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L’île de Tatihou (Manche) à l’âge du Bronze

 | 
Cyril Marcigny
, 
Emmanuel Ghesquière

Chapitre 6. Conclusion

Cyril Marcigny

Résumé

Les données acquises à Tatihou et les implications qui en découlent sont multiples. Les très bonnes conditions de conservation liées à l’absence de travaux agricoles et à un déficit érosif marqué ont favorisé une approche archéologique globale.

Les découvertes sont importantes et les efforts de synthèse ont permis de bien mettre en évidence les qualités intrinsèques du site qui font de Tatihou un exemple pour l’instant unique tant au niveau régional qu’interrégional. Les résultats, tant en ce qui concerne les données archéologiques que les données économiques et sociales, sont en effet les premiers de ce type dans le quart nord-ouest de la France. La naissance du processus de « structuration » du paysage, en particulier sous la forme d’un parcellaire cohérent, un millénaire avant la généralisation des systèmes agraires du second âge du Fer, peut être expliquée par les interactions entre les sociétés et leur environnement.

Texte intégral

6.1 L’acquisition des données

1Les données acquises à Tatihou et les implications qui en découlent sont multiples.

2Les très bonnes conditions de conservation liées à l’absence de travaux agricoles et à un déficit érosif marqué ont favorisé une approche archéologique globale. Le décapage d’une aire de fouille couvrant partiellement le réseau de fossés et une partie des structures domestiques sur près de 2,5 ha ouvrait de nombreuses perspectives concernant l’analyse spatiale des vestiges mobiliers et immobiliers et leur approche « ethnologique ». Malheureusement de nombreux obstacles sont venus assombrir ce tableau idyllique dès les premiers temps de la fouille. Ainsi l’identification fonctionnelle de nombreuses structures est aujourd’hui encore impossible à réaliser. De même, la périodisation des vestiges est bonne dans ses grandes lignes, le découpage en grandes phases d’occupation limitant la restitution précise de l’organisation de l’occupation dans la durée.

3Les découvertes sont cependant importantes et les efforts de synthèse ont permis de bien mettre en évidence les qualités intrinsèques du site qui font de Tatihou un exemple pour l’instant unique tant au niveau régional qu’interrégional. Les résultats, tant en ce qui concerne les données archéologiques que les données économiques et sociales, sont en effet les premiers de ce type dans le quart nord-ouest de la France. La naissance du processus de « structuration » du paysage, en particulier sous la forme d’un parcellaire cohérent, un millénaire avant la généralisation des systèmes agraires du second âge du Fer, peut être expliquée par les interactions entre sociétés et environnement.

4Tous les résultats actuellement disponibles mettent l’accent sur une économie de type domestique principalement tournée vers l’agriculture, l’élevage et probablement la pêche. Le poids de pêche, observé lors de l’étude lithique, est le seul vestige suggérant les activités maritimes. Aucun témoin d’activité liée au sel n’a pu être mis en évidence. Les pesons de métiers à tisser en terre cuite reflètent le travail des fibres textiles, qu’elles proviennent du milieu végétal ou animal. Les structures de combustion, bien que nombreuses pour un site de cette époque, apportent peu d’informations sur leurs fonctions. Les deux types de structures mises au jour ont certainement eu des attributions fonctionnelles différentes (fours à sole suspendue et fours creusés dans le limon) ; il est bien sûr tentant de les comparer à des fours liés à une activité de séchage du grain pour le premier type et à des activités culinaires pour le second, mais aucune de ces deux hypothèses n’est validée par l’analyse. Les structures de stockage, silos ou bâtiments, et les nombreux fragments d’outils de mouture sont les témoins indirects des cultures céréalières. L’étude des restes végétaux complète les résultats et permet de restituer les caractéristiques de l’économie de production des populations qui se sont succédé à Tatihou.

6.2 La structuration de l’espace

5Un des points les plus intéressants de cette étude réside dans la mise au jour d’une véritable structuration de l’espace agraire, dès l’âge du Bronze, marquée par les fossés. L’analyse de ces derniers (stratigraphie, recoupements et analyse spatiale) a permis d’établir une mise en phase de l’évolution du site, sous la forme de trois phases principales probablement subdivisées en de nombreuses sous-phases difficiles à définir (la continuité de l’occupation est en effet importante).

6La première phase d’installation est caractérisée par l’implantation d’un réseau de fossés constituant un véritable système parcellaire (fig. 141). Dans le clos du lazaret, la trame parcellaire prend appui sur un fossé, orienté N-S. Les parcelles sont délimitées par des fossés s’interrompant au niveau de cette structure. Les parcelles, bien que de modules différents, s’organisent suivant une certaine symétrie. L’étude du mode de comblement des principaux fossés témoigne du même processus global d’érosion (malgré des différences stratigraphiques). Ils sont demeurés ouverts et ont été peu à peu comblés avec un mélange de matériaux provenant des talus et des rejets anthropiques.

FIG. 141. Évolution chronologique du site de la phase 1 à la phase 2 (les structures par phase ne sont bien entendu pas strictement synchrones).

