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La prospection archéologique

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Alain Ferdière
, 
Elisabeth Zadora-Rio

Reconstitution des territoires et paysages fossiles

Prospection archéologique et organisation de l’espace

Pierre Gouletquer

Résumé

En Bretagne, jusqu’à ces dernières années, la prospection est restée le domaine exclusif d’archéologues non professionnels et a été considérée par les professionnels comme un passe‑temps, une promenade du dimanche. L’auteur montre que le développement de la prospection systématique et la recherche de modèles d’organisation de l’espace, appliqués à des territoires restreints, conduisent à prendre en compte la totalité des phases d’occupation. Le territoire est alors considéré comme une entité vivante, dont il convient de définir les caractéristiques internes, les réactions aux types successifs de gestion de l’espace, les relations avec l’extérieur. Pour cela, la prospection simple ne suffit pas. Même sophistiquée et systématique, celle‑ci doit être prolongée par une prospection raisonnée tenant compte des acquis antérieurs et basés sur la vérification et la contre‑vérification d’hypothèses.

Texte intégral

« Chercheur de choses de la nature, de tempérament, de vocation. Ramasseur dans le désert, nettoyeur, récupérateur, mendiant, collecteur, recruteur — il avait exercé et continuait d’exercer à l’occasion toutes les activités offertes à un bon chercheur ».
Michel Jeury, La fête du changement.

1Depuis longtemps, il ne paraît guère d’ouvrage ou d’article de quelque importance qui ne rappelle que les cartes archéologiques de Bretagne ne sont, dans bien des domaines, que les cartes des territoires des « amateurs éclairés » (fig 1). Ceci bien sûr doit être nuancé. La localisation d’une ultime allée couverte dans le courant de la dernière décennie est très exceptionnelle et les monuments spectaculaires sont sans doute à peu près tous connus. Plus fréquente est la découverte de monuments déjà répertoriés, mais dont l’importance locale s’est peu à peu estompée, et que de nouvelles générations retrouvent avec une passion digne des premiers explorateurs. Seules alors des incursions difficiles dans des dossiers lointains permettent d’établir l’antériorité de la découverte et donnent la distance entre la supposée continuité de la connaissance scientifique et la connaissance très personnalisée, presque sans mémoire, des territoires. La différence est infime entre cette réactualisation de découvertes et l’invention authentique de sites nouveaux. Elle tient surtout à la démarche elle‑même. Pour les uns, l’important est l’enregistrement d’une donnée devenue définitive. Pour les autres, c’est l’observation, l’exploration, la nouveauté d’une découverte.

• 1. Communes touchées par des fouilles préhistoriques en Bretagne entre 1957 et 1972 (à l’exclusion de la Loire‑Atlantique), d’après les comptes rendus publiés dans les Annales de Bretagne. Chaque concentration correspond au territoire d’un ou plusieurs archéologues non professionnels. Même s’ils tendent à combler certains vides, les travaux plus récents entretiennent ce schéma.

2C’est surtout le repérage de sites peu spectaculaires qui est ainsi livré au hasard de la vigilance ou de la curiosité des archéologues non professionnels, le plus bel exemple étant sans doute donné dans l’Europe entière par les recherches effectuées sur les briquetages. Ceux‑ci n’ont attiré l’attention des archéologues professionnels que tardivement et les exemples les plus récents tendent à montrer que la profession elle‑même perd la mémoire de recherches antérieures. Ce qui pose l’important problème de la propriété scientifique.

3Cette constatation étant faite, nul ne semble se préoccuper de modifier le schéma, ni en structurant la recherche spontanée, ni en orientant la recherche professionnelle vers des approches plus globales des territoires. La demande des « archéologues spontanés » vise essentiellement à une meilleure information en retour, grâce à laquelle ils pourraient soulever le voile du monde scientifique, voire y pénétrer à leur tour. Aussi parfaite que puisse s’imaginer cette vulgarisation ou cette éducation, elle ne changerait cependant rien au problème de la prospection. Inversement, du fait de sa spécialisation, mais aussi de ses préoccupations du moment, le scientifique ne peut être demandeur de l’information totale en provenance des territoires locaux.

Motivations et méthodes

4Si la prospection archéologique a longtemps été considérée en Bretagne comme l’équivalent d’une promenade champêtre dont on laissait le soin et la responsabilité à quelques correspondants occasionnels, c’est sans doute d’abord parce que n’existait aucune méthode rationnelle ni de motivation scientifique pour une connaissance raisonnée des localisations de sites. Sauf peut‑être pour la période romaine, où la régularité de certaines mailles, l’orientation privilégiée de certaines structures agraires et l’aide non négligeable de la toponymie fournissent des modèles dont on peut vérifier la pertinence. Autrement dit, sauf dans certains cas exceptionnels, lorsque l’archéologue s’est penché sur les problèmes de la prospection, il l’a fait sans plus de méthode qu’un amateur inexpérimenté. A cette absence de méthode s’ajoute une déficience des motivations, le professionnel n’ayant que peu d’intérêt dans la connaissance d’un territoire pour lequel il n’éprouve par ailleurs aucune attirance. A cela s’ajoute aussi le manque absolu de moyens officiels, ce qui rend d’autant plus difficile la justification scientifique des expériences.

