La prospection archéologique
| ,La prospection et les grands travaux d’équipement
L’archéologie dans la région de lignite du Rhin Inférieur (Allemagne fédérale)
Résumé
Si les exploitations de lignite à ciel ouvert signifient la destruction totale de tous les sites archéologiques sur de larges étendues très densément occupées autrefois, elles donnent aussi l’occasion d’effectuer des recherches archéologiques à grande échelle. Ainsi offrent‑elles une chance exceptionnelle de réaliser un type de recherche connu en Allemagne sous le nom de Siedlungsarchäologie, qui se propose d’étudier tous les sites archéologiques dans le but d’esquisser un tableau fiable de la densité et de la répartition du peuplement aux différentes époques. L’archéologie traditionnelle dans la région de lignite ne poursuivait pas des objectifs ambitieux. On se satisfaisait de fouiller quelques sites qui promettaient de belles découvertes, tels que le Husterknupp ou la sépulture du noble franc de Morken. Des fouilles de ce type ne peuvent fournir que des résultats de valeur locale, or il est indispensable de fouiller tous les sites d’une région donnée pour écrire l’histoire de l’occupation du sol. C’est réalisable pour la première fois dans la nouvelle aire de lignite appelée Hambach I. On peut montrer ici que la densité et la répartition de l’occupation romaine est assez différente de celle de la période mérovingienne et que ces deux périodes sont séparées l’une de l’autre par une rupture profonde dans l’occupation du sol.
Texte intégral
1J’aimerais montrer dans cet exposé qu’une chance unique subsiste de résoudre certains problèmes scientifiques liés à l’archéologie de l’habitat, du fait même que des sites archéologiques se trouvent menacés par des exploitations minières, des installations industrielles, des voies de communication, des constructions de bâtiments, etc. Dans ce but, j’ai choisi de prendre deux régions tests, qui toutes deux se voient surtout menacées par l’exploitation minière : il s’agit du promontoire rhénan, que l’on appelle également Ville, et plus précisément du Kottenforst, à l’ouest de Bonn (fig. 1 et 2) ; la deuxième région‑test sélectionnée est le Hambacher Forst, situé entre Cologne et Aix‑la‑Chapelle, le long de l’autoroute reliant ces deux villes, où depuis quelques années s’est ouverte la plus grande exploitation de lignite à ciel ouvert (fig. 3 et 4). Dans ces deux régions, le service des fouilles doit affronter de très grands problèmes archéologiques; en effet, dans ces deux endroits, nous nous trouvons en face d’une profusion d’emplacements de sites archéologiques, allant du Paléolithique au Moyen Age. Deux possibilités s’offrent au service des fouilles pour aborder les problèmes. La première consiste dans l’analyse des deux régions suivant la méthode classique, à savoir l’enquête archéologique de terrain (dite en allemand Archäologische Landesaufnahme). En d’autres termes, cela signifie la collecte de tous les rapports et informations, de caractère archéologique, que peuvent procurer la littérature, les musées, les collections privées, le tout complété par une nouvelle prospection systématique du terrain. Cette méthode constitue, nous le verrons plus tard, une solution insatisfaisante, car elle ne permet pas de déterminer tous les emplacements de sites existants. La seconde méthode consiste à fouiller intégralement tous les sites d’une région donnée. Seule la fouille fournit avec certitude un aperçu complet de l’extension effective d’un site archéologique, ceci pour les différentes périodes de la Pré‑ et de la Protohistoire. C’est la seule manière, à dire vrai, de pratiquer correctement l’archéologie et l’histoire comparée de l’habitat. La récente exploitation minière à ciel ouvert, Hambach I (fig. 5), située dans le district de lignite rhénan, présente l’unique chance d’appliquer une telle démarche. J’essaierai d’illustrer par des exemples les résultats obtenus à l’aide de cette méthode, en m’appuyant sur le contraste qu’offre l’habitat romain par rapport à celui de l’époque mérovingienne dans les deux régions‑tests.

• 1. Répartition des sites romains dans la région du Kottenforst, à l’ouest de la ville de Bonn. En gris : forêt moderne.

• 2. Répartition des sites mérovingiens et noms de lieux mérovingiens dans la région du Kottenforst à l’ouest de la ville de Bonn. En gris : forêt moderne.

• 4. Répartition des sites mérovingiens et des noms de lieux mérovingiens dans la région du Hambacher Forst. En gris : forêt moderne.
