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La prospection archéologique

 | 
Alain Ferdière
, 
Elisabeth Zadora-Rio

Reconstitution des territoires et paysages fossiles

Les délimitations territoriales de l’Âge du Bronze dans la région de Dartmoor (Grande‑Bretagne)

Andrew Fleming

Résumé

Le massif granitique de Dartmoor, au sud‑ouest de l’Angleterre, est connu pour l’excellent état de conservation de ses vestiges protohistoriques, notamment les habitats de l’Age du Bronze. La découverte récente des reaves, ou murets de délimitation des terres, datant de la même époque, nous a permis de mieux comprendre le système de répartition des terres en pratique autour de 1300 av. J.‑C. (années C14) (1700‑1600 av. J.‑C.). Grâce au bon état de conservation des sites, dû à l’évolution de l’environnement et à l’histoire de l’utilisation des terres, une telle recherche est plus aisée à Dartmoor que dans le Wessex. Cet article décrit la méthodologie de cette recherche, à partir de photographies aériennes, de cartes et d’une longue étude sur le terrain. Les unités socio‑politiques les plus importantes sont désignées sous le terme de « communautés ». Nous avons établi qu’une communauté possédait environ entre 20 et 70 km2 de superficie, comprenant des terres encloses qui s’étendaient quelquefois sur plus de 1 000 ha et une zone de pâturage. Chaque communauté était composée d’unités sociales plus petites comme en témoigne l’existence de différents groupements de maisons. Mon but est de suggérer que les résultats auxquels je suis parvenu, qui nous permettent de mieux comprendre l’ampleur et les caractéristiques de la division des terres à Dartmoor à l’Age du Bronze, devraient être utilisables ailleurs.

Texte intégral

1Le Dartmoor, massif granitique occupant la partie centrale du Devon, au sud‑ouest de l’Angleterre, est une région particulièrement intéressante pour l’étude du paysage. L’état de conservation des paysages anciens ressemble à celui que l’on trouve en Afrique du Nord : les monuments rituels (tumulus, dolmens, alignements, etc.), les habitats, les fonds de cabanes, les chemins et les champs sont visibles à la surface du sol. Un tel degré de conservation résulte de plusieurs facteurs. Pendant la plus grande partie de l’époque historique, le Dartmoor a été une zone marginale, exploitée pour l’élevage de troupeaux appartenant principalement à la famille royale et assujettie à des droits d’usage communaux âprement défendus. Aujourd’hui, ses 480 km2 de lande semi‑naturelle font partie du parc national établi en 1951. Enclore et enrichir ces terres de pâturage pauvre s’est généralement avéré peu rémunérateur et/ou illégal. Il semble qu’on ait cultivé la terre principalement aux époques où les conditions climatiques étaient meilleures qu’aujourd’hui, au second millénaire av. J.‑C. et au Moyen Age, de 900 à 1350 ap. J.‑C. Il a survécu de ces deux périodes des paysages fort bien préservés ; il y a aussi des vestiges associés à l’extraction de l’étain datant du xiie s. ap. J.‑C. et peut‑être même avant, à l’élevage des lapins et à l’agriculture post‑médiévale (fig. 1).

• 1. Carte d’ensemble des types de territoires de l’Age du Bronze dans le Dartmoor, montrant les principaux systèmes agraires et les longues frontières linéaires. On observe les trois principales zones de pâturage des hautes terre (North Moor, South Moor, East Moor). Les territoires majeurs sont indiqués par des lettres majuscules. Les Systèmes agraires sans indica tions sont présumés appartenir aux territoires majeurs ; ceux indi qués par des lettres minuscules sont considérés comme n’appar tenant pas au même ensemble. Les cours des rivières qui for ment limites sont indiqués par des pointillés. Courbes de niveaux à 229 m, 381 m et 533 m.

