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La prospection archéologique

 | 
Alain Ferdière
, 
Elisabeth Zadora-Rio

Les modes d’échantillonnage

L’occupation du sol dans la région de Castel San Vincenzo, Molise du Bas Empire au Moyen Âge (Italie)

Peter Hayes

Abstract

La prospection, la recherche historique et la fouille sont souvent menées de façon indépendante dans le but de collecter des données qui seront soumises ensuite à un processus rigoureux d’évaluation et d’inférence. Une autre approche consiste à créer une relation dynamique entre les trois méthodes d’enquête. Leur interaction engendre un processus continu de formulation et de vérification d’hypothèses. L’objectif de la présente étude était d’analyser l’influence d’un monastère sur le peuplement et l’économie d’une région limitrophe des Abruzzes, dans le centre de l’Italie, entre le viiie et le xiie s. La prospection a montré que le schéma de peuplement de la fin de l’époque romaine ne s’est pas perpétué au cours du Haut Moyen Age. Pour tester une hypothèse alternative, des sondages‑échantillons ont été pratiqués sur les versants recouverts d’une forêt secondaire.

Testo integrale

1Cet article réunit divers exemples présentés dans les discussions de la table ronde. Il expose les buts et les méthodes de la prospection effectuée autour d’un site monastique des viiiexie s. à San Vincenzo al Volturno, province d’Isernia, Molise, en Italie (fig. 1). Le Dr. Richard Hodges, de l’Université de Sheffield, fouille une partie du site. Les résultats de la prospection vont être publiés dans les Papers of the British School at Rome, avec l’ensemble des recherches sur San Vincenzo.

• 1. Situation de la région de Castel San Vincenzo en Italie.

2L’objectif est de confronter les données fournies par les sources écrites, la fouille archéologique et la prospection au sol pour comprendre le développement d’un établissement monastique riche et important et le rôle qu’il a joué dans l’aménagement d’une région définie, durant la période qui va de la chute de l’Empire romain au xe s. Bien que le volume et la précision de l’information fournie par ces trois sources soient variables, on refuse de considérer au départ qu’il existe obligatoirement entre elles une hiérarchie. Ainsi nous ne pensons pas a priori que les données de la prospection sont inférieures aux données des fouilles, ni que les sources écrites prennent nécessairement le pas sur l’information archéologique. Au contraire, nous admettons qu’elles sont toutes partielles et qu’elles souffrent toutes de déformations. Plutôt que de subordonner un type d’information à un autre, nous avons tenté de créer entre eux une relation dynamique. Les données historiques ont fourni les hypothèses de départ, qui ont été testées par la prospection et confrontées avec les résultats des fouilles disponibles. L’hypothèse initiale n’a pas été confirmée par les résultats de la prospection. Une autre hypothèse a donc été émise et confrontée elle aussi à l’épreuve de la prospection. Ce processus se poursuit. L’historien a trouvé de nouveaux documents et des sondages ont été projetés sur les sites découverts pendant la prospection, pour clarifier des problèmes particuliers. On a prévu une troisième phase de prospection afin de mettre au point et de tester un modèle plus élaboré du peuplement.

Méthodes et techniques : 1ère phase

3L’hypothèse de départ était que l’occupation du très Haut Moyen Age prolongeait le schéma du Bas Empire, mais à une échelle réduite. En d’autres termes, une population peu nombreuse continuait d’occuper partiellement la région, en vivant dans des fermes dispersées. Cet habitat dispersé durait jusqu’à ce que le monastère crée et développe un système d’habitat groupé dans des villages perchés (castelli). L’hypothèse à vérifier était l’existence d’établissements du Bas Empire, dans certaines localités connues, et la présence d’habitats dispersés du Haut Moyen Age dans les mêmes localités, probablement sur l’emplacement de sites romains plus étendus.

4La datation de la poterie découverte en prospection a été rendue possible par une inestimable séquence stratigraphique mise en évidence par la fouille principale. Les différentes phases de construction commencent avec ce qui semble être une église du ive s. recoupant une construction du Bas Empire. On a une bonne chronologie de la poterie qui va du ive s. au xe s., à l’exception du viie s., pour lequel subsistent des problèmes. La poterie est résistante et comprend de la céramique tournée, de la poterie à peinture rouge, de la poterie modelée caractéristique et un peu de céramique glaçurée précoce. La série a été prolongée au xie s., grâce à une petite fouille sur un site perché brièvement occupé, qui a été découvert durant la première campagne de prospection et identifié grâce aux documents historiques.

