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La prospection archéologique

 | 
Alain Ferdière
, 
Elisabeth Zadora-Rio

Discussion générale

Texte intégral

1A. Hesse : Dans les questions que Ferdière a posées, je sens poindre quelque chose qu’on attend depuis hier : est-ce qu’on va vraiment avoir des réponses ? Ce qui m’apparaît, au vu de toutes les discussions que nous avons eues, c’est que, par son esprit et ses méthodes, la prospection se différencie franchement de la fouille : la prospection est une méthode d’approche qui, on a pu s’en rendre compte, est extrêmement fluctuante, versatile, impossible à cerner, à tenir ; elle dispose d’un certain nombre de méthodes : chacune de ces méthodes peut être utilisée avec des modalités qui sont très variables ; on peut jouer sur de nombreux paramètres. Ce qui m’apparaît finalement, c’est que, le plus souvent, la prospection doit faire face à une situation ; cela peut être une situation politico-économique par exemple: la prospection d’un tracé de route qui va être détruit; cela peut être une situation purement scientifique: on se pose dans l’absolu le problème d’étudier la répartition de ceci ou cela sur tel territoire; il y a le problème des échelles qui a une incidence considérable sur les modes d’approche et la nature des résultats attendus. On peut avoir à faire face à des situations géographiques ou climatologiques extrêmement différentes : on s’est bien rendu compte qu’on commençait à diverger considérablement quand on a essayé de confronter aux exemples européens les expériences par exemple de la Tunisie ; il est évident que les approches ne sont pas les mêmes, non plus que les méthodes ; on peut ajouter à tout cela l’imagination du chercheur (cf. Gouletquer). Je crois finalement qu’il ne faut pas espérer arriver à une espèce de doctrine.

2W. Janssen : Nous parlons de prospection comme si ce mot avait le même sens pour chacun d’entre nous. Après avoir écouté les exposés présentés pendant ces deux jours, j’ai le sentiment que le terme de prospection est employé dans des sens très différents. On peut faire de la prospection dans le seul but de sélectionner un site à fouiller dans une région donnée. On peut aussi en faire sur un site étendu, par exemple un vicus romain, pour déterminer quelle a été son évolution. Nous avons fait ce type de prospection à Haithabu, d’ailleurs sans résultat, mais on peut imaginer qu’il soit possible de définir sur le terrain le noyau primitif d’un vicus romain, et ses extensions successives. On peut aussi rechercher exclusivement les sites d’habitat, et cela dans une zone très limitée, ou bien une vaste région. On peut également prospecter en s’intéressant non seulement aux sites d’habitat, mais à l’histoire de la mise en valeur du sol et rechercher les parcellaires fossiles, les pêcheries, etc. Nous devrions tout d’abord dresser une sorte de catalogue répondant à ces deux questions : la prospection pour quoi faire ? et à quelle échelle ? Des réponses à ces questions dépendront les méthodes utilisées, ainsi que la forme et l’échelle de la documentation. On peut utiliser un plan au 1/3 000 qui montre les limites parcellaires actuelles, ou bien des cartes au 1/25 000 ou au 1/100 000 ; tout dépend des objectifs.

3E. Zadora-Rio : Je crois que cela répond à l’intervention de Hesse, qui m’a plongée dans le désespoir, parce que ce qu’il disait était exactement l’inverse du but vers lequel on tendait, en constatant la variété extrême des prospections, de leurs objectifs et de leurs méthodes, et en souhaitant définir des niveaux cohérents mais qui soient différents et qui le restent ; tout le contraire donc d’une méthode standardisée.

4A. Hesse : Il faut trouver, pour chaque problème posé, la méthode la mieux adaptée ; il y a des situations qui ne sont pas comparables ; certes, il faut tenir compte des expériences antérieures, mais cette question de savoir ce qui est un site, ce qui n’est pas un site, est assez artificielle. En définitive, on doit bien savoir que, de toute façon, on n’aura pas tout ; on aura recueilli des traces, des vestiges, des objets, des sites — si vous voulez les appeler ainsi — et c’est tout cela qu’on doit mettre en forme.

5E. Zadora-Rio : La notion de site est complètement arbitraire de toute manière ; c’est le type même du faux problème ; il faut seulement préciser au départ le sens qu’on veut donner à ce mot en fonction de tel ou tel objectif : la définition peut ne pas être la même pour toutes les prospections.

6A. Hesse : Même dans le cours d’une prospection, la notion risque de ne plus être valable.

7A. Ferdière : Il est déjà important de discerner les faux problèmes. Ceci dit je veux rassurer.Hesse : quand j’ai fait cette liste de questions, il est bien évident que je n’avais pas dans l’idée d’arriver à des recettes. Bien au contraire, je pense personnellement qu’il en est de la prospection comme de la fouille archéologique : il y a autant de techniques de fouille possibles qu’il y a de sites archéologiques et de questions posées à ces sites archéologiques ; de même pour la prospection : il y a autant de techniques de prospection qu’il y a de régions, et de questions posées à ces régions.