2Nous avons déjà eu l’occasion de dire que cette méthode systématique de recensement des sites, à la manière de l’enquête archéologique de terrain (Archäologische Landesaufnahme), constituait, pour les deux régions soumises à examen, la condition de base à une réflexion archéologique sur l’habitat. L’enquête archéologique de terrain, telle qu’elle a été définie pour la première fois en 1929 par l’archéologue allemand Tode, puis reprise et développée par Jankuhn, a donné des résultats considérables dans le Schleswig‑Holstein, mais elle n’est plus pratiquée que dans un petit nombre d’Etats de la République Fédérale d’Allemagne. Les raisons que l’on avance pour expliquer l’abandon par les départements chargés de la Préhistoire et de la Protohistoire de cet important travail de base sont toujours les mêmes : coût financier très élevé, déploiement de personnel considérable, grande dépense de temps, pénurie de spécialistes qualifiés et priorité accordée aux fouilles d’urgence, qui, elles aussi, comportent leurs charges et leurs contraintes. Ces tentatives d’explication à partir de facteurs techniques et administratifs ne font que dissimuler, osons le dire, l’état de crise dans lequel se trouve l’enquête archéologique de terrain, défectueuse dans sa conception méthodologique. Ce fait, par principe, devrait remettre en question le sens de cette méthode de travail dans sa forme traditionnelle. Jusqu’à présent, on partait en effet du principe qu’il était possible d’obtenir un tableau fidèle du nombre, de la position et de l’extension effective de sites archéologiques datant de l’époque pré‑ et protohistorique, en effectuant des prospections systématiques de terrain ou bien en mettant à profit les découvertes faites dans la littérature ou les musées. On accordait relativement peu d’importance — bien plus, on sous‑estimait — la contradiction existant entre l’extension effective des fouilles et l’image que nous en donnait l’état actuel des connaissances et de la recherche. A présent, des rapports effectués sur de nouveaux sondages ainsi que l’analyse critique de la valeur scientifique de trouvailles et de fouilles isolées nous ont obligés à attribuer beaucoup de poids à cette dissemblance.
3Cet exposé offre l’occasion concrète de réfléchir aux possibilités et aux limites de l’enquête archéologique de terrain. Ceci dit, en raison des régions choisies et de leur absence de relief, les réflexions que nous nous proposons de faire ne les concernent qu’en partie. Par principe, il faut émettre des doutes et des réserves vis à vis de la manière actuelle dont est pratiquée l’enquête archéologique de terrain, et ceci à deux niveaux.
4D’abord, le cadre de ce qu’on peut détecter grâce à l’enquête archéologique de terrain s’avère plus restreint que ce qu’on avait pensé jusqu’ici. De nombreux facteurs font que des sites archéologiques restent non‑reconnaissables à la surface, ou bien alors apparaissent sous une forme faussée, altérée et imprécise. On sait très bien depuis longtemps que des sites archéologiques, même situés dans des régions peu mouvementées du point de vue morphologique, ont pu disparaître totalement’, et ceci de deux façons: les emplacements de fouilles et de trouvailles, situés en bas de pentes, sont recouverts par les ravinements de terrain et ne sont donc plus reconnaissables à la surface. Ainsi, par exemple, sur le versant est de Ville, dans la localité de Walberberg (commune de Bornheim, district de Rhein‑Siegj, les canalisations d’eau de l’Eifel, datant de l’époque romaine (iie s.) ont été ensevelies sous des ravinements de lœss et de limon, en couche épaisse de 2 à 3 m. Jamais une prospection de la surface du sol ne serait parvenue à détecter ce matériel archéologique. C’est seulement en creusant une tranchée de construction qu’une pelleteuse, par hasard, l’a mis au jour. Un autre exemple de ce genre est fourni par la vallée du Merzbach, ruisseau qui traverse le plateau de Aldenhoven, près de Jülich. Aux environs de Niedermerz, district de Düren, on a découvert sous des couches de ravinement de plusieurs mètres les vestiges de construction et les canalisations d’une exploitation domaniale (villa rustica) de l’époque romaine. Là encore, une prospection de la surface du sol, même très minutieuse, ne serait pas arrivée à un tel résultat. Au contraire, les archéologues ont déploré, au cours de la fouille du site néolithique du plateau d’Aldenhoven, l’absence de niveau d’occupation, de sols et de foyers dans les maisons néolithiques de la culture rubanée. Ceux‑ci avaient été détruits par l’érosion de surface, bien que les pentes des zones de lœss n’accusent qu’une très faible inclinaison, puis déposés dans les vallées voisines avec une bonne partie de ce qu’ils contenaient en matériaux archéologiques. Dans la vallée supérieure de la Leine, près de Göttingen, on a enregistré des processus similaires : il s’est formé à cet endroit, sous forme de sols limoneux (Auelehmböden), accumulés au bas des pentes à la suite de vastes défrichements néolithiques, des zones d’habitat tout à fait