5La première campagne de prospection a été concentrée sur la plaine de La Rocchetta. Celle‑ci mesure à peu près 5 km de long et 2 km de large ; elle est bordée sur trois côtés par des collines escarpées ou des montagnes et longée sur le quatrième par la gorge abrupte du Volturno. Malgré sa faible superficie, elle constitue la plus grande étendue de terrain plat dans le domaine des moines ; elle forme une unité refermée sur elle‑même qui a dû pourvoir à la subsistance de base du monastère et de quelques établissements plus précoces. Plus de 75 % de la plaine étaient constitués de labours propices à la prospection au sol.

• 2. Prospection au sol à Castel San Vincenzo : a ‑ le monastère. b ‑ la terra en 866. c ‑ la plaine de La Rocchetta.

6La technique de prospection a été appliquée systématiquement. Deux équipes, chacune de trois ou quatre personnes, couvraient un carré de 1 km2 par jour. Les carrés de 1 km2 formaient une grille calquée sur celle des cartes officielles de la région. Il n’est pas de notre propos de donner ici le détail des techniques de terrain. Qu’il nous suffise de dire qu’on s’est attaché à couvrir la région la plus large possible à un niveau de finesse tel qu’on puisse trouver la totalité, ou la plus grande partie, des concentrations d’artefacts de plus de 5 m de diamètre. On a également découvert beaucoup d’objets isolés et de très petites concentrations de silex et de poterie préhistorique, mais il nous a fallu renoncer au travail, lent et détaillé, nécessaire pour constituer un échantillon satisfaisant de vestiges préhistoriques, afin de couvrir, dans le temps imparti, la superficie nécessaire pour établir un échantillon suffisant de sites romano‑samnites et du Haut Moyen Age.

7A l’occasion de la première campagne, on a également prospecté une bande de 5 km sur 1 km à Valle Porcina, plusieurs carrés de terrain difficile près de la plaine de La Rocchetta et un carré isolé au sud de Scapoli. La première et la dernière de ces zones étaient des régions où, d’après notre hypothèse de travail, nous devions trouver un habitat dispersé du Bas Empire (ce qui fut le cas) qui se serait perpétué au Haut Moyen Age (ce qu’on n’a pas mis en évidence). Enfin, on a encore examiné, de manière non systématique, des hauteurs, choisies selon des critères historiques et topographiques, pour rechercher des villages disparus mentionnés dans les sources écrites.

Révision théorique

8Pour bien comprendre la seconde phase de la prospection, il faut examiner rapidement les résultats de la première campagne. On avait localisé cinq zones de terres rouges de bonne qualité sur des sols plats ou en pente douce. Chaque zone comportait une concentration importante ou moyenne (2000m2 à plus de 20 000 m2) de tuiles et de poteries romaines, avec toujours un peu de matériel du Bas Empire, bien que les sites les plus vastes eux‑mêmes n’aient fourni que peu de céramique fine. Chaque zone comprenait de six à douze sites beaucoup plus petits (100 m2 à 2000 m2), avec des tuiles et de la poterie commune, en général accompagnée de quelques tessons de céramique à vernis noir.

9Ces petits sites n’ont jamais livré de céramique africaine à vernis rouge ou autres poteries romaines tardives qu’on avait auparavant identifiées, et les fragments de sigillée étaient rares. Les concentrations de poterie protohistorique (sans doute surtout de l’Age du Bronze) et de silex étaient aussi nombreuses que les sites romains. On a observé que les zones de terres argileuses grisâtres ou jaunâtres, souvent cultivées en terrasses et proches des villages modernes, ne fournissaient que de la poterie du Bas Moyen Age ou de l’époque moderne. On n’a pas découvert de poterie du Haut Moyen Age lors de la première campagne de prospection systématique. L’examen des sites perchés sélectionnés a permis de découvrir cinq villages désertés médiévaux ainsi qu’un important site de hauteur du Bronze Final ou du Hallstatt.