8O. Buchsenschutz : Il faut bien voir que, en face d’une problématique, il y a une question immédiate, c’est l’échelle : elle est trop petite, elle est trop grande ou elle est correcte. Une prospection ratée est une prospection qui pose les problèmes à une mauvaise échelle. Dans les résultats d’une prospection, surtout s’il n’y a pas eu de problématique au départ, mais si elle est effectuée dans des conditions de sauvetage par exemple, il y aura des éléments qui seront insuffisants ou d’autres qui seront trop nombreux. Mais l’objectif qu’on a défini au départ sera atteint à une certaine échelle. Par exemple, l’expérience de la carte du Cher, qui est une prospection extrêmement rapide, nous a donné des réponses à des problèmes situés à une échelle précise, mais n’a rien donné ni en deçà, ni au-delà. Il y a une chose qui est absente des questions qu’on a soulevées, ce sont des données techniques au niveau de la cartographie. Il ne faut pas oublier que toutes ces prospections impliquent des contraintes graphiques et cartographiques.

9F. Verhaeghe : La discussion relève à la fois de deux thèmes : la base théorique de la prospection, et la définition de cette base théorique en fonction de ce qu’on veut faire de cette prospection.

10W. Janssen : En demandant : « la prospection, pour quoi faire ? », il ne faut pas perdre de vue un problème central : dans quelle mesure les résultats de la prospection, quelle que soit l’échelle choisie, sont-ils représentatifs ? Bien que nous fassions tous de la prospection, il n’est guère envisageable que la totalité de l’Europe soit prospectée un jour. Nous devons raisonner à partir d’échantillons représentatifs. Le problème est donc de déterminer l’étendue des zones à prospecter, et de définir les critères de comparaison. Dans quelles conditions est-il possible d’établir des comparaisons entre deux régions ? Nous pourrions en discuter.

11F. Verhaeghe : Il faudrait établir une liste de toutes les variables possibles dans toute l’Europe à différentes époques. Cela représenterait une tâche énorme mais très importante et permettrait de formuler les bases d’une approche théorique des possibilités de comparaison d’une région à l’autre.

12W. Janssen : Je suis tout à fait d’accord avec vous. Il s’agit de savoir ce qu’on compare : est-ce qu’on compare une région avec une autre, ou la densité du peuplement dans une zone avec celle que l’on observe ailleurs ?

13F. Verhaeghe : Nous envisageons ici deux problèmes : une définition des genres de prospection en fonction de leurs buts et le problème des comparaisons possibles.

14J. Collis : Je voudrais revenir sur les objectifs de la prospection, car je pense qu’ils changent très rapidement. Les premières grandes prospections ont été l’œuvre de gens tels que Ward-Perkins, et je me suis souvent demandé quelles étaient alors leurs motivations. Je doute qu’ils aient cherché à répondre à des questions. Actuellement, nous sommes dans une situation différente, car nous voulons résoudre des problèmes théoriques. Mills a évoqué les questions que nous nous posons dans notre recherche en Auvergne, où nous avons des objectifs très précis. Nous étudions principalement les processus d’urbanisation entre le ier s. avant et le ier s. de notre ère. Nous observons différents types d’urbanisation et chacun d’eux a eu un impact différent sur le peuplement rural. L’oppidum fortifié apparaît de façon soudaine. D’où viennent ces gens ? Qu’arrive-t-il aux habitats ouverts ? Furent-ils abandonnés ? Leur statut social, ou leur statut économique, a-t-il changé ? Voici les questions précises auxquelles nous cherchons à répondre, et qui exigent un type particulier de procédure d’échantillonnage.

15W. Janssen : On peut distinguer deux types de prospection. L’un est fait du point de vue, disons, de la Sous-direction de l’Archéologie, par ceux qui sont chargés de la gestion des sites et qui cherchent à sauver le maximum d’informations de la destruction. Ils disposent généralement d’un temps très limité et ils ne peuvent savoir quelles sont les questions auxquelles seront soumises les données qu’ils enregistrent. L’autre type de prospection est fait en fonction non d’une menace de destruction, mais d’une problématique scientifique. C’est une différence fondamentale.

16F. Verhaeghe : Je voudrais souligner le fait que la notion de site menacé est très élastique : beaucoup de sites qui ne semblent pas menacés actuellement le seront bientôt, non seulement en raison des travaux de construction mais aussi des activités agricoles. En ce qui concerne le premier type de prospection, destiné à inventorier le patrimoine archéologique, je voudrais ajouter une remarque méthodologique : l’un des rapports publiés par le Department of the Environment montre que toute prospection de ce type est en partie faussée par son caractère subjectif : des personnes différentes auront chacune tendance à orienter la prospection vers les domaines qui les intéressent plus particulièrement.

17E. Zadora-Rio : Je crois qu’on retombe dans le problème de toutes les banques de données : est-ce qu’une prospection faite tous azimuts peut être utilisée ensuite à des fins de recherches particulières ?

18A. Ferdière : Je vais continuer la comparaison que je faisais tout à l’heure entre la fouille et la prospection : on a vu apparaître, dans les années 60-70, en tout cas en France, une certaine école d’archéologues qui prétendait effectuer des fouilles exhaustives ou du moins y tendre. Je crois que c’est une aberration et qu’il en est de même pour la prospection. Il serait extrêmement dangereux de croire qu’une prospection peut être exhaustive, et ceci même quand elle est faite dans un but de gestion apparemment impartial, parce qu’elle est entachée de toute façon par un certain nombre d’a priori liés par exemple à l’état des connaissances historiques ou des techniques mises en œuvre, de même que pour la fouille archéologique.

