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La prospection archéologique

 | 
Alain Ferdière
, 
Elisabeth Zadora-Rio

La prospection en milieu non labouré

Occupation du sol au moyen âge et à l’époque moderne dans le nord du Lincolnshire (Grande‑Bretagne)

Paul Everson

Résumé

Le travail préliminaire de prospection, toutes périodes confondues, a révélé que presque tous les vestiges antérieurs ont été arasés au cours du Moyen Age, en particulier par les labours intensifs ; les vestiges médiévaux et post‑médiévaux sous forme de structures de terre sont assez nombreux, mais leur nombre diminue et leur état de conservation se dégrade. Un programme de recherche, associant l’étude des variables pédologiques et topographiques à la prospection d’une assez vaste région, a été élaboré en tenant compte de tous les vestiges de peuplement et d’utilisation du sol. La principale méthode fut le relevé analytique des structures de terre, à l’aide de techniques simples, aboutissant à des plans détaillés aux échelles habituellement utilisées dans les publications. Cela nous a permis d’une part d’observer des analogies morphologiques avec des habitats encore existants, et d’autre part de comprendre les relations entre les habitats et d’identifier les composantes de leur organisation sociale et économique. Les résultats doivent être évalués en fonction des objectifs propres du projet de prospection.

Texte intégral

1Le comté du Lincolnshire, tel qu’il était avant 1974, était le second d’Angleterre par l’étendue ; si on ne tient pas compte des conurbations des bords de l’Humber, il est peu peuplé et à dominance rurale. Dans ses régions septentrionales, sa topographie est plus variée que ne le suggère sa réputation de platitude. La Royal Commission on Historical Monuments pour l’Angleterre a été impliquée dans la prospection du Lincolnshire durant deux phases principales, qui couvrent aujourd’hui six années. Dans un premier temps, on a engagé un archéologue de terrain pour collecter les informations sur toutes les périodes, à partir de l’ensemble des sources accessibles sans fouille ; cette entreprise se rattache à d’autres, lancées ailleurs en Angleterre, en vue d’établir l’inventaire des sites et des monuments. La plus récente opération comparable pour le Lincolnshire a été réalisée au début des années 30 par Phillips (1933, 1934) : elle avait une ambition chronologique plus limitée, écartant notamment tous les vestiges post‑romains, à l’exception des sites anglo‑saxons pré‑chrétiens. Elle n’a pas bénéficié de techniques d’investigation telles que la reconnaissance aérienne. Nous avons commencé par le nord et l’est du Lincolnshire (région ancienne de Lindsey), avec l’intention de couvrir tout le comté. Cette démarche a conduit, à court terme, de manière traditionnelle, à la fouille par mes collègues locaux des sites menacés : monument funéraire préhistorique de West Ashby et habitat fortifié de plaine de Tattershall ‑Thorpe, datant de l’Age du Fer, tous deux menacés par des extractions minières. Plus généralement, on a pu observer que le paysage –comme ailleurs dans les basses terres d’Angleterre– était intensément occupé, et très tôt subdivisé au cours de la préhistoire et de l’époque romaine. On peut, par exemple, citer la présence de limites parcellaires linéaires pré‑romaines sur les hautes terres calcaires et crayeuses. Récemment découvertes et relevées grâce à la photographie aérienne, au nord de Lincoln, elles ont fait l’objet de fouilles limitées, destinées à en étudier l’échelle et la datation : dans les régions vallonnées crayeuses, ces structures parcellaires semblent s’apparenter, par certains traits, aux « levées de terre » (dykes) bien connues des régions vallonnées du Yorkshire (Wolds). C’est ce qui constitue l’assise du paysage pour nos recherches sur l’habitat plus récent. Beaucoup de projets d’études portant sur des thèmes qui touchent aux périodes pré‑médiévales attendent aujourd’hui d’être programmés et réalisés dans cette région, sur une base de données beaucoup plus large qu’elle ne l’était il y a seulement quelques années (Everson 1983).

