La civilisation des Champs d’Urnes
|L’évolution de la recherche avant 1957
Texte intégral
Désaccord des fondateurs
1P. Reinecke, en 1906, voit dans des sépultures à incinération du sud de l’Allemagne des vestiges à détacher des civilisations du Bronze connues jusqu’alors. Il les classe dans l’époque de Hallstatt, à l’intérieur de laquelle ils représentent les deux premières étapes : Hallstatt A et Hallstatt B.
2Ce point de vue s’écarte des travaux d’O. Montelius, moins dans la chronologie et ses subdivisions que dans l’interprétation historico‑culturelle. P. Reinecke situe à la charnière de ses époques du Bronze et de Hallstatt un changement majeur. Les réactions de J. Déchelette sont, à cet égard, intéressantes : « […] les deux dernières subdivisions IV et V du système du savant suédois sont accoladées par M. Reinecke dans la série hallstattienne (ou premier âge du Fer) dont elles constituent selon lui la première phase. Il est certain qu’on trouve déjà du fer à cette période finale de l’âge du Bronze, mais ce métal est encore trop rare pour que sa présence nous oblige à modifier ici les classifications consacrées par l’usage » (Déchelette 1924 : II, 104, note 2). Pour lui, le Hallstatt A de P. Reinecke qui correspond typologiquement à son Bronze IV ne peut être dissocié de l’âge du Bronze ; il est vrai qu’il sous‑estime l’importance d’un ensemble de cimetières d’incinérations en urnes, lançant au passage l’expression malheureuse de « céramique lusacienne ». Ceci peut s’expliquer par la faiblesse de la documentation dont il dispose, cependant il n’est pas douteux que son parti pris évolutionniste y contribue ; la remarque suivante en témoigne clairement : « Il n’y a pas lieu de s’étonner qu’au temps où le classement de ces menus objets n’avait pas été opéré, nombre d’archéologues, tels qu’Alexandre Bertrand, aient confondu les sépultures de l’âge du Bronze avec celles de l’âge du Fer. Une méprise peut se produire ici d’autant plus aisément qu’on ne saurait relever aucune différence appréciable entre les rites funéraires de la fin de la première de ces deux périodes et ceux du commencement de la seconde. Les tertres factices abritant les dépouilles des morts, parfois inhumés, d’autres fois incinérés, se rencontrent à l’époque du Bronze comme à celle de Hallstatt et bien souvent, dans un groupe de tumulus, les deux époques sont représentées sans qu’aucune particularité de construction ne différencie les tertres d’âges différents » (Déchelette 1924 : II, 1, 150). Il ajoute : « Il n’est nullement nécessaire d’admettre quelque invasion étrangère pour expliquer l’apparition du nouveau métal en Gaule. […] Ce n’est point par des hypothèses d’ordre ethnographique, mais pour des considérations géographiques et économiques que s’explique sa large diffusion, du moins pour sa période initiale » (Déchelette 1924 : II, 548‑9). Signalons qu’il omet de discuter un postulat fondamental de son homologue allemand : le lien génétique entre la céramique du début de l’âge du Fer et celle de la fin de l’âge du Bronze.
3L’auteur du célèbre manuel poursuit la discussion des propositions de P. Reinecke par la critique de l’étape Hallstatt B de ce dernier qui, écrit‑il, « attribue une phase spéciale aux épées de bronze hallstattiennes, tout au moins à celles du type léger, d’où les quatre subdivisions : A = Br. IV ; B = épées de bronze hallstattiennes ; C = grandes épées de fer hallstattiennes ; D = poignards et glaives courts en fer à antennes » (Déchelette 1924 : II, 2, 621, note 1).
4Ces trois dernières phases correspondent à son époque de Hallstatt ; il s’en explique en ces termes : « Quelques chronologistes divisent en trois phases, au lieu de deux, l’époque de Hallstatt, classant l’épée de bronze à une période initiale qui précéderait l’épée de fer. Théoriquement, cette coupure semblerait justifiée, mais l’étude des mobiliers funéraires nous a montré qu’en France il serait impossible, dans l’état actuel de nos connaissances, d’attribuer en propre à cette période d’autres types que l’épée de bronze et sa bouterolle. En outre, à Hallstatt, comme l’a observé M. Hoernes, il n’y a pas de différence appréciable entre le contenu des tombes à épées de bronze et celui des tombes à grandes épées de fer » (Déchelette 1924 : II, 2, 623).
5En résumé, pour le problème qui nous occupe, deux conceptions s’affrontent au début du siècle. L’une, allemande, de type diffusionniste, pose une coupure nette au début de ce qui deviendra la période des « Champs d’Urnes » ; la transformation profonde du rite funéraire et du mobilier se synchroniserait avec la diffusion de la métallurgie du fer, sous l’impact de l’extérieur. L’autre, française, évolutionniste, situe le début du premier âge du Fer plus tard, grosso modo au Hallstatt B selon P. Reinecke.