19F. Verhaeghe : En outre, il ne faut pas oublier que l’expérience de l’archéologie aérienne a démontré qu’il faut survoler un terrain à de nombreuses reprises, dans des circonstances différentes. On ne connaît pas la limite. En fait je crois que pour la prospection au sol c’est exactement la même chose. Elle est même beaucoup plus complexe, parce qu’il y a un nombre considérable d’éléments du paysage dont il faut tenir compte, même si l’on part d’un point de vue de recherche sur un problème bien circonscrit. En effet, une prospection totale, ce serait magnifique, mais est-ce faisable ?

20E. Zadora-Rio : Qu’est-ce que tu appelles une prospection totale ?

21F. Verhaeghe : Eh bien, ce serait une prospection dans laquelle on tiendrait compte de tous les éléments, d’un listing absolument complet de toutes les traces d’activités et d’interventions humaines dans le passé ancien ou récent. Cela semble impossible.

22E. Zadora-Rio : C’est impossible non seulement en pratique, mais aussi en théorie. On sélectionne nécessairement.

23O. Buchsenschutz : Un autre point technique : on n’a pas parlé de prospection aérienne et je comprends qu’il fallait se limiter, mais il me paraît impossible de l’éluder complètement : la carte de la végétation se fait sur la base des photographies aériennes verticales, de même que les cartes géologiques et pédologiques. Les gens vont sur le terrain avec les photographies dans les mains. J’ai vu beaucoup d’expériences présentées hier matin et aujourd’hui montrant que les gens travaillent avec des photographies aériennes ; c’est un outil absolument indispensable. On n’utilise pas assez les couvertures verticales. Il y a des raisons économiques à cela, bien que la photographie aérienne soit à mon sens aussi utile que le cadastre. On a des photographes aériens très capables en France, mais qui en sont au stade des balbutiements. Après les missions systématiques qui ont été faites sur le Cher, on doit pouvoir résoudre les trois quarts des problèmes des limites de parcelles dans les zones non labourées. Il y a là un travail énorme à faire et un sous-équipement technique.

24A. Tabbagh : Un petit point d’information au sujet des photographies aériennes : en France, on dispose des photographies de l’I.G.N., donc de nombreuses missions, mais il y en a beaucoup d’autres. En particulier, tous les auteurs de grands aménagements et de grands travaux font faire leurs propres photographies aériennes ; une décision intéressante à connaître a été prise en France : l’administration a décidé de tenir un registre de l’ensemble des clichés aériens verticaux faits sur chaque département ; ce registre est déposé au Service départemental du cadastre. Je signale donc, pour tous ceux qui travaillent en France, que, par le Service départemental du cadastre, on peut connaître l’ensemble des missions de photographies aériennes verticales réalisées sur le département. C’est d’autant plus intéressant qu’il y en a beaucoup qui ont été faites à plus basse altitude que celles de l’I.G.N., et au cours de l’hiver.

25A. Ferdière : Sur ce problème de la prospection aérienne et de l’exploitation systématique des couvertures verticales je ne prétends pas que ce que je vais dire est valable pour toutes les régions. Mais, aussi bien pour les expériences faites en Beauce (à Lion-en-Beauce) que pour celles faites sur l’autoroute, et en ce qui concerne tant l’archéologie du parcellaire, l’archéologie du paysage, que les sites archéologiques eux-mêmes, le nombre d’informations recueillies par ces méthodes est infime par rapport à celui des informations apportées par les autres techniques et notamment par la prospection au sol.

26O. Buchsenschutz : C’est un problème d’échelle, c’est tout. La prospection de Lion-en-Beauce et celle de l’autoroute sont remarquables, mais si on veut aller plus loin, c’est par les photographies aériennes qu’on arrivera à voir si ce que vous avez découvert à Lion-en-Beauce correspond à certains schémas de parcellaires superposés qu’on trouvera ailleurs. L’échantillonnage, pour passer à une échelle plus importante et à des questions historiques plus vastes que l’histoire de Lion-en-Beauce, dépendra de la photographie aérienne.

27J.-M. Couderc : Dans le sens de ce que disait Buchsenschutz, j’ai eu l’occasion de travailler sur les différentes missions aériennes en Indre-et-Loire ; la consultation des couvertures au 1/20 000 ou 1/25 000 et 1/30 000 m’a donné, après de longues heures de travail, six indices possibles de sites que je n’ai pas encore d’ailleurs confirmés ou infirmés, et ceci après l’examen à la loupe, parce que l’échelle n’est pas bonne. Mais je suis tombé, pour deux communes, sur des photographies aériennes qui ont été très agrandies par l’I.G.N. à la demande d’un service fiscal, pour une enquête agricole de la D.D.A. : sur ces deux communes, j’ai alors trouvé douze sites, qu’il reste à examiner au sol, mais douze sites en tout cas : vous voyez ce que peut apporter la différence d’échelle sur les couvertures que nous avons.

28F. Verhaeghe : Je crois qu’il faut clore les interventions sur les photographies aériennes parce que, sinon, on va commencer à discuter de chaque type de source qu’on peut utiliser pour détecter des sites ; ce qui est bien sûr étroitement lié à la prospection mais ce n’est pas toute la prospection.

29T. Potter : Il faut mentionner un document très précieux pour les prospections, les cartes et inventaires archéologiques ; pour l’Angleterre, pratiquement la totalité du territoire est couverte par l’Ordnance Survey, qui a enregistré tous les sites archéologiques connus.

30J. Collis : Ces cartes archéologiques ne sont pas très utiles à grande échelle, sur un petit territoire.

