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La prospection archéologique

 | 
Alain Ferdière
, 
Elisabeth Zadora-Rio

Les modes d’échantillonnage

L’occupation du sol dans l’Ager Cosanus et la vallée de l’Albegna (Italie)

M.‑G. Celuzza et E. Fentress

Résumé

La prospection de l’Ager Cosanus et de la vallée de l’Albegna a débuté en 1977 dans le but de clarifier certains aspects de l’histoire de l’occupation du sol de la région. Tous les sites découverts sont enregistrés et soumis à un ramassage de surface, mais la problématique principale concerne les périodes étrusque, romaine et médiévale. L’échantillon choisi pour couvrir les régions concernées inclut une zone centrale assez vaste autour de Cosa même, et une série de bandes de 1 km de large, parallèles d’une part aux affluents de l’Albegna et de l’autre aux cours d’eau plus petits de la plaine côtière. Autour des centres connus, les bandes sont élargies (2 km) pour couvrir des échantillons plus vastes. La dernière partie de l’article traite de certains problèmes d’interprétation du matériel provenant de contextes historiques, où des textes peuvent être utilisés pour confirmer les données observées. Des définitions sont proposées pour des termes utilisés pour la période romaine, tels que « fermes, les différents types de « villae », et « village ».

Texte intégral

  • 1 Ce texte a été réalisé avec la collaboration de F. Cambi, A. Carandini et E. Regoli, pour la partie (...)

1En présentant l’opération de prospection de l’Ager Cosanus et de la vallée de l’Albegna1, il est nécessaire d’envisager les problèmes qui se posent dans une aire qui, à la différence de beaucoup d’autres en Italie, a déjà fait l’objet de nombreuses enquêtes topographiques (Minio 1921, Levi 1927, Castagnoli 1956, Bronson‑Uggeri 1970, Dyson 1978, Quilici 1978). La problématique de départ est identique à celle qui a donné naissance aux fouilles de la villa de Settefinestre, à savoir vérifier la chronologie et la diffusion du mode de production esclavagiste, et en particulier la fonction de la villa comme centre de production agricole pour un marché méditerranéen (Carandini 1979 : 184‑197 ; Carandini, Settis 1979 : 30‑34).

2Cette problématique était donc exclusivement historique et limitée à la période romaine. Le choix de l’Ager Cosanus, dont les limites sont définies plus d’un point de vue historique que géographique, est la conséquence de cette problématique limitée. Le projet actuel (très différent du premier) a été formulé lorsqu’une analyse des travaux précédents a révélé des problèmes touchant à la nature même de leurs données. Les datations et l’interprétation des sites s’avéraient vagues et erronées, même en tenant compte de la marge d’erreur inhérente aux prospections de surface. Un défaut plus grave, commun à toutes les recherches précédentes, était qu’elles prétendaient couvrir toute la zone, en négligeant l’interprétation générale de la distribution des sites.

3La nécessité de mener l’enquête de façon plus systématique, nous a incités à entreprendre une prospection basée sur des zones d’échantillonnage préalablement établies. En même temps, pour éviter les défauts d’un projet fondé uniquement sur le territoire historique de Cosa, nous avons étendu la recherche au contexte géographique de l’Albegna au nord et à la rive droite de la Fiora à l’est. Cette couverture plus vaste permettait une collecte de données plus complète pour toutes les époques. Celle‑ci fournissait à son tour des bases plus sérieuses pour l’analyse des développements économiques et institutionnels des périodes historiques. Les principaux problèmes soulevés par cette enquête restent les rapports entre l’histoire connue des différents territoires couverts par la prospection et les types d’établissements reconnus au sol, en étant particulièrement attentif aux périodes pour lesquelles l’absence de témoignage au sol pousserait à imaginer un abandon de la zone, au ve s. av. J.‑C. et durant le Haut Moyen Age par exemple.

4Il faut aussi replacer le projet dans le contexte actuel de la recherche en Italie, marquée d’un côté par un très vif débat historique, de l’autre par une archéologie détachée des sciences naturelles. L’historien, dans ces conditions, propose de vastes synthèses sans en spécifier les bases précises. Ce que l’on aimerait démontrer, par la prospection comme par la fouille, c’est que seule une recherche micro‑historique permet de formuler des théories macro‑historiques et d’établir leur validité (Carandini 1980 : XVIII).