7À une époque contemporaine de ce premier parcellaire (ou légèrement antérieure), trois profonds fossés parallèles délimitent et fortifient un espace de 10 ha qui correspond actuellement à toute la partie orientale de l’île. Il est probable que ces fossés talutés ont eu une vocation défensive, ces derniers assurant une limite possible entre le continent et une avancée de terre fortifiée dominant la mer. La datation de l’ensemble reste conjoncturelle, le mobilier étant rare et l’exploration du dispositif très limitée.

8Durant la phase 2, une partie du parcellaire est abandonnée (partie nord du clos du lazaret, fig. 141). La trame générale est cependant conservée (peut-être sous la forme de microreliefs). Le fossé N-S de la phase 1 est recreusé en partie et deux nouveaux tronçons prennent appuis sur lui de manière à former un véritable enclos ouvert au nord. À l’emplacement de l’avancée de terre fortifiée, un deuxième enclos est creusé.

9La trame parcellaire jusque-là conservée est abandonnée en partie pendant la phase 3. L’axe formé par le fossé N-S est toujours gardé mais l’orientation générale des parcelles change pour prendre une ligne directrice S-S-O/N-N-E et l’enclos de la phase 2 est recoupé par un nouveau fossé.

10De nombreuses structures d’habitats ont été rencontrées à proximité des fossés. Elles sont semblables à celles mises en évidence sur de nombreux gisements protohistoriques du nord de la France (constructions sur poteaux). La superposition, le recoupement et la répartition spatiale du mobilier et des structures permettent d’approcher l’évolution dans le temps de l’implantation des constructions. La répartition des groupements structurés (bâtiments et structures) entre les phases semble répondre à des impératifs différents (même si la lecture fine de l’organisation de l’habitat est malaisée en l’absence de sols d’occupation conservés). Dans la première phase (fig. 141), les espaces bâtis sont indifféremment dispersés dans les parcelles, un espace « vide » étant visiblement aménagé derrière la structure de barrage (plan éclaté). Alors que durant la deuxième phase, les bâtiments, même s’ils ne sont pas tous strictement synchrones, sont concentrés autour d’une structure bâtie plus importante (fig. 141), à vocation probablement domestique, dessinant ainsi un véritable établissement clos. Ce type d’établissement est très répandu en Basse-Normandie et plus particulièrement dans le Calvados (Mondeville/ZI sud, Mondeville/L’Etoile, Thaon/Eléazar, Nonant/La Bergerie ; fig. 142). En 1998, un second établissement de ce type (Bronze moyen) a été partiellement repéré à l’extrémité orientale de l’île à l’emplacement du « vide » de la première phase, derrière la structure de barrage (fig. 141).

FIG. 142. Les enclos à vocation domestique du Bronze moyen de Basse-Normandie.

6.3 Le cadre chronoculturel

11Sept échantillons ont été proposés pour datation. Après préparation, deux d’entre eux se sont avérés trop petits pour être mesurés. Il s’agit des échantillons 1 016 et 407 provenant respectivement des structures 913 et 276 (caramels alimentaires sur céramiques) et appartenant à la phase 1 d’occupation. En définitive, cinq datations ont été obtenues (fig. 143) :

  • quatre sur charbons de bois piégés dans les structures à des niveaux stratigraphiques précis, Ly 8138 et Ly 9258 mesurés de façon classique et Lyon 442 (OxA), Lyon 443 (OxA) mesurés par accélérateur au laboratoire d’Oxford ;

  • une sur caramel alimentaire, Lyon 969 (OxA), mesurée par accélérateur.

FIG. 143. Les datations 14C des phases 1 à 3 (calibrées par le logiciel OxCal).

12La confrontation des résultats calibrés (fig. 143, 144) est dans ses grandes lignes conforme à l’analyse stratigraphique et aux trois grandes phases d’occupation. Seule la datation réalisée sur un échantillon de charbons de bois de la structure 193 (Ly 8138), appartenant à la phase 2, dénote et paraît trop ancienne (début de la deuxième moitié du IIIe millénaire). Le seul résultat disponible pour la phase 1 place l’occupation à la fin du Bronze ancien et au début du Bronze moyen. La phase 2 correspond au Bronze moyen. La phase 3, dans laquelle très peu de vestiges mobiliers ont été découverts, est datée de la fin du Bronze moyen si l’on utilise la chronologie anglaise ou du Bronze final I selon la chronologie française.

FIG. 144. Les dates des phases 1 à 3 comparées aux principales entités culturelles du nord de la France et du Royaume-Uni. Les résultats de Tatihou sont proches des dates proposées pour le groupe de Trevisker et le Deverel-Rimbury.

13Le nombre important de céramiques et la richesse stylistique du corpus autorisent aussi un certain nombre de réflexions d’ordres chronologique et culturelle.