2Entre 250 m et 500 m d’altitude, on trouve surtout un paysage de lande et le sol est recouvert d’une couche de tourbe et de terreau. A environ 400 m d’altitude, la tourbe atteint une épaisseur de 50 cm à 1 m ou plus, suffisante pour masquer les vestiges archéologiques. La plupart des habitats protohistoriques et des limites de territoires ou land boundaries (qui sont des murets de pierres sèches) se trouvent cependant à plus basse altitude. On peut être certain que, si des sites existaient en nombre significatif à une altitude plus élevée, ils auraient été découverts au xixe s., époque à laquelle on a extrait beaucoup de tourbe et à laquelle les premiers archéologues et topographes ont commencé à s’intéresser sérieusement au Dartmoor ; en effet, c’est grâce aux travaux d’extraction qu’au siècle dernier on a découvert un long muret enfoui dans la tourbe dans le bassin supérieur de la Dart. A cause de l’environnement de la découverte, on a conclu à l’époque qu’il s’agissait d’une chaussée construite pour traverser le marécage, ce qui explique qu’on ait appelé les restes d’une route qui traverse le Dartmoor « Great Central Trackway ». Au‑dessous de 400 m, dans la zone où on trouve le plus grand nombre de vestiges archéologiques, la tourbe a souvent une épaisseur de 20 à 40 cm seulement. Bien que la tourbe topogénique se soit formée pendant au moins 8 000 ans, il semble que la tourbe de couverture (c’est‑à‑dire la tourbe qui recouvre tout le paysage d’une manière uniforme) ne remonte guère, dans la zone archéologique, au‑delà du premier millénaire av. J.‑C. Il est donc possible que les immigrants de l’époque néolithique et de l’Age du Bronze n’aient pas considéré cette zone comme une terre marginale. Entre 1000 av. J.‑C. et 1 000 ap. J.‑C. il semble que la couche de tourbe qui s’est formée dans une grande partie de cette région soit inférieure à 10 cm si bien qu’au Moyen Age il était toujours possible aux paysans d’exploiter certaines terres à la fois pour la culture en infield et en outfield. Une couche de plus de 10 cm de tourbe s’est déposée à l’époque post‑médiévale, qui a connu une détérioration notoire du climat puisqu’on l’appelle la « Petite Époque Glaciaire ». A cette époque, pour des raisons de drainage des eaux, on faisait pousser les cultures sur des ados séparés par des fossés, assez semblables aux ridge‑and‑furrows des Midlands, mais avec un intervalle plus étroit entre les dérayures. On a découvert récemment que, outre les fonds de cabanes de l’Age du Bronze et les enclos d’habitats, il y a aussi de longs murets, connus sous le nom de reaves dans le dialecte local, qui datent de la même époque. Les reaves ont été observés pour la première fois au début du xixe s. et, à cette époque, on les a interprétés à juste titre comme des limites territoriales remontant à l’époque protohistorique. Cependant, vers la fin du xixe s. les archéologues ont changé d’idée et les ont attribués à une époque plus récente ; certains y ont vu des chaussées ou des chemins (voir supra). De nos jours, les reaves font l’objet d’une recherche approfondie depuis 1975, date à laquelle le Dartmoor Reave Project a été établi (fig. 2, 3 et 4). Le mot reave (prononcé comme le mot français « rive ») est maintenant reconnu par tous comme faisant partie de la terminologie archéologique contemporaine, comme le mot barrow qui provient d’un autre dialecte local.

• 2. Plan provisoire partiel de l’extrémité sud système agraire dénommé Upper Dart sur la fig. 1. Cette région est appelée Holne Moor ; ce système a été mis en place vers 1300 av. J.‑C. C. 14 (1700/1600 av. J.‑C). Les cercles indiquent la localisation de maisons préhistoriques circulaires, en groupes distincts (A, B, C). Le plan est légèrement simplifié.

• 3. Plans de détail de deux zones d’habitat dans le Holne Moor. L’habitat b comprend une partie du secteur B de la fig. 2.