nouvelles qui furent colonisées au cours de la Préhistoire et de la Protohistoire, par exemple pendant l’Empire romain. On pourrait multiplier les exemples de ce genre. A ce propos, il ne faudrait pas oublier de mentionner les grands travaux qui détruisent de nombreux gisements archéologiques et faussent par là‑même la vision des sites que peut donner un examen de surface. Nous pensons surtout aux labours profonds, tels qu’ils furent pratiqués sur les sites pré‑ et protohistoriques, mais aussi à l’abaissement important du niveau des eaux souterraines, entraînant la destruction dans le sol de restes organiques jusqu’ici bien conservés, et tout particulièrement la destruction des vestiges de bois de construction. Il n’est pas question de dire qu’on ignorait alors l’existence de tels processus, mais seulement qu’ils n’ont pas été pris suffisamment au sérieux lors des enquêtes archéologiques de terrain compte tenu des possibilités de reconnaissance qu’on possède en la matière. Depuis longtemps la recherche géologique et pédologique a dévoilé l’ampleur et l’intensité des transformations morphologiques intervenant à la surface du sol ; il est donc grand temps d’abandonner tout optimisme quant à une éventuelle correspondance entre le tableau d’ensemble des sites qu’on peut se faire, et leur extension effective. Même dans les régions au relief plat et de faible pente, telles que par exemple le plateau de lœss de l’embouchure du Bas‑Rhin, il faut rester très sceptique, ceci depuis qu’on a observé d’importantes solifluxions même à des endroits dont la déclivité n’atteignait que 3 à 5%. En l’espace de peu de temps, ce phénomène a provoqué une vaste érosion des sols de couverture, d’une épaisseur de plusieurs mètres, et leur dépôt dans les vallées du fleuve.
5Si l’on tient compte, par conséquent, du fait qu’une grande partie des gisements et des matériaux archéologiques demeurent par principe non‑reconnaissables, on peut se demander alors si l’enquête archéologique de terrain ne perd pas, par là‑même, une de ses raisons d’être essentielles.
6La seconde critique importante a trait au problème d’interprétation des trouvailles archéologiques effectuées à la surface du sol, tout particulièrement lorsqu’il s’agit de découvertes isolées, datant de temps reculés. Ces matériaux, rassemblés dans les archives des instituts pour la protection des monuments historiques et dans les musées, représentent, pour de vastes zones, la seule source d’information relative à l’habitat pré‑ et protohistorique. Wolfram Schier est parvenu, dans son étude critique des sources concernant l’habitat préhistorique de la Basse‑Franconie du sud‑est, à montrer que les informations recueillies de cette façon sont, scientifiquement parlant, d’une qualité variable. La manière dont ont été faites ces trouvailles, leur nature, la dimension des régions examinées, les intérêts qu’ont montrés les enquêteurs et les prospecteurs, l’exactitude avec laquelle ont pu être appréciées les conditions d’investigation sur le terrain, le traitement et l’interprétation des matériaux découverts, et enfin le problème du degré de représentativité des résultats, tous ces facteurs doivent entrer en ligne de compte dans l’évaluation scientifique des vestiges trouvés en surface. Ainsi, il faut vérifier avant, pour chacun des cas isolés, la valeur scientifique que possèdent les informations archéologiques dont on dispose.
7Si l’enquête de terrain s’avère donc de plus en plus une méthode de recherche défectueuse dans sa méthodologie, il faut en tirer les conséquences et en limiter tout au moins le rôle, rôle qu’on a maintes fois jugé fondamental en matière de recherche archéologique sur l’habitat. Quelle méthode de recherche pourrait alors lui succéder, sachant qu’il s’agit de pratiquer une archéologie de l’habitat non seulement à partir d’objets isolés mais aussi à partir des paysages, de l’habitat et de l’occupation du sol ? La seule solution à laquelle on puisse se fier a déjà été mise en pratique plusieurs fois. Nous voulons parler ici de fouilles de grande étendue, censées dégager la totalité des sites que recèle un paysage d’habitat donné, et fournissant ainsi une vue d’ensemble complète sur l’occupation d’une région, ceci dans une perspective aussi bien spatiale que temporelle. Même si une telle démarche peut paraître au premier abord quelque peu illusoire, elle est cependant réalisable, et a déjà été appliquée avec succès. Les recherches portant sur l’habitat néolithique du plateau d’Aldenhoven peuvent servir d’exemple couronné de succès, même si les résultats ne concernent qu’une seule période de la Préhistoire, à savoir le Néolithique. Dans le cadre de ce projet, il a été possible d’analyser intégralement un paysage d’habitat néolithique, localisé dans le Merzbach, près de Jülich. Dès à présent, les comptes rendus de cette opération prouvent clairement que l’essentiel de cette méthode de recherche réside dans le fait que les matériaux archéologiques d’une région déterminée sont recensés dans leur intégralité, sans admettre la moindre lacune.