Le programme d’échantillonnage

5L’orientation spécifiquement historique de ce projet se reflète dans les niveaux d’analyse du terrain sur lesquels repose la définition des strates d’échantillonnage. Il existe trois types de strates, dont seul le premier est strictement écologique, fondé sur les variations géologiques/ pédologiques repérées dans l’aire concernée. La figure 1 présente une carte géologique simplifiée de la zone, avec six divisions essentielles. Le premier groupe de sols (fig. 1,1) est celui des formations côtières, une combinaison de sols marins et de terrains d’alluvions. Il s’agit de sols assez légers et fertiles, mais qui posent des problèmes de drainage. Ils nécessitent donc un entretien constant de systèmes de drainage très complexes, tels les cuniculi étrusques repérés sur le littoral entre le Chiarone et le Tafone.

• 1. Stratification 1. Variations géo‑pédologiques.

6Le deuxième groupe (fig. 1,2) comprend des sols que la carte géologique désigne de façon générale sous le nom de terra rossa, formés principalement par l’érosion des reliefs calcaires. Ils sont assez fertiles et adaptés à la culture de la vigne. Les sols de la vallée de l’Albegna constituent le troisième groupe (fig. 1,3). Il s’agit de terrains argileux et sableux (plus sableux près des côtes). Le quatrième groupe (fig. 1,4) est présent à certains endroits des fonds de vallée: ce sont des dépôts d’alluvions récents très sableux et mal drainés. Le cinquième groupe (fig. 1,5) comprend des formations diverses localisées sur les reliefs entourant le bassin de l’Albegna et le nord de la plaine côtière. Il s’agit de sols plutôt pauvres, actuellement couverts de bois et de pâturages. Le dernier groupe (fig. 1,6), enfin, est formé par des sols de colluvions enrichies de matériaux volcaniques. Nous les trouvons presque uniquement dans les environs de Vulci.

7Une deuxième strate (fig. 2) est définie par la distance par rapport aux voies de communication naturelles (vallées, crêtes de montagnes, mer) ou dans un sens plus général par rapport au réseau historique des routes et des ports. Ce réseau comprend donc la via Aurelia, la via Clodia, et d’autres routes secondaires. Les ports, dont l’importance varie selon les époques (de même que celle des routes), sont ceux de Marsiliana (port de l’Albegna à partir duquel la rivière était navigable), Albinia et Cosa, et peut‑être un autre port à l’embouchure du Chiarone. Cette strate permet d’identifier trois zones en fonction de l’accès aux voies de communication : aires éloignées de moins d’1 km, de moins de 5 km, et de plus de 5 km de la côte et des voies les plus importantes. Il est évident que les routes elles‑mêmes doivent être identifiées avant que ce niveau d’analyse puisse être atteint, mais le problème est que certains aspects de ce système peuvent changer dans le temps.

• 2. Stratification 2. Distance par rapport aux voies de communication.

8En tout cas, la relative facilité d’accès à de plus larges débouchés économiques est d’une grande importance et doit donc être présentée comme un des critères fondamentaux pour l’évaluation des changements des modes d’occupation dans la zone concernée.

9La dernière strate est déterminée par la position des centres les plus importants (fig. 3), pouvant servir de marchés pour les produits agricoles ou contrôler les centres mineurs dans les zones placées sous leur influence. Les centres de peuplement sont évidemment destinés à se modifier dans le temps ; il faut tenir compte du fait que des centres importants encore inconnus peuvent être découverts. Il serait donc plus valable de proposer une analyse pour chaque période historique, à l’intérieur de laquelle on puisse définir les trois zones d’un rayon d’1 km, 5 km et plus de 5 km, à partir des centres les plus importants pour les périodes envisagées.

• 3. Stratification 3. Distance par rapport aux centres urbains. Epoque romaine.

10Le projet de prospection, afin d’exploiter l’interaction de ces analyses, se fonde à la fois sur un échantillonnage au hasard, systématique, et sur un échantillonnage stratifié (fig. 4). Les connaissances de base sur la répartition des sites dans la totalité de la région sont fournies par un système de bandes de prospection, réparties régulièrement, devant couvrir 20 % de la surface étudiée. Le choix de ce système d’échantillonnage se fonde, entre autres, sur les travaux effectués au Chaco Canyon (Judge, Ebert, Hitchcock 1975) qui ont permis de démontrer qu’un système fondé sur des intervalles réguliers offre de meilleures possibilités de prédiction qu’une disposition irrégulière. Ces bandes sont orientées parallèlement aux affluents de l’Albegna et perpendiculairement à la côte dans la zone sud‑est de l’Ager Cosanus. L’orientation des bandes est définie par la nécessité de prospecter des échantillons des différentes formations géologiques présentes dans la vallée, et d’y inclure des portions suffisantes des cours d’eau secondaires.

• 4. Ager Cosanus ‑ Vallée de l’Albegna.