5Il est difficile de croire à la valeur d’une prospection archéologique qui se suffirait à elle‑même, c’est‑à‑dire qui se justifierait uniquement par l’évaluation quantitative de sites découverts, voire par la définition de certaines priorités d’étude approfondie. Dans nos régions tempérées, l’état et les cycles de culture, les conditions météorologiques limitent singulièrement le « balayage » systématique et plusieurs expériences, tant en Afrique qu’en Bretagne, m’ont montré qu’une telle recherche, livrée à elle‑même, dérive rapidement vers les régions les plus attirantes (côtes, hauteurs, falaises, et vers les thèmes les plus séduisants. A ce point de vue, la prospection systématique des parcelles labourées d’une commune peut rapidement se comparer à la prospection spontanée. De vastes blancs subsistent alors sur la carte, objectivement justifiés par des circonstances extérieures à la recherche, mais dont la subjectivité peut tout aussi bien être démontrée.

6De même, une prospection dictée par des impératifs extérieurs à la recherche ne peut rester neutre et indépendante, surtout lorsque ceux‑ci s’accompagnent de moyens qu’il convient de justifier. C’est le cas de toute recherche préliminaire à de grands travaux, et dans laquelle le temps imparti, les méthodes employées vont dans le sens d’un type précis de découverte, sur une surface qui ne peut être pertinente par rapport aux phénomènes représentés par les sites: à travers la fenêtre ainsi ouverte sur les territoires, ceux‑ci n’apparaissent que partiellement.

7C’est à partir d’expériences menées dans ces domaines de la prospection spontanée, systématique et dirigée et à partir de ces réflexions que j’ai tenté de mettre sur pied une recherche sur les territoires archéologiques, en partant de l’idée peut‑être juste, peut‑être fausse, qu’il existait des lois régissant la disposition spatiale des sites les uns par rapport aux autres et par rapport à leur support géographique. L’important ici n’est pas de savoir si cette hypothèse est valable ou non. Que la position d’un site néolithique soit dépendante de la distance au plus proche dolmen ne présente que peu d’intérêt en soi. Ce qui importe, c’est qu’en formulant une telle question on soit amené à aller vérifier sur le terrain et, de ce fait, à prospecter des régions qui n’avaient aucune raison d’attirer la prospection spontanée et qu’aucun impératif de destruction ou autre ne désignait spécialement. Dans le même ordre d’idée d’ailleurs, à ce niveau de prospection raisonnée, les hypothèses les plus farfelues peuvent jouer ce rôle de stimulant. Le problème étant de savoir les remettre en cause pour élaborer des contre‑hypothèses. On voit alors que la prospection raisonnée ne peut se passer d’une réflexion approfondie sur l’organisation des espaces archéologiques, sur la relativité des connaissances, sur la remise en cause constante des résultats acquis.

Méthodes et résultats

8Quelques exemples simples montreraient qu’une telle recherche raisonnée peut difficilement être synchronique. D’une part parce que dans des espaces même restreints on trouvera des vestiges se rapportant à plusieurs périodes et parce que, de ce fait, le problème se pose immédiatement de la continuité ou de la discontinuité de l’occupation. La simple question de la durée d’utilisation d’un marqueur archéologique implique une recherche sur un « avant » et un « après » et la définition éventuelle de périodes creuses au cours desquelles le territoire est supposé être resté inoccupé. Si l’on considère la recherche sous cet angle, force est d’admettre que la situation présente des territoires ne se distingue pas fondamentalement des situations antérieures. En particulier, ce que certains considèrent comme un handicap à la prospection, la relation personnelle avec les gens vivant sur un territoire, ne peut être dissociée de celle‑ci. En vingt ans d’expérience dans ce domaine, je n’ai jamais été reçu à coups de fusil, ni même mal accueilli, et la plupart du temps des informations essentielles ne peuvent provenir que des gens qui vivent et exploitent les territoires. Cela fait partie de la méthode.

9En travaillant sur certaines communes du Finistère, nous avons défini des unités de territoires qui paraissent bien être pertinentes pour l’étude de certains phénomènes, en particulier pour tout ce qui touche à l’organisation autarcique. Plus grandes que les territoires des fermes actuelles, plus petites que le territoire des communes, ces unités d’espace sont intimement liées aux données physiques du paysage. Les cours d’eau tiennent la place de limites ou au contraire d’axe central et l’orientation des versants semble jouer un rôle prépondérant. Certains de ces territoires élémentaires possèdent des garnitures archéologiques complètes, des témoins du Néolithique (sépultures, sites à silex, haches polies), de l’Age du Bronze (tumulus, dépôts, objets isolés), de l’Age du Fer (stèles, souterrains), de l’époque romaine et du Haut Moyen Age. Ils se distinguent en cela des territoires voisins qui possèdent une garniture incomplète. La prospection raisonnée consiste à vérifier ces lacunes, autrement dit à confirmer l’absence de témoins d’une époque donnée. Dans ce cas, le résultat d’une prospection négative est aussi important que celui d’une découverte matérielle. Au fur et à mesure qu’avance notre recherche, par exemple, il semble bien que l’Age du Bronze soit beaucoup moins bien représenté qu’on pourrait le croire. Cela pose tout simplement le problème de la pénétration de certaines modes, de certaines cultures et de certaines techniques et celui de la résistance de certains territoires à l’innovation.

10Mais, même lorsqu’un territoire élémentaire est garni de témoins appartenant à chacune des grandes périodes, force est de constater que ces témoins ne représentent encore qu’un temps d’occupation très limité. Un tumulus de l’Age du Bronze matérialise une mode qui a touché un territoire donné pendant une seule génération. C’est encore la prospection raisonnée qui devrait poser, sinon résoudre, le problème de la relation entre l’événement qu’il matérialise et l’activité plus coutumière du territoire. De même que celui de la relation entre cet événement et des événements du même genre antérieurs et postérieurs. Autrement dit encore, la prospection raisonnée doit conduire à chercher quelque chose de précis, dans un but précis.