14La première phase correspond à la création de la trame parcellaire et à l’occupation ponctuelle de certaines parcelles (greniers, bâtiment circulaire...). Le corpus céramique associé à ces structures est diversifié (fig. 145). Il se compose de profils peu caractéristiques que l’on retrouve de la fin du Néolithique à la transition Bronze ancien/moyen. Les formes ont des profils simples, sans col, à paroi courbe (essentiellement des vases hauts légèrement fermés). Ce corpus présente dans la plupart des cas des décors, sous la forme de lignes horizontales incisées (ou de chevrons proches du groupe de Trevisker) et de cannelures situées sur le haut des vases (comparables aux décors du Green Knowe style). Les moyens de préhension sont diversifiés : languettes, mamelons, anses en arceau et anses simulées. L’attribution chronologique de cette série, bien que difficile à appréhender, semble pouvoir être placée dans la seconde moitié de l’âge du Bronze ancien ou au début du Bronze moyen. L’absence de véritable corpus de référence au plan local ne permet pas d’affiner cette fourchette large de datation.

FIG. 145. Le répertoire schématique des récipients des phases 1 et 2.

15La seconde phase correspond à l’installation d’un habitat plus structuré. En vis-à-vis des bâtiments, on a retrouvé un riche corpus céramique dans un dépotoir. L’assemblage est constitué de vases hauts, fermés, sans col, à paroi presque rectiligne ou légèrement courbe (Bucket Urns) et, dans une moindre mesure, de formes basses ouvertes (fig. 145). Les moyens de préhension sont des languettes disposées en symétrie binaire sur des cordons digités ou lisses. Un vase à quatre anses est le seul à présenter des moyens de suspension. Le corpus des décors comprend des cordons digités ou lisses et/ou des boutons. L’attribution chronoculturelle de la série ne pose pas de problème. L’ensemble céramique est comparable aux gisements du Bronze moyen du sud de l’Angleterre appartenant au complexe Deverel-Rimbury. La troisième et dernière phase n’ a pas permis l’observation d’un lot céramique discriminant.

16L’industrie lithique est abondante elle aussi. Ce type de mobilier, tout comme le matériel de mouture, est trop souvent délaissé ; on ne peut citer que quelques séries ayant fait l’objet d’une réelle étude, dans le nord de la France (Roeux, Fréthun, Étaples et Poses). Le site de Tatihou, sur lequel plusieurs phases chronoculturelles de l’âge du Bronze ont été individualisées, a permis de mener un travail de fond sur cette industrie qui semble tenir une place finalement encore très importante sur un grand nombre d’occupations de cette période. Il est probable que cette série fasse référence pour la partie nord de la France et la partie sud de l’Angleterre. L’étude a mis en évidence un système de production extrêmement simplifié par rapport aux périodes précédentes, qui préfigure l’abandon total de l’usage du silex. Les produits obtenus sont des éclats peu réguliers bien que calibrés. Le débitage lamino-lamellaire est presque inexistant. L’outillage est représenté principalement par des grattoirs et des éclats retouchés. On note également la présence de quelques armatures tranchantes et perçantes. Seuls une pointe de flèche et un fragment de hache polie n’appartiennent pas au contexte local. Ces deux artefacts représentent d’ailleurs les seuls vestiges d’un débitage/façonnage maîtrisé. La fouille a également permis de mettre au jour une industrie sur galets assez diversifiée (usage de broyons ou de percuteurs). À côté de cela, les outils de mouture sont nombreux mais peu diversifiés : de grandes meules plates, aux contours peu réguliers, associées à des molettes réalisées sur des galets larges et plats.

17Dans le détail, le calage chronologique de ces ensembles mobiliers pose encore de nombreux problèmes. La périodisation du mobilier bas-normand de l’âge du Bronze en est encore à ses balbutiements et l’absence d’associations avec des objets métalliques et, d’une manière générale, la carence en fossiles directeurs des chronologies usuelles dans les séries limitent la précision. À Tatihou, il a cependant été possible, pour la première fois en Basse-Normandie, de suivre l’évolution du mobilier de la deuxième moitié de l’âge du Bronze ancien au Bronze moyen.

18En terme de résultats, les données acquises ne concernent cependant pas uniquement l’aspect chronologique, même si ce volet de la recherche demeure important. Le rattachement de la région à un vaste complexe technoculturel littoral Manche-mer du Nord (MMN, fig. 146) constitue un des aspects forts du travail amorcé à Tatihou. Dégager les principales caractéristiques de ce complexe en Basse-Normandie reste une de nos préoccupations pour les années à venir. En effet, les connexions reconnues entre les sites bas-normands de l’âge du Bronze et les groupes culturels des rivages de la Manche et de la mer du Nord ne concernent pas uniquement le mobilier. De très fortes similitudes dans les formes de l’habitat et l’occupation du sol ont été mises également en évidence. L’absence de structures d’habitats clairement définies pour la fin du iiie millénaire et le début de l’âge du Bronze ancien interdit bien entendu les comparaisons. Mais dès la fin du Bronze ancien et jusqu’au début du Bronze final les parallèles existent. Au niveau de l’occupation et de l’exploitation du sol, des systèmes parcellaires, identiques aux découvertes d’outre-Manche et de Tatihou, ont été aussi mis en évidence à Réville dans la Manche et plus récemment à Bernières-sur-Mer dans le Calvados (Marcigny, Ghesquière 2003). Des enceintes datant de la fin du Bronze ancien et du début du Bronze final, similaires aux enclos 1 et 2 de Tatihou, sont comparables aux irregular enclosures du sud de l’Angleterre (Burgcss 1983). Ces gisements, dont la fonction d’habitat est avérée, sont généralement placés au sein d’un vaste réseau parcellaire qui peut couvrir plusieurs dizaines d’hectares comme celui que l’on connaît maintenant sur le littoral bas-normand.