11La position des bandes verticales au nord a été choisie au hasard, parmi cinq possibilités ; elles ont servi de base pour la détermination du reste du plan de prospection. Aux intersections des bandes (l’Albegna et la ligne de partage des eaux nord‑orientale), on a élargi celles‑ci de 1 km de côté, afin d’étendre la superficie de prospection aux extrémités de chaque bande.

12Ces bandes constituent l’arrière‑plan d’un échantillonnage stratifié qui est en relation étroite avec le but principal de la prospection : l’étude des rapports entre les centres de peuplement et leur arrière‑pays. Le plus grand de ces échantillons couvre la zone directement attenante à Cosa, noyau de notre projet de prospection, et devant fournir une couverture totale de l’arrière‑pays immédiat de la colonie. Cependant, des unités plus petites, de 2 sur 5 km, sont liées à des centres importants pour des époques historiques différentes. Pour des raisons d’économie, ces dernières se superposent aux unités du premier type lorsque cela est possible. En outre, ce type d’échantillonnage permet de diminuer le danger d’erreurs systématiques, dû à la présence possible de sites placés à intervalles réguliers. Les centres choisis dans ce but comprennent Marsiliana pour la période étrusque archaïque et l’époque médiévale, Ghiaccioforte pour la période étrusque tardive, Heba et Satumis comme autres exemples de colonies romaines à confronter avec Cosa.

Les sites : définition et documentation

13La prospection au sol se fait en grande partie au mois de septembre, période où les labours occupent leur plus grande superficie, ce qui la facilite. Mais des campagnes secondaires ont lieu aussi en hiver, lorsque la visibilité dans le maquis est meilleure. Les groupes de prospecteurs sont généralement composés de cinq personnes ; les temps de travail varient de cinq à quinze jours par personne et par km2. Dans le maquis, les conditions de travail sont plus difficiles, mais la densité même des sites ralentit la prospection des terres labourées. Le pourcentage de ces dernières peut aller de 80 % à moins de 20% sur certaines collines.

14D’après ce qui vient d’être dit, il est clair que nous avons rejeté l’idée d’un non‑site survey, à la fois parce que l’abondance du matériel rendrait l’enregistrement individuel de chaque tesson, champ par champ, désespérément long, et parce que nous sommes moins intéressées par la distribution totale de tous les témoins d’une époque donnée que par leur concentration comme résultat d’activités spécifiques : installation, production, sépulture, etc. Ce choix, qui semble guidé par la facilité, se justifie par un jugement assez critique sur les résultats qu’on peut espérer grâce à ce type de prospection. En fait, il est clair qu’il est impossible de reconstituer l’intégralité des activités humaines dans une aire donnée, tant celles‑ci constituent, à tout point de vue, un ensemble infini. L’inclusion, dans cette recherche, de tessons isolés qu’on ne peut interpréter, donnerait à la série de données, par définition incomplète, un aspect faussement objectif et exhaustif : la présence d’un seul tesson à un endroit donné peut être le résultat de n’importe quelle activité, humaine ou naturelle. Puisque les bases de notre analyse sont de toute manière une série d’interprétations, l’exclusion de ces éléments, considérés comme définitivement non interprétables, ne modifie pas les résultats obtenus. Dans ce cas nous avons exclu la possibilité d’affirmer qu’une aire donnée est totalement dépourvue d’établissements ; ces concentrations, même très faibles, sont en tout cas enregistrées, même si on ne les définit pas comme sites.

15Qu’entendons‑nous par site ? Pour les périodes historiques la définition reste dans un certain sens subjective : une concentration de matériaux issus d’activités humaines à une époque donnée, ou bien d’autres indices, nous incitent à supposer une occupation dans le passé. En effet, entre un seul tesson et un ensemble de tessons, la limite est extrêmement imprécise. Les trouvailles préhistoriques isolées constituent un cas particulier, car elles sont reconnues comme sites, indépendamment de leur association avec d’autres matériaux.

16Les sites comportant du matériel de diverses périodes sont soumis à un deuxième examen. S’il y a quelques raisons de croire à une continuité dans la nature de leur occupation, on les considérera comme formant un site unique. Au contraire, si on note une discontinuité évidente entre une occupation préhistorique puis romaine, ou entre une nécropole étrusque puis une ferme romaine, ils seront considérés comme autant de sites particuliers. Bien entendu, c’est seulement au cours de phases ultérieures qu’on pourra établir une telle division, après l’étude du matériel. Les structures linéaires, telles les routes, les limites de champs, sont classées comme sites uniques dans le cas où elles sont continues. Dans le cas inverse, différents numéros sont attribués à chaque section, qui seront regroupés sous un seul au moment de la synthèse.