2Bien que nous n’ayons pas effectué de relevé de détail des structures agraires médiévales à partir des techniques décrites à plusieurs reprises par David Hall, leur extension et leur importance dans le nord du Lincolnshire nous sont rapidement apparues. Elles s’étendent jusqu’aux frontières des communes des basses terres, couvrent les hautes terres crayeuses, occupent même les coulées de boue escarpées et instables sur les pentes des Wolds crayeuses, et ont depuis longtemps nivelé les ouvrages de terre pré‑médiévaux, à l’exception de régions restreintes qui n’ont pas été mises en labour, telles que les pâturages à mouton des établissements monastiques, les bois d’exploitation, les prairies naturelles et les marais (Everson 1983). Ce sont donc surtout les structures de terre d’époque médiévale ou plus récente, de formes très variées, qui ont subsisté. Elles sont peu à peu converties actuellement en terres arables ou en prairies artificielles, dans une région qui, comme le montre la carte de classification des terres agricoles pour l’Angleterre et le Pays de Galles, jouit d’un pourcentage élevé de terres de première ou seconde classe et d’une agriculture intensive et spécialisée. Il n’est pas possible de quantifier les dégâts subis par les structures de terre, mais les trois profondes vallées des Wolds que nous avons étudiées fournissent un tableau assez représentatif. Dans l’une d’elles, deux vastes ensembles de structures de terre, correspondant à des vestiges de villages qui faisaient tous deux partie de la même seigneurie, sont relativement bien conservés ou labourés seulement sur leur périphérie; deux autres ont été nivelés et labourés bien avant le début des recherches, et un autre a subi le même sort en 1975 ; dans la seconde vallée, un ensemble a vu une grande partie de son centre nivelé, ainsi que des portions de sa périphérie, et un second ensemble, seulement sa périphérie; dans la troisième vallée, deux habitats ont été en grande partie convertis en terre arable ou en prairie artificielle. Le mode de propriété constitue un facteur essentiel dans ce schéma de conservation différentielle, car on constate que les changements répétés de propriété amènent la destruction des structures de terre.

3Les informations particulièrement détaillées que fournissent les structures de terre sont ainsi perdues, que ce soit par nivellement total, ou, de manière plus pernicieuse, par le labour de la périphérie des villages : d’où le programme de relevés des structures de terre subsistantes, avec un équipement et des techniques simples, tels que ceux que décrivent Taylor (1974) et Farrar (1980). C’est l’intérêt intrinsèque de ces plans et de leur analyse, ainsi que la destruction continue de ces ouvrages de terre, qui nous ont conduit à entreprendre un programme de recherche spécifique sur les habitats médiévaux et modernes, qui constitue la seconde phase de notre travail.

4Confrontés à une vaste région, déjà couverte par la prospection préliminaire (près de trois cents communes et de 300 000 ha), et à un grand nombre de structures de terre, allant du tertre isolé au village s’étendant sur un kilomètre ou plus, nous avions le choix entre deux stratégies. La topographie du nord du Lincolnshire, de direction nord‑sud, invitait à choisir une aire d’échantillonnage orientée est‑ouest qui partait de la rivière Trent à l’ouest et coupait la plaine argileuse, les escarpements calcaires du Jurassique, le vallon argileux du Lindsey, les hauteurs calcaires des Wolds aux vallées profondément encaissées, et les marais des côtes de la mer du Nord. L’autre possibilité était le choix d’un bloc plus compact de terrain, où les relations entre les habitats apparaîtraient mieux et où il serait possible d’étudier de façon diachronique l’évolution du peuplement post‑romain. Nous avons opté pour cette dernière solution, en faisant porter les recherches sur les cent vingt‑cinq communes du district administratif moderne de West Lindsey ; ce choix fut certes influencé par le souci pratique d’intégrer l’essentiel de la prospection antérieure, mais la zone nous a fourni cependant une coupe topographique, qui va de la rivière Trent aux Wolds, et laisse seulement en dehors les marais côtiers. On peut de toute façon considérer ceux‑ci comme une zone distincte et homogène, qui doit être étudiée à part et comparée avec des régions semblables, par exemple dans l’est du Yorkshire.

5Le but, au départ, était d’étudier tous les vestiges d’habitats médiévaux ou modernes dans la région choisie, et pas seulement une sélection des structures de terre les mieux conservées. L’échantillon choisi devait donc être la région. On pouvait ainsi espérer récolter des informations sur les variantes morphologiques, le changement ou la stabilité dans l’habitat et l’occupation du sol, de manière à satisfaire les historiens, les géographes et les représentants d’autres disciplines connexes, autant que les archéologues. On pouvait justifier cet objectif du seul point de vue de l’enregistrement, car pratiquement tous les habitats comportaient des ouvrages de terre ou des vestiges labourés qui apportaient des informations sur leur forme première.