FIG. 146. Contour schématique des principales entités culturelles du nord-ouest de l’Europe à la fin du Bronze ancien et au Bronze moyen. L’ensemble des entités du nord-ouest de la France semble pouvoir être regroupé sous une seule et même composante Manche-mer du Nord.

19La région présente un potentiel fort qui permettra sans nul doute dans les prochaines années de présenter un portrait complet de l’âge du Bronze, sur le plan chronologique, économique et culturel, mais aussi et surtout concernant le mode d’occupation et d’utilisation du territoire. Une étude approfondie et comparative de ces éléments permettrait une meilleure approche ethnographique des sites de l’âge du Bronze de Basse-Normandie, un de nos objectifs majeurs.

6.4 Systèmes de mise en valeur et de contrôle de l’espace agricole

20En dehors de toutes considérations chronologiques ou culturelles, un système agraire doit être compris comme l’enchaînement technique des processus de production agropastorale, c’est-à-dire des moyens de production que ce soient les outils ou les pratiques agricoles. L’ensemble de ces considérations suppose une organisation plus ou moins contrôlée dans le temps (cycle agricole par exemple) et dans l’espace (le parcellaire). Les systèmes agraires sont donc caractérisés par une certaine organisation du paysage, lisible à travers les structures linéaires, un type de rotation culturale sur lequel il est possible de réfléchir et une façon de cultiver appréhendée grâce à l’étude de l’outillage. C’est la prise en compte de la totalité de ces éléments qui permet la définition et l’analyse d’un système.

6.4.1 Formation d’un système parcellaire : aspects théoriques1

  • 1 – Cette partie est le fruit d’une collaboration avec C. Billard ; nous tenons donc à le remercier i (...)

21La parcellisation d’un paysage est l’un des aspects matériels d’un système agraire. Ce type de système peut apparaître dans des situations différentes dans lesquelles interviennent une multitude de facteurs, aussi bien naturels, techniques, économiques, sociaux, voire cultuels. Examinons de manière toute théorique les fonctions possibles de ces systèmes parcellaires ainsi que les conditions qui ont pu déclencher la formation de ces types de système.

22À propos d’une parcelle agricole, il convient au départ de distinguer d’une part faire cultivée, et d’autre part les limites de cette parcelle, ou si l’on préfère le contenu et le contenant.

23Ces limites peuvent avoir des fonctions multiples : drainage, protection contre le vent ou la divagation du bétail, parcage des troupeaux (élevage ou jachère-pâture). La limite parcellaire peut également constituer une barrière visuelle ou simplement marquer au sol la propriété. Dans ce cas, elle matérialise un bien pouvant être transmis, de manière héréditaire ou non. De manière plus secondaire, elle peut également être un complément économique non négligeable, par l’apport de bois ou de fourrage.

24L’aire cultivée délimitée répond à plusieurs objectifs possibles. Cette aire marquée est un outil de gestion du sol et du calendrier agricole : une parcelle agricole peut correspondre par exemple à une même exploitation, à la surface que doit travailler un paysan en une journée, ou bien encore elle peut s’intégrer dans un système d’assolement. Elle est de ce fait une unité de mesure. Les formes de fixation du paysage anthropisé répondent également à des considérations techniques : par exemple, les labours croisés imposent des parcelles quadrangulaires à carrées.

25Généralement, la parcellisation du sol va de concert avec une pression agricole et une maîtrise technique accrue. Il convient en effet de mettre en parallèle ce phénomène avec la possibilité d’accroître les rendements agricoles, en particulier en se libérant de la contrainte de la jachère, qui freine partiellement la production, et de la mobilité qui constituaient un des traits marquants des premiers systèmes agraires.

26Dès lors, les conditions nécessaires à l’émergence d’un système parcellaire peuvent être d’ordre technique, en ce qui concerne les cultures (engraissements, amendements, jachère-pâture, travail du sol à l’araire...) ou l’élevage (apport fourrager), d’ordre démographique et économique (accroissement de population, accroissement des besoins agricoles dans un contexte de dynamisme économique) et d’ordre social ou politique (émergence d’une élite ou d’une organisation politique nécessitant le contrôle du sol, émergence de formes de transmission du sol non collectives).

27Enfin, outre les facteurs cultuels qui nous échappent, on peut évoquer les facteurs naturels qui ont probablement facilité l’émergence de tels systèmes : facteurs climatiques, conditions pédologiques et facilité d’accès aux engrais.