31F. Bange : Un problème d’échelle se pose : les photographies prises par l’I.G.N. sont relativement mal adaptées à la recherche des sites, encore qu’on puisse en trouver. Par contre, les couvertures à axe vertical sont un outil de travail primordial pour l’analyse des paysages; c’est à partir du moment où on sort du site et qu’on cherche à raisonner en termes de terroir, de formation, de genèse du terroir — en particulier pour les terroirs médiévaux — que la photographie à axe vertical est un outil absolument indispensable, d’une part parce qu’on peut y lire des limites parcellaires fossiles (sans recourir à des méthodes extrêmement sophistiquées, ou coûteuses, comme celle de la thermographie) sur de simples clichés infra-rouges fournis par l’I.G.N., on peut repérer des parcellaires fossiles. D’autre part ces photographies aériennes nous donnent un état actuel du paysage sur lequel on peut beaucoup plus facilement travailler qu’à partir du cadastre, pour une simple raison d’échelle : sur une photographie aérienne à axe vertical, on a tout un terroir dans un cadre relativement restreint, alors que, s’il faut utiliser le cadastre, on se retrouve très vite avec des plans gigantesques. On peut donc partir du paysage actuel, pour remonter, par des méthodes régressives, par des méthodes qui restent à mettre au point, les strates successives en direction des paysages passés.

32E. Zadora-Rio : Une question que j’aimerais poser, tout particulièrement aux médiévistes, est celle de la hiérarchisation des sites. Est-ce qu’on peut hiérarchiser des sites à partir des données de la prospection ? On a eu deux communications, celles de Celuzza et de Potter, qui proposaient une hiérarchie des villae, à partir de leurs dimensions, et à partir des trouvailles au sol. Pour le Moyen Age, nous ne faisons jamais ce genre de chose ; par exemple, si on essayait de hiérarchiser les châteaux à partir de leurs structures, on aboutirait à des résultats totalement faux ; on le sait, parce que les sources écrites nous le montrent. Je me demande alors pour quelles raisons les archéologues de l’Antiquité pensent qu’il en va différemment de leur période ; à quoi correspond la hiérarchie des villae que vous faites?

33J. Collis : Je ne sais pas exactement quelle est la base de cette hiérarchisation ; mais il faut dire qu’il est absolument nécessaire de constituer des hiérarchies parce qu’il faut avoir une hypothèse, pour essayer de tester sa validité.

34E Zadora-Rio : Mais lorqu’on essaie d’établir de telles hiérarchies à partir des vestiges de surface pour le Moyen Age, on a le sentiment que cela ne correspond strictement à rien du point de vue historique.

35F. Verhaeghe : Je crois qu’on ne peut utiliser en fait qu’un tout petit nombre de critères pour faire cette hiérarchisation ; j’ai la nette impression que, dans le cas de la plupart de ces critères, on se met en fait tout de suite au niveau de l’interprétation. Je dois dire que, dans le cas de la Flandre Occidentale, notamment de la région de Fumes, j’ai pu constater à maintes reprises que ni le matériel de surface, ni l’étendue, ni la hauteur, ni l’importance des fossés, etc., ne donnaient d’indication fiable sur le statut du site, parce que le statut est une interprétation, même avec la fouille, assez difficile à faire. Il faut une documentation beaucoup plus poussée, généralement écrite. La chose est vraie pour le matériel de surface, parce qu’on a tendance à se dire ceci : une céramique d’un certain type semble indiquer un site riche, c’est donc un propriétaire riche, c’est donc quelqu’un de haut placé... Mais il y a là des présomptions dangereuses.

36S. Ben Baaziz : Pour travailler sur ma région, j’ai été obligé de faire une hiérarchisation des sites, fondée par exemple sur le nombre d’hectares : un site, à partir de 30 ha est forcément une ville ; si on a de la chance, on peut trouver des textes donnant la trace d’un statut municipal ; il y a alors des éléments de hiérarchisation assez sûrs. Pour les fermes ou pour les petits sites, on ne commence pas par la hiérarchie mais on la fait lorsqu’on a terminé toute la prospection ; on établit des groupes. Si par exemple, sur un petit site de quelques dizaines de mètres de côté, on trouve des éléments d’architecture assez spectaculaires, ou des traces d’une nécropole locale, des stèles funéraires, on classe ce site parmi les fermes importantes. Il est certain que cette base n’est pas strictement scientifique.

37J.-M. Dentzer : Pour l’Antiquité, si on établissait une relation simple entre dimension et puissance, ce serait un peu caricatural ; mais on a parfois la possibilité de vérifier par les textes ; il y a un texte de Vitruve, très important pour l’habitat, qui en explique les différents types et les met en relation avec une fonction sociale tout à fait précise. Il dit qu’il y a une hiérarchie dans le luxe, mais aussi une hiérarchie dans les fonctions. Par exemple un banquier, qui peut être riche, n’a pas nécessairement autant besoin d’une maison très vaste qu’un homme politique, qui doit avoir un endroit destiné à recevoir ses clients. Je crois donc qu’on n’extrapole pas d’une façon excessive en considérant que les programmes d’habitat correspondent, au moins à un moment de leur existence, à une fonction sociale donnée. On a suffisamment de données, de correspondances dans des textes, ou même d’inscriptions dans certains cas, qui peuvent le confirmer.

38G. Fournier : Pour le Moyen Age, j’ai l’impression qu’une hiérarchisation de ce genre ne donnerait rien. Si on faisait une hiérarchisation à partir de la documentation que nous possédons, je crois que les deux schémas ne se superposeraient pas.