6Contrairement à beaucoup d’opérations de prospection, l’activité principale n’a pas consisté à découvrir des sites (bien qu’on ait mis en fiches des douzaines de sites et de vestiges jusqu’alors inconnus), mais à appréhender de façon aussi détaillée que possible les phénomènes d’habitat pour les périodes où l’on a suffisamment d’informations sur les facteurs socio‑économiques et les structures foncières, c’est‑à‑dire le Moyen Age et l’époque moderne. Un travail attentif sur les sites labourés peut évidemment donner des informations utiles sur leur plan et leur datation, mais certaines interprétations restent nécessairement hypothétiques, alors qu’elles pourraient être beaucoup plus sûres si les structures de terre avaient survécu (fig. 1). Un seul labour peut effacer des éléments importants, tels que les indices relatifs au déplacement et au déclin graduel des villages, ou encore les structures qui ne sont pas des sites d’habitat, par exemple les jardins « à la française » du Bas Moyen Age et de l’époque moderne (Royal Commission on Historical Monuments 1975, 1979, 1981, passim), qui ont une grande importance en tant qu’expression de la richesse, du goût et de la mode, et qu’on trouve en grand nombre dans le Lincolnshire. L’essentiel du temps et du travail de terrain a donc été consacré aux relevés des structures de terre. On a ici normalisé l’échelle des relevés au 1/1 000, ce qui permet à la fois de faire des plans d’un format maniable, même pour des ensembles de structures de terre très étendus, et de représenter en détail les structures individuelles et les dénivellations mineures, qui sont souvent les seuls indices de certaines phases d’activité, ou des relations chronologiques entre les divers éléments des sites. Les collègues qui préparent les illustrations définitives pour la publication au 1/3 000 ont montré que l’on peut rendre ces détails de manière satisfaisante et fidèle. Les relevés se poursuivent tout au long de l’année, au gré des saisons, avec leurs avantages et leurs inconvénients : les heures de travail plus longues et plus agréables de l’été sont en général contre‑balancées par le couvert végétal plus dense ; les journées plus courtes de l’hiver et le temps plus rude, par les excellentes conditions de visibilité des structures de terre. En pratique, on reporte les détails sur le fond de carte de l’Ordnance Survey, agrandi à l’échelle choisie. Ceci permet un contrôle immédiat et permanent des relevés sur le terrain et élargit en même temps la vision de la prospection aux éléments topographiques du paysage moderne. L’analyse et la compréhension des structures de terre sont indissociablement liées à la technique des relevés, qui sont utilisés non seulement comme méthode d’enregistrement, mais comme outil analytique, susceptible d’éclairer l’agencement et le fonctionnement d’un ensemble d’une période donnée, et en même temps d’en révéler l’évolution chronologique. Une attention particulière est accordée à l’implantation des vestiges dans le paysage et à l’utilisation antérieure du sol, par exemple dans le cas du site fossoyé de Lea, qui se trouve dans une vallée tourbeuse peu profonde où il perturbe et réutilise des canaux de drainage plus anciens, ou dans celui des hameaux médiévaux d’Otby (fig. 2) et de Risby, dont la situation apparemment aberrante sur les sommets crayeux des Wolds s’explique par la présence d’un banc calcaire bien marqué et d’une série de sources. La présentation des plans répond à la nécessité d’examiner les sites dans leur contexte. On en trouve un exemple simple à Blyborough (fig. 3) : ici, les structures de terre représentant les vestiges du village antérieur sont très mal conservées et peu lisibles. Cependant, la disposition de l’église, de la maison de maître, du parc et du village domanial, révèle non seulement leur relation avec le système routier actuel, mais aussi leur succession chronologique que l’on peut lire sans commentaire.

• 1. Castle Carlton, Lincolnshire. Village fondé près d’un château du XIIe s., avec droits de marché, presque totalement nivelé et labouré : la répartition de la poterie en surface suggère un plan simple à deux rangées de maisons, et peut‑être une grande place publique. Si des structures de terre avaient survécu, l’interprétation aurait été plus sûre.

• 2. Otby, Lincolnshire. Relevé des structures de terre au 1/1 000, préparé pour publication au 1/3 000. Le relevé tente de rendre non seulement le détail des structures de terre du village, mais aussi leur implantation sur un banc calcaire et leur situation par rapport aux sources (droit de reproduction réservé).