11Cette recherche aboutit inévitablement à l’élaboration de modèles et à affiner ceux‑ci jusqu’à ce qu’ils cadrent au mieux avec les données connues. A la limite, comme nous l’avons vu, peu importe le modèle que l’on se donne, pourvu qu’on n’en fasse pas un dogme et que l’on sache en exploiter les contre‑propositions. Par exemple, le tracé des voies romaines est quasi‑rectiligne, mais incomplet. On reconstitue les segments manquants en prolongeant les portions existantes et en cherchant des indices, notamment toponymiques sur les tracés supposés. En Bretagne, les toponymes hent, hent bras, hent meur, streat, etc., sont ainsi réputés être des indices de voies romaines. La contre‑hypothèse consiste à cartographier tous les toponymes similaires. On fait alors ressortir des systèmes extrêmement complexes, dans lesquels la voie romaine et ses toponymes complémentaires ne tiennent qu’une place très limitée (fig. 2).

• 2. Plovan (Finistère), carte de répartition des toponymes hent (1) et hent glas (2). Noter la maille régulière d’espacement des hent glas.

12C’est en cherchant à comprendre la situation hiérarchique de certains sites médiévaux en Afrique de l’Ouest que j’ai rencontré pour la première fois les principes de la théorie de Christaller concernant la hiérarchie des places. On trouve là d’excellents modèles géographiques qui permettent de comprendre le fonctionnement de certaines structures anciennes. Mais surtout, les distorsions que l’on peut observer entre certains réseaux et le modèle sont aussi significatives de leur histoire et de leur dynamisme par rapport aux contraintes du milieu. Par ailleurs, les lois géométriques qui gèrent certains réseaux sont tellement évidentes qu’elles guident inévitablement la prospection. Un exemple parmi d’autres montre l’enchaînement entre prospection spontanée, modèle géométrique et prospection raisonnée. Dans la commune d’Arzano (Finistère), une prospection méthodique montre l’existence d’une demi‑douzaine de sites gallo‑romains disposés grossièrement sur un cercle. Ce cercle possède un centre dont la signification géographique est évidente : c’est le passage sur un cours d’eau. En vérifiant si cette réalité géographique correspond à une réalité archéologique, on découvre une motte féodale. Cette découverte vient à son tour renforcer un modèle plus complexe concernant l’évolution dans le temps de la maîtrise des passages d’eau (recherche D. Tanguy).

13L’utilisation des polygones pour l’analyse des répartitions ne conduit pas seulement à un raisonnement sur les réseaux et à l’exploitation des discordances ou des anomalies des figures obtenues. Elle pose aussi d’emblée le problème de la relation entre le site représenté par un point et la surface correspondante, c’est‑à‑dire le territoire. Comme nous l’avons montré avec l’exemple du cercle, on peut penser que les limites théoriques représentées par les médiatrices correspondent à des réalités géographiques et extrapoler des unes sur les autres en décidant que tel cours d’eau ou telle crête constituent la limite naturelle entre deux zones d’influence. Mais après avoir utilisé quelque temps ce principe, la nécessité s’est faite sentir de préciser la notion même de modèle et de travailler plus en profondeur sur des territoires précis.

14L’idée essentielle est simple : il s’agit de choisir une région restreinte sur laquelle on étudiera des territoires actuels ou récents, dans le but de localiser ensuite les sites archéologiques par rapport à des systèmes vivants. Cette recherche s’appuie sur trois principes : les territoires actuels prolongent les comportements passés, dont ils sont le reflet ; les territoires actuels peuvent être considérés comme des modèles des territoires anciens ; les résultats obtenus sur certaines communes peuvent être utilisés comme modèles pour l’étude d’autres territoires.

15La première de ces propositions montre évidemment que sur un même espace les témoins de différentes époques ne sauraient être dissociés les uns des autres. La succession des types de marqueurs correspond à une logique dont il convient de définir les règles et si la prospection doit viser à localiser tel ou tel vestige, c’est essentiellement dans le but de comprendre cette logique interne du territoire. Cela est vrai en particulier pour quelques grands thèmes privilégiés qui, dans des régions très petites, pourraient constituer des unités d’études indépendantes : l’habitat, l’approvisionnement en eau potable, les sépultures, la gestion de l’eau courante...; la synthèse s’établissant d’elle‑même à travers l’étude des parcours. Au cours de la sécheresse exceptionnelle de 1976, il a fallu creuser de nouveaux puits. Ceci correspond à un système original moderne : la mise en exploitation intensive de certaines régions jusque‑là négligées, le développement de l’élevage industriel. Il tient néanmoins sa place dans un système diachronique où se succèdent sources, sources aménagées, puits et forages, et qui nous projette sans solution de continuité au moins jusqu’à l’Age du Fer, sinon jusqu’au Néolithique. Comprendre les comportements correspondant à ce phénomène en 1976 conduit inévitablement à soulever des problèmes similaires bien antérieurs. En particulier, on a vu alors réapparaître dans des territoires superficiellement normalisés par la modernité des installations, des réseaux d’entraide, des systèmes hiérarchiques et de dépendance dans lesquels l’espace jouait un rôle étonnamment important.

16On peut ainsi poser dans bien des communes de Bretagne un problème très simple : connaissant un point d’eau réputé important, où se trouvent les sites néolithiques, ceux de l’Age du Bronze et de l’Age du Fer correspondants ? De la même manière que l’on poserait le même problème à partir des sépultures ou de tout autre monument. Le thème de l’eau est particulièrement riche à exploiter, mais il en irait de même pour tout autre thème un peu général et l’on saisirait les mêmes continuités dans bien d’autres domaines. La reconstitution de ces lignes est importante en soi et conduit à la connaissance des territoires conçus comme des systèmes vivants, même si, comme nous l’avons vu, il faut éventuellement faire intervenir des discontinuités dans leur occupation. Ici, on ne peut dissocier l’étude d’un dolmen de celle du cimetière communal. Ce qui contraint bien entendu à localiser et comprendre tous les systèmes de nécropoles collectives entre ces deux extrêmes, donc à conduire une prospection raisonnée.

