La prospection archéologique
| ,La prospection et les inventaires régionaux
La région de Comines‑Warneton (Belgique)
Résumé
En nous basant sur notre expérience de la prospection sur le terrain dans la région de Comines‑Warneton, ainsi que sur les résultats des prospections dans les régions de Veurne (Fumes) et de Sint‑Martens‑Latem, nous avons voulu mettre l’accent sur des aspects plus ou moins spécifiques à ces régions, qui rendent la prospection aléatoire ou difficile. Nos contrées connaissent en effet des zones étendues qui ne sont plus accessibles à la prospection (zones résidentielles...). Des perturbations dues à la construction, à des événements historiques ou à des travaux modernes (guerres, travaux routiers) limitent également les possibilités de la prospection. On retiendra enfin que la qualité du sol et les pratiques agricoles peuvent avoir un effet certain sur les résultats des prospections. Il est évident que ces éléments doivent être pris en compte lors de l’interprétation des résultats obtenus par la prospection.
Texte intégral
1Une étude systématique et diachronique de la région de Comines‑Warneton a lieu depuis 1980 dans le cadre d’un doctorat à l’Université de Gand. Cette étude s’inscrit dans le cadre du programme de prospection archéologique qui a pour but :
2— d’établir un inventaire aussi complet que possible d’une région donnée par l’étude des collections archéologiques et de la littérature, par une prospection systématique sur le terrain et enfin par une recherche dans la documentation historique (cartes, toponymie, dénombrements, terriers...) ainsi que par l’analyse de toute autre source concernant cette région ;
3— de permettre une analyse plus approfondie d’une région d’étendue assez limitée, afin de pouvoir par la suite globaliser l’ensemble des résultats obtenus et reconstituer l’évolution de l’habitat, de l’occupation humaine et du paysage depuis la Préhistoire jusqu’à nos jours. Il s’agit donc d’une étude archéologique.
La région de Comines‑Warneton
4La région de Comines‑Warneton comprend les communes de Bas‑Warneton, Comines, Houthem, Ploegsteert et Warneton et se situe entre les villes d’Armentières (France) et de Wervicq (Belgique), l’antique Viroviacum. Elle se trouve à 13 km au sud d’Ypres et à 18 km au nord de Lille et s’étend sur quelque 63 km2. Située sur les bords de la Lys, la région de Comines‑Warneton a toujours formé le point de jonction de différents Etats, provinces, évêchés, langues, etc. La Lys forme un axe de circulation indéniable et important qui relie les plateaux du nord de la France au cœur de la Flandre, arrosant d’importantes villes romaines et médiévales.
5Outre la plaine alluviale holocène de la Lys, dont la largeur maximale atteint à peine 500 m et qui se trouve à une altitude de 14 à 15 m, la majeure partie de cette région est formée par la plaine de la Lys. C’est également une région plate ; le micro‑relief est peu prononcé avec des dénivellements de 0,5 à 1 m sur de grandes distances. L’altitude moyenne est de 20 m (max. 21 m, min. 19 m). Cette plaine forme un paysage dégagé et nettement agricole. La partie nord de la région est limitée par les premières pentes de la ligne des buttes‑témoins du Tertiaire, qui va du mont Cassel au mont Kemmel et aux monts des Ardennes flamandes (Hubert 1961 : 13 ; Hubert 1963 : 14‑15).
6La pédologie montre que les sols qui couvrent la région sont des sols argileux et limoneux au sud‑ouest, alors que les sols sablo‑limoneux se retrouvent dans la moitié nord‑est. Ces différents sols ont leur influence sur les résultats de la prospection, comme nous le verrons plus loin, ainsi que sur la structure de l’habitat et sur l’occupation des sols.
7L’étude de cette région s’est faite jusqu’à présent par une analyse approfondie de la documentation historique. L’accent a été mis sur l’analyse de la structure féodale — pairies de châtellenies, grandes et petites seigneuries rurales, seigneuries ecclésiastiques et monastiques — sur la localisation des données cartographiques et toponymiques et sur l’étude de l’occupation des sols par la méthode régressive. Nous avons ainsi pu obtenir des renseignements fort intéressants sur les 73 sites fossoyés (moated sites) que compte cette région.
8La prospection systématique sur le terrain dans la région de Comines‑Warneton nous a confronté à un certain nombre de problèmes de fieldwalking bien spécifiques que nous avons pu comparer avec les expériences de nos collègues (Verhaeghe 1978; Verhaeghe 1980; Vermeulen 1981). Le bref aperçu de ces problèmes montrera que la « mise en musique » de l’histoire du paysage et de l’occupation humaine est sujette à des difficultés qui rendent l’interprétation plus ardue et aléatoire. C’est sur ces aspects limitatifs que nous voulons mettre l’accent.