7A l’intérieur de ces structures de terre, on peut souvent mettre en évidence, par une observation minutieuse et détaillée, des relations qui ont des implications chronologiques et fonctionnelles. A Stainfield, une enceinte monastique du xiie s., associée à un village à plan régulier établi sur des billons, des jardins « à la française », postérieurs à la dissolution des ordres religieux, et leur réaménagement total au début du xviiie s., peuvent être reconstitués grâce à l’examen des structures de terre et mis en relation avec les constructions subsistant sur le site, et notamment l’église, réorientée et remaniée pour en faire un élément du paysage dans le parc. D’un point de vue plus général, ces changements dans l’habitat doivent révéler des modifications dans l’occupation du sol, à l’intérieur du cadre plus vaste de leurs paroisses respectives. A West Firsby, on peut montrer que beaucoup de fondations de pierre recouvertes par l’herbe, et les lopins de terre associés, voire des routes, recouvrent des terres arables plus anciennes, révélant ainsi l’évolution complexe du village avant sa désertion finale. En outre, l’analogie avec le plan de West Firsby aide à comprendre celui du village voisin, encore habité, de Hackthorn, avec ses lambeaux de structures de terre périphériques. A Knaith, la mise en évidence d’une relation différente entre des sites confirme la justesse de la stratégie consistant à étudier tout un ensemble de paysages. L’un des sites, dans une partie de la commune, qui auparavant avait été simplement décrit comme site fossoyé, a été identifié au couvent de Heynings, grâce aux dimensions et à la forme du parcellaire ; ceci a ensuite été confirmé quand on a établi, grâce à l’enregistrement topographique, que les ouvrages de terre insignifiants situés derrière l’église paroissiale que l’on croyait être jusqu’alors le monastère, étaient en réalité des jardins « à la française » post‑médiévaux. On a pu ainsi renoncer également à identifier la minuscule église à un fragment de l’église monastique et aboutir à une suite plausible de mutations en fonction de l’habitat lui‑même.

• 3. Blyborough, Lincolnshire. La demeure du XVIIe s., l’avenue bordée de tilleuls, le parc du XVIIIe s., ainsi que le village domanial donnent à la fois le contexte et les raisons de la désertion du village, dont il reste des vestiges endommagés.

• 4. Morphologie de Welton et Ryland, Lincolnshire. A partir d’un plan d’enclosure de 1773. Les numéros indiquent l’emplacement des maisons prébendières.

8On a examiné des vestiges qui existent aujourd’hui sous d’autres formes que des structures de terre, là où c’était possible, selon les mêmes méthodes, tant en fonction de leur intérêt propre que pour élargir le champ de l’étude. Pour les villages qui sont toujours habités, une analyse morphologique appuyée sur des documents anciens peut être éclairante. Un plan de la fin du xviie s. révèle qu’une partie de l’agglomération suburbaine, très peuplée, de Welton, près de Lincoln, formait un village distinct, du nom de Ryland, dont le parcellaire remarquablement régulier indique une origine délibérément planifiée (fig. 4). Le réseau de chemins qui donne au centre de Welton son caractère spécifique a été en partie conditionné, de manière inhabituelle, par la présence bien attestée, au moins depuis le xiie s., de cinq maisons prébendières de la cathédrale de Lincoln, dont chacune a créé son propre ilôt de propriété et par conséquent son système de rues.

9L’intérêt de cette étude réside essentiellement, à mon avis, dans l’interaction des analyses morphologiques des structures de terre et des habitats actuels. On a relevé les plans de sites détruits par les labours à partir de photographies aériennes, et, là où c’était possible, on a effectué des ramassages de surface. Un habitat jusqu’alors inconnu, dans la commune de Glentworth, se trouve à l’intérieur de ce qui est sûrement un parc du xvie s. (probablement avec une loge de gardien entourée de fossés sur ses confins), ce qui nous permet de proposer une chronologie plausible pour l’occupation du sol. On a pu également identifier le terroir d’un autre habitat, nommé « Helethorpe » dans les documents médiévaux, et le restituer ainsi dans son contexte de peuplement (fig. 5). Ces simples cartes constituent en fait un nouveau moyen d’élargir le point de vue de l’étude des noyaux d’habitat à l’ensemble du paysage ; comme l’ont montré Taylor et d’autres (Brown et Taylor 1978 ; Dodgshon 1980 : 108‑136), elles soulèvent des questions pertinentes sur l’ancienneté des limites et des unités économiques ou des domaines qu’elles déterminent. Les conventions graphiques tendent cependant à surévaluer le caractère typique de l’habitat groupé et à simplifier exagérément le processus de désertion des sites, qui est souvent associé à un déplacement de l’habitat ou à une dispersion des unités de production agricole sur une longue échelle chronologique s’étendant en pratique jusqu’à nos jours.