39F. Verhaeghe : J’irai même plus loin : dans bon nombre de cas, mon expérience est qu’ils se contredisent.

40J.-M. Dentzer : C’est-à-dire que vous avez beaucoup plus de documents pour pouvoir juger.

41F. Verhaeghe : Vous utilisez Vitruve ; est-ce qu’il est représentatif ?

42J.-M. Dentzer : Cela concorde à peu près, pour la période, en Italie Centrale...

43F. Verhaeghe : Est-ce que cela concorde pour d’autres régions ?

44A. Ferdière : Cela ne concorde pas pour la Gaule du Nord...

45M.-G. Celuzza : Je pense qu’il n’est pas possible d’établir une typologie à partir des seules dimensions, mais qu’il faut considérer en outre l’implantation, la chronologie et d’autres critères. La typologie est la seule base qui nous permette de faire des comparaisons entre des régions différentes. Dans l’Ager Faliscus, nous avions des villae très petites en comparaison de celles de l’Ager Cosanus, mais leur fundus était à peu près équivalent. L’implantation joue un rôle très important dans la typologie établie par Mills à Luni. La valeur de sa classification tient au fait qu’elle repose à la fois sur des critères de localisation, de dimension et de datation.

46E. Zadora-Rio : Je ne doute pas de l’intérêt de la typologie, mais je voudrais savoir quelle interprétation vous lui donnez. Vos différentes classes de villae correspondent-elles à des types de structures foncières, de pouvoir ou de statut social, ou bien ont-elles un caractère purement morphologique ?

47M.-G. Celuzza : Le concept de hiérarchie ne me paraît pas central, mais il représente une interprétation de la typologie. Il en est de même dans les études sur la céramique où une base typologique systématique est indispensable pour étudier la commercialisation et, de façon plus générale, l’économie. La base d’une typologie est nécessairement morphologique. Des subdivisions ultérieures en fonction de nouveaux critères peuvent aboutir à un degré d’élaboration tel que les différents types peuvent correspondre — c’est le cas des fermes et des villae de l’Ager Cosanus — à des différences dans l’exploitation du sol et la destination commerciale des produits, qui peuvent s’interpréter en termes hiérarchiques.

48E. Zadora-Rio : L’ennui, c’est que pour l’époque médiévale, où on a des textes, on ne parvient presque jamais à faire coïncider les hiérarchies des sites établies à partir des données archéologiques avec les renseignements donnés par les sources écrites.

49J. Collis : Il y a des hiérarchies de types différents. On peut rechercher des hiérarchies de type purement économique, en laissant de côté le problème du pouvoir, ou encore classer par ordre d’importance les concentrations de population. On peut également dire : voilà un grand site, où vivait un grand nombre de personnes, et en conclure que nous avons affaire, sur ce site, à un type de société plus complexe que sur tel autre. Cela ne rend pas nécessairement compte de la question du pouvoir qui est une chose dont nous, préhistoriens, pouvons rarement parler.

50W. Janssen : Nous devrions reconnaître que les données de la prospection ne permettent guère d’établir des hiérarchies comme celles dont vous parlez. Nous devrions nous limiter à dire : voici un endroit où j’ai trouvé quelques tessons, en voici un autre où il y en avait des milliers. L’un est petit, l’autre est énorme. A partir de la prospection, nous ne pouvons rien dire de plus. Nous ne pouvons en aucune manière interpréter ces faits en termes d’histoire économique ou sociale, ou même en termes de fonction. Dans certains cas, on pourra dire qu’il y avait une activité métallurgique, en raison de la présence de scories sur le site, mais le plus souvent, on n’a aucune indication de fonction. Pourquoi aurions-nous besoin d’une hiérarchie de sites ?

51F. Verhaeghe : Je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous. Vous avez raison en ce qui concerne le travail sur le terrain, mais pour les périodes historiques, il est possible d’identifier les sites grâce aux sources écrites et donc d’en proposer une interprétation fondée sur des données autres que celles de la prospection.

52W. Janssen : Dans plus de 99% des cas, nous n’avons pas de sources écrites. Dans une situation comme celle que Ben Baaziz a décrite en Tunisie, on peut à la rigueur déterminer la fonction de sites dont on voit encore des structures en élévation, mais notre cas en Europe est tout différent la plupart du temps.

53J. Collis : Puis-je dire que je suis totalement en désaccord ?

54P. Fasham : Je serais assez de l’avis de Collis. Pour reprendre l’exemple des deux sites de Janssen, si nous nous contentons d’enregistrer leurs coordonnées, nous saurons seulement qu’il y a un assemblage important de tessons en un point et un petit ailleurs. Par contre, si on prend un échantillon au hasard des données et si on analyse les proportions relatives de céramique de luxe, de poterie commune, de scories, etc., on a des chances non seulement d’avoir des points sur une carte, mais encore de parvenir à expliquer les relations entre les sites, de reconstituer leur hiérarchisation, et je pense que c’est là en grande partie la raison d’être de toute prospection, quels que soient ses objectifs de départ.

55T. Porter : Il y a des régions où les sites sont encore très bien conservés et où on peut tirer un grand nombre d’informations de leur examen externe. Nous en avons vu en Tunisie, mais il y en a aussi dans certaines régions d’Italie, où on trouve un grand nombre de sites de l’Age du Fer et du Moyen Age conservés en élévation, et où on peut voir à la surface du sol des indicateurs d’activités économiques tels que les pressoirs à huile ou à vin. Il n’existe plus rien de semblable dans le sud de l’Etrurie où nous avons travaillé, et dans les Fenlands, en Angleterre, beaucoup de sites ont été complètement effacés par les labours durant les vingt dernières années.