3On connaît aussi depuis longtemps l’existence des limites de territoires dans le sud de l’Angleterre, où on les appelle ranch boundaries, linear earthworks et celtic field Systems. Bien que bon nombre d’entre elles aient fait l’objet de recherches approfondies à l’aide de photographies aériennes, il ne semble pas qu’à l’heure actuelle on soit arrivé à bien comprendre les principes généraux qui régissent le système de division des terres à l’Age du Bronze. L’utilisation du terme field System (système agraire) donne à tort l’impression que les unités territoriales de l’Age du Bronze sont bien comprises ; en fait, on emploie souvent cette expression simplement pour désigner des champs protohistoriques. Dans le Wessex (principalement les comtés du Wiltshire, Dorset, Hampshire et Berkshire), on a remarqué que les divisions territoriales semblaient avoir entre elles certaines relations qui tendaient à se répéter ; il arrive par exemple que ces levées de terre linéaires traversent les champs celtiques ou se rencontrent au sommet de collines qui deviendront par la suite des oppida (hill‑forts). Au début de nos recherches, nous savions qu’il y avait deux types de reaves : d’une part des ensembles de levées de terre parallèles, qui s’étendaient en général sur une surface de 1000 ha ou plus, et qui ressemblaient à première vue aux systèmes de « champs celtiques» que Bradley (1978 : 268) qualifie de cohérents, c’est‑à‑dire que la plupart des limites de champs suivaient une même orientation, qu’on pouvait retrouver parfois de part et d’autre d’une grande vallée ou d’une gorge. Les systèmes de reaves parallèles comprenaient aussi beaucoup plus d’habitations et d’enclos que les champs celtiques des sols calcaires du Wessex.

4On connaissait d’autre part des reaves isolés qui mesuraient au moins 2 ou 3 km de long. Ils semblaient représenter des limites de terrains de pâturage au‑delà et au‑dessus des ensembles de reaves parallèles ; il arrive cependant quelquefois que ceux‑ci soient délimités par l’une de ces longues levées de terre isolées, si bien qu’on peut dire qu’il y a une étroite relation entre les reaves isolées et les systèmes de reaves parallèles. Nous avions donc suggéré, au début de nos travaux, en raison de l’importance de la surface recouverte par les systèmes de reaves parallèles et de la longueur des reaves isolés, que ces levées de terre linéaires indiquaient les limites des territoires des communautés les plus importantes; nous avons alors pensé que, grâce aux remarquables conditions de préservation du paysage existant dans le Dartmoor, on devait arriver à découvrir des modèles se répétant régulièrement, et ainsi à comprendre l’ampleur et les traits distinctifs du système de la division des terres de l’Age du Bronze.

Méthodologie

5En ce qui concerne la localisation des reaves, il y a cinq sources d’informations principales.

■ La littérature archéologique

6Parmi les premiers archéologues et autres auteurs qui parlent du Dartmoor, plusieurs ont mentionné les reaves ; ces sources sont utiles aux premiers stades de la recherche.

■ La prospection aérienne

7La plupart des reaves sont visibles à la surface du sol et nous avons pu utiliser des photographies aériennes pour les repérer rapidement. Cependant, certains reaves ne sont pas visibles sur les photographies aériennes existantes, soit à cause des conditions de luminosité lors des prises de vues, soit à cause de la nature de la végétation locale, et ceux‑ci furent découverts lors de nos travaux sur le terrain. Au sol, il arrive aussi qu’il soit difficile de suivre un reave sur toute sa longueur, en raison des dépôts de tourbe, de la végétation, des pistes tracées par les animaux, des travaux industriels ou de la présence de champs modernes. Dans ce cas, la photographie aérienne peut révéler des lignes parmi les ajoncs ou les amas de blocs de pierres, bref dans des situations où l’œil humain, situé en ce qui me concerne à 175 cm seulement au‑dessus du sol, remarque ces détails sans être capable de les organiser dans un ensemble cohérent. D’une manière générale, la photographie aérienne permet une évaluation rapide des caractéristiques générales d’un système couvrant une grande surface. Il serait bien sûr dangereux de faire le plan des systèmes agraires en se fondant uniquement sur des photographies aériennes, sans vérifier les détails sur place, car de tels relevés souffriraient souvent des incertitudes et des contradictions qu’on ne peut résoudre qu’en travaillant sur le terrain.