17La dernière catégorie de notre définition comprend les sites qui ont complètement disparu, mais dont l’existence est attestée par les archives et des travaux archéologiques antérieurs dans la zone, ou par des informations fournies par les habitants. Cette dernière source de connaissance est très importante dans le cas des tombes étrusques, très souvent pillées et détruites.

18Un autre problème est celui de l’exhaustivité de l’enregistrement des données concernant les sites. Dans la pratique, nous avons adopté les critères suivants :

  • a/ sites‑types dont un est choisi pour la fouille;

  • b/ sites atypiques (unicum), par exemple les centres urbains; ceux‑ci sont illustrés par un plan, ou soumis à un ramassage de surface par quadrillage; cependant ce dernier procédé exige un travail très long, ce qui rend improductif son utilisation à grande échelle;

  • c/ la plupart des sites sont donc soumis à une simple collecte de matériaux à la surface.

  • 2 Notre fiche est conçue de la façon suivante :
    I. Informations générales : site n°, définition, limit (...)

19Les informations obtenues sont transcrites sur une fiche de site2.

20Entre l’affirmation de l’existence d’un site et son interprétation, il y a une coupure épistémologique significative. En laissant de côté les sources d’erreurs, fondées sur les conditions mêmes de la prospection de surface, la nature de cette interprétation sera conditionnée aussi bien par l’expérience acquise sur des sites similaires, et nos catégories mentales préexistantes, que par la nature objective des ensembles prospectés. En d’autres termes, il est inévitable que l’on aborde les sites avec un ensemble d’idées préconçues en tête. L’interprétation historique dépend donc plus d’une hiérarchie de ces interprétations que de la simple présence/absence d’activités humaines. Si cette constatation était suffisante pour répondre à la question « l’Ager Cosanus était‑il occupé à l’époque romaine ? », une simple prospection en Land Rover apporterait aisément les mêmes résultats. De toute façon, pour décrire le réseau de liens entre les sites, il faut commencer par établir leur typologie, surtout parce que, sans elle, les comparaisons entre de vastes zones n’ont pas de signification. Evidemment, les sites auxquels on a affaire n’étant pas entiers ni occupés par leurs habitants, quelles que soient ces catégories que nous définissons, elles doivent être nécessairement polythétiques, c’est‑à‑dire que chaque individu d’un groupe doit posséder un grand nombre des attributs qui définissent le groupe, mais que, en revanche, aucun attribut n’est nécessaire et suffisant pour définir à lui seul l’appartenance d’un individu au groupe.

La typologie des sites romains dans l’« Ager Cosanus »

21La dernière partie de cet article sera consacrée à la définition d’une typologie possible pour les installations romaines, non seulement comme des types idéaux, mais surtout telles qu’on les trouve sur le terrain. Il existe sûrement une contradiction inhérente à toute typologie qui va plus loin qu’une simple série de mesures : alors que les témoins dont on dispose pour les sites sont nécessairement empiriques, leur définition est une interprétation subjective, qui combine à la fois les données empiriques et une série de concepts historiques.

22La villa, le site le plus typique dans la campagne romaine, est également le concept le plus difficile à définir. Du fait que les villae sont un phénomène classique de la romanisation, on les définit par un terme latin, alors que des types d’établissements communs à plusieurs périodes sont désignés par des termes modernes. Mais il nous semble nécessaire de limiter l’utilisation du terme de villa que l’on tend souvent à appliquer aux sites ruraux romains en général. Les auteurs de la Forma Italiae spécifient chacun la signification du terme villa. Pour l’un d’entre eux, il s’agit d’une « installation ou centre habité composé d’un ou plusieurs édifices, le plus souvent d’une ferme familiale » (Morselli 1980 : 17). Pour un autre, c’est un « site où l’on trouve des blocs taillés, moellons en tuf, opus signinum, opus spicatum, enduit ou tesselles de mosaïque » (Pala 1976 : 82). Pour un troisième, c’est une « structure très variée dans son extension, organisation et fonction, définie par un critère qualitatif plutôt que quantitatif » (Muzzioli 1980 : 8) ; enfin, on peut même trouver la définition tautologique d’une villa comme une villa rustica ou large ferme agricole (Andreussi 1977 : 17). Les confusions sont dues largement à l’absence d’études sur toutes les sources relatives aux villae et à la rareté des villae fouillées en Italie. Ici, on n’essaiera de mettre en relation avec notre propre typologie que quelques textes. Il faut remarquer que nous nous référons surtout à l’Italie, et principalement aux zones côtières de l’Italie centrale tyrrhénienne, même si ces réflexions peuvent intéresser d’autres régions.