Problèmes de prospection sur le terrain
■ Zones à forte densité d’occupation
9La Flandre étant une région à forte densité d’occupation, de grandes parties du territoire sont devenues inaccessibles à la prospection systématique sur le terrain. Il est ainsi évident que le grand développement de zones d’habitation (quartiers résidentiels ou sociaux, etc.) est responsable de l’augmentation de zones rouges où toute prospection est devenue inutile. Si à Warneton 10 à 15 % de la commune sont classés zone d’habitation ou zone industrielle (usines, briqueteries, argilières), à Sint‑Martens‑Latem la grande étendue de la zone à caractère résidentiel s’ajoute à un grand terrain de golf, ce qui porte à 30 % la proportion de territoire inaccessible à la prospection (Verhaeghe 1980 : 39 ; Vermeulen 1981 : 10‑11). Il est évident que cette limitation doit être prise en compte lors de l’interprétation globale.
10On notera par ailleurs que cette densité d’occupation fait que la grande majorité du territoire de la Flandre est occupée, habitée ou labourée depuis des siècles. Les quelques traces morphologiques qui pourraient avoir subsisté ont parfois été depuis longtemps nivelées et labourées. La motte médiévale que les textes mentionnent et que Sébastien Bottin a encore pu décrire avec un luxe de détails fort intéressants, au début du xixe s., n’apparaît presque pas sur le terrain, et la prospection systématique sur le terrain n’a pas révélé de concentration spécifique (Bourgeois 1980b : 570‑575).
11De nombreux sites remontant au Moyen Age sont encore occupés actuellement ou ont été abandonnés depuis peu (voir plus loin). Les structures de ces habitats ont alors souvent été profondément remaniées au cours des siècles et leur forme originale n’est pas toujours aisément perceptible. La prospection sur ces terrains n’apporte pas de données archéologiques utilisables, car de toute évidence les risques de contamination du matériel archéologique sont très grands.
■ Zones profondément perturbées
12S’il est vrai que les zones à forte densité d’occupation sont un facteur négatif pour la prospection en Flandre, il a été constaté que certaines régions ont été très profondément perturbées par des événements historiques récents ou non. Les guerres en sont malheureusement la meilleure illustration.
13Nous en voulons pour preuve la région de Comines‑Warneton où une partie du front s’est stabilisée au cours de la première guerre mondiale. Les bombardements si intenses — qui rendent d’ailleurs parfois la fouille ou la prospection dangereuses car chaque année apparaissent plusieurs centaines d’obus après les labours ou au cours de travaux routiers — n’ont toutefois pas trop perturbé le sol en profondeur. De nombreuses découvertes préhistoriques et romaines ont été faites dans cette zone du front (Bourgeois 1979 et 1981). Il n’en reste pas moins que les puits de mines (Bourgeois 1980a), les très nombreuses tranchées et les grands trous d’obus ont localement détruit certaines structures. De nombreuses traces morphologiques découvertes lors de prospections doivent être interprétées comme des vestiges de cette époque, et l’on est obligé d’abord de faire la carte des vestiges de la première guerre mondiale avant d’attaquer la prospection sur le terrain.
14L’influence de cette guerre a également été déterminante pour l’histoire du paysage et de l’occupation des sols en ce sens qu’il a fallu par la suite reconstruire toute la région, ce qui a provoqué une importante césure dans l’habitat. En effet, alors qu’en 1900 l’immense majorité des sites fossoyés étaient encore situés là où ils avaient été construits à la fin du Moyen Age, moins de vingt ans plus tard presque tous ces sites se sont déplacés. Généralement, l’habitat se déplace de quelques dizaines de mètres seulement, afin d’occuper une partie légèrement plus élevée et dès lors moins humide. Ces sites fossoyés sont donc accessibles à la prospection sur le terrain ; ils ont toutefois été occupés jusqu’au début du siècle et se trouvent toujours sous pâture, aussi cette prospection donne‑t‑elle souvent des résultats décevants.
15Il y a encore un autre élément concernant la première guerre mondiale que l’on ne peut négliger. La moindre perturbation visible est immédiatement interprétée par les habitants comme un vestige de cette guerre. Les nombreuses fosses à incinération gallo‑romaines trouvées à Ploegsteert ont été interprétées comme des « feux » que les Anglais, qui avaient occupé cette zone du front, auraient allumés.