10Les résultats positifs ou négatifs de la première campagne concordent donc avec l’hypothèse relative à la localisation de l’habitat romain dispersé, mais la prospection n’a livré aucun indice de la continuité supposée pour le Haut Moyen Age. Au cours de la première semaine de la seconde campagne, on a prospecté deux zones supplémentaires qui devaient se conformer à la même hypothèse et, là encore, on a découvert les sites romains attendus, mais aucun vestige du Haut Moyen Age.

11Différentes conclusions étaient possibles en théorie : abandon de la région après l’effondrement de l’Etat romain, phase sans céramique, désintégration de la poterie du Haut Moyen Age dans le sol ou incapacité des prospecteurs à la reconnaître sur le terrain. Mais la fouille du site monastique prouvait l’existence d’au moins un site du Haut Moyen Age, avec une série céramique non négligeable, et nous trouvions fréquemment de petites concentrations de poterie préhistorique, pourtant moins résistante et moins facile à voir. A mon avis, la conclusion logique était que l’hypothèse initiale était erronée : nous ne cherchions pas là où il fallait.

12Un argument, a silentio, et aboutissant à une conclusion négative, n’est pas satisfaisant. Le problème était que nous étions confrontés à une grande étendue de terrain, en grande partie accidentée et boisée, et que nous n’avions que deux semaines à notre disposition. La solution était de formuler une nouvelle hypothèse quant à la localisation des habitats du Haut Moyen Age et de la mettre à l’épreuve. Il devait s’agir d’un modèle de prévision très simple, seulement destiné à découvrir les habitats les plus évidents.

13Trois éléments corrélatifs ont été utilisés dans ce modèle simple : les sols, les habitats romains tardifs et la topographie. En premier lieu nous supposions que l’économie de cette région assez marginale avait dû se modifier lorsque les systèmes socio‑économiques du Bas Empire s’étaient effondrés ou contractés. Il y aurait eu croissance relative de la production vivrière au détriment des cultures destinées à être commercialisées, comme la production à grande échelle d’olives et de vin. Ceci aurait accru l’importance des meilleures terres arables au détriment des terres plus pauvres ou situées sur les pentes les plus escarpées. La proximité de la forêt, pour l’élevage des porcs ou la chasse, avait pu aussi entrer en ligne de compte, mais son rôle semblait moins déterminant, dans la mesure où les étendues boisées ne devaient pas manquer.

14Deuxièmement, nous supposions que la population subsistante avait cherché à bénéficier, aussi longtemps que possible, des matériaux et du travail investis dans les constructions et les terres agricoles du Bas Empire.

15Troisièmement, puisque nous n’avions pas découvert d’habitats dispersés sur les terres arables, nous avons postulé qu’ils devaient se trouver sur les collines ou les flancs de coteaux avoisinants. Bien qu’un habitat dispersé sur les collines ait été envisageable, sous quelque forme que ce fût, l’habitat groupé semblait préférable et, dans ce cas, le choix des plus vastes étendues des meilleurs sols semblait probable. La seule poterie du Haut Moyen Age qui avait été découverte à ce stade de la recherche provenait des niveaux inférieurs des fouilles du site monastique. La localisation de ce site s’accordait avec la nouvelle hypothèse : il se trouvait sur une colline basse proche des plus grandes zones de bonnes terres arables et un habitat romain tardif existait à proximité, sur le flanc de coteau et dans la plaine.

16On a donc recherché une colline, proche d’une grande étendue de bonne terre arable comportant un site romain tardif. On a choisi Vacchereccia à l’extrêmité opposée de la plaine de La Rocchetta par rapport au monastère. Au cours de la première campagne, nous avions découvert un village déserté au sommet de la colline de Vacchereccia, et les documents historiques indiquaient que le village était relativement récent, établi après le xe s. Bien que nous connaissions à présent l’existence de documents attestant un habitat précoce à cet endroit, l’étude historique semblait alors nous donner tort ; on a toutefois maintenu ce choix comme étant le meilleur à partir des données alors disponibles de la prospection.