6.4.2 Les premiers systèmes parcellaires du Néolithique à l’âge du Fer2

  • 2 – Cette partie est le fruit d’une collaboration avec F. Favory ; nous tenons donc à le remercier ic (...)

28Les archéologues britanniques et néerlandais ont depuis de nombreuses années mis en évidence ce type d’occupation (Crawford 1928 ; Curwen, Hatt 1953 ; Bowen, Fowler 1978 et Thomas 1978 pour les travaux anglais ou Van Giffen 1928 ; Brongers 1976 et Millier-Wille 1979 pour les Pays-Bas et l’Allemagne). Les premières données issues de la prospection aérienne complétées de prospections et de relevés topographiques ont permis de retrouver les traces de l’organisation du paysage : les celtic fields ou land allotments, datés de l’âge du Fer, pour les plus récents et les mieux connus, et de l’âge du Bronze et/ou du Néolithique pour les plus anciens (fig. 147-149). A l’initiative de F. Favory (1983), G. Chouquer (1983) ou O. Buchsenschutz (Mennessier-Jouannet, Buchsenschutz 1996), ce processus d’anthropisation du paysage est maintenant bien connu et bien assimilé par la problématique archéologique française, en particulier pour les périodes les plus récentes. Les principaux résultats de plus de cinquante ans de collecte de données peuvent très schématiquement se résumer en quelques points. Les land allotments de l’Europe du Nord, ou plus exactement de l’horizon géographique Manche-mer du Nord, sont datés de la fin du Néolithique, de l’âge du Bronze ou plus fréquemment de l’âge du Fer. Ils sont particulièrement bien conservés dans les régions où l’élevage intensif ou la forêt ont remplacé les cultures (abandon des terres dans le sud de la Grande-Bretagne par exemple). La trame parcellaire peut perdurer pendant l’Antiquité ou bien totalement disparaître dès l’âge du Bronze. Ces parcelles diffèrent totalement de celles de La Tène ou de l’époque romaine : elles sont le plus souvent de tailles restreintes et forment un système parcellaire constitué d’une mosaïque de petits ensembles irréguliers.

FIG. 147. Le parcellaire fossile de Dartmoor (Grande-Bretagne).

FIG. 148. Le parcellaire fossile de Snail Down (a) et de Weather Hill (b) (Grande-Bretagne). Les fossés de ce dernier site sont relativement proches de ceux de Tatihou.

FIG. 149. Le parcellaire fossile de l’âge du Bronze moyen de Hijken dans le nord des Pays-Bas.

29Dans le nord des Pays-Bas, les systèmes parcellaires ont été bien étudiés par A.E. Van Giffen et J.A. Brongers. Ils ont réussi à déterminer la fonction de ces petites parcelles délimitées par de larges banquettes. Elles ont pour fonction première, d’après les auteurs, de contrôler l’humidité et éventuellement de contenir les terres enrichies en fumier. Ce cas ne peut bien sûr pas être généralisé à tous les secteurs géographiques et il est délicat d’attribuer les mêmes fonctions aux parcelles délimitées par des murets de pierres sèches (les reaves du Dartmoor) ou par des fossés (fossés de drainage des fens, Flag Fen). Dans la plupart des cas, les aménagements correspondent à une adaptation à un milieu particulier.

30Ce qui reste capital dans ce type d’anthropisation/organisation du paysage, c’est la fixation de la culture sur une aire déterminée et délimitée. Ce procédé a nécessairement entraîné une méthode pour éviter l’épuisement des sols (fumure, renouvellement du sol arable par apports de terre végétale et/ou rotation des cultures). L’amélioration des techniques agricoles a alors permis une occupation plus longue d’un même territoire.

6.4.3 L’espace agraire de Tatihou

31La période de fréquentation du site, entre la fin du xvie et le début du xiiie s., s’inscrit dans un contexte économique et social particulier qui correspond au développement de la métallurgie des alliages à base de cuivre et au dynamisme normand et breton. La position géographique privilégiée du site sur les voies de circulation maritimes et à proximité des zones d’approvisionnement britanniques crée des affinités culturelles entre le Bronze ancien-moyen normand et le bronze ancien-moyen britannique.

32L’interaction de ces différents facteurs liée à une amélioration constante des techniques agricoles et à une plus grande sédentarisation ont dû faciliter la création du dispositif parcellaire.

6.4.3.1 Organisation du parcellaire

33À Tatihou, la faible surface reconnue (un peu moins de 17 ha, dont 2,5 ha reconnus exhaustivement) ne permet pas une analyse globale du système parcellaire. Le gisement tel qu’il est connu actuellement ne représente qu’une infime partie d’un ensemble beaucoup plus étendu. On peut toutefois dès à présent dégager les grandes lignes de l’installation. La date de création de la trame parcellaire est inconnue, elle n’est cependant sûrement pas aussi ancienne que certains exemples irlandais ou anglais du Dartmoor où de tels dispositifs sont datés de la fin du iiie millénaire (Bradley 1978). Ce système n’a pas été permanent, il a été remodelé à de nombreuses reprises. Ce sont ces remodelages qui dans l’étude ont été regroupés en plusieurs phases allant de la fin de l’âge du Bronze ancien au Bronze moyen. Au gré de l’évolution chronologique, les champs, les prairies et l’habitat se déplacent dans le parcellaire pouvant ainsi développer des ensembles sur des surfaces considérables et manifester une organisation cohérente de l’espace productif, à l’image des cohesive Systems des landes du Dartmoor par exemple (Fleming 1986).