■ L’étude sur le terrain

8Ce travail ne fut pas entrepris simplement pour vérifier la localisation et les caractéristiques des reaves mentionnés dans la littérature archéologique ou visibles pour les photographies aériennes ; sur le terrain, nous nous sommes efforcés de trouver des reaves jusqu’alors inconnus et de faire une étude détaillée de l’ensemble des systèmes. Tout d’abord, nous avons concentré nos recherches sur certaines zones, sans idée préconçue sur ce que nous allions y trouver. Nous n’avions pas besoin d’établir une stratégie d’échantillonnage ; la zone archéologique, entre les champs modernes (à environ 150 m d’altitude) et les plateaux plus exposés (à environ 400m), forme une sorte de bande qui coupe la région transversalement. Nous travaillions sur le terrain du mois de janvier au mois de mai car, en été et en automne, la pousse des fougères (Pteridium) rendait souvent notre travail impossible. Les zones recouvertes d’ajoncs (Ulex) ou de bruyères (Calluna, Erica) sont quelquefois brûlées pour améliorer la qualité des pâturages, mais on n’applique pas strictement ici la méthode de rotation des brûlis utilisée dans les grouse moors du nord de la Grande‑Bretagne, où l’archéologue, s’il a la patience d’attendre sept ans, peut voir toute sa zone d’étude progressivement exposée par le feu. L’idéal serait d’observer chaque zone après une légère chute de neige ; c’est au mois de mars qu’on peut profiter de la luminosité la plus propice à nos recherches, bien que d’autres périodes de l’année puissent nous fournir d’excellentes conditions de travail, sur‑ tout lorsque le soleil est assez bas dans le ciel. Nous sommes finalement parvenus à comprendre les principes généraux qui régissent la division des terres dans le Dartmoor, et la localisation des reaves devint beaucoup plus prévisible. Il nous fut alors plus facile de déterminer quelles étaient les zones qui méritaient une seconde inspection plus détaillée et quels étaient les reaves qui risquaient d’être plus longs que ce qu’on avait tout d’abord supposé ; il était également important d’établir quelles étaient les régions qui étaient définitivement dépourvues de reaves. L’étude sur le terrain s’est alors engagée dans une phase beaucoup plus positive et « subjective », et les zones qui nous avaient auparavant laissés perplexes ont pu dès lors être ré‑interprétées à la lumière des connaissances acquises.

• 4. Plan de détail de la partie sud-ouest du secteur C de la figure 2. Les structures en pointillé sont préhistoriques ; les autres sont médiévales ou post-médiévales et comprennent des limites agraires, des puits de mines et un aqueduc (Ieat), et des tertres utilisés par les éleveurs de lapins (bury).

■ L’utilisation de cartes

9Dans la région de Dartmoor, les murs ou les haies des champs actuels suivent souvent les limites des champs anciens et nous avons à notre disposition des cartes au 1/10 000 qui montrent fidèlement le tracé parfaitement rectiligne des champs au xixe s. et les lignes légèrement incurvées caractéristiques des champs médiévaux. Il est également possible de découvrir des ensembles de reaves parallèles qui ont été fossilisés de cette manière et absorbés dans le système agraire moderne. Il est quelquefois possible de suivre les reaves jusqu’à la limite des landes et de voir que leur tracé survit dans celui des limites de champs modernes. Même dans des zones relativement éloignées des landes, l’étude des limites des champs actuels peut nous aider à retrouver des systèmes agraires protohistoriques. Les cartes indiquent aussi quelles sont les limites qui déterminent la structure du parcellaire, c’est‑à‑dire celles qui, selon les principes de la stratigraphie horizontale, doivent être les plus anciennes puisque d’autres limites sont venues s’y appuyer par la suite. Cependant il faut souligner qu’il n’est pas facile de déterminer la datation de telles structures.