23De toute façon, l’une des principales sources d’ambiguïté est l’application aux sites ruraux de l’ensemble du monde romain d’un terme qui pourrait aussi être utilisé dans un sens très limité pour décrire seulement un élément spécifique de la révolution agricole qui se produisit dans l’Italie tyrrhénienne centrale entre la fin du iiie s. et le début du iie s. av. J.‑C. (Giardina‑Schiavone 1981).

24Cette confusion n’est pas absente des sources. Un passage de Varron (III, 2) contient une discussion sur ce qu’est exactement une villa. Cela signifie qu’au moment de sa plus grande diffusion, les Romains eux‑mêmes étaient imprécis quant à l’utilisation du terme villa. De toute manière, certains types particuliers peuvent être définis à partir de la discussion de Varron : ils ont en commun l’absence sur place de leur propriétaire.

25Premier type, la villa rustica : il s’agit d’une structure dépourvue de pars urbana, destinée à l’agriculture et/ou à l’élevage. C’est le type le moins connu par les textes ou par les fouilles ; parfois il n’est pas possible de le distinguer d’une grande ferme habitée par ses propriétaires.

26Un deuxième type est la villa rustica associée à une villa urbana ; la plupart des villae connues appartiennent à cette classe. A travers elles on peut mettre en évidence le double concept de fructus et otium ; la villa est un lieu de séjour agréable pour le propriétaire, qui contrôle dans le même temps ses intérêts. La production est destinée aux marchés éloignés, et doit assurer également l’auto‑consommation de la villa. Aucune villa de ce type n’est connue avant la deuxième moitié du iie s. av. J.‑C. A l’intérieur de cette catégorie prennent place les villae maritimae, normalement interprétées comme les maisons d’été de l’aristocratie. Cependant, il semble clair que beaucoup d’entre elles avaient aussi une fonction productive, liée soit à l’agriculture, soit à des activités comme l’apiculture ou la pisciculture (pastio villatica) (Arms 1970 ; Frederiksen 1981) pour lesquelles il n’est pas besoin de disposer de terrain. La villa en tant que villégiature est un phénomène beaucoup moins répandu qu’on ne l’a dit. On peut la considérer peut‑être comme une évolution vers les exemples connus de ce que Frederiksen (1981 : 279) appelle lussuosa autosufficienza : un développement qui peut être décelé archéologiquement par une prédominance croissante de la pars urbana sur la pars rustica, processus dont parlent Varron, Vitruve et Columelle.

27Nous aimerions préciser tout ce que le terme de villa ne signifie pas. Premièrement, il ne peut pas se rapporter à des sites antérieurs au iie s. av. J.‑C. Il ne désigne pas plus une petite ferme habitée par ses propriétaires, dépourvue de toute recherche architecturale. L’Antiquité tardive pose ses propres problèmes. Des villae présentant une véritable continuité dans leur utilisation restent encore à fouiller. Les relations entre elles et les centres des latifundia impériaux mentionnés par les textes sont, à vrai dire, peu claires. Des villae comme Piazza Armerina semblent suggérer que les fonctions productives étaient complètement détachées de la résidence des propriétaires, désormais reléguée dans le village (Carandini, à paraître).

28On réservera le terme de villa au plus complexe des types mentionnés par les textes, comprenant aussi bien la pars urbana que la pars rustica. A l’intérieur de cette catégorie, on peut distinguer quatre classes (dans l’Ager Cosanus), essentiellement sur la base de leurs dimensions.

29La première classe a une superficie supérieure à 25 000m2 (treize exemples connus). Sur la base du matériel découvert et des structures éventuellement visibles, le terme de comparaison le plus approprié semble être la villa de Settefinestre.

30La deuxième classe comprend des surfaces entre 10 000 et 25 000 m2 (quinze exemples). La localisation et la chronologie de ces deux premières classes sont très semblables. On les a trouvées à proximité des grandes routes, sur des collines isolées ou des terrasses naturelles, dominant la campagne environnante. Certaines d’entre elles sont situées près de la mer, mais, comme on l’a dit, la présence dans celles‑ci de structures pour la pisciculture permet de les considérer comme des villae ayant une fonction productive. Dans tous ces sites on note la présence, dans la première phase, de céramique à vernis noir, datée du milieu du iie s. au milieu du ier s. av. J.‑C. Plus de la moitié des villae ne perdurent pas au‑delà de l’époque des Antonins. Deux exemples fouillés présentent des traces d’occupations sporadiques du ive au vie s. ap. J.‑C., et cela pourrait être vrai pour d’autres. Certaines d’entre elles semblent présenter une réelle continuité d’occupation, mais aucune n’a été fouillée et la forme de cette occupation reste encore à établir.