• 5. Carte des paroisses et communes aux environs de Rand, Lincolnshire.

10En conclusion, l’interprétation des données de terrain pour cette étude utilise toute la documentation disponible, qu’il s’agisse de photographies aériennes, de plans de propriétés ou d’enclosures, de cartes imprimées plus récentes, de dessins et de peintures à caractère topographique, de toponymes, de monuments, de collections de musées ou de sources écrites. Mais l’essentiel de notre travail a porté sur les structures de terre, dont l’étude constitue l’objectif principal de la Royal Commission et représente sa contribution essentielle au sujet. Il est peu probable que le programme de l’étude de West Lindsey soit entièrement réalisé un jour, à la fois en raison de la nécessité d’entreprendre des opérations similaires ailleurs en Angleterre et des contraintes inhérentes à la publication traditionnelle des résultats. Ceci mis à part, l’objectif a toujours été nécessairement limité. Nous n’avons pas disposé, par exemple, dans le Lincolnshire, de la vaste série de données historiques fiables qui existe dans les comtés où l’équipe de la Victoria County History a travaillé récemment. Notre prospection a notamment révélé une quantité insoupçonnée d’habitats multiples ou polynucléaires, comportant deux ou plusieurs noyaux séparés, parfois sans toponymes connus. Le Domesday Book révèle la grande complexité du système des tenures, précisément dans de tels cas à la fin du xie s. ; l’interprétation de ces données par rapport aux vestiges archéologiques devrait alimenter une recherche historique qui dépasse notre domaine ou notre compétence. De même, la prospection au sol a mis en évidence des traces d’occupation du Haut Moyen Age et des époques antérieures, en particulier de la poterie de l’époque saxonne sur certains sites d’habitats plus tardifs, ainsi que du matériel romain sur la plupart d’entre eux. L’interprétation de ces données ne sera toutefois possible qu’après un travail de terrain rigoureux qui ne soit pas limité aux seuls noyaux d’habitat du Bas Moyen Age. La prospection présentée ici stimulera, je l’espère, des études de ce genre. Ce n’est cependant pas sur cela qu’il faut juger les buts, les méthodes et les résultats de l’étude (bien qu’il entre dans ses objectifs, à mon avis, d’ouvrir la voie), mais sur sa structure interne et les circonstances qui l’ont orientée, en tant qu’opération de prospection destinée à appréhender l’évolution du paysage médiéval et post‑médiéval d’une partie de l’Angleterre orientale, grâce à l’analyse des vestiges matériels.

11(Traduction A. FERDIERE et E. ZADORA‑RIO)

Remerciements

12Je tiens à remercier ici le Secrétaire et les Membres des Commissions de la Royal Commission on Historical Monuments (Angleterre) de m’avoir autorisé à décrire le travail de prospection effectué dans le cadre de mes fonctions, et tout particulièrement de m’avoir permis de reproduire la figure 2, dessinée par Philip Sinton, qui est encore inédite. Une grande partie de ce travail de ces idées et de ces observations est née d’une étroite collaboration avec mes collègues et notamment Christopher Dunn, qui a partagé l’essentiel du travail dans le nord du Lincolnshire. Christopher Taylor et Ray Farrar, chacun à leur manière, ont montré la voie.

Discussion.