8Une occasion similaire se présente pour l’exploitation de lignite à ciel ouvert, Hambach I, qui doit être très bientôt mise en service. Ici, on devrait pouvoir mettre au jour, sur une surface totale d’environ 100 km2, l’ensemble des emplacements de fouilles archéologiques. La prochaine ouverture de cette exploitation de lignite fournit donc une chance encore jamais vue de réaliser un projet, en matière d’archéologie de l’habitat, de très vaste envergure. Si le service des fouilles met à profit cette occasion unique et garantit l’étude approfondie de fous les sites de fouille dégagés, il sera alors possible d’obtenir une vision complète des matériaux archéologiques, ceci non seulement pour une période pré‑ ou protohistorique précise, mais encore pour toutes les périodes archéologiques.
9Grâce à cette vision révélant l’extension des sites archéologiques, qui correspond largement aux lieux effectivement occupés aux différentes périodes, et qui de plus ne présente pas les défauts des recherches de surface, on sera en mesure de comparer entre elles les diverses périodes pré‑ et protohistoriques, de reconnaître leurs contrastes et leurs points communs, et d’aborder de plus près encore les questions touchant aux problèmes de continuité.
10Bien que les premières trouvailles archéologiques faites grâce à l’exploitation de lignite en Rhénanie remontent, à dire vrai, au xixe s. — autrefois comme aujourd’hui, ce sont souvent les employés des firmes minières qui sont à l’origine de ces découvertes — la recherche qui vise à enregistrer la totalité des matériaux mis au jour est tout à fait nouvelle. Elle est partie de l’idée qu’il devrait être possible d’organiser, dès le stade de planification d’autres mines à ciel ouvert, le travail archéologique, avant l’extraction de la couche superficielle, ceci de telle sorte qu’un recensement complet des matériaux archéologiques puisse avoir lieu durant la phase de préparation et de planification de la mine. Ce processus a été appliqué pour la première fois lors de la planification de l’exploitation minière Hambach I. Les recherches archéologiques conduites précédemment dans le district de lignite rhénan, situé entre Cologne et Aix‑la‑Chapelle, ont été au contraire caractérisées surtout par une profusion de fouilles, de plus ou moins grande envergure, portant sur des sites archéologiques isolés, datant de toutes les périodes de la Pré‑ et de la Protohistoire. Parmi les plus réussies de ces investigations isolées, on peut citer les fouilles du site de la culture de la céramique rubanée à Bedburg‑Garsdorf, celles du site de la culture de Rössen à Inden‑Lamersdorf, celles des sites datant de l’Age du Fer près de Eschweiler (district d’Aix), celles effectuées sur l’exploitation domaniale de Garsdorf (district de Bergheim), et celles entreprises dans la région de la Earft, près de Morken‑Harff ; on peut mentionner aussi des centaines de fragments de Matronenstein romaines découvertes sur l’emplacement d’anciennes briqueteries et fabriques de céramiques de Garsdorf, sur le camp militaire romain de Bergheim, sur le cimetière franc de Lamersdorf (district de Düren), sur le mont où se dresse l’église de Morken (district de Bergheim). Ces activités de fouille ont donc permis la mise au jour d’une profusion de matériaux archéologiques, allant de l’exploitation domaniale romaine en passant par le cimetière franc, où se trouve la célèbre tombe princière de Morken et une ancienne église, jusqu’au site d’habitat médiéval. Les fouilles concernant le château de Husterknupp (commune de Frimersdorf, district de Bergheim) ont introduit une nouvelle étape dans la recherche rhénane en matière de château et ont encouragé des initiatives similaires dans les châteaux de Holtrop, Garsdorf, Lürken, Laurenzberg et Hürth‑Teufelsburg. En liaison avec ces fouilles de châteaux ont été menées des investigations dans de nombreuses églises du district de lignite, par exemple à Balkhausen, Morken, Laurenzberg, Lohn, Kônigshofen.