31Les troisième et quatrième classes de villae comprennent les surfaces entre 5 000 et 10 000 m2 (huit) et celles entre 2 500 et 5 000 m2 (cinq). Elles peuvent être distinguées des précédentes non seulement par leurs dimensions, mais aussi par leur chronologie. La plupart semblent disparaître après la fin du ier s. ap. J.‑C. : il est possible qu’elles aient été victimes de la première phase de la crise de l’agriculture italienne. C’est en fait le moment où la production agricole à Settefinestre évolua de la production intensive de vin vers une culture extensive de blé.

32Notre deuxième type de site pourrait être défini en général comme des « fermes » . La première classe se situe entre 5 000 et 10 000 m2 (huit cas). Même si elles peuvent être de dimensions identiques à la troisième classe des villae, elles sont dépourvues de toute trace de décor intérieur ou d’élaboration architecturale ; les pavements sont limités à l’opus signinum ou à des variations de l’opus spicatum. Ces sites peuvent être assez bien interprétés comme des fermes à gestion familiale, même s’il se peut que certaines d’entre elles rentrent dans la catégorie des villae rusticae de Varron. La deuxième classe de fermes comprend des surfaces entre 2 500 et 5 000 m2 (sept cas). Leur chronologie est la même que celle de la première classe. Ces fermes tendent à disparaître avec les premières formes de céramique sigillée africaine, à la fin du ier s. ap. J.‑C. La troisième classe est la plus riche, comprenant plus de cinquante exemples. Il s’agit de sites de moins de 2 500 m2. La grande majorité disparait à la fin de l’époque républicaine : on n’a trouvé de tessons de céramique arétine que dans un très petit nombre d’entre eux. Ils sont sûrement à mettre en relation avec la colonie de Cosa. Le site de Giardino Vecchio, en cours de fouille, en est un exemple. La dernière classe de fermes comprend celles qui couvrent à peine quelques centaines de mètres carrés (vingt) et celles dont les trouvailles de surface consistent seulement en tuiles. La céramique datable, lorsqu’elle est présente, est exclusivement à vernis noir. Ces sites ne représentent pas toujours une occupation permanente : on pourrait les rapprocher des tuguria de l’Ager Faliscus (Potter 1975 : 218‑219).

33Notre troisième et dernier type d’établissement est constitué par les villages. Ils sont représentés sur le terrain par de larges dispersions de tuiles couvrant souvent plus d’un hectare. Ils présentent peu ou pas d’autres matériaux de construction et les trouvailles sont en général plutôt pauvres. Ils ont souvent le même type de localisation que les plus grandes villae et, dans deux cas, on a trouvé de grandes nécropoles à proximité. La distribution de ce type est nettement distincte de celle des villae : des exemples ont été repérés près des rives de l’Elsa, mais aucun d’entre eux n’a été fouillé. On notera une référence aux villages dans un texte de Festus (502 L : 371 M) qui, parlant des vici, écrit : « ex agris qui ibi villas non habent ».

34(Traduction E. FENTRESS et A. HESNARD)

Discussion.

Président de séance : L. Langouët

35A. Ferdière : Je ne suis pas sûr d’avoir très bien compris si vous considérez que chaque site, chaque point de découverte, est une unité de production, ou une ferme, ou non ?

36M.‑G. Celuzza : Un site pour nous peut être constitué d’une ferme, d’une villa ou d’une seule tombe. Il s’agit toujours d’une unité.

37A. Ferdière : Vous ne pensez pas que l’on peut imaginer qu’un groupe de sites est en fait une seule unité de production, avec ses dépendances ?

38M. ‑ G. Celuzza : C’est possible, et c’est pourquoi lorsque nous trouvons un très petit site dont la chronologie correspond à celle d’une villa voisine, nous les associons dans notre interprétation. Il faut souligner que le terme villa, dans les sources écrites, peut désigner un bâtiment ou bien le fundus, le domaine qui lui est associé.

39N. Mills : Cette communication était excellente ; elle a en effet souligné plusieurs choses dont nous avons parlé hier lors de nos discussions. Notamment le fait qu’ici la méthodologie appliquée est liée à une approche théorique. Il y a également une sorte de feed‑back dans la construction du programme, par exemple dans la classification des villae à partir des trouvailles sur le terrain : on a donc commencé par une certaine conception de cette classification, qu’on a ensuite modifiée en fonction des trouvailles sur le terrain.