17Le second principe, qui pose comme postulat que le fonctionnement actuel d’un territoire est le modèle des fonctionnements anciens, est différent, mais ne peut évidemment se passer de la compréhension des systèmes diachroniques. Le but ici est de définir les éléments complémentaires de systèmes cohérents. S’il y a un cimetière, celui‑ci correspond à un habitat réparti dans un espace déterminé. Si dans le même espace il y a un dolmen, celui‑ci doit correspondre à un habitat distribué ou non dans les mêmes limites. Ce modèle simple n’a encore jamais donné lieu à des développements systématiques en Bretagne. En refusant d’organiser des recherches méthodiques dans cette direction, sous un prétexte ou sous un autre, on élude la question, on ne démontre pas que la réponse est négative. Pourtant, ce modèle apparemment simple introduit une réflexion beaucoup plus complexe qui rejoint le principe précédent de la continuité. En effet, la localisation des cimetières actuels loin des églises paroissiales résulte d’un édit datant de la Régence de Louis XV. Le déménagement correspond donc à une rupture dans laquelle on pourrait trouver un modèle pour comprendre des ruptures similaires antérieures. Le fait qu’il a fallu plusieurs siècles à certaines paroisses pour se plier à cette nouvelle « mode » donne alors la dimension chronologique du modèle. C’est bien en tant que modèles qu’il faut voir les structures actuelles comme images des situations passées. C’est‑à‑dire qu’il faut insister sur ce qu’il y a de constant dans le paysage et ce qu’il y a d’inévitablement mobile et d’original à telle ou telle époque. Mais là encore, la recherche et l’application de modèles conduit à des prospections raisonnées.

18Les deux principes ci‑dessus constituent la base d’une recherche globale sur des territoires peu étendus, intégrant des données de l’histoire, de la géographie et de l’ethnologie à celles de l’archéologie. Ils aboutissent à une connaissance intime de l’espace étudié, dans laquelle ressortent ses qualités propres et ses caractères originaux. Chaque monument, chaque système étudié est unique, et si un modèle se répète dans le temps, les cycles ainsi définis sont eux‑mêmes uniques. L’utilisation des structures décrites comme image permettant de mieux comprendre d’autres espaces comporte au contraire un degré de généralisation qui implique l’idée de typologie, de répétition d’arrangements, d’élaboration et de vérification d’hypothèses. Si nos recherches en cours confirment nos premières observations, on pourra dire par exemple qu’il y a en Basse‑Bretagne des territoires possédant une garniture complète sans solution de continuité majeure entre le Néolithique et l’époque actuelle, de même qu’il existe des territoires dont l’occupation permanente ne semble commencer qu’à l’Age du Fer, voire à l’époque romaine. Ce sont là des modèles dans lesquels les sites de différente nature ne sont pas localisés n’importe où par rapport au support géographique, ni les uns par rapport aux autres. En appliquant l’un de ces modèles à d’autres territoires, on vérifie ou non sa pertinence. Mais une discordance entre territoire réel et modèle ne rend pas caduc ce dernier. Simplement, une observation de cet ordre conduit à affiner la typologie et, en tout état de cause, à définir avec davantage de précision l’originalité du territoire concerné. Si le but essentiel est une meilleure connaissance des territoires archéologiques, celle‑ci ne peut se concevoir que par le biais de prospections complémentaires, au cours desquelles les hypothèses contradictoires doivent être testées: la vérification d’une absence de site de telle ou telle nature peut se révéler aussi importante que la confirmation d’une présence.

Résultats et motivations

19Ces principes de recherche ont animé un petit groupe de travail au cours de ces trois dernières années, en partant de l’idée d’une double nécessité : définir l’originalité de certains territoires et généraliser certaines observations jusqu’à en tirer des modèles typologiques.

20La seconde proposition peut être abordée de façon simple : toutes les communes du Finistère constituent un ensemble cohérent, puisqu’elles sont définies comme telles. En dehors de leur définition même, elles possèdent un certain nombre de caractères communs : elles ont toutes ou à peu près une structure actuelle similaire (église, cimetière, mairie, bourg, habitat rural, etc.) et fournissent pour l’étude du passé des documents identiques (registres divers, cadastre, archives notariales, etc.) ainsi qu’un certain nombre d’éléments archéologiques quasi‑obligatoires (chapelle, habitat romain, souterrain de l’Age du Fer, etc.). Puisqu’elles sont comparables entre elles, les différences que l’on pourra établir constitueront les éléments d’une typologie des territoires, à laquelle on pourra donner une signification chronologique, culturelle ou fonctionnelle. Par exemple, les communes ne s’appellent pas toutes de la même manière et l’étude de leurs noms fait ressortir de grandes séries toponymiques (dans le Finistère, on reconnaîtra en particulier les deux grandes séries des plou... et des saint..., dont la signification historique et culturelle a donné lieu à de nombreuses études).

21En étudiant pour chacune des 300 communes du Finistère des séries comparables de documents (par exemple, tous les cadastres), on affinerait cette typologie primaire en évaluant sa pertinence dans la série des caractères correspondants. Tous les plou ne sont pas semblables entre eux. Pour certains, l’église paroissiale est manifestement installée dans une agglomération déjà constituée, tandis qu’ailleurs le bourg n’apparaît que comme un hameau parfois dérisoire par rapport à certains gros villages. Une telle étude générale est difficilement envisageable, même avec de gros moyens. Nous avons donc été amené à étudier en détail quelques communes choisies au hasard des affinités des chercheurs, plutôt que sur des critères scientifiques.

