1L’ambition de ce travail de recherche est d’évaluer ce que les études de technologie lithique peuvent apporter à la connaissance des sociétés qui occupaient le sud-est du Bassin parisien du V^e au milieu du IV^e millénaire av. J.-C. Il s’agissait de répondre à une demande visant à élargir le champ des études sur le Néolithique dans une région marquée par des phénomènes d’interpénétration culturelle et caractérisée par l’abondance de gisements de matière siliceuse –du silex de la craie– accessibles mais de qualité médiocre.

2La démarche méthodologique s’est appuyée sur l’examen de séries appartenant à plusieurs ensembles de référence du secteur Seine-Yonne. Son objectif principal était de mettre en évidence, dans l’évolution de la production d’outillage en silex, des étapes qui devaient se surimposer aux chronologies culturelles déjà admises ou en cours d’élaboration, ce qui pourrait peut-être déboucher sur une meilleure définition de ces dernières. Les séries traitées sont abondantes et variées. Elles proviennent de sites d’habitat du Néolithique ancien mis au jour dans les vallées de la Petite Seine (Balloy, Barbey) et de l’Yonne (Passy, Villeneuve-la-Guyard), d’installations Cerny du Néolithique moyen I (Châtenay-sur-Seine, Balloy, Barbuise-Courtavant et vallée de la Seine) et, pour le Néolithique moyen II, de sites de retranchement du groupe de Noyen (Noyen-sur-Seine, Grisy-sur-Seine et vallée de la Seine) ou de minières d’extraction de silex (Villemaur-sur-Vanne/Les Orlets et vallée de la Vanne). Bien que les industries lithiques de ce secteur représentent, en nombre de restes, plus du tiers des vestiges archéologiques recueillis, leur étude n’avait jamais été engagée : la manipulation d’environ 100 000 artefacts en silex, dont 6 000 pièces retouchées, a permis de mettre en évidence les grandes caractéristiques de leur production et leurs changements au cours de la période considérée.

3Il apparaît ainsi que l’industrie lithique du Néolithique ancien du sud-est du Bassin parisien présente avec celle du Rubané récent de Picardie de grandes ressemblances, qui s’expriment tant dans les techniques et méthodes utilisées pour le débitage laminaire que dans la typologie des armatures de faucilles et de flèches. Toutefois, elle a aussi ses traits propres : la grande proportion de pièces retouchées sur éclat (grattoirs et denticulés) tout d’abord, la présence ensuite de certaines armatures de flèches (les pièces triangulaires sans retouche inverse rasante par exemple) et de faucilles sur troncature oblique à dos.

4Si leurs ressemblances plaident en faveur d’une filiation directe entre les industries lithiques du Rubané Récent du Bassin Parisien et celles du Néolithique ancien régional, leurs dissemblances montrent leur évolution. Les attributs distinctifs du Néolithique ancien vont d’ailleurs se généraliser au cours de la période suivante. Au Villeneuve-Saint-Germain final en effet, à Passy/La Sablonnière, les prémices d’une évolution annonçant les caractères généraux des industries ultérieures sont perceptibles. Les méthodes de débitage se simplifient et des éléments innovants apparaissent, comme les tranchets et les armatures de flèches tranchantes. Par la suite, ces éléments seront très répandus dans le groupe de Cerny. Il est donc intéressant de constater qu’ils apparaissent dans une ambiance « danubienne », laquelle se manifeste par le recours à la percussion indirecte dans le débitage laminaire, par l’approvisionnement en matière première exogène (lames en silex tertiaire) et par l’apparition de caractères architecturaux propres aux maisons danubiennes.

5Dès la transition entre le Villeneuve-Saint-Germain et le Cerny à Châtenay/Les Pâtures, la rupture avec l’organisation de la production antérieure semble consommée. On constate ainsi l’arrêt de l’approvisionnement en silex exogènes et la disparition de méthodes de taille élaborées comme le débitage des lames par percussion indirecte. La matière première devient exclusivement locale et même si, dans le groupe de Cerny-Barbuise, le concept de lame demeure un temps, c’est avec des techniques et des méthodes de taille extrêmement simplifiées : les lames sont obtenues par percussion directe dure dans le silex local. Ces caractères sont les indices d’une simplification technique croissante qui trouvera sa pleine expression dans le groupe de Noyen, dont la production se fera essentiellement sur éclat et par percussion dure.

6Concernant le lithique, on constate donc, à la fin du Villeneuve-Saint-Germain, l’abandon progressif, mais à terme total, des caractères danubiens de l’industrie d’une part, des réseaux d’acquisition de matières premières de bonne qualité d’autre part. Les autres domaines de la société subissent parallèlement des mutations d’envergure. D’une manière générale, les populations se montrent plus ouvertes aux potentialités régionales et mieux insérées dans leur milieu naturel, avec le développement de la chasse, l’investissement de nouveaux biotopes, la construction d’enceintes… L’évolution de la production d’outillage domestique s’intègre bien au schéma général : sa simplification et l’abandon des réseaux d’acquisition de matériaux exogènes traduisent une meilleure adaptation des techniques et des méthodes de taille à la matière première locale, de médiocre qualité.

7Au Néolithique moyen II, les outils fabriqués par le groupe de Noyen représentent l’aboutissement du processus de simplification technologique. Quant à l’industrie minière orientée vers la fabrication de haches qui apparaît à cette période dans la région, les données tendraient à montrer qu’elle était le fait de tailleurs peu performants exploitant les gisements pour des besoins locaux.

8En conclusion, la simplification de la technologie lithique domestique achevée par le groupe de Noyen et le développement d’une production minière à destination locale ou régionale (hypothèse qu’il reste à étayer) s’intégreraient au phénomène de régionalisation que révèle l’ensemble des données archéologiques. La meilleure insertion des communautés humaines dans leur environnement, que traduit l’exploitation accentuée du milieu naturel, favorise sans doute le relâchement des liens supraculturels et l’abandon progressif des technologies étrangères aux substrats humains locaux. La fabrication des outillages évolue en fonction de ces nouvelles conditions économiques et s’adapte aux contraintes engendrées par l’emploi de matières premières locales. Parallèlement, l’exploitation approfondie des ressources locales, dont l’extraction minière est un des aspects, est en pleine expansion.