■ Les prospections de surface

10Le ramassage de surface n’est guère praticable dans la région, dans la mesure où l’élevage domine, et où seuls quelques champs sont labourés chaque année pour ré‑ensemencer le sol ou pour faire pousser du fourrage. Nous pensions initialement que nous ne pourrions étudier qu’un petit nombre de silex trouvés à la surface du sol. En fait, il s’est avéré que certains fermiers sont des collectionneurs enthousiastes — il n’y a pas de gisement de silex dans la région — et les plus âgés d’entre eux ont commencé leur collection à une époque où l’on utilisait encore des chevaux de labour. Ces collectionneurs sont rarement au courant de l’existence des autres, et il faudra encore beaucoup de temps pour découvrir le nombre exact et le contenu de ces collections privées. Lorsque ces informations auront été réunies, nous aurons à notre disposition un complément utile pour approfondir nos connaissances sur les limites des champs protohistoriques.

Implications théoriques

11En Grande‑Bretagne, les travaux visant à établir un modèle de l’exploitation du sol à la fin de l’époque protohistorique ont été surtout d’ordre théorique (Renfrew 1973. Stanford 1972 ; Cunliffe 1974 : 262), tandis que ceux qui se sont intéressés aux limites des territoires se sont surtout fondés sur l’étude des cartes et de photographies aériennes (Bowen, Fowler 1978). Dans le Dartmoor, il est possible de dépasser ce stade et de reconstruire, avec une marge d’incertitude relativement restreinte, les territoires réels des communautés protohistoriques occupant la zone limitrophe des landes actuelles (Fleming 1978a, 1983, 1984). Jusqu’à présent, les résultats des datations au radiocarborne suggèrent que les limites des champs furent tracées, suivant quelques règles élémentaires bien établies, autour de 1300 av. J.‑C. (années C.14) (1700‑1600 av. J.‑C.) Nous n’avons pas ici la place de faire une description détaillée de l’organisation du paysage ; nous nous contenterons de présenter un résumé des conclusions majeures auxquelles nous sommes arrivés, dans l’espoir de venir en aide à ceux qui travaillent dans des régions où les parcellaires protohistoriques sont moins bien conservés ou apparemment inexistants.

12Les principales unités territoriales occupaient des zones de 20 à 70 km2. A l’intérieur de chaque unité territoriale, les habitats formaient des groupes de voisinage (neighbourhoods) qui travaillaient ensemble et faisaient ensemble la plupart des choix économiques quotidiens. Il n’est pas possible de distinguer clairement les quartiers de terre attribués aux individus et le droit de propriété n’existait probablement qu’au seul niveau de la communauté. Bien que les habitations possèdent le plus souvent leur propre enclos, il y a peu d’éléments pour prouver l’existence de fermes individuelles et « inaliénables ».

13Les « communautés » possédaient d’importantes étendues de terres encloses, qui correspondent aux ensembles de reaves parallèles, et des terrains de pâturage non enclos, à une altitude plus élevée. Les terrains situés au‑dessus de 400 m (high moorland) semblent avoir été utilisés par plusieurs communautés et peut‑être aussi par des groupes transhumants provenant de régions situées au‑delà de la zone limitrophe des moorlands ; ceci correspond au système de l’utilisation des terres aux époques historiques. Les longues levées de terres isolées ont généralement une des trois fonctions suivantes: elles séparent les terrains de pâturage, situés en hauteur et utilisés simultanément par plusieurs communautés, de ceux qui étaient situés à des altitudes plus basses, et qui étaient partagés entre différentes communautés; elles matérialisent la division des terrains de pâturage situés à basse altitude qui étaient partagés entre les différentes communautés (c’est‑à‑dire qu’elles sont perpendiculaires à la limite des landes) ; enfin, elles séparent les terrains de pâturage non enclos des terrains enclos, si bien qu’elles suivent d’habitude les courbes de niveau, formant ce qu’on appelle un reave terminal, perpendiculaire aux ensembles de reaves parallèles des terres encloses.