Président de séance : J. Collis

13J. Collis : Voici donc posé le problème des sites repérables en surface, signalés par des levées de terre ou des murs de pierre ; c’est une question que je connais bien : la semaine précédant mon départ d’Angleterre, j’étais avec quelques étudiants dans la région de Dartmoor où nous avons des structures de l’Age du Bronze, des maisons, des limites de champs, etc., qui sont en pierre et subsistent toujours. On a deux ou trois phases de peuplement dans cette région ; nous sommes en train de faire un travail comparable à celui de P. Everson, mais dans une région de pierre. Nous avons toujours beaucoup de mal à fixer la datation des murs, des champs ; il y a aussi des structures en surface, des tas de pierres que nous n’identifions toujours pas. Après dix ans de travail dans la région, il y a toujours beaucoup de choses que je ne comprends pas, par exemple le problème de la relation entre l’occupation médiévale et les structures plus anciennes, préhistoriques. Nous avons prélevé des échantillons pour les analyses de phosphate : cela a été fait pour étudier les périodes préhistoriques, mais finalement nous n’avons eu de résultats que pour l’époque médiévale et non pour la Préhistoire. Je me demande si on a commencé à faire en France un travail analogue à celui de la Royal Commission. J’ai été très impressionné par la région du Charolais, où on a un paysage fossilisé au xviiie s., après l’importation des vaches blanches ; il me semble qu’il y a beaucoup à faire.

14D. Reynolds : En Ecosse, les découvertes de sites par prospection systématique au sol, en repérant les concentrations de silex et de poterie, sont souvent impossibles, car il n’y a pas une quantité suffisante de vestiges. A part quelques tessons romains ou silex, on ne découvre rien. Beaucoup de régions devaient importer le silex, si bien qu’on en voit peu. Ce que nous trouvons surtout, en Ecosse, ce sont les structures de terre qui subsistent dans les zones qui ne sont pas aujourd’hui cultivées. Nous avons donc des monuments très bien conservés, en pierre ou en terre. Dans le Lincolnshire, où P. Everson effectue ses prospections, je suppose que l’on ne fait pas de prospection systématique ; on va voir les sites dont on connaît l’existence. Pour trouver des structures de terre, on n’a pas besoin de parcourir systématiquement tous les champs. Nous effectuons des opérations ponctuelles, que nous appelons ballooning, et qui consistent à rayonner du centre de la structure de terre vers l’extérieur, pour voir s’il y a quelque chose dans les alentours du site.

15P. Everson : Nous travaillons sur des sites médiévaux ou plus récents, si bien que nous avons des sources variées à notre disposition pour retrouver les habitats, par exemple des sources écrites qui donnent le nom des localités. Dans le cas des deux hameaux nivelés par les labours que je vous ai présentés, je connaissais leur localisation approximative avant même d’aller sur le terrain. Nous utilisons évidemment toutes les sources possibles : photographies aériennes de toutes sortes, qu’elles soient faites à des fins archéologiques, commerciales ou militaires, verticales ou obliques, cartes anciennes, etc. Le nom médiéval du second des hameaux que je vous ai montrés figurait sur une carte datée de 1800, ce qui nous a permis de localiser approximativement le site.

16D. Reynolds : Dès le début de la prospection, on utilise également la photographie aérienne, non seulement là où on s’attend à trouver des cropmarks (indices phytologiques), mais aussi là où les structures de terre en élévation sont bien conservées et où on pense qu’il en reste à découvrir. Récemment, nous avons effectué des vols en lumière rasante, à la recherche d’indices sciographiques, et nous avons pu mettre ainsi en évidence l’existence de systèmes agraires et de sites que nous ne connaissions pas. Après coup, on a pu retrouver au sol les traces de ces parcellaires, mais il était impossible de les détecter directement, sans l’aide des photographies aériennes, et cela quelle que soit l’expérience des prospecteurs. Je me demande si ce type de photographie aérienne en lumière rasante n’est pas une technique d’avenir pour les régions où la culture n’est pas trop intensive et où il n’est pas possible d’effectuer des prospections au sol systématiques.

17P. Everson : On pensait qu’il y avait très peu de structures de terre dans le Lincolnshire, seuls quelques sites bien connus et bien conservés sont mentionnés dans les manuels ; mais, si on approfondit la question, on s’aperçoit qu’il y en a beaucoup plus qu’on ne le croyait. Il faut souligner d’autre part que la technique de relevé des sites que j’ai exposée peut être utilisée quelle que soit la forme et l’époque des structures, qu’il s’agisse de parcellaires de l’Age du Bronze ou d’archéologie industrielle. Les techniques et la manière de synthétiser les observations restent valables quelle que soit la période à laquelle appartiennent les vestiges.

18A. Tabbagh : A propos des observations des micro‑reliefs, je pense que, même sur des sites où il y a une couverture en prairie, il serait intéressant de faire de la prospection thermique pour enregistrer le micro‑relief. Evidemment, c’est peut‑être difficile à faire en Ecosse compte tenu de l’état du ciel...