34Dans le cas de Tatihou, le système parcellaire pourrait prendre appui ou serait issu de la structure de barrage mise en évidence en 1998.

35Les comparaisons archéologiques ne manquent pas. Le type de parcellisation mis en évidence sur l’île de Tatihou semble plus proche des exemples du sud de l’Angleterre, des Pays-Bas et de l’Allemagne du Nord, caractérisés par la présence de petites surfaces carrées ou rectangulaires aux limites régulières délimitées par des talus de terre ou de pierre (Guilaine 1991 : 64-68), que de ceux du nord de la France où ce type d’organisation du paysage est pratiquement inconnu. Dans l’ouest, seules la Basse-Normandie et la Bretagne ont livré des systèmes structurés à proximité de tumulus du Bronze ancien (Marcigny, Ghesquière 2003 ; Briard et al. 1990).

6.4.3.2 Lecture du système agraire

36L’organisation du paysage, même si dans le cas de Tatihou cet apport est extrêmement important, apporte peu d’informations concernant les pratiques agricoles. Il est en effet délicat de s’arrêter à la lecture d’un plan au sol qui ne fournit qu’une image tronquée et diachronique de la trame parcellaire. Même mis en phase, la lecture du plan parcellaire ne permet pas de connaître le type de rotation culturale mis en place. À titre d’exemple, pour les périodes historiques, un même mode d’organisation du paysage peut correspondre à des assolements différents et, inversement, une même rotation peut donner lieu à des aménagements variés de l’espace rural (Paillet 1997). Dans le détail, les éléments constitutifs de la trame parcellaire fournissent des données complémentaires qui participent à la définition du système agraire dans lequel évoluaient les populations de Tatihou durant le IIe millénaire avant notre ère. Le fossé est la structure la mieux conservée. Les analyses micromorphologiques et stratigraphiques de chacune des structures linéaires ont permis de mettre en évidence certaines constantes. La présence de couches de comblement résultant de la stagnation de l’eau et la conservation sur le fond de chacun des fossés d’une pente semblable à celle de la topographie du terrain sont autant d’éléments qui témoignent d’une fonction ouverte et drainante des fossés. La nature plastique du substrat recoupé par les fossés a en effet imposé un drainage des terrains lors de son anthropisation de manière à contrôler l’humidité du sol et ainsi améliorer ses qualités. L’histoire des fossés est ponctuée de phases de creusements et de colmatage qui évoquent leur entretien continu. Les quelques rejets détritiques mis en évidence en vis-à-vis des structures bâties ne sont que le résultat de gestes domestiques visant à l’évacuation des déchets. La présence d’un talus surmonté d’une haie à proximité immédiate des structures fossoyées peut être proposée à titre d’hypothèse bien que les éléments stratigraphiques n’aient pas permis de trancher véritablement sur la place et sur l’existence systématique de ce dispositif. Si un tel assemblage existait à Tatihou, son apport dans la chaîne de production du système agraire ne doit pas être minimisé. La haie fournit non seulement une limite nette qui a fonction d’enclos dans le paysage mais aussi un abri potentiel aux animaux et une ressource alternative de produits dont le bois n’est pas un des moindres.

37L’ensemble de ces caractéristiques se retrouve encore de nos jours dans les systèmes bocagers. L’analyse géomorphologique semble confirmer la présence de haies sur le site puisque plusieurs formations microstratigraphiques témoignant de la verse des arbres (chablis) ont été observées sur les parois et parfois dans le comblement des fossés.