56A. Hesse : Je me demande si ce n’est pas simplement le mot de hiérarchie qui pose problème, et si finalement on ne cherche pas plus ou moins à classifier les observations. Le mot de hiérarchie est porteur de tout un contexte de jugements à caractère socio-culturel, qualitatif ou esthétique, etc. Il faut en rester aux faits, mais ils ne sont pas en eux-mêmes qualifiables en termes de valeur, bien qu’il soit possible cependant de les comparer entre eux. Je vais ramener cela à l’expérience que nous avons sur les prospections de petite envergure : quand on nous demande de faire une prospection à l’échelle d’un site (prospection électrique, magnétique ou autre), on nous dit: « faites donc des mesures électriques et vous allez ainsi nous dire si les vestiges qui sont enfouis méritent d’être fouillés». Mais je ne suis pas capable de classifier, de hiérarchiser la qualité des vestiges en fonction de la réponse électrique; je n’ai que des résistivités; des résistivités à 150 ohm/m ou à 25 ohm/m ; l’une n’est pas plus belle que l’autre. C’est peut-être là que le mot hiérarchie est ambigu.

57F. Verhaeghe : Je commence à avoir de plus en plus nettement l’impression qu’il y a une confusion entre les termes de « hiérarchisation » et de « typologie morphologique », ce qui n’est évidemment pas la même chose. Par ailleurs, si c’est une typologie, c’est une typologie très « hiérarchisante » qui est utilisée par nos amis qui travaillent notamment en Italie.

58N. Mills: Quand on fait une prospection, on classe les sites à partir d’une typologie, qui aboutit en fait à une sorte de hiérarchie; cette hiérarchie peut se fonder par exemple sur l’étendue ou le matériel découvert. Il est parfois possible de faire la même opération à partir d’informations historiques et de voir s’il y a recoupement ou contradiction entre les deux hiérarchies, celle fondée sur les données du terrain et celle fondée sur les données historiques.

59A. Ferdière : Un autre thème que nous avons prévu de traiter va peut-être nous faire revenir sur terre ; il faudrait parler quand même un peu de la « cuisine » de la prospection. Entre autres, se pose le problème de la prospection en milieu non labouré. Quelles sont les techniques appropriées, celles qui le sont moins, etc. ? On a évoqué à différentes reprises la possibilité d’effectuer, comme nous l’avons fait tous les vingt mètres, sur le tracé de l’autoroute, des carottages systématiques : quand on trouve des points positifs, on cherche à délimiter autour une zone positive. Il y a aussi la possibilité de dosages de phosphate systématiques ; alors que, souvent, le dosage de phosphate est utilisé pour délimiter des sites déjà connus, peut-on l’utiliser pour la recherche de sites archéologiques ? La prospection à vue dans les prés et dans les bois n’apporte en général que des éléments sur les structures de terre, les micro-reliefs, etc. Faut-il ne pas prospecter dans les prés ou dans les bois ? Je ne pense pas personnellement que ce soit souhaitable.

60E. Zadora-Rio : Pour les médiévistes, ce serait fâcheux : la grande majorité des sites médiévaux repérés se trouvent précisément dans des prés ou dans des bois.

61F. Verhaeghe : En tout cas, c’est le cas pour la plaine maritime flamande, où à peu près 65 % des terrains sont des prés, et à peu près 80 % des sites repérés se trouvent dans ces prés.

62E. Zadora-Rio : Il est d’ailleurs assez troublant de voir que la répartition des vestiges médiévaux sur les cartes archéologiques correspond exactement aux zones de prés et de bois et que, par contre, les sites gallo-romains correspondent aux zones de labour.

63F. Verhaeghe : Il peut y avoir différentes explications à ce phénomène, mais je ne sais pas si on doit en discuter, parce que c’est un problème d’interprétation, non un problème technique.

64A. Hesse : En ce qui concerne les méthodes utilisables dans les bois, il est évident qu’il n’y a pas de critère spécifique : la seule limitation technique est celle des difficultés de mouvement des opérateurs et de leur matériel ; les méthodes géophysiques ne sont pas utilisables sur des espaces où le milieu est impénétrable.

65F. Cameron : J’ai des problèmes particuliers dans la région où je fais des prospections, en Provence ; sur les collines, il y a des bois impénétrables ; dans la plaine, à peu près 80 % des champs sont en vignes. Il y a beaucoup d’activités pendant toute l’année, qui font que les vestiges de surface sont très fragmentés et très abîmés ; il est alors très difficile de les identifier. Les destructions par les arrachages de vignes, les labours profonds, les épierrages, sont très importantes.

66A. Ferdière : Les carottages qu’on a expérimentés dans les bois de manière systématique ont donné de bons résultats. Le fait d’opérer, tous les 20 mètres, sur le tracé de l’autoroute, des sondages à la tarière nous a permis de déceler un certain nombre de sites sûrs ; quand un point positif est fourni par la carotte de terre, un indice d’origine humaine, comme un charbon de bois ou un fragment de terre cuite, sous la couche de surface, on effectue tout autour d’autres sondages, jusqu’à ce qu’on ait des sondages négatifs permettant de délimiter le site, comme on le fait dans les terrains labourés par les concentrations de tessons. La question qu’on peut se poser est de savoir dans quelle mesure ce qu’on trouve dans les bois avec cette méthode est quantitativement comparable, à surface égale, avec ce qu’on trouve en terrain labouré.