11Cette liste de fouilles isolées, effectuées dans la zone de lignite, est significative du traditionnel engagement du service des fouilles de cette région ainsi que de la forte concentration de sites archéologiques à cet endroit, plus que partout ailleurs en Rhénanie. Mais ces efforts intensifs n’ont toutefois rien de comparable avec la méthode de recensement intégral de tous les sites de fouilles d’une région donnée, telle que l’exige à présent l’archéologie de l’habitat. En effet, la question se pose de savoir, dans le cas d’investigations isolées importantes, dans quelle mesure les résultats obtenus dépassent le cadre local et peuvent être également représentatifs de l’histoire de l’habitat au niveau régional. Il n’est donc pas question de renoncer à une enquête archéologique complète pour recenser tous les sites de fouille d’un lieu d’habitat déterminé, si l’on veut traiter de problèmes touchant à l’archéologie de l’habitat. L’occasion se présente aujourd’hui, et durant les deux années à venir, sur l’emplacement de l’exploitation à ciel ouvert, Hambach I. Les conditions préalables, d’ordre technique et administratif, ont déjà été réglées et planifiées depuis 1977 :
12— les intérêts archéologiques ont été inscrits dans le plan du projet et par là même garantis à long terme, par exemple au moyen de l’attestation délivrée par le service des fouilles le 7 avril 1975 : celle‑ci résume l’ancien état des recherches tout en soulignant l’importance des sites archéologiques pour les questions se rapportant à l’archéologie de l’habitat ;
13— la méthode traditionnelle d’enquête archéologique de terrain a continué d’être appliquée jusqu’à la date d’ouverture de l’exploitation minière, c’est‑à‑dire jusqu’en 1978 ; grâce à elle, on dispose d’une première vue d’ensemble sur les sites de fouilles visibles et, par là‑même, d’une base de préparation et de travail pour les dégagements qu’on entreprenait simultanément.
14— l’examen et l’analyse continus des renseignements de toutes sortes résultant de l’étude au sol ont été assurés déjà lors de la phase de préparation de l’exploitation, Hambach I ; à compter du jour d’ouverture de la mine, le 16 octobre 1978, il a été possible d’examiner les contours de l’emplacement d’extraction.
15Des travaux de recherche en tous genres, en matière d’archéologie de l’habitat, peuvent donc être menés dans les meilleures conditions sur cette zone d’exploitation minière, Hambach I. Leur succès ne dépend que du service des fouilles compétent : continuera‑t‑il à montrer de l’intérêt pour ces questions et les poursuivra‑t‑il résolument jusqu’au bout ? Quels sont les résultats des prospections archéologiques dans la région de la mine de lignite à ciel ouvert de Hambach I ? Les figures 3 et 4 montrent les résultats archéologiques des prospections systématiques.
16La figure 3 présente les sites romains de la région de Hambach I. On reconnaît la voie romaine de Cologne à Bavay (Bagacum), par Jülich (Juliacum). Elle relie le Rhin inférieur à la région de la Meuse, non seulement à l’époque romaine mais aussi à l’époque mérovingienne et au Moyen Age. Les points circulaires de cette figure 3 correspondent aux sites romains de la région étudiée. Les sites romains sont non seulement dans des régions qui, de nos jours, sont dépourvues de forêt, mais aussi dans des régions forestières, indiquées ici en gris. La répartition des sites est à peu près égale à l’intérieur et à l’extérieur de la forêt moderne. Cette forêt moderne est ce qui reste de l’ensemble bien plus étendu existant au Haut et au Bas Moyen Age. Cette forêt médiévale et mérovingienne cependant n’existait pas à l’époque romaine, comme l’indiquent les découvertes qui en proviennent. Elle est plutôt la conséquence de la rupture du peuplement à la fin de l’époque romaine, et en raison des circonstances de son apparition, on peut la dater du ve s. Ce résultat archéologique est confirmé par de récentes études paléobotaniques : le palynologue d’Utrecht, Kalis, a établi un diagramme à une vingtaine de kilomètres seulement, dans des couches datées archéologiquement. Pour la période qui avoisine le ve s., on observe une augmentation évidente des pollens forestiers et une diminution des pollens non forestiers.