19A. Ferdière : Je ne veux pas faire le procès de la prospection aérienne en France, mais il y a un problème : on ne trouve que ce qu’on cherche ; on n’a jamais vraiment essayé de faire de la prospection aérienne en lumière rasante pour la recherche de micro‑reliefs ; il est évident que, si on cherche des villas romaines, on trouve des villas romaines; on n’a jamais cherché les parcellaires fossiles; vraisemblablement, il y en a, mais il faudrait les rechercher. Là encore, c’est le facteur humain qui joue.

20G. Fournier : Des phénomènes de fossilisation d’anciens vestiges, comme ceux qu’on nous a montrés, nous en trouvons dans les massifs volcaniques du centre de la France, entre l’Aubrac et les Monts‑Dore. Nous avons là une région qui a connu un assez fort peuplement médiéval, vraisemblablement entre le xie et le xiie s., atteignant son maximum au début du xive s., et subissant ensuite un repli. Repli qui s’explique par diverses raisons (Guerre de Cent Ans, modes d’exploitation différents) ; quand ce repli s’est produit, il a touché d’abord les populations qui s’étaient installées dans les conditions les plus défavorables, c’est‑à‑dire à la limite de l’habitat permanent ; on trouve justement, autour de 1 100‑1 200m d’altitude, des vestiges d’habitats permanents qu’on voit très bien en prospection aérienne avec le micro‑relief ou simplement en prospection au sol. D’autre part, il y a un deuxième type de vestiges : une partie de ces montagnes, dès le xiiie s. –et cela s’est accentué par la suite au moment, justement, de ce repli des habitats permanents– a été transformée en pacages d’estives : on trouve là un deuxième type de vestiges, un système d’habitat temporaire, c’est ce que l’on appelle les durons, c’est‑à‑dire des habitats qui étaient utilisés seulement l’été et où vivaient le berger et son personnel pour fabriquer le fromage. Ces burons se sont transformés aux xviie et xviiie s., où l’on a adopté la construction de burons en maçonnerie, alors que, auparavant, les premiers burons étaient des cavités creusées dans le sol ; chaque buron est composé d’une série de cavités, quatre à cinq, mises bout à bout ; d’autre part, ces burons s’éboulaient souvent. Le régime d’exploitation supposait également de nombreux bergers, si bien qu’à côté des burons maçonnés, vous trouvez de grandes zones de vestiges d’anciens burons qui remontent aux xiiie, xive, xve s., qui vont jusqu’au xviiie s., et qui sont très visibles, justement, en photographie aérienne et également au sol.

21J. Collis : Comment peut‑on dater ces burons?

22G. Fournier : Pour dater les villages, on a un certain nombre de textes qui les mentionnent ou même quelques textes qui mentionnent leur abandon, aux xive, xve, xvie s., ou même xviie, xviiie s., dans certains terriers par exemple; quant aux burons, on sait qu’ils sont antérieurs au milieu du xixe s., mais, jusqu’ici, on ne peut pas en préciser davantage la date; ils sont signalés dans des textes à partir du xiiie s. sous le nom de « cabanes » , mais il n’y a pas eu véritablement de fouilles sérieuses; jusqu’ici, ces vestiges de burons ont toujours été interprétés comme des vestiges préhistoriques ou protohistoriques; et, dans la mesure où ils ont été fouillés, ils ont été fouillés avec cette idée. Si bien que, lorsqu’on a trouvé du matériel manifestement récent, par exemple des céramiques vernissées du xvie s., on a conclu à une réoccupation ; alors que, en réalité, il s’agit de burons dont on a des descriptions jusqu’au xixe s.

23E. Zadora‑Rio : Ce sont donc des fonds de cabanes ?

24G. Fournier : Cela se présente comme des fonds de cabanes : ce sont des cavités qui ont entre 3 et 4 m de côté, et qui sont par groupe de quatre ou cinq, chacune de ces cabanes correspondant à une fonction : logement du berger, endroit où on fabriquait le fromage, endroit où on mettait les poules, les cochons, etc. Ce type de burons est décrit dans le Larousse du xixe s. ou par des voyageurs du début du xixe s. de façon très précise. Mais leur étude a toujours été faussée parce qu’on les a interprétés a priori comme des vestiges protohistoriques. Dans certains endroits, il y en a un nombre considérable. Comme ce sont des burons qui parfois remontent au xiiie s., qu’ils se sont succédé durant des générations, comme d’autre part il n’y avait pas d’activité véritablement collective, chaque exploitant possédant son buron, on arrive à une quantité de vestiges impressionnante. En lumière rasante ou lorsque la neige vient de fondre et qu’il en reste seulement un peu au fond, on arrive à des visions assez spectaculaires.