38La pratique culturale est la pierre d’achoppement sur laquelle se heurte l’étude du système agraire de Tatihou. Il est impossible de déduire le fonctionnement des parcelles à partir du plan et des données carpologiques. Ils fournissent cependant quelques éléments de réponses sur lesquels il est possible de raisonner. Le rapport entre l’homme et l’espace productif a abouti dans le cas de Tatihou à une rationalisation de l’espace et donc à un aménagement spécifique des pratiques de la production. Cette rationalisation répond à un double objectif : fixer une emprise au sol adaptée à la morphologie et aux conditions du sol (drainage), et créer un schéma de base permettant de régir à l’infini les formes agraires, que ce soient des limites (haies, chemins) ou des figures (« champs » de forme quadrangulaire). Ces observations permettent d’appréhender les méthodes qui ont conditionné la pratique culturale. La fixation de l’emprise au sol a invariablement entraîné un procédé visant à éviter l’épuisement des sols. Les méthodes les plus couramment employées sont la fumure (ou les engrais marins : varech), l’apport de terre nouvelle (comme aux Pays-Bas ; Brongers 1976 : 56) et la rotation des cultures. Cette alternance dans l’exploitation du sol peut être de plusieurs types. Pour les périodes historiques, elle est non seulement très diversifiée (assolement biennal, triennal, rotation plus ou moins longue) mais elle diffère d’une région à l’autre (Braudel 1979). Pour ménager les potentialités biochimiques d’un sol et en particulier assurer sa régénération, l’assolement biennal paraît être la méthode la plus simple et une des plus fiables. Elle a pu être utilisée à Tatihou sous la forme de jachères courtes alternées. La question du rendement se pose alors. Il est dépendant de plusieurs facteurs. La dimension de la parcelle est importante : si elle est petite (inférieure à la moyenne de 0,5 ha), elle sera mieux soignée et mieux protégée et elle profitera plus de l’effet de bordure (les plantes situées en lisière de parcelle profiteront plus de la lumière et de l’espace). Le type de grain et sa disposition sont aussi un facteur important : s’il est difficile aujourd’hui d’évaluer le rendement de la semence pour chaque type de grain (en n pour 1), il est évident qu’une disposition lâche des plantes permettra de multiplier artificiellement les effets de bordure. À Tatihou, la forme générale et la dimension des parcelles tendent vers la moyenne de 0,5 ha. Si l’on veut obtenir les meilleurs ratios, la disposition des plantes ne doit donc pas être uniforme. Mais le rendement de la semence n’a de véritable signification que si l’on connaît la technique utilisée lors des semis (à la volée, en ligne, en poquet...). Si l’on se réfère encore aux périodes plus récentes, il semble que semer les céréales à la volée est la technique la plus utilisée en Occident car elle permet entre autres d’économiser la main d’œuvre. Dans ce cas les rendements à la semence sont de 4 à 10 pour 1 (Sigaut 1992). J. Vital a tenté une approche du rendement céréalier pour l’occupation Bronze final/Hallstatt du Pré de la Cour à Montagnieu dans l’Ain (Vital 1993) ; il propose une productivité de 0,2 à 0,8 t/ha avec un maximum possible à 1,2 t/ha pour du froment, soit un rendement à la semence autour de 3 pour 1. Ce chiffre peut être retenu à titre d’hypothèse pour la définition du système agraire de Tatihou. Il aurait été tentant de mettre en corrélation ce rendement à l’hectare avec les capacités de stockage du site et la consommation probable de la population de Tatihou déduite des bâtiments domestiques. L’état fragmentaire des données de fouille (un petit pourcentage du gisement est exploité) interdit cette approche.

39La façon de cultiver, dernier élément de la définition d’un système agraire, ne peut être éclairée qu’à travers l’étude du mobilier. L’agriculture est bien implantée dans toute la moitié nord de la France à l’âge du Bronze et les techniques de sa mise en œuvre n’ont pas sensiblement évolué depuis la fin du Néolithique. Il est impossible de connaître les différentes phases qui ont précédé l’installation des parcelles (phase de défrichement, essartage, écobuage...). Cependant il est plus ou moins évident que la forme des parcelles coïncide avec des procédés utilisés lors de la mise en culture. Les surfaces quadrangulaires délimitées par les fossés peuvent être la traduction sur le terrain de la mesure du temps de travail et du travail lui-même. Il est couramment admis que le champ correspond à une mesure de la tâche quotidienne, le « journal » encore utilisé dans certaines régions de bocage atteste de cela dans son étymologie. À Tatihou, cette surface correspond approximativement, pour les parcelles restituables, à des quadrilatères de moins d’un hectare (3 500 m2 pour les plus petites et jusqu’à 6 000 m2 pour les plus grandes). Ces mesures ont souvent été rapprochées du temps nécessaire pour travailler en labour croisé en une journée (Mennessier-Jouannet, Buchsenschutz 1996). La forme générale des parcelles correspond en fait à un nombre de sillons et donc à des impératifs de labourage sûrement réalisé à l’araire. Ce type d’outil agricole est connu depuis la fin du Néolithique et le début de l’âge du Bronze. Il est inutile ici de revenir sur les multiples représentations graphiques d’araire généralement tiré par un attelage à deux bovidés. Nous citerons juste pour mémoire les rochers gravés de Suède, du Mont Bego ou de Val Camonica. L’utilisation de l’araire permet un labour à plat, cependant les qualités limitées de cet instrument rendent nécessaire un labour croisé, le plus souvent perpendiculaire. À Tatihou, il n’a pas été possible d’observer les traces de ce type de labour mais elles ont été observées sur plusieurs sites des Pays-Bas, d’Angleterre (Bradley et al. 1994) et de France pour les périodes historiques (Guilaine 1991 ; Boissinot 1997). Pour beaucoup d’auteurs, la genèse du champ, et donc indirectement du parcellaire, passe par le labour croisé.