14Comme nous l’avons souligné plus haut, la terre semble avoir appartenu à de grandes communautés dont la population excédait probablement le millier ; parmi les ensembles de reaves parallèles, il y en a deux qui couvrent plus de 3000 ha (il est même probable que l’un d’eux ait eu une superficie d’environ 4 500ha). Ces systèmes parallèles quadrillent le paysage avec une régularité géométrique telle qu’il n’est guère surprenant que les archéologues aient hésité à les dater de la Protohistoire. Un examen approfondi des limites de champs tend cependant à atténuer cette impression de rigidité. Les habitants des groupes de voisinage commençaient par construire leurs maisons et délimitaient ensuite leurs champs en fonction de ce qu’ils estimaient être l’axe de l’ensemble de reaves parallèles. Peu après, il semble qu’une équipe travaillant pour la communauté terminait le tracé du système parallèle en matérialisant les limites des champs situées entre les groupes de voisinage et les zones inoccupées ; il est probable que cette équipe construisait aussi les reaves terminaux. Aujourd’hui, on peut encore distinguer les deux stades de construction car on peut relever ici et là de petites irrégularités dans l’alignement des reaves et d’autres anomalies dans le système. Il y a donc une sorte de tension ou de dialogue entre le groupe de voisinage et la communauté.

15L’influence de la topographie sur le tracé des reaves est variable. Les territoires des différentes communautés se constituent souvent autour des rivières et leurs limites suivent la ligne de partage des eaux. Les petites rivières et les ruisseaux servent quelquefois de frontières et on observe des reaves qui leur sont perpendiculaires. Lorsqu’une communauté avait pris la décision de construire un grand ensemble de reaves parallèles, elle était obligée de respecter la configuration quelque peu rigide qu’impliquait une telle organisation de son territoire sur une vaste superficie ; il arrive que des systèmes parallèles traversent de grandes vallées et même dans un cas précis la gorge profonde de la Dart.

16Il est encore trop tôt pour savoir si le type de limites territoriales de l’Age du Bronze que nous étudions dans le Dartmoor se retrouve ailleurs en Grande‑Bretagne, bien qu’il y ait, dans le sud de l’Angleterre, des systèmes de champs celtiques qui ressemblent fort aux ensembles de reaves parallèles (Bradley 1978 ; Drewett 1980). Dans le nord de l’Angleterre, on connaît aussi l’existence d’ensembles de reaves de plusieurs kilomètres carrés dont les axes principaux sont parallèles, mais on ne sait pas de quand ils datent. Dans l’est, il y a également des parcellaires réguliers datant du deuxième millénaire av. J.‑C. (Pryor 1980) ; comme dans le Dartmoor, ils sont situés en bordure d’une vaste zone de pâturages d’été, constituée par les marais connus sous le nom de Fens

17Ces notes ont pour but d’attirer l’attention des lecteurs sur le travail du Datmoor Reave Project, qui est peut‑être peu connu en dehors de la Grande‑Bretagne, et de montrer que c’est seulement dans les zones où les limites territoriales sont bien conservées que l’on peut faire avancer nos connaissances sur les caractéristiques de la division des terres à l’époque protohistorique. Il faut exploiter le bon état de conservation de ces vestiges situés en altitude afin de pouvoir comprendre les limites territoriales plus fragmentées qu’on trouve ailleurs. Les recherches qui ont été faites sur les limites territoriales de l’époque médiévale dans une partie du Dartmoor (Fleming, Ralph 1982) ont montré qu’il était possible de reconstituer l’évolution du paysage local en étudiant les champs, les fermes, les mines d’étain, les chemins et les garennes abandonnés ; nous pensons que ce modèle simple peut nous aider à comprendre la complexité du système d’enclos utilisé de nos jours.