16Un autre facteur important de perturbation est constitué par les nombreux travaux de terrassement qui sont un danger pour tout le patrimoine archéologique de nos régions. Ainsi, par exemple, les briqueteries de Warneton et de Ploegsteert. La prospection dans ces briqueteries se révèle fort intéressante, mais si de nombreuses structures apparaissent, les plus fugaces (petites fosses, petits fossés, trous de poteaux, etc.) sont souvent invisibles. La surface totale des briqueteries à Ploegsteert et à Warneton occupe une grande partie du territoire. On y a trouvé des vestiges préhistoriques, romains et médiévaux, qui tous sont inexorablement détruits (Bourgeois et al. 1981).
■ Influence du sol et des techniques de labour
17Lors de prospections dans la région de Fumes, Verhaeghe avait constaté que le sol jouait un rôle déterminant (Verhaeghe 1976 : 137‑139). Il avait en effet noté que les sols sablo‑limoneux livraient beaucoup moins de matériel de surface que les sols argileux ou limoneux. Il y aurait trois raisons à cela : d’abord l’acidité différente entre ces sols, ensuite le fait que les sols sablo‑limoneux sont labourés depuis bien plus longtemps que les autres, enfin et surtout Verhaeghe a pu constater que les sols plus légers étaient souvent nettoyés de leurs impuretés — tessons, débris. Cette technique a également été constatée dans le Pays de Waas (Verhaeghe 1976 ; Dewulf 1975) ; d’autre part, nous avons remarqué lors de prospections une importante différence entre les sols lourds et les sols légers, sans toutefois avoir trouvé trace de cette technique de ramassage. Il va de soi que l’interprétation de « concentrations » s’en trouve fortement affectée et qu’il faut adapter les critères utilisés.
18Une autre technique agricole semble également influencer la prospection. A Comines‑Warneton, et plus spécifiquement à Ploegsteert, c’est‑à‑dire sur les sols argileux lourds, on laboure depuis des siècles en planches, comme cela se fait d’ailleurs dans d’autres régions aux sols lourds (par exemple Gamblin 1944‑1945). Cette technique de labour a pour effet de créer de longues bandes, larges d’une trentaine de mètres et présentant un profil en dos d’âne qui surélève le champ d’une cinquantaine de centimètres. Quoique l’on ait trouvé sous ces labours en planches un important village gallo‑romain avec nécropole et vestiges d’activité artisanale, les prospections systématiques n’ont pas livré de matériel qui nous permettrait de deviner cet important habitat. Cette prospection a même eu lieu à plusieurs reprises à proximité de structures qui étaient à ce moment‑là visibles, mais même cela n’apporta pas de résultats concluants. Il se pourrait que la technique du labour en planches soit partiellement responsable de cette absence de résultats.
19Il n’y a pas que le sol ou la technique de labour qui jouent un rôle important lors de la prospection ; il y a également l’occupation du sol et la végétation. Les résultats du fieldwolking sont totalement différents selon que l’on prospecte un champ ou un pré. Alors que dans la région de Fûmes les champs labourés représentent 40 % du total des terres occupées, ils représentent 75 % à Comines‑Warneton, pour une moyenne de 65 % pour la Flandre occidentale. La vue de synthèse d’une région pourrait à notre avis s’en trouver changée et il faut pour le moins intégrer ce paramètre dans l’analyse des données.
Conclusion
20Nous ne nous attarderons pas sur d’autres facteurs pouvant jouer un rôle dans la prospection sur le terrain, tels le prospecteur lui‑même, le climat ou l’ancienneté des vestiges découverts, ce sont là des facteurs limitatifs qu’on retrouve partout et dont l’influence ne peut, bien sûr, être minimisée.
21Ces quelques facteurs sur lesquels nous avons cru devoir mettre l’accent nous obligent donc à relativiser les résultats obtenus lors des prospections sur le terrain. Ce n’est qu’en intégrant ces résultats aux données obtenues par d’autres sources, historiques ou autres, que l’on peut rendre la grande complexité du paysage et de son histoire.
Bibliographie
Bibliographie
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Bourgeois. De Simpel. Lahouste 1981 : BOURGEOIS (J.), DE SIMPEL (F.), LAHOUSTE (J.‑Ph.). — L’Archéologie à Comines‑Warneton et dans la région en 1980‑1981. Mémoires de la Société d’Histoire de Comines‑Warneton, XI, 1981, pp. 531‑562. Dewulf 1975 : DEWULF (M.). — De Archeologische verborganheden van de steenakkers, steenbergen en andere steentoponiaman. Annalen van de Koninklijke Kring van het Land van Waas, 78, 1975, pp. 19‑55.
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© Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1986