Méthodes et techniques : 2ème phase

17La prospection systématique au sol était impossible, car le flanc de coteau, à Vacchereccia, était densément boisé ; on avait toutefois découvert quelques fragments de poterie romaine et une anse médiévale dans des coupes exposées à l’érosion. On a donc adopté une nouvelle technique, une sorte d’échantillonnage du sous‑sol ou « sondage à la pelle » (shovel‑testing) sous la direction d’Eric Hansen, de l’Université de Buffalo (N.‑Y.). Des trous d’1 m2 ont été rapidement creusés dans la terre de surface, selon une bande ou un quadrillage fixé à l’avance et la terre de chaque trou a été tamisée à la recherche des artefacts. Ce travail, pénible et lent, requiert des équipiers compétents. Il s’est avéré très efficace sur les flancs de coteaux, surtout constitués de champs et de terrains abandonnés, aujourd’hui couverts de broussaille et de bois secondaires.

18A Vacchereccia, on a sondé le sommet de la colline et la pente en contrebas du site du Bas Empire ; on a par la suite effectué un petit sondage pour éclaircir les résultats. Nous avons enfin fini par découvrir de la poterie des viiieixe s., sur la pente, immédiatement sous la crête de la colline. Au sommet, on a trouvé une quantité importante de proto‑majoliques et de poteries du Bas Moyen Age.

19On a répété l’expérience, en utilisant seulement des sondages à la pelle, dans le bassin de Filignano, région de hautes terres plus éloignée, au sol arable de première classe. On a de nouveau découvert de la poterie des viiie ‑xe s., juste en‑dessous du sommet d’une colline, occupé par un village déserté, qui a fourni une grande quantité de poterie des xi°‑xive s. Dans la troisième zone choisie, le bassin des hautes terres de Pantano, non loin de Filignano, on n’a pas eu le temps de procéder aux sondages à la pelle. On a toutefois découvert un village déserté au sommet d’une colline, surplombant la zone des sols de première classe, au centre de laquelle se trouve un important site romain tardif. Au sommet de la colline, on a découvert en surface des tessons médiévaux, dont de la proto‑majolique. On a découvert de la poterie modelée près du sommet, provenant de l’érosion de la première terrasse, mais les tessons, peu nombreux, peuvent être médiévaux. Il faudra y pratiquer un sondage à la pelle ou une fouille lors de la prochaine campagne.

Conclusions

20Le travail est encore en cours, l’analyse détaillée de la poterie doit être menée à terme et l’image donnée par ce compte‑rendu simplifié devra sans aucun doute être révisée. Néanmoins, les résultats de la prospection contredisent d’ores et déjà l’impression donnée par le Chronicon Vulturnense du xiie s. et les documents qui lui sont liés, qui donnent un état détaillé de l’habitat dans la terra depuis la fondation du monastère au viiie s. La prospection montre que les habitats des collines n’ont pas été créés par le monastère, mais existaient au moins dès le viiie s., et qu’un habitat groupé, sous une forme ou sous une autre, pouvait s’être constitué au Bas Empire.

21L’objectif de cet article est cependant de souligner deux points d’intérêt plus général : d’une part, que la prospection archéologique et la fouille peuvent être intégrées aux recherches historiques, au bénéfice mutuel des trois disciplines ; d’autre part, lorsqu’une région est trop vaste pour une prospection totale, il est possible, à condition que des problèmes précis puissent être définis, de formuler des hypothèses et de les mettre à l’épreuve. Une telle approche est très efficace, en ce sens qu’elle privilégie le temps consacré aux réponses au détriment du temps imparti à la collecte d’informations. Tel est mon avis, en tant que responsable de la prospection. Le Dr. Christopher Wickham, historien, et le Dr. Richard Hodges, directeur des fouilles et de l’ensemble de l’opération de San Vincenzo, ont leur propre avis. L’échange se poursuit...

22(Traduction E. ZADORA‑RIO)

Indice delle illustrazioni

Legenda • 1. Situation de la région de Castel San Vincenzo en Italie.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/31838/img-1.jpg
File image/jpeg, 29k
Legenda • 2. Prospection au sol à Castel San Vincenzo : a ‑ le monastère. b ‑ la terra en 866. c ‑ la plaine de La Rocchetta.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/31838/img-2.jpg
File image/jpeg, 161k

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