40Aboutissement de la mise en culture, la moisson pouvait se faire à la main ou à la faucille pour les espèces à tige plus robuste. L’étude du mobilier lithique peut aussi apporter de nombreux éléments contribuant à l’analyse des pratiques culturales. Il n’y a que quelques outils pour lesquels la participation à ces pratiques est presque sûre. Les microdenticulés sont assurément les outils les plus directement liés aux activités agricoles. Toutes les études tracéologiques réalisées à partir de ces outils ont montré leur usage pour la coupe de végétaux, des céréales, du fourrage ou des roseaux selon les cas. Le pseudo-tranchet présent à Tatihou porte un lustré d’utilisation sur son tranchant. De telles marques ont été interprétées suivant les sites comme les stigmates laissés par le travail du bois ou de la terre (Philibert 1996). Un usage comme houe ou comme herminette est donc envisageable, ce qui, dans un cas comme dans l’autre, correspond à des pratiques de mise en valeur et d’exploitation du milieu environnant. Enfin, de manière générale, tous les outils peuvent être liés de manière directe ou indirecte aux pratiques agricoles ou plus généralement d’exploitation du milieu dans un but de subsistance alimentaire. Ils ne possèdent cependant pas les caractères discriminants qui suffisent à les lier à ces pratiques de manière assurée.

41Dernière phase avant la consommation, la mouture des céréales est bien attestée sur le site par la présence de nombreuses meules et molettes. Elles ont permis de broyer le grain et de le réduire de manière à préparer bouillies et galettes. La panification est elle aussi attestée par des plaques en arkose apparentées aux « plats à pain » en argile cuite que l’on connaît dés le Néolithique moyen. L’agriculture constitue donc une des activités principales des populations vivant à Tatihou même si l’apport de la cueillette ne doit pas être négligé (des endocarpes de noisettes ont été observés) ainsi que l’activité cynégétique suggérée par la présence de pointes de flèche qui, rappelons-le, représentent 2,8 % de l’outillage lithique.

6.4.4 Signification sociale et politique ? premiers éléments de réflexion

42Au-delà de l’approche économique, le parcellaire mis au jour à Tatihou peut servir de point de départ à une multitude d’interrogations se rapportant aux facteurs sociopolitiques.

43Une des questions les plus importantes concerne l’aptitude de la communauté vivant à Tatihou à appartenir à un système social hiérarchisé. Cette hiérarchie est appréhendable à travers la lecture du rapport existant entre les forces productives et la production (matérialisme historique). En substance, peut-on lire dans la culture matérielle ou dans le parcellaire et la répartition des espaces sociaux, la projection « au sol » de l’organisation sociale ?

44Il serait illusoire de vouloir répondre à cette question à partir des éléments incomplets mis au jour à Tatihou. La fixation de l’habitat a cependant imposé la création puis le maintien des structures de délimitation des parcelles et un entretien des espaces cultivés, avec rotation des cultures. Il se pose alors la question des liens entre les moyens techniques et l’organisation sociale et politique (problème maintes fois soulevé ; Clastres 1974). En effet, seule une planification cohérente des activités agricoles peut nécessiter la réalisation et l’utilisation d’un vaste réseau parcellaire qui, si on le compare à l’espace d’une communauté agricole (unité territoriale, fig. 147) tel qu’il est défini par A. Fleming dans le Dartmoor (Fleming 1986 ; 1988), devait couvrir de 20 à 70 km2. Dans cette région, la répartition des structures bâties dans les parcelles a donné lieu à une interprétation du mode de fonctionnement des unités territoriales : « À l’intérieur de chaque unité territoriale, les habitats formaient des groupes de voisinage (neighbourhoods) qui travaillaient ensemble et faisaient ensemble la plupart des choix économiques quotidiens. ». À Tatihou, la faible surface explorée peut correspondre à l’emplacement d’un de ces groupes de voisinage (un pour la phase 1 et deux pour la phase 2). Cette vision collective de l’occupation ne repose cependant sur aucun élément déterminant et fournit tout au plus une hypothèse parmi d’autres concernant le fonctionnement social de ce type de site.

45À l’opposé, et comme le soulignait l’anthropologue G. Balandier, il n’existe pas de sociétés sans pouvoir politique (Balandier 1976 : 6-27). Ce pouvoir n’aurait aucun sens sans des rapports inégaux au sein du groupe entre les individus ou les unités sociales, que ce soit une inégalité liée à des « rapports de force » ou une inégalité dite « primaire » liée à la généalogie, au sexe, à l’âge ou bien encore à la spécialisation d’un groupe social. Les structures d’habitat disséminées dans les parcelles à Tatihou ne seraient alors que les lieux de résidence de tenanciers (dans le sens historique du terme) responsables de l’entretien et de la production sous le contrôle d’un groupe destinataire d’une partie des ressources produites. La création du système parcellaire peut alors servir à marquer l’appropriation du sol. C’est ce que l’on retrouve de nos jours dans l’utilisation de végétaux stables dans la conception des haies (bornage végétal).

46Bien entendu, entre ces deux scénarios caricaturaux, travail collectif ou société très hiérarchisée, toute une gamme de schémas d’organisation sociale est possible et renvoie à la démarche génétique de l