67Y. Rialland : On s’est aperçu que la méthode des dosages de phosphate était très aléatoire : c’est-à-dire que des tests de phosphate positifs peuvent apparaître simplement à cause de la nature pédologique du terrain. Il y a de plus des risques de pollution très importants (il faut toujours avoir les mains propres) et des conditions d’utilisation très strictes ; c’est très lourd à mettre en œuvre. Je pense que sur des terrains de prospection comme l’autoroute, ce sont des méthodes qui sont trop longues à mettre en œuvre. Dans 80 % des cas, si le sondage est positif, on n’est pas sûr qu’il s’agisse d’un site archéologique ; comme, de toute manière, il faut un carottage pour prélever la terre, je me demande si vraiment les dosages de phosphate sont utiles sur des prospections de recherche de site.

68A. Ferdière : Je voudrais préciser qu’on a utilisé un test très simple qui donne la réponse « oui » ou « non », sans aucune quantification du phosphate : c’est une technique de prospection rapide qui a été mise au point par Eidt aux U.S.A., pour la recherche des sites indiens, donc pour une prospection extensive.

69E. Zadora-Rio : Comment procédez-vous pour définir le site par carottage ? Par exemple, est-ce qu’il faut que tous les carottages soient positifs le long d’un axe?

70A. Ferdière : Il faut entrer dans les détails techniques : on opère avec une tarière, de 20 en 20 centimètres, sur un diamètre de 5 centimètres. On descend à la main cette tarière dans le sol, négligeant systématiquement ce qu’on peut trouver dans la couche de surface, que ce soit une couche arable (même sous les prés, qui sont très souvent rénovés par les labours), ou la couche d’humus forestier dans les bois (voire une couche arable si ces bois ont repoussé sur d’anciens champs). On néglige les objets trouvés dans cette couche de surface, parce qu’ils sont assimilables aux objets trouvés loin des sites en terrains labourés, apportés avec des fumiers. Une fois dépassée cette couche de surface, on a en principe la roche-mère. Si, au contact des deux, on trouve des indices — parfois très fugaces d’ailleurs — de présence d’activité humaine, on considère que le sondage est positif. Ces indices sont parfois simplement un microscopique charbon de bois, un petit fragment de terre cuite, mais cela nous suffit pour considérer que le sondage est positif ; cela ne veut pas dire qu’il y a un site; on considère simplement que le sondage est positif, et on effectue alors autour de ce sondage un, deux ou trois sondages de contrôle ; s’ils sont eux aussi positifs, on pense qu’on peut avoir affaire à un site, sans l’affirmer encore; on effectue alors un quadrillage de sondages ou du moins des sondages en croix dans différentes directions jusqu’à ce que, à nouveau, on ait des sondages négatifs. Il est alors possible de faire passer, entre ces sondages positifs et négatifs, une ligne de délimitation du site présumé. C’est évidemment approximatif, mais pas plus que la délimitation de sites par les concentrations de surface, en prospection sur terrain labouré.

71E. Zadora-Rio : Est-ce que vous vous arrêtez au premier-sondage négatif ?

72A. Ferdière : Oui, en général. Sur de très grands sites, il y a parfois effectivement un sondage négatif en plein milieu du site, par exemple, dans une cour, etc., mais on le voit à ce moment-là, par les autres sondages alentours.

73F. Verhaeghe : De quel type de sonde s’agit-il ?

74A. Ferdière : C’est une petite tarière à main.

75F. Verhaeghe : Nous avons eu beaucoup d’ennuis avec ce genre de système. S’il s’agit d’une couche d’occupation bien nette et bien tassée, avec beaucoup d’indices anthropiques, on peut lui faire une confiance relative. Mais vous parlez d’indices vraiment infimes ; que faites-vous des animaux fouisseurs, des racines, etc., perturbations qu’on ne peut presque jamais détecter à l’aide d’une telle méthode ?

76A. Ferdière : On s’est effectivement posé la question : il est évident qu’un tout petit charbon de bois, un tout petit fragment de terre cuite peut même tomber dans un trou de ver de terre et se trouver à une grande profondeur ; mais ces indices infimes nous permettent seulement de dire que le sondage est positif. On n’affirme pas à ce moment-là qu’on a affaire à un site. On affirme qu’il y a un site à partir du moment où l’on a un certain nombre de sondages positifs dans une surface délimitée et bordée par des sondages négatifs. Il est peu probable que des vers de terre poussent la malignité jusqu’à rassembler des charbons de bois sur une surface délimitée.

77Ch. Arcelin-Pradelle : Est-ce que vous avez connaissance d’un travail qui a été fait à la Faculté des Sciences de Marseille par un chercheur en sciences naturelles qui étudie les charbons de bois dans les couches géologiques antérieures à l’apparition de l’homme ? Il peut être gênant de n’avoir que des charbons comme indice.

78A. Ferdière : Bien sûr, mais on n’utilise pas ce seul indice...