40J’ai quelques questions précises à poser, surtout en ce qui concerne le dernier type de petite ferme que vous avez trouvé. Lorsque nous avons prospecté dans l’Ager Lunensis, nous avons trouvé sur les collines plusieurs petites fermes qui n’étaient indiquées en surface que par quelques tuiles à rebord et très peu de tessons ; la concentration s’étendait peut‑être sur 20 ou 30 m ; nous avons fouillé un de ces sites et nous avons trouvé les restes d’une petite ferme romaine, un centre de production. Vous avez suggéré la possibilité que les sites de cette dimension n’aient pas été nécessairement des habitats permanents ; tandis que dans l’Ager Lunensis, semble‑t‑il, il existe des sites de ce type qui étaient habités d’une façon permanente. Il y a là un problème car, assez souvent, on passe au‑dessus de ces sites, on les ignore, lorsqu’on cherche des vestiges d’établissements gallo‑romains, parce qu’on ne pense pas que de si petites étendues de tuiles puissent signaler l’existence d’un habitat de quelque importance. Je pense que ces petits établissements ne sont pas négligeables.

41Deuxième question : est‑ce que vous avez pris en compte les problèmes d’évolution géomorphologique, l’érosion et les dépôts du sol ? Et si vous l’avez fait, y a‑t‑il eu des changements dans les potentialités agricoles des zones que vous avez étudiées ?

42M.‑G. Celuzza : Ce n’est pas uniquement une question d’approche théorique, cela dépend aussi du territoire sur lequel on travaille. Nous ne voulions pas faire un non‑site survey mais nous en avons fait un pour l’époque préhistorique, puisque nous avons relevé les coordonnées de tous les tessons et de tous les silex. Cela dépend donc des périodes, et il n’y a pas de méthode unique. Quant au second point que vous avez soulevé, notre recherche sur l’évolution écologique en est encore à ses débuts. Nous avons travaillé dans la partie centrale de l’Ager Cosanus, autour des principaux sites de fouilles, et nous savons à présent que l’alluvionnement dans les périodes récentes est très limité, mais qu’en revanche le colluvionnement qui vient des collines prend une grande importance à partir du iie s. de notre ère. Nous travaillons actuellement sur la côte de l’Ager Cosanus, mais nous nous concentrons davantage sur les problèmes de répartition des sites que sur l’évolution écologique des marais. Nous attendons la carte géologique que des Hollandais sont en train de réaliser dans cette région.

43A.‑P. Krauer : Le problème de la datation des villae se pose ; j’aimerais savoir quel est l’échantillonnage de céramique qui permet de situer la période et quelle est la quantité de tessons qui est jugée représentative ?

44M.‑G. Celuzza : Sur les sites principaux, nous avons des centaines de tessons de céramique de luxe, des amphores, et parfois des briques estampillées. Pour les villae, nous n’avons pas de problèmes de datation, bien que nous sachions que la dernière phase d’occupation du bâtiment est mieux représentée que la première. Pour les sites d’habitat de moindre importance, la datation est plus difficile.

45A.‑P. Krauer : Etes‑vous toujours certains que la première occupation apparaisse en surface ?

46M.‑G. Celuzza : Il y a presque toujours quelques tessons, mais nous avons également la possibilité de faire des comparaisons avec la villa qui a été fouillée et pour laquelle nous avons le pourcentage des différents types de poterie.

47A.‑P. Krauer : Autre problème : vous établissez une classification des villae en fonction de leurs dimensions, mais celles‑ci indiquent uniquement le dernier état du site. Lorsque vous avez une villa qui a été occupée pendant quatre siècles, comment pouvez‑vous dire quelle était sa surface à chaque phase de son développement ?

48L. Langouët : Pour la chronologie, je voudrais ajouter quelque chose. Depuis trois ans, à Rennes, nous avons mis au point une méthode de datation des tuiles et des briques, basée sur l’archéo‑magnétisme des objets déplacés. Nous avons daté, et nous sommes en train de dater, un nombre important de gisements gallo‑romains dans la région ; on a une précision, à l’heure actuelle, de plus ou moins quinze ans. Nous avons simultanément étudié la céramique sigillée retrouvée dans le même gisement ; or, nous constatons qu’il existe un décalage de 50ans, pour des villae construites par exemple dans le courant du IIe s. entre les céramiques sigillées les plus anciennes et la date réelle de construction. On explique ceci par le fait que les gens sont venus habiter dans une maison avec du mobilier qu’ils avaient auparavant. Il est dangereux de se baser uniquement sur la céramique sigillée pour l’époque romaine.

49A.‑P. Krauer : On peut admettre également que le bâtiment n’avait pas une couverture en tuile à l’origine; c’est ce qui se passe généralement en Suisse...