17La figure 4 donne la répartition des toponymes du Haut Moyen Age et celle des sites de l’époque mérovingienne dans la région de Hambach. En ce qui concerne les sites archéologiques, il s’agit surtout de nécropoles par rangées, peu d’habitats ont été découverts à ce jour. La carte suggère que le nombre de sites mérovingiens est très faible par rapport au nombre de sites romains. Même la répartition des découvertes mérovingiennes se distingue beaucoup de celle des sites romains : dans les régions boisées, il n’y a pas de sites du début du Moyen Age, à une exception près. Ceux‑ci, en effet, sont tous autour de la vaste région boisée de la forêt de Hambach. A l’époque mérovingienne, les grandes forêts du Hambacher Forst devaient avoir déjà disparu ; elles n’ont pas été alors mises en valeur comme à l’époque romaine. La répartition des forêts et des zones de peuplement mérovingien diffère totalement de celles de l’époque romaine. La continuité du peuplement ne peut donc être admise que sur une grande échelle, tant à l’époque romaine qu’à l’époque franque. Dans le détail, l’articulation des forêts, des régions défrichées et des habitats ne révèle aucune continuité entre les époques romaine et mérovingienne.
18Les cartes de la région du Kottenforst, à l’ouest de Bonn, présentent une situation analogue. La figure 1 présente les habitats romains qui se trouvent tant à l’intérieur qu’autour de la forêt. La grande forêt de Kottenforst ne pouvait donc pas encore exister à l’époque romaine. La figure 4 donne la répartition des toponymes mérovingiens, des nécropoles par rangées et des habitats. Ils contournent là encore le Kottenforst, tant à l’ouest qu’à l’est, dans des zones de lœss sans forêt, aux terres fertiles. Les peuplements des époques romaine et mérovingienne sont là encore différents dans leur distribution et leur densité.
- 1 J’ai développé ces questions dans: JANSSEN (W.). — Römische und frühmittelalterliche Landerschliess (...)
19Nous n’aborderons pas ici les causes de ces contrastes évidents entre les peuplements romain et mérovingien, ce que nous avons fait ailleurs1. Qu’il me soit permis de faire une dernière remarque méthodologique à propos des quatre cartes. Les figures 3 et 4 du Hambacher Forst sont issues des prospections systématiques qui ont précédé l’exploitation de la mine. Ces méthodes ont été décrites plus haut. La cartographie du Kottenforst des figures 1 et 2 a seulement été réalisée selon les méthodes de la Archäologische Landesaufnahme, donc selon des méthodes conventionnelles de prospection. Dans ce cas, les prospections ont les mêmes résultats. La pertinence et la crédibilité des figures 3 et 4 sur le Hambacher Forst sont cependant plus grandes que celles des cartes des figures 1 et 2 sur le Kottenforst. Voilà la contribution de ces recherches à l’étude des problèmes de prospection archéologique et d’interprétation des prospections traités dans ce congrès.
20(Traduction W. JANSSEN et J.‑P. FARRUGGIA,
Discussion.
Président de séance : J. Collis
21J. Collis : Un problème important se pose dans ce cas. Nous pouvons faire la comparaison entre les trouvailles fortuites et les trouvailles faites à l’occasion d’un travail systématique. Il y a un problème qui nous intéresse pour l’Auvergne, c’est celui des sites enfouis à 2‑3 m de profondeur, qu’on rencontre dans les zones basses.
22A. Ferdière : Je pensais en écoutant Brandt et maintenant Janssen, que l’on a certainement dépassé le stade de la prospection au service de la fouille ; on pourrait presque dire que c’est la fouille qui est au service de la prospection. En tout cas, il est intéressant de voir qu’il existe maintenant une archéologie de fouilles extensives, de très grande importance en surface, qu’il est pratiquement impossible de dissocier de la prospection. C’est un phénomène assez nouveau que ce rapprochement entre une archéologie de plus en plus extensive et une vision de plus en plus précise par la prospection. On peut rapprocher de cela certaines techniques utilisables pour la prospection archéologique et qui peuvent être inattendues ; par exemple, on s’aperçoit maintenant qu’il est très intéressant de surveiller systématiquement les poses de canalisations ; ces canalisations sont en général peu destructives ; pratiquement, c’est une méthode de prospection. Fowler avait tiré les mêmes conclusions de ses travaux faits sur l’autoroute M.40. Il avait simplement surveillé le chantier, et utilisé cette méthode d’investigation pour une connaissance du peuplement, au moins sur la bande concernée.
23E. Zadora‑Rio : Les résultats des fouilles de Janssen lui ont‑ils permis d’améliorer ses techniques de prospection ? Les conclusions auxquelles il est arrivé par la fouille concordaient‑elles avec celles de l’examen de surface ?
