« Qui chantera la chanson de MSF ? » : politique de la « proximité » et pratique de l’humanitaire dans l’Est de la République démocratique du Congo
p. 179-199
Résumés
Cette présentation de notre recherche porte sur la gestion quotidienne de la sécurité et les négociations menées par Médecins sans Frontières (MSF) pour accéder au terrain dans le Nord-Kivu, en République démocratique du Congo (RDC). Prenant appui sur une démarche ethnographique, des entretiens et la consultation d’archives, l’article traite de l’expérience des employés congolais de MSF qui mènent des activités complexes de médiation et de courtage humanitaires. Leur rôle au sein de MSF est à la fois défini et circonscrit par leur situation politique et sociale. La gestion de la sécurité de MSF s’appuie sur les réseaux interpersonnels du personnel local et sur ses capacités d’interprétation et de traduction. Ces employés sont cependant exposés à des risques ou perçoivent cette situation comme telle : ils risquent de subir des pressions et des actes de violence, tandis que leurs perspectives d’évolution professionnelle restent limitées, précisément en raison de leur ancrage local. Ils se retrouvent pris entre leurs appartenances politiques et sociales et la responsabilité pratique d’appliquer les principes de MSF. Ils incarnent de ce fait les contradictions de l’approche de MSF au Nord-Kivu : un besoin simultané de « proximité » opérationnelle et d’une distance efficace par rapport aux dynamiques conflictuelles quotidiennes.
This article explores the everyday practice of security management and negotiations for access conducted by Médecins Sans Frontières (MSF) in North Kivu, in the Democratic Republic of the Congo (DRC). Based on ethnographic fieldwork, interviews and archival exploration, it examines the experience of MSF Congolese employees, who navigate a complex politics of humanitarian fixing and brokerage. Their role in MSF is simultaneously defined and circumscribed by their political and social situation. MSF’s security management relies on local staff’s interpersonal networks and on their ability to interpret and translate. However, local staff find themselves at risk, or perceived as a “risk”: exposed to external pressures and acts of violence, while possibilities for promotion are limited precisely because of their embeddedness. They face a tension between being politically and socially embedded and needing to perform MSF’s principles in practice. As such, they embody the contradictions of MSF’s approach in North Kivu: a simultaneous need for operational ‘proximity’, as well as performative distance from everyday conflict processes.
Entrées d’index
Mots-clés : humanitarisme, République démocratique du Congo, sécurité, conflit, personnel local
Keywords : humanitarianism, Democratic Republic of the Congo, security, conflict, local staff
Extrait
Introduction
1Un matin à Goma, j’ai assisté à une réunion du Cercle de la sécurité : un groupe d’humanitaires congolais en charge de la sécurité dans différentes organisations non gouvernementales (ONG) internationales du Nord-Kivu1. Bien que les intitulés de leurs postes diffèrent, ils assurent la même mission au sein de leurs organisations respectives : à partir de la collecte d’informations sur les violences persistantes et les actes de criminalité, ils livrent une analyse des conditions de la sécurité locale. Ils construisent et entretiennent un réseau parmi les différentes autorités locales et les groupes armés pour permettre aux ONG de négocier leur présence et d’agir dans un paysage politique fragmenté et fluctuant. Les membres du Cercle sont la cheville ouvrière de la présence humanitaire au Nord-Kivu. En témoignent les propos de l’un des fondateurs du Cercle : « Nous sommes à la fois des “fixers” – des intermédiaires – et des humanitaires, c’est ce qui caractérise notr
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