22Le cadastre du xixe s. constitue un excellent document pour une étude globale. Par leur nature, les informations qu’il contient donnent une image des trois grandes composantes d’un territoire : elles concernent aussi bien la structure sociale de celui‑ci que le support géographique ou les techniques. Mais il donne aussi des informations sur le dynamisme des territoires, en particulier à travers la toponymie et la micro‑toponymie. Le grand intérêt étant que toutes ces informations et leurs recoupements peuvent être cartographiés. Après nous être donné les moyens techniques de procéder effectivement à ce traitement cartographique, nous pouvons entreprendre une étude complexe des territoires représentés.

23Le premier résultat de cette étude est la définition de typologies des surfaces tenant compte, non seulement des qualités physiques de celles‑ci (pentes, orientation, nature des terres, présence ou absence d’eau, etc.), mais aussi des relations de l’homme avec son support géographique. Les dimensions des parcelles, certains toponymes évocateurs de techniques ou d’ancienneté, les territoires de certains types de fermes conduisent ainsi à lire différemment des paysages somme toute assez neutres. On peut ainsi mettre en évidence des auréoles de défrichement, des régions particulièrement riches ou pauvres, dont on peut difficilement ne pas tenir compte dans l’interprétation ou la localisation de sites anciens (fig. 3, 4 et 5).

• 3. Plovan (Finistère), typologie de surface. Territoires des villages ayant des parcelles attenantes à une fontaine.

• 4. Plovan (Finistère), typologie de surface. Territoires des villages n’ayant pas de parcelles attenantes à une fontaine.

• 5. Plovan (Finistère), typologie de surfaces. Superposition des figures 3 et 4. Cette carte montre les zones où les deux systèmes (avec et sans fontaine) sont concurrents. Le but de telles études est de montrer qu’il n’y a pas de surfaces neutres. Il est aussi d’établir des corrélations entre différentes typologies (accès à l’eau potable, aux prairies, aux terres labourables, mais aussi différents modes de partage des terres, types d’exploitation, etc.). Les territoires ainsi définis n’étant pas neutres, on peut considérer qu’ils transmettent une partie au moins de leurs caractères aux implantations humaines : on peut dire schématiquement qu’un habitat situé à plus de 500 m de toute fontaine n’a pas la même signification qu’un habitat situé à proximité immédiate d’une fontaine. En fait, on peut même aller plus loin et dire que réciproquement, de par leur environnement, tous les points d’eau n’ont pas la même valeur.

24La superposition de plusieurs sources d’information conduit à faire ressortir des zones limites particulièrement puissantes, dont la répétition pour des caractères très divers souligne l’importance. Ces limites isolent ce que nous avons appelé des territoires élémentaires, qui servent de base à notre interprétation. Non que nous donnions à ces territoires une valeur absolue : à peine évoquée, l’hypothèse de leur réalité doit être contrebalancée par des hypothèses contraires. Mais ils constituent une trame sur laquelle nous pouvons poser nos sites archéologiques, une base provisoire de raisonnement qui se révèle commode, et, pour bien des phénomènes, pertinente.

25A ces informations concernant des surfaces, on peut ajouter une étude longue mais significative de la répartition des toponymes isolés. Le principe en est le suivant. Dans un paysage donné, le nom d’un champ est utilisé à distance. Par conséquent, si sur une même épure géographique on trouve deux fois le même nom, il y a risque de confusion si les deux parcelles appartiennent au même territoire parlé. Le seul moyen d’éliminer une confusion possible est de considérer que deux toponymes identiques appartiennent à deux territoires parlés différents. En procédant de la sorte et en constituant des ensembles de toponymes uniques, on définit de nouvelles limites isolant des territoires comparables à ceux obtenus à partir des typologies de surfaces.

26Nous pensons mettre ainsi en évidence des territoires à dominante autarcique, antérieurs aux territoires des fermes actuelles qui sont le résultat du morcellement de ces grands ensembles, comme cela peut se vérifier dans certains cas. Le rôle important que jouent les éléments marquants du support géographique dans la définition des limites tend à leur donner un caractère durable, permanent, dont la réalité doit réapparaître chaque fois que le fonctionnement du territoire tend vers un système autarcique.

27Même erronée, cette hypothèse nous permet d’analyser les garnitures archéologiques en termes différents : il ne s’agit plus de prospecter au hasard une commune entière, mais bien de comprendre le fonctionnement d’unités très restreintes. Nous avons donc là encore une stimulation très précise de la prospection, même si les résultats de celle‑ci doivent remettre en cause l’hypothèse des territoires élémentaires et conduire à de nouvelles interprétations.

28Au point où nous en sommes de notre recherche, la valeur de cette hypothèse semble toutefois se vérifier. Chaque commune ainsi étudiée nous a montré l’existence de territoires de ce type, très cohérents, possédant des qualités physiques précises et un cortège de marqueurs archéologiques tout aussi déterminé. Lorsque l’on sait l’importance des comportements d’auto‑subsistance, il n’y a pas si longtemps encore dans les mêmes campagnes, on peut penser que nous avons là un modèle relativement fiable.

