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La prospection archéologique

 | 
Alain Ferdière
, 
Elisabeth Zadora-Rio

La hiérarchisation des sites

La question de la hiérarchisation des sites

Ph. Leveau

Résumé

A partir de recherches effectuées sur les campagnes de Caesarea de Maurétanie (l’actuelle Cherchell en Algérie), l’auteur montre qu’il est possible de dépasser le simple inventaire descriptif des ruines sans s’appuyer sur la seule évaluation de leur superficie. Pour cela, il faut les replacer dans le système d’organisation de l’espace rural qui avait caractérisé la période de leur mise en place. La notion d’organisation des sites dans un espace rural paraît préférable à celle de hiérarchisation.

Texte intégral

  • 1 L’article de Ph. Leveau a été rédigé à la suite de la table ronde, ce qui explique qu’il contienne (...)

1La question de la hiérarchisation des sites ou, d’une manière générale, des vestiges d’occupation du sol dans l’Antiquité, est au cœur de la définition d’une problématique permettant de dépasser le stade descriptif. Pour ma part, je partage les réticences formulées par les médiévistes1 devant les trop belles synthèses et je comprends qu’ils soient rendus très prudents par la comparaison possible pour eux entre données archéologiques (importance spatiale et matérielle d’une ruine) et données proprement historiques (position socio‑économique de ses occupants connue par des textes). L’historien du paysage antique doit se méfier des résultats obtenus par la seule combinaison de données géographiques et d’observations archéologiques : le problème historique vient justement de la non coïncidence entre limites naturelles (d’un terroir par exemple), limites de propriété et cadastre fossile. Il faut de toute manière publier avec soin les éléments ayant servi de base à une éventuelle hiérarchisation.

2Il reste que l’on doit pourtant trouver un moyen de dépasser le simple inventaire descriptif. C’est ce que je me suis proposé de faire dans l’étude que j’ai donnée des campagnes autour de Caesarea de Maurétanie, actuelle Cherchell en Algérie (Caesarea de Maurétanie, une ville d’Afrique et ses campagnes, Paris ‑ Rome, 1984, pp. 480‑485). Bien que les sites aient bénéficié dans l’ensemble d’une conservation très favorable à la prospection en surface (une quarantaine de plans de villae ont pu être levés sans fouilles), je n’ai pas cru pouvoir fonder une hiérarchisation sur la seule évaluation de la superficie des ruines. Celle‑ci entre en ligne de compte (op. cit. p. 401, fig. 214 et surtout p. 482, fig. 249 : Organisation de l’espace rural, villae et agglomérations). Il est utile de donner des tableaux récapitulatifs des ruines et d’inclure dans ceux‑ci un résumé de leurs caractéristiques, dont, évidemment, la surface apparente occupée. Mais les différences de superficie n’impliquent évidemment pas des liens de dépendance hiérarchique. Il faut donc plutôt, à mon avis, classer les ruines et établir pour leur interprétation une hiérarchie entre les types de ruines.

3Pour ma part donc, après avoir décrit les ruines dans leur environnement géographique, j’ai cherché à comprendre la campagne (ou plutôt les campagnes) en établissant une distinction entre les vestiges d’habitats antiques et les données archéologiques relatives à l’exploitation du sol. Par habitats, j’ai entendu les villae et les habitats des paysans (simples cabanes ou agglomérations rurales). Sous le nom de données archéologiques sur les techniques d’exploitation du sol, j’ai regroupé en l’espèce les techniques hydrauliques et les données relatives à l’oléiculture (ce qui s’explique dans le cadre nord‑africain), les vestiges de carrières et le réseau de communication. Du point de vue que j’adoptais, celui de l’historien d’une société, une première hiérarchie s’établissait automatiquement entre les vestiges d’habitat et les données archéologiques relatives à l’exploitation du sol qui avaient par rapport à eux un rôle second. Le simple classement des ruines et le rapport de proximité entre les différents types permet déjà de passer de la description d’un paysage à l’étude du fonctionnement de la société. La cartographie des villae définit des réseaux ; quels sont leurs rapports avec les agglomérations ? Quels sont les rapports entre monuments funéraires ou nécropoles et habitats? Dans ces divers raisonnements, l’aspect quantitatif n’est pas le plus important.

  • 2 Cf. p. 172 (N.D.L.R.).

4A côté de la hiérarchisation quantitative (importance d’une ruine), de la hiérarchisation fonctionnelle (privilégiant par exemple l’habitat), il est possible d’identifier une hiérarchisation sociale. Nous devons raisonner en historiens, c’est‑à‑dire par rapport à une société historique donnée. Or, dans le cas de celle que j’ai étudiée, un type d’habitat particulier a laissé des ruines dont l’apparence extérieure est caractéristique : la villa romaine. C’est la chance qui rend plus aisée l’étude de la romanisation. Je suis donc tout à fait d’accord avec l’intervention de Dentzer rappelant un texte de Vitruve (De Architectura, 6, 7) qui insiste sur le rapport entre architecture privée et condition sociale2. Certes, il concerne l’architecture urbaine ; mais les fouilles ont amplement montré la transposition à la campagne, dans les villae, des installations caractéristiques des domus urbaines. Dans ces habitats, on utilise des techniques qui ont une signification sociale : pierres taillées dans les villae, architectures de terre dans les maisons des paysans. D’autres sociétés ont connu des situations analogues. Ainsi en Camargue au siècle dernier, les maisons bourgeoises étaient construites avec de la pierre de Fonvielle, matériau noble mais insalubre car pompant l’humidité, alors que les gardians habitaient des maisons de terre beaucoup plus saines, mais utilisant un matériau vulgaire. Il est bien évident que dans la région de Cherchell, cette hiérarchisation est caractéristique d’une époque et d’une société donnée (romaine en l’espèce) et qu’au xixe s. par exemple, au moment de la conquête française, les notables Beni‑Menacer (la tribu occupant l’arrière‑pays de Cherchell) n’utilisaient pas un matériau différent de celui des paysans. Par ailleurs, à l’époque romaine elle‑même, l’adoption de la villa comme type d’habitat par les élites des tribus peut être utilisée comme signe de modifications socio‑économiques du monde indigène. D’une manière générale, j’ai repris et explicité ce point de vue dans mon article : « La ville antique et l’organisation de l’espace rural : villa, ville, village » , dans Annales ESC, 1983, 4, pp. 920‑942.

Notes

1 L’article de Ph. Leveau a été rédigé à la suite de la table ronde, ce qui explique qu’il contienne des références à la discussion générale. Cf. p. 169 (N.D.L.R.).

2 Cf. p. 172 (N.D.L.R.).

Auteur

Université de Provence, Aix

© Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1986

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