24W. Janssen : On a eu l’occasion d’observer les profils des tranchées ; au cours de cette observation des profils, on a identifié un grand nombre de sites qui étaient inconnus auparavant. La modification de cette image consiste en la multiplication des sites de chaque période. La méthode de prospection de surface a seulement révélé un certain nombre de sites, un pourcentage de 30 % à 50%. Mais, au cours des travaux actuels de la Société Minière, avec de grandes machines, on a des profils qui montrent un grand nombre de sites supplémentaires, de toutes les périodes. De plus, le caractère de ces sites est différent selon les périodes préhistoriques. On ne connaissait rien concernant le Paléolithique par exemple ; mais, au cours des travaux, on a identifié un groupe de sites nouveaux pour le Paléolithique. Pour la période romaine, les sites nouveaux sont peu nombreux, on en connaissait déjà environ 50 % ; on a identifié le reste au cours des travaux. Pour la période mérovingienne, on ne connaissait rien, car ces régions sont restées couvertes de forêts qui ont leur origine au Bas Empire ; on a seulement deux sites mérovingiens, dont le village déserté de Wüstweiller, mais ce sont les seuls sites de la période mérovingienne. Au cours des travaux, on n’en a pas trouvé de nouveaux.
25E. Zadora‑Rio : Lorsque ces sites, qui n’avaient pas été découverts en prospection, apparaissaient en coupe, n’était‑il pas possible de retrouver des indices en surface qui auraient pu révéler leur présence, avec une autre méthode de détection ?
26W. Janssen : Non.
27E. Zadora‑Rio : Cela signifie‑t‑il qu’il vous semble impossible d’améliorer les observations de surface, qu’il s’agit d’une limite réelle des méthodes de prospection ?
28W. Janssen : Oui, c’est cela. Les méthodes de prospection utilisées étaient le ramassage de surface, la photographie aérienne, la prospection magnétique, l’identification des structures de terre. On a dans la forêt des ruines de l’époque romaine qui sont encore conservées en relief.
29N. Mills : Est‑ce que les prospections qui ont été faites avant le début de vos travaux l’ont été de façon systématique, ou étaient‑ce seulement des trouvailles dues au hasard ?
30W. Janssen : La prospection a été faite systématiquement. La forêt a été partagée en secteurs, qui ont été couverts uniformément. Ce travail a été fait par la même personne pendant cinq ans, avec les mêmes méthodes. Vous savez que deux personnes verront des choses différentes sur le même terrain et cet élément subjectif constitue un autre point faible de la prospection au sol. C’est un facteur très important. Pour remédier à cela, il faudrait prospecter chaque région plusieurs fois. La quantité des trouvailles dépend aussi du nombre de prospections effectuées sur un même terrain. Il doit sans doute y avoir une limite à partir de laquelle je peux dire : les trouvailles que j’ai faites représentent réellement la répartition de l’habitat. Il doit y avoir une limite, mais je ne sais pas où elle est. Un seul passage est insuffisant, mais il ne faut pas non plus en faire cent. C’est entre les deux que l’on doit trouver la meilleure adéquation entre l’occupation réelle du sol et l’image qu’en donne la prospection de surface.
31E. Zadora‑Rio : Lorsque vous parlez d’occupation réelle du sol, s’agit‑il de la répartition de l’habitat ancien, ou des sites observables ?
32W. Janssen : Il s’agit de la réalité de l’occupation ancienne, y compris les sites recouverts par la solifluxion, qu’on ne peut trouver.
33E. Zadora‑Rio : Comment pouvez‑vous le dire ?
34W. Janssen : Ce n’est possible que si vous êtes à côté des engins mécaniques et que vous observez au fur et à mesure le profil des tranchées. C’est la seule manière de retrouver tous les sites, et d’abord ceux qui sont enterrés. De ce point de vue, la recherche de la lignite représente une grande chance ; une chance qu’il est souvent difficile de saisir, mais c’est un autre problème. La surface concernée par notre travail est de 100 km2.
35A. Ferdière : Je pense aussi qu’il est impossible d’éliminer le facteur humain dans les prospections ; c’est pourquoi il serait intéressant de revenir sur certaines choses que Fasham a dites : personnellement, je ne pense pas que l’on arrivera totalement à éliminer le facteur humain au moyen de méthodes rigoureuses. Par exemple, je ne suis pas persuadé que le ramassage systématique, suivi du comptage, aboutisse à des résultats meilleurs qu’une méthode plus empirique qui consisterait à faire du field‑walking sans ramassage et à localiser ce qu’on observe.