50A. Ferdière : Sur ce problème de datation des sites par les vestiges trouvés en surface, l’hypothèse initiale est la suivante : à partir du moment où on est en terrain labouré, dans des secteurs où l’on pense qu’il n’y a pas eu de colluvionnement, ce qu’on trouve en surface est représentatif de ce qui existe dans le sous‑sol. Vraisemblablement, il serait raisonnable de dire que c’est représentatif sur le plan de la chronologie, mais d’un point de vue plutôt qualitatif que quantitatif. On ne peut pas évaluer l’importance de chaque période, on peut simplement dire qu’il y a une occupation, sous une forme ou sous une autre, aux périodes pour lesquelles on trouve les fossiles directeurs en surface. Mais je crois que l’hypothèse selon laquelle, en terrain labouré non colluvionné, ce que l’on trouve en surface est caractéristique de ce qui a existé peut être admise ; je pose la question. Est‑ce que certains d’entre vous pensent que c’est contestable et que les vestiges de surface ne sont pas représentatifs ?

51L. Langouët : A mon avis, si le site est complètement détruit, je crois que c’est représentatif, alors que, s’il y a une couche superficielle, et qu’il subsiste une partie de la stratigraphie, ce n’est pas représentatif.

52P. Hayes : Lorsqu’on trouve un site de grande dimension en prospection, il est difficile de dire s’il a été important dès l’origine. Vous avez dit dans votre exposé que les sites les plus grands sont aussi ceux qui durent le plus longtemps, mais il est difficile de savoir s’il s’agit de sites qui ont été d’emblée importants, ou s’ils se sont progressivement agrandis. Pour tenter de résoudre ce problème, on peut d’une part effectuer une prospection géophysique pour détecter les structures enfouies, d’autre part effectuer un ramassage de surface avec une maille très fine, ce qui peut éventuellement permettre de mettre en évidence le noyau ancien du site et les étapes de son développement. Il faut associer les deux. La prospection géophysique vous donnera le plan des structures enfouies, et le ramassage de surface vous permettra éventuellement de dire si le bâtiment a eu de grandes dimensions dès l’origine, ou s’il a été progressivement agrandi. Il s’agit là d’une simple suggestion qui permettrait peut‑être de résoudre le problème.

53M.‑G. Celuzza : Il s’agit certainement de la meilleure technique, même s’il faut tenir compte du fait qu’on ne peut l’appliquer qu’à un nombre limité de sites, en raison du temps nécessaire à sa mise en œuvre. On ne peut donc l’utiliser que sur des sites qui offrent certaines garanties quant à la conservation des structures sous‑jacentes. Dans nos fouilles (villa de Settefinestre et ferme de Giardino), nous avons remarqué que presque tout le matériel retrouvé en stratigraphie se rapporte à la dernière phase d’utilisation des bâtiments, au moment où ils n’étaient plus nettoyés systématiquement. On doit tenir compte de ce type d’observation pour interpréter les données de prospection.

54P. Fasham : Je pense que nous pouvons pousser un peu plus loin la tactique proposée par Hayes. Si la prospection géophysique et le ramassage de surface corroyé ne permettent pas toujours de déterminer l’étendue de la villa au cours de ses phases d’occupation successives, des sondages effectués à des endroits sélectionnés avec soin devraient permettre de résoudre le problème.

Bibliographie

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Notes

1 Ce texte a été réalisé avec la collaboration de F. Cambi, A. Carandini et E. Regoli, pour la partie scientifique ; et de G. Canzanella et J.‑M. Malvis, pour la traduction française.

2 Notre fiche est conçue de la façon suivante :
I. Informations générales : site n°, définition, limites chronologiques, province, commune, localité, voirie actuelle, carte IGN, coordonnées spatiales, cadastre, propriétaire/locataire, autres cartes, photographies aériennes.
II. Conditions actuelles : type de sol et son état en surface, utilisation du sol et végétation, aspect du terrain, eaux de surface, cote au‑dessus du niveau de la mer.
III. Structures et autres matériaux : description, informations récoltées sur le lieu, état de conservation, orientation, dimensions, interprétation, observations et renvois à d’autres fiches, problèmes d’entretien et perspectives de recherche.
IV. Données techniques : méthodes et conditions de la prospection, photographie, dessins.
V. Données connues : bibliographie, autres prospections et fouilles, recherche d’archives et cartographie antique.
VI. Les matériaux : matériaux prélevés, matériaux laissés sur place.
VII. Datation, (date, le responsable).

Table des illustrations

Légende • 1. Stratification 1. Variations géo‑pédologiques.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/31823/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 196k
Légende • 2. Stratification 2. Distance par rapport aux voies de communication.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/31823/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 254k
Légende • 3. Stratification 3. Distance par rapport aux centres urbains. Epoque romaine.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/31823/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 173k
Légende • 4. Ager Cosanus ‑ Vallée de l’Albegna.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/31823/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 331k

Auteurs

Université de Sienne

Université de Sienne

© Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1986

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