29Un autre problème apparaît alors. Aussi puissante que soit la tendance autarcique, elle peut difficilement se passer longtemps d’ouvertures sur le monde extérieur. La recherche de conjoints dans des systèmes similaires aboutit déjà à la notion de regroupement de territoires de même type et à la constitution d’ensembles plus vastes, tandis que la nécessité de se procurer certains produits (en particulier l’outillage et le sel) conduit à l’idée de réseaux commerciaux et d’échange. Par ailleurs, la gestion politique des ensembles ainsi constitués permet de définir un troisième type d’arrangement. Ainsi, à côté de sites traduisant l’activité à dominante autarcique des territoires élémentaires, on doit envisager l’existence de témoins des autres types d’associations et en tout cas poser en ces termes le problème de l’interprétation de certains monuments ou sites. Tel dépôt de l’Age du Bronze traduit‑il l’activité étroitement locale d’un territoire ou au contraire est‑il le révélateur d’un réseau extérieur à celui‑ci ? Et la localisation par rapport aux territoires autarciques supposés n’apporterait‑elle pas une réponse à cette question ? De même, un dolmen est‑il la sépulture collective d’un seul territoire autarcique ou au contraire la nécropole d’une association beaucoup plus vaste ?

30On en arrive ainsi, au‑delà des interprétations classiques des grandes typologies archéologiques, à l’idée d’une typologie tenant compte de la localisation par rapport à des territoires précis, connus, dont les qualités essentielles sont parfaitement établies. Cela ne peut rester une simple hypothèse de travail, car la conséquence peut en être importante. Toute typologie nouvelle tend en effet à restituer à un objet devenu banal son originalité. La localisation précise d’un monument par rapport à son territoire prend alors autant d’importance que le monument lui‑même et le déplacement de celui‑ci, pour une raison ou pour une autre, fût‑elle scientifique, équivaut à une destruction.

31Quels que soient les territoires et leurs dimensions, on peut admettre qu’ils sont le résultat d’un équilibre entre trois éléments fondamentaux : le support géographique, une population et des techniques qui permettent à la seconde de tirer parti du premier. Nous avons vu l’importance des contraintes naturelles dans la définition des territoires élémentaires. Par contre, dans les arrangements du genre « territoire de parenté », « paroisses » ou « réseaux d’entraide » , c’est évidemment l’élément sociologique qui domine, tandis que dans les systèmes commerciaux les composantes technologiques seront prépondérantes (technologie de l’outil, de l’extraction des matières premières, mais aussi des moyens de transport et des routes). On voit ainsi apparaître au moins deux niveaux de signification dans l’interprétation d’un site archéologique: d’une part, un niveau local où dominent l’adaptation aux impératifs naturels et les nécessités correspondant au fonctionnement des systèmes sociaux ; d’autre part, un niveau que j’appelle culturel, correspondant aux systèmes d’échange et politiques, qui a tendance à se libérer des contraintes précédentes et qui sert de vecteur à la transmission des modes et des techniques sur de grandes distances.

32Lorsqu’on regarde la signification de la plupart des systèmes matériels qui nous entourent, on constate qu’ils sont le reflet de ces deux niveaux et l’on reconnaît parfaitement sur un monument, une construction quelconque, quelles sont les dominantes. Il n’y a aucune raison pour qu’il n’en soit pas de même pour les sites anciens. La localisation de certains sites romains était une aberration par rapport aux possibilités autarciques des territoires et ils n’ont pu fonctionner que grâce à une puissante organisation politique des échanges et à des structures sociales bien particulières. On montrera peut‑être un jour qu’il en allait de même pour certains territoires de l’Age du Bronze. Or, les recherches archéologiques telles qu’elles se sont déroulées jusqu’ici ont toujours donné la prépondérance aux qualités culturelles des sites étudiés, les qualités plus modestes, intimement liées aux territoires vécus, étant la plupart du temps négligées ou ramenées au niveau culturel par le constat de la difficulté ou de l’impossibilité à généraliser.

33Cela n’a rien d’étonnant, si l’on songe que l’archéologue lui‑même appartient, par sa situation géographique, par les vecteurs de son information, par son territoire vécu, à cette dimension culturelle. Ce constat étant établi, une foule de questions apparaissent concernant une « archéologie du modeste » qui devrait faire appel à d’autres concepts, à d’autres méthodes, mais aussi probablement à d’autres hommes. On a alors la nostalgie des fouilles de monuments prestigieux qui n’ont définitivement livré que l’une des facettes de leur réalité, tant il est vrai qu’en archéologie comme ailleurs on ne trouve guère que ce que l’on cherche.

Discussion.

Président de séance : J. Collis

34J. Collis : Avec cette communication, nous avons abordé d’autres problèmes : à savoir, les raisons pour lesquelles nous voulons avoir des informations assez précises sur tous les sites, depuis les plus grands jusqu’aux fermes indigènes ou aux sites encore plus petits. Sur ce point, on a observé dans les dix dernières années un changement dans les conceptions archéologiques. On a commencé à parler de modèles et à utiliser les concepts géographiques, par exemple, depuis les années 60 ; mais ces modèles étaient pour la plupart construits en regard de la période moderne et non des sociétés anciennes. Nous avons donc, dans les dix dernières années, essayé de trouver d’autres modèles qui se rapportent plus nettement au matériel que nous avons, le système Christaller par exemple ; on commence enfin à avoir des modèles beaucoup plus appropriés au travail archéologique. L’autre problème, que je trouve très intéressant, c’est cette idée de concept général et de concept particulier à une région.

35A. Ferdière : Je voudrais rappeler quelques questions assez vastes qu’on a laissées de côté et qu’il serait bon de discuter : d’abord, celle de la définition du site archéologique et de l’élargissement de cette notion ; ensuite, celle de l’échantillonnage, qui, à elle seule, demanderait peut‑être une table ronde ; enfin, celle de l’inventaire archéologique et, plus généralement, de la prospection dans le but de la gestion des archives du sol.