25A. Ferdière : Cela nous ramène à un autre point : celui du difficile passage du simple dénombrement des sites observés à des conclusions sur la démographie, avec tout ce que cela implique pour les autres périodes.

26G. Fournier : Je crois que, dans ce cas, il faut absolument associer histoire et archéologie : la datation de ces villages, nous l’avons par les textes. Il y a une thèse sur le peuplement des montagnes de ces régions qui nous donne un certain nombre de renseignements qui recoupent les données de l’archéologie.

27J.‑M. Couderc : L’intervention de D. Reynolds me fait penser à une question qu’on peut poser à nos collègues britanniques: en matière de micro‑formes, il semblerait — à moins que je n’aie pas bien compris — qu’on puisse se poser la question de savoir si on ne peut pas trouver, sous les tourbières, des équivalents pour le Moyen Age de ce que vous trouvez pour les périodes protohistoriques; j’ai eu l’occasion de voir notamment, en Irlande, des lazy‑beds parfaitement datés, par exemple dans le Comté de Mayo, qui remontent à 2500 ans av. J.‑C. Compte tenu de ce qu’on voit dans des régions comme l’Irlande ou l’Ecosse, où la turbification est extrêmement rapide, de l’ordre de quelques centimètres par an dans le nord de l’Irlande, est‑ce qu’il n’y a pas de micro‑formes des occupations médiévales qui peuvent être observées par un décapage de tourbe, en Ecosse ou en Pays de Galles par exemple?

28G. Fournier : Dans les régions que je connais, les habitats médiévaux ne sont pas dans les tourbières mais se trouvent en bordure des tourbières, qui occupent des dépressions humides et inutilisables.

29J.‑M. Couderc : La situation n’est pas la même : il s’agit là, en Ecosse, de blanket‑bogs, c’est‑à‑dire de tourbières de flanc.

30G. Fournier : Oui, dans le Massif central, ce sont des tourbières de fond.

31D. Reynolds: Le problème principal est d’arriver à trouver les sites sous la tourbe !

32J.‑M. Couderc : En Irlande, il y a souvent des décapages de tourbières en vue d’exploitation. En Ecosse on le fait localement, dans le nord.

Bibliographie

Bibliographie

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Dodgshon 1980 : DODGSHON (R.‑A.). — The Origin of British Field system : an interpretation. London, 1980.

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Hall 1981 : HALL (D.). — The Origins of open‑field agriculture. The archaeological fieldwork evidence. In: ROWLEY (R.‑T.) dir. — The Origins of open‑field agriculture. London, 1981, pp. 22‑38.

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Taylor 1974 : TAYLOR (C.‑C). — Fieldwork in Medieval Archaeology. London, Batsford, 1974.

Table des illustrations

Légende • 1. Castle Carlton, Lincolnshire. Village fondé près d’un château du XIIe s., avec droits de marché, presque totalement nivelé et labouré : la répartition de la poterie en surface suggère un plan simple à deux rangées de maisons, et peut‑être une grande place publique. Si des structures de terre avaient survécu, l’interprétation aurait été plus sûre.
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Légende • 2. Otby, Lincolnshire. Relevé des structures de terre au 1/1 000, préparé pour publication au 1/3 000. Le relevé tente de rendre non seulement le détail des structures de terre du village, mais aussi leur implantation sur un banc calcaire et leur situation par rapport aux sources (droit de reproduction réservé).
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Légende • 3. Blyborough, Lincolnshire. La demeure du XVIIe s., l’avenue bordée de tilleuls, le parc du XVIIIe s., ainsi que le village domanial donnent à la fois le contexte et les raisons de la désertion du village, dont il reste des vestiges endommagés.
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Légende • 4. Morphologie de Welton et Ryland, Lincolnshire. A partir d’un plan d’enclosure de 1773. Les numéros indiquent l’emplacement des maisons prébendières.
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Légende • 5. Carte des paroisses et communes aux environs de Rand, Lincolnshire.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/31748/img-5.jpg
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Auteur

Department of History, University of Keele

© Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1986

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