36W. Janssen : Tous ceux qui ont travaillé sur le terrain reconnaissent l’importance du facteur humain ; la seule façon de réduire dans une certaine mesure son influence serait de faire prospecter plusieurs fois une même zone par des personnes différentes. Il faut pouvoir évaluer la qualité des informations. Les informations anciennes, données par des amateurs, des enseignants, des prêtres, des architectes, etc., ne sont pas toutes fiables, et les plus anciennes, celles du xixe s., sont généralement très imprécises, souvent inutilisables. Il ne faut pas oublier non plus que les collectionneurs d’antiquités sont spécialisés : même s’ils ont des pièces qui vont du Néolithique au Moyen Age, ils ont généralement un intérêt plus prononcé pour une époque particulière : celui qui est spécialisé dans le Néolithique en trouvera partout, tandis qu’il découvrira plus rarement des objets romains, et il en ira inversement pour celui qui s’intéresse plus particulièrement à l’époque romaine. Il est très important de savoir quels sont les centres d’intérêt personnels des prospecteurs. Certains d’entre eux peuvent avoir un meilleur coup d’œil pour les tessons de poterie que pour les silex, ou inversement, et cela influence les résultats.
37A. Hesse : Je voudrais qu’on cesse de faire le procès des décomptes, à moins qu’on tienne une séance complète sur ce sujet, et qu’on puisse faire des exposés. La discussion qui vient d’avoir lieu semble opposer une archéologie qui intégrerait le facteur humain à une archéologie complètement désincarnée qui utiliserait les décomptes. Ce n’est pas la peine de faire des décomptes si on n’est pas capable de maîtriser les chiffres qu’on retient et si on ne sait pas comment utiliser ces chiffres. Qu’on ne s’engage pas dans un procès sommaire des décomptes, car c’est une méthode qui est beaucoup trop riche pour qu’on la survole de cette façon ; il y a beaucoup à en retirer, à condition qu’ils soient rigoureux.
38A. Tabbagh : Il ressort de l’exposé de Janssen qu’il y avait eu, pendant les cinq années précédant l’année 1978 et l’ouverture de la mine de lignite, une observation systématique au sol ; mais n’y avait‑il pas eu, avant cette campagne, une prospection à peu près systématique de toute la Rhénanie ?
39W. Janssen : Pas dans cette région ; on a fait une prospection systématique dans plusieurs régions administratives, par exemple celle de Bergheim à l’ouest de Cologne (voir Hermann Hinz, Kreis Bergheim, 1969) ou celle de Kempen‑Krefeld (voir Gudrun Lowe, Kreis Kempen‑Krefeld, 1971).
40A. Tabbagh : Vous n’avez pas eu la possibilité de comparer deux prospections différentes, sur un même terrain ?
41W. Janssen : Si, mais les prospections ne sont pas encore terminées, et il est trop tôt pour effectuer des comparaisons. Ce sera pour plus tard, lorsque nous serons sûrs d’avoir toutes les données. Et on ne pourra avoir toutes les informations que dans les zones touchées par les extractions de lignite. Dans cette région, on considère qu’il est possible d’obtenir 90 ou même 95 % d’efficacité.
42A. Ferdière : Pour lever tout malentendu avec Hesse, ce que j’ai dit ne tendait pas à exclure le ramassage systématique ; mais, à mon avis, celui‑ci est beaucoup plus utile pour mieux connaître un site déjà repéré. Par contre, quand il s’agit, et c’est l’essentiel de notre propos ici, de découvrir de nouveaux sites archéologiques, je me demande si c’est la meilleure méthode.
Notes
1 J’ai développé ces questions dans: JANSSEN (W.). — Römische und frühmittelalterliche Landerschliessung im Vergleich. Francia, Beiheft 11, 1982, pp. 81‑122.
Table des illustrations
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Légende | • 1. Répartition des sites romains dans la région du Kottenforst, à l’ouest de la ville de Bonn. En gris : forêt moderne. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/31768/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 176k |
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Légende | • 2. Répartition des sites mérovingiens et noms de lieux mérovingiens dans la région du Kottenforst à l’ouest de la ville de Bonn. En gris : forêt moderne. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/31768/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 152k |
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Légende | • 3. Répartition des sites romains dans la région du Hambacher Forst. En gris : forêt moderne. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/31768/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 140k |
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Légende | • 4. Répartition des sites mérovingiens et des noms de lieux mérovingiens dans la région du Hambacher Forst. En gris : forêt moderne. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/31768/img-4.jpg |
Fichier | image/jpeg, 91k |
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Légende | • 5. Engin utilisé pour l’exploitation du lignite. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/31768/img-5.jpg |
Fichier | image/jpeg, 37k |
© Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1986