36J. Collis: La conception d’un site est un problème de modèle: on peut commencer avec un site qui est seulement un bâtiment ; autour se trouvent les autres bâtiments qui lui sont liés, puis les champs; il y a peut‑être d’autres zones, selon le modèle de von Thünen au xixe s., avec ces cercles dont on a discuté. On a donc un site étroit, un site plus large, etc., bref une hiérarchie...

37E. Zadora‑Rio : Oui, ce peut être un ensemble ou chacune de ses composantes... Mais, est‑ce que cela a une importance ?

38P. Gouletquer : Après avoir suivi le cheminement de la fouille à la prospection systématique et à la réflexion sur la recherche de modèles, j’en arrive à définir ce que j’appelle des territoires élémentaires. C’est une hypothèse de travail, et il n’est pas indispensable au départ que ces territoires élémentaires soient pertinents ou non. Un certain nombre de corrélations, d’ensembles de données, de figures qui se répètent semblent correspondre à un modèle, au moins dans la région dans laquelle je travaille. L’exemple le plus récent qu’on ait mis en évidence se trouve dans une petite péninsule, dans l’estuaire de l’Odet (Plomelin, Finistère) (fig. 6). Par différentes méthodes évoquées dans mon article, on arrive à définir des auréoles de défrichements, et dans un espace d’environ 1 km à 1,5 km de côté, on trouve : sur la côte, un briquetage (exploitation du sel) ; un souterrain de l’Age du Fer (représentant le plus fréquent de l’occupation modeste liée au sol à l’époque gauloise) ; un camp ; des meules disséminées un peu partout dans le territoire ; des tombelles ; une stèle.

• 6. 1. Souterrain ; 2. camp ; 3. briquetage ; 4. meules isolées ; 5. stèles.

39Tout cela constitue un ensemble cohérent apparemment isolé de l’extérieur par des zones pauvres en matériel archéologique de même époque. Des ensembles comme celui‑ci peuvent être abordés comme des sites. Si l’on considère le coût de certaines grandes fouilles qui durent dix , quinze, voire vingt ans, on pourrait envisager de consacrer des moyens importants à l’étude de tels systèmes, étude systématique, avec tous les moyens possibles, d’une région précise et de ses limites. C’est ce que j’appelle la prospection raisonnée, au‑delà de la prospection spontanée. La différence étant que l’on cherchera à comprendre le fonctionnement d’un système territorial précis. Quitte à remettre en cause la pertinence du schéma initial : cela même fait partie de la méthode.

40Je reviens à la notion de territoire. Cet ensemble que je définis là, je vais le retrouver sous d’autres formes à l’époque romaine ou au Moyen Age, avec d’autres systèmes cohérents, d’autres relations entre l’occupation et la surface géographique, d’autres relations avec les territoires voisins. Du coup, ce n’est plus l’ensemble gaulois qui m’intéresse (ou néolithique, de l’Age du Bronze, médiéval ou actuel), c’est le territoire dans son ensemble, avec ses réactions successives aux différents types d’occupation.

41A. Ferdière : Ce que présente Gouletquer illustre le rapprochement qui s’opère aujourd’hui entre, d’une part, une conception intensive de la prospection, pouvant aller jusqu’au sondage, et d’autre part une conception extensive de la fouille, qu’on a déjà vue développée dans l’exposé de Brandt et de Janssen, et pour laquelle on pourrait citer d’autres exemples, notamment en Angleterre, avec ce que Cunliffe a fait à Chalton. Mais je voudrais poser une question à Gouletquer : vu la manière dont tu présentes les choses, on peut se demander si on ne va pas trouver les sites là où on les cherche et pas ailleurs, et donc passer à côté de certaines réalités. Il faudrait faire attention à ce que la généralisation de ce type de méthode n’aboutisse pas à rechercher systématiquement, par une sorte de déterminisme, les sites là où l’on veut qu’ils soient, et évidemment, en général, à y trouver quelque chose, tout en laissant des zones entières non visitées et non prospectées.

42E. Zadora‑Rio : La construction du modèle n’est pas nécessairement liée à la méthode de prospection. On peut élaborer un modèle prédictif et tester ensuite sa validité par la prospection, en utilisant des techniques d’échantillonnage.

43P. Gouletquer : En Bretagne, on constate une recrudescence de ce que Giot appelle « les chasseurs de lignes », qui alignent les menhirs, les menhirs avec les chapelles, les chapelles avec les sources,etc., et puis qui finissent par tout aligner. Evidemment, ils découvrent des choses, car même s’ils ont un modèle dont on sait qu’il n’est pas pertinent, celui‑ci les amène quand même à fréquenter le terrain ; ce qui est le but. Mais il faut prendre le contrepied d’un tel modèle. Il faut avoir la double démarche suivante : déterminer des vides sur une carte, à petite échelle, et aller voir si ces vides existent vraiment ou non ; c’est à cette condition que l’on dépasse la notion de prospection à partir de l’objet, c’est faire de la prospection professionnelle que de vérifier qu’une région est bien dépourvue d’un type de monument. Autre chose est de vérifier la présence du monument. J’ai fait des essais avec des étudiants ou des groupes de travail. Très rapidement, les gens qui faisaient de l’archéologie pour trouver des objets sont partis d’eux‑mêmes, parce que cela ne les intéressait plus de faire de l’archéologie pour vérifier qu’il n’y avait rien dans certains secteurs. Cela me paraît important de donner une dimension professionnelle à la prospection.