79A. Hesse : Il s’agit de la prospection sur un axe autoroutier : on cherche donc à repérer des sites qui sont éventuellement à protéger et à étudier ; les carottages à la tarière ne sont qu’un premier indice. Il faut essayer de voir s’il y a une hiérarchie des observations : c’est-à-dire un indice minimum à partir duquel il faut se poser la question de savoir s’il y a là quelque chose à étudier. J’ai été assez impressionné par les résultats obtenus. Ferdière m’a demandé de venir contrôler un certain nombre de zones qu’on pouvait considérer comme sites, dans la mesure où il y avait eu plusieurs sondages positifs ; ce contrôle géophysique était destiné à donner une délimitation et une identification plus complètes. Ferdière avait établi, sur la base de ces carottages, une classification, et notamment s’intéressait à ceux qui avaient donné des traces d’activité métallurgique, ce qu’on appelle des « terriers », indiqués par la présence de « laitier » et de scories. On a exploré quatre sites ; l’un était très évident, car il y avait des indices très nets de surface, mais trois étaient absolument invisibles. Ils avaient été classés comme « terriers » possibles. Le contrôle des trois sites par la prospection électro-magnétique nous a permis de perfectionner la classification, de reconnaître qu’il s’agissait très certainement de sites, ou au moins de structures existant dans le sous-sol ; sur les trois, deux étaient sûrs, et l’autre suspect, c’est-à-dire qu’il ne répondait pas de la même manière que les deux autres et n’était probablement pas un terrier.

80Y. Rialland : L’utilisation de la tarière a aussi un autre intérêt : sur les sites déjà repérés dans les champs labourés, par prospection à vue, on peut faire une première reconnaissance en carottage, pour voir s’il y a une couche archéologique préservée, et même, par des carottages en croix ou en quadrillage, on peut établir des profils. Sur un site de ce type, on a pu voir que certaines parties étaient préservées, qu’il y avait une couche archéologique importante, et d’autres parties, où le matériel de surface était très abondant, étaient complètement érodées. Ce type de reconnaissance est une application intéressante des carottages.

Exemple schématique de repérage d’un « site » potentiel par carottage. L’ordre normal des sondages est figuré par des lettres (A à G) dans l’axe de l’autoroute (sens figuré par la flèche), tous les 20 mètres. A partir du premier sondage « positif » [C = 1), des sondages complémentaires sont effectués, dans l’ordre indiqué par des chiffres (1 à 18), sur l’axe d’origine, puis sur un axe perpendiculaire (tirets), par exemple ici tous les 5 m. Les sondages négatifs sont figurés par des croix, ceux positifs par des points noirs. La zone en pointillés, limité par un tireté, figure les limites du site potentiel.

dessin : A. Ferdière

81F. Verhaeghe : Comment déterminez-vous l’emplacement où vous commencez à faire des carottages ?

82A. Ferdière : C’est simple, c’est l’axe de l’autoroute !

83F. Verhaeghe : Mais vous ne faites pas des carottages sur toute cette autoroute ?

84A. Ferdière : Non. On a une bande d’étude de 300 m. Au milieu de cette bande de 300 m, il y a l’axe théorique où devrait passer l’autoroute. Comme on ne peut pas couvrir toute la bande de 300 m, on a décidé arbitrairement qu’on allait suivre l’axe, en faisant un sondage tous les 20 m. On ne repère donc que les sites éventuels qui sont sur cet axe. Ces sites potentiels sont ensuite contrôlés par sondage, mais il peut y en avoir d’autres non repérés sur la bande de 300 m.

85F. Verhaeghe : Pour la prospection dans les bois, on peut conseiller d’utiliser ce système de carottage, mais c’est assez arbitraire. En fait, quand il s’agit de sites non repérables en surface, il est difficile de faire des carottages sur une surface étendue.

86A. Ferdière : On peut envisager un système de quadrillage, avec un sondage tous les 10 m, un sondage tous les 20 m si on a deux fois moins de temps, ou tous les 40 m si on a quatre fois moins de temps... Il s’agit dans tous les cas d’un échantillonnage.

87P. Fasham : Je suggère personnellement qu’avant d’effectuer une prospection en milieu forestier, il soit fait, si les conditions géologiques sont favorables, une étude géophysique et géochimique. J’ai essayé d’utiliser les analyses de phosphates comme indicateurs d’occupation humaine, mais l’interprétation des résultats est si sujette à caution que j’ai abandonné cette méthode.

88A. Ferdière : Pour conclure, ce qui est certain, c’est que la prospection a maintenant le vent en poupe en France comme en Belgique et en Suisse ; on peut espérer parvenir à un niveau où on pourra discuter sur un plan plus égal avec nos collègues allemands, néerlandais ou anglais, qui ont des expériences plus anciennes. Il s’agit ici d’un premier contact. Il est évident qu’on est loin d’avoir abordé et résolu tous les problèmes. Il était plus utile que chacun pût dire ce qui lui importait, dans un domaine où on n’a pas encore eu tellement l’occasion de discuter.

Table des illustrations

Légende Exemple schématique de repérage d’un « site » potentiel par carottage. L’ordre normal des sondages est figuré par des lettres (A à G) dans l’axe de l’autoroute (sens figuré par la flèche), tous les 20 mètres. A partir du premier sondage « positif » [C = 1), des sondages complémentaires sont effectués, dans l’ordre indiqué par des chiffres (1 à 18), sur l’axe d’origine, puis sur un axe perpendiculaire (tirets), par exemple ici tous les 5 m. Les sondages négatifs sont figurés par des croix, ceux positifs par des points noirs. La zone en pointillés, limité par un tireté, figure les limites du site potentiel.
Crédits dessin : A. Ferdière
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