18(Traduction M. FLEMING)

Bibliographie

Bibliographie

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Cunliffe 1974 : CUNLIFFE (B.). — Iron Age Communities in Britain. Routledge and Kegan Paul, London, 1974.

Drewett 1980 : DREWETT (P.). — Black Patch and the Later Bronze Age in Sussex. In : BARRET (J.), BRADLEY (R.). — The British Later Bronze Age. British Archaeological Reports, no 83, Oxford 1980, pp. 377‑395.

Fleming 1978a : FLEMING (A.). — The Prehistoric landscape of Dartmoor : Part 1, South Dartmoor. Proceedings of the Prehistoric Society, 44, 1978, pp. 97‑123.

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Fleming. Collis 1973 : FLEMING (A), COLLIS (J). — A Late prehistoric reave System near Cholwich Town, Dartmoor. Proceedings of the Devon Archaeological Society, 31, 1973, pp. 1‑21.

Fleming. Ralph 1982 : FLEMING (A.), RALPH (N.). — Médieval settlement and land use on Holne Moor, Dartmoor : the landscape evidence. Medieval Archaeology, 26, 1982, pp. 101‑137.

Gawne. Somers Cocks 1968 : GAWNE (E.), SOMERS COCKS (J.). — Parallel reaves on Dartmoor. Transaction of the Devons‑hire Association, 100, 1968, pp. 277‑291.

Pryor 1980 : PRYOR (F.). — Excavation at Fengate, Peterborough, England. The Third Report, Northampton, Northamptonshire Archaeological Society, et Ontario, Royal Ontario Museum.

Renfrew 1973 : RENFREW (C.). — Monuments, mobilization and social organization in neolithic Wessex. In: RENFREW (C.). — The Explanation of culture change: models in Prehistory. London, Duckworth, 1973, pp. 539‑557.

Stanford 1972 : STANFORD (S.). — The function and population of hill‑forts in the central Marshes. In : LYNCH (F.), BURGESS (C.). — Prehistoric Man in Wales and the West. Bath, Adams and Dart, 1972, pp. 307‑318.

Table des illustrations

Légende • 1. Carte d’ensemble des types de territoires de l’Age du Bronze dans le Dartmoor, montrant les principaux systèmes agraires et les longues frontières linéaires. On observe les trois principales zones de pâturage des hautes terre (North Moor, South Moor, East Moor). Les territoires majeurs sont indiqués par des lettres majuscules. Les Systèmes agraires sans indica tions sont présumés appartenir aux territoires majeurs ; ceux indi qués par des lettres minuscules sont considérés comme n’appar tenant pas au même ensemble. Les cours des rivières qui for ment limites sont indiqués par des pointillés. Courbes de niveaux à 229 m, 381 m et 533 m.
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Légende • 2. Plan provisoire partiel de l’extrémité sud système agraire dénommé Upper Dart sur la fig. 1. Cette région est appelée Holne Moor ; ce système a été mis en place vers 1300 av. J.‑C. C. 14 (1700/1600 av. J.‑C). Les cercles indiquent la localisation de maisons préhistoriques circulaires, en groupes distincts (A, B, C). Le plan est légèrement simplifié.
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Légende • 3. Plans de détail de deux zones d’habitat dans le Holne Moor. L’habitat b comprend une partie du secteur B de la fig. 2.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/31873/img-3.jpg
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Légende • 4. Plan de détail de la partie sud-ouest du secteur C de la figure 2. Les structures en pointillé sont préhistoriques ; les autres sont médiévales ou post-médiévales et comprennent des limites agraires, des puits de mines et un aqueduc (Ieat), et des tertres utilisés par les éleveurs de lapins (bury).
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/31873/img-4.jpg
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Auteur

Université de Sheffield

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