Les aménagements ultérieurs
◼ La consécration du système de P. Reinecke
6Une évolution décisive se produit à la fin des années 20. G. Kraft puis V.G. von Merhart et ses étudiants imposent, à partir de 1927‑1928, le système de P. Reinecke et ses implications. Jusqu’à cette date, la terminologie était demeurée flottante parmi les auteurs allemands. Les étapes Hallstatt A et Hallstatt B sont dévolues clairement à une « civilisation des Champs d’Urnes » qui romprait nettement avec les cultures antérieures. Le schéma est perfectionné par la localisation d’une « phase préliminaire » dans le Bronze D de P. Reinecke ; c’est la « phase des nouveautés » (Schicht der Neubildungen) de V.G. von Merhart, ou la « période des civilisations étrangères » (Zeit der Fremdkulturen) de F. Holste. L’idée d’un vaste mouvement de peuples est développée par P. Bosch‑Gimpera et G. Kraft en 1928 dans un hommage à Kossinna. Elle est reprise dès lors par la plupart des auteurs et notamment en France par H. Hubert (Hubert 1932).
◼ Les subdivisions et les redéfinitions
7A partir de 1935, E. Vogt reconnaît deux étapes parmi les bronzes de la région des palafittes suisses. Ces sites de bord de lac se développent durant une phase évoluée du Hallstatt A de P. Reinecke ; ceci implique une division de cette période en trois : une phase prépalafittique, une phase ancienne et une phase récente des palafittes. Cependant, E. Vogt propose de redéfinir aussi le Hallstatt B dans le sens d’un vieillissement : la phase récente des palafittes constituant une première phase d’un nouveau Hallstatt B, et celui de P. Reinecke en devenant la seconde phase (fig. 4).
8Les étapes mises en évidence par E. Vogt reposent essentiellement sur les couteaux et les bracelets dont le décor et la forme tendent vers un enrichissement et une sophistication plus grande (style riche de la phase évoluée des palafittes). Le caractère précurseur de ces travaux trouve confirmation dans son anticipation d’une distinction spatiale opérée à partir de l’étude de la poterie (Vogt 1935, 1942). Cette partition est clairement démontrée par W. Kimmig qui propose les noms de groupe Rhin‑Suisse (Rheinisch‑Schweizerisch) et groupe du Main inférieur‑Souabe (Untermainisch‑Schwäbisch), L’auteur de cette importante synthèse adopte et précise les conclusions du savant suisse, mais évoque la difficulté de faire correspondre la division en deux phases de la période des palafittes fondée sur les produits métalliques avec les ensembles clos où ceux‑ci sont associés à de la céramique (Kimmig 1940). Il reste, a posteriori, étonnant qu’E. Vogt ait déplacé la limite entre Hallstatt A et Hallstatt B, car, malgré l’absence de systématisation claire de la nomenclature des périodisations, les lettres et chiffres reflètent une hiérarchisation des facteurs en évolution. La phase récente des palafittes lui est apparue plus proche du Hallstatt B de P. Reinecke que de la phase ancienne en raison de deux éléments principaux : la sophistication des formes et des décors des bronzes, et surtout l’apparition de la pratique consistant à enfouir des dépôts métalliques d’objets nombreux et aux fonctions très diversifiées, notamment des outils. Ainsi, avec ces éléments qui persistent durant le Hallstatt B de P. Reinecke, E. Vogt postule un changement profond d’ordre socio‑économique justifiant sa redéfinition. Il reviendra plus tard sur cette idée pour la corriger.
9Une réaction de G. Childe et C. Hawkes en 1948 n’a pas de suite ; ceux‑ci ambitionnent alors de substituer les appellations de Bronze E et Bronze F à celles de Hallstatt A et Hallstatt B, mais se heurtent à la spécificité que les chercheurs continentaux reconnaissent à l’entité « Champs d’Urnes ».
◼ Le réveil français
10En France après Déchelette, la recherche protohistorique sommeille quand, à partir de 1951, une série d’articles d’un spécialiste allemand, W. Kimmig, fait le point sur la question en rassemblant les documents disponibles. Cet « effet Kimmig » conditionne toujours beaucoup d’archéologues français ; il sonne certes le réveil, mais parallèlement exporte un modèle repris par la suite en bloc pendant près de trente ans. W. Kimmig y propose un système chronologique propre en quatre étapes : Champs d’Urnes I, II et III correspondant respectivement aux Bronze D, Hallstatt A/B1 et Hallstatt B2, et Champs d’Urnes IV pour une étape tardive se prolongeant dans le premier âge du Fer (Kimmig 1951, 1952 et 1954). L’influence directe de cette vision transparaît dans la publication de la nécropole d’Aulnay‑aux‑Planches (Brisson et Hatt 1953).
Table des illustrations
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Légende | ● 4. Tableau schématique des modifications proposées par E. Vogt. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/31965/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 13k |
© Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1986