44S. Ben Baaziz : En archéologie, on a travaillé jusqu’à présent sur des séries, des séries de monuments, des séries d’objets, des séries de textes. La prospection fait appel à une nouvelle série, une série de sites. Je m’explique : il n’y a pas, en fin de compte, une prospection, mais plusieurs disciplines. Cela dépend des buts qu’on vise et des moyens dont on dispose. C’est tout à fait normal qu’une prospection aérienne ne puisse pas être comparée à une prospection géophysique ou thermique. Il faudrait d’abord savoir si l’on veut faire de l’histoire locale, de l’histoire urbaine ou de l’histoire régionale. Dans ce dernier cas, une région est donc un site. Il faudrait ne pas avoir peur des limites arbitraires et dire, par exemple : une ville est un site. On peut également partir, c’est ce que j’ai fait, des limites naturelles, qui sont plus ou moins immuables, par exemple un bassin hydrographique ou un versant, et dans cette limite géographique arbitraire, chercher des éléments dont la superficie est différente, puisque la prospection est en quelque sorte de la topographie; il faut donc lier la notion de site à un problème topographique; dire: dans cette surface X, il y a X éléments, dont chaque composante a une superficie différente; donc ne pas spéculer dès le début sur la notion de site au sens large.

45P. Gouletquer : A propos de versants, on m’a posé un problème sur la commune d’Arzano (Finistère), où je travaille avec des étudiants. Le Finistère est probablement l’un des départements les plus prospectés en France, ou tout au moins en Bretagne, depuis les début de l’archéologie. Sur cette commune, on ne connaissait que deux sites archéologiques : une stèle gauloise et un petit ensemble de haches polies, d’ailleurs disparues, et dont il ne reste que des dessins inédits. Etalées sur un an et demi, les enquêtes de Daniel Tanguy ont permis de localiser 25 ou 30 sites échelonnés du Néolithique au siècle dernier. Cela relève encore de la prospection spontanée et aboutit à la réalisation de cartes de répartition simples. A partir des méthodes présentées dans mon article, on cherche à attribuer des surfaces aux sites ponctuels (fig. 7) et à raisonner sur ces surfaces : comprendre leur organisation interne, leurs relations avec les surfaces voisines, remettre en cause leurs limites. La prospection raisonnée suivra cette analyse, conduisant à renforcer l’étude des zones négatives et à comprendre l’organisation de l’ensemble dans un contexte diachronique.

• 7. Commune d’Arzano (Finistère). Enquêtes et prospections D. Tanguy. Occupation néolithique. La commune d’Arzano occupe un espace entre deux rivières : le Scorff (à l’est) et l’Ellé. L’occupation néolithique montre une localisation préférentielle sur le versant ouest de la vallée du Scorff. La prospection raisonnée consistera à vérifier le schéma au nord et au sud de la commune d’Arzano sur la rive droite du Scorff, mais aussi sur la rive droite de l’Ellé. Elle consistera surtout à renforcer la prospection sur les rives gauches des deux rivières, pour tenter de contredire l’hypothèse. En fait, tout semble indiquer une occupation préférentielle des versants est à l’époque gauloise. L’occupation romaine venant sur le versant ouest et le plateau.

Table des illustrations

Légende • 1. Communes touchées par des fouilles préhistoriques en Bretagne entre 1957 et 1972 (à l’exclusion de la Loire‑Atlantique), d’après les comptes rendus publiés dans les Annales de Bretagne. Chaque concentration correspond au territoire d’un ou plusieurs archéologues non professionnels. Même s’ils tendent à combler certains vides, les travaux plus récents entretiennent ce schéma.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/31863/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 57k
Légende • 2. Plovan (Finistère), carte de répartition des toponymes hent (1) et hent glas (2). Noter la maille régulière d’espacement des hent glas.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/31863/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 24k
Légende • 3. Plovan (Finistère), typologie de surface. Territoires des villages ayant des parcelles attenantes à une fontaine.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/31863/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 48k
Légende • 4. Plovan (Finistère), typologie de surface. Territoires des villages n’ayant pas de parcelles attenantes à une fontaine.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/31863/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 47k
Légende • 5. Plovan (Finistère), typologie de surfaces. Superposition des figures 3 et 4. Cette carte montre les zones où les deux systèmes (avec et sans fontaine) sont concurrents. Le but de telles études est de montrer qu’il n’y a pas de surfaces neutres. Il est aussi d’établir des corrélations entre différentes typologies (accès à l’eau potable, aux prairies, aux terres labourables, mais aussi différents modes de partage des terres, types d’exploitation, etc.). Les territoires ainsi définis n’étant pas neutres, on peut considérer qu’ils transmettent une partie au moins de leurs caractères aux implantations humaines : on peut dire schématiquement qu’un habitat situé à plus de 500 m de toute fontaine n’a pas la même signification qu’un habitat situé à proximité immédiate d’une fontaine. En fait, on peut même aller plus loin et dire que réciproquement, de par leur environnement, tous les points d’eau n’ont pas la même valeur.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/31863/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 35k
Légende • 6. 1. Souterrain ; 2. camp ; 3. briquetage ; 4. meules isolées ; 5. stèles.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/31863/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 36k
Légende • 7. Commune d’Arzano (Finistère). Enquêtes et prospections D. Tanguy. Occupation néolithique. La commune d’Arzano occupe un espace entre deux rivières : le Scorff (à l’est) et l’Ellé. L’occupation néolithique montre une localisation préférentielle sur le versant ouest de la vallée du Scorff. La prospection raisonnée consistera à vérifier le schéma au nord et au sud de la commune d’Arzano sur la rive droite du Scorff, mais aussi sur la rive droite de l’Ellé. Elle consistera surtout à renforcer la prospection sur les rives gauches des deux rivières, pour tenter de contredire l’hypothèse. En fait, tout semble indiquer une occupation préférentielle des versants est à l’époque gauloise. L’occupation romaine venant sur le versant ouest et le plateau.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/31863/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 46k

Auteur

Université de Bretagne, Brest

© Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1986

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