebord des récipients de classe A — B. Description de la base des récipients de classe B.
◼ Description morphologique des récipients de classe B
21La variabilité morphologique de ces récipients s’avère faible. L’histogramme des diamètres à l’ouverture permet d’effectuer une partition de part et d’autre de la mesure : 14 cm (fig. 12, 3). Cependant, cet indice de taille demeure insuffisant pour rendre compte de la morphologie générale, aussi utilise‑t‑on le descripteur suivant pour préciser la forme. Le rapport diamètre de la base / diamètre à l’ouverture traduit assez bien l’allure du profil. Une première catégorie étant dévolue aux exemplaires dont la base est absente, l’histogramme de ce rapport met en évidence trois modes dont les seuils se situent aux indices 4 et 7 (fig. 12, 4). La notion de base absente concerne les récipients dont le fond prolonge le profil de la panse, sans inflexion (fig. 16B). Lorsque la base est présente, elle se divise en trois classes : étroite, moyenne et large (fig. 18).
◼ Description morphologique des récipients de classes C, D et E
22Les récipients qui se répartissent dans ces trois catégories fonctionnelles s’opposent aux précédents en ce qu’ils possèdent une forme « fermée » (leur rapport diamètre à l’ouverture / hauteur est inférieur à 2,2). Si leur contenance permet de les séparer en trois classes, on constate que les proportions entre les différentes parties d’un individu restent constantes. C’est pourquoi leur description morphologique fait appel aux mêmes descripteurs.
23On parvient à décrire de façon satisfaisante la morphologie générale de ces récipients grâce à deux critères qui traduisent l’aspect anguleux du profil et sa complexité. Ainsi, les profils se divisent d’une part en biconiques et arrondis (présence ou absence d’une arête à la hauteur du diamètre maximum), et d’autre part en fonction de l’existence ou non d’un col (partie intermédiaire entre la panse et le bord, sans ou à faible courbure). Les combinaisons de ces critères donnent quatre catégories.
24Au niveau suivant l’ouverture est définie, pour les récipients à col, par la forme de celui‑ci. Le col est évasé (diamètre de la partie haute supérieur au diamètre de la partie basse) ou non évasé (diamètre de la partie haute inférieur ou égal au diamètre de la partie basse).
25Pour les récipients sans col, la description de l’ouverture tient compte de l’étranglement (diamètre minimum hormis le fond) et du bord. Elle peut être étranglée ou non (rapport diamètre maximal / diamètre à l’étranglement supérieur ou inférieur à 1,10). Le rebord peut être inexistant (comme pour les exemplaires de classe B, la lèvre se trouve dans le prolongement de la panse, sans inflexion du profil vers l’extérieur), petit ou grand. La taille du rebord se mesure évidemment par comparaison avec les proportions générales de l’individu ; cependant, la morphologie de la base peut brouiller cette donnée. L’estimation intuitive de ce critère se fonde sur la hauteur du rebord par rapport à celle de la panse. Le rapport hauteur du rebord / hauteur de la partie supérieure de la panse (à partir du diamètre maximal car cette mesure ne prête à aucune ambiguïté, contrairement à la localisation du point limitant la panse et la base) fait ressortir deux catégories comme en témoigne l’histogramme (fig. 12, 5).
26Au total, les récipients se répartissent en deux types d’ouvertures pour ceux qui possèdent un col, et en quatre types pour les autres. Le fond est décrit de la même façon que pour l’ensemble des classes fonctionnelles, c’est‑à‑dire que la division s’opère selon les trois sous‑catégories : rond, plat, creux. Enfin s’applique le code général du décor (fig. 19).
27Pour les récipients pourvus d’une anse, la lettre majuscule identifiant la classe fonctionnelle est suivie d’une apostrophe (ex. : C’XXXx).
28Une série de planches (pl. 71 à 75) réunit sous leur numéro de code les individus céramiques qui font l’objet d’une sériation.
Typologie des autres objets
29Les objets en terre cuite autres que les récipients (fusaïole, « nacelle », etc.) apparaissent en nombre très faible dans les ensembles clos, c’est pourquoi ils constituent de fait un type intrinsèque. Ils sont codés sous la forme d’une simple lettre ; la liste en sera donnée lors de la mise en œuvre. Par contre, une typologie s’impose pour les objets en métal ou obtenus à partir d’autres matières premières.
◼ Typologie des objets métalliques
30Comme on l’a vu en introduction à ce chapitre, on utilise la nomenclature établie par la Commission du Bronze de la Société préhistorique française. Mais tous les objets rencontrés pour le présent travail n’ont pas fait l’objet d’une publication. On trouve un classement pour les épées (Gaucher, Mohen 1972), pour les poignards et les pointes de lance (Briard, Mohen 1983), pour les haches et les herminettes (Briard, Verron 1976), pour les outils (Nicolardot, Gaucher 1975), pour les épingles (Audouze, Gaucher 1981). Pour le reste, les parures essentiellement, la typologie se révèle aisée à élaborer, car dans les ensembles où l’on en trouve plusieurs les types varient peu. Tous sont codés à l’aide de chiffres (liste jointe).
◼ Typologie des objets divers
31Ces objets, d’origine minérale pour la plupart, plus encore que les précédents, sont rares. On les soumet à la même procédure de codage. On postule leur faible représentativité chronologique, c’est pourquoi toute liaison qui reposerait exclusivement sur ces types serait considérée comme non pertinente.
Table des illustrations
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Légende | ● 11. Schéma d’élaboration de la typologie fonctionnelle. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/31975/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 26k |
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Légende | ● 12. 1. Histogramme des indices de volume — 2. Histogramme des indices d’ouverture — 3. Classe B : histogramme des diamètres à l’ouverture — 4. Classe B : histogramme du rapport diamètre de la base/diamètre à l’ouverture — 5. Histogramme du rapport : hauteur du rebord/hauteur de la partie supérieure de la panse. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/31975/img-2.jpg |
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Légende | ● 13. Mise en évidence des cinq classes fonctionnelles. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/31975/img-3.jpg |
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Légende | ● 14. Décomposition de la description des récipients. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/31975/img-4.jpg |
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Légende | ● 16. A. Description du rebord des récipients de classe A — B. Description de la base des récipients de classe B. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/31975/img-5.jpg |
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Légende | ● 17. Dendrogramme descriptif des récipients de classe A. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/31975/img-6.jpg |
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Légende | ● 18. Dendrogramme descriptif des récipients de classe B. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/31975/img-7.jpg |
Fichier | image/jpeg, 21k |
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Légende | ● 19. Dendrogramme descriptif des récipients de classes C, D et E. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/31975/img-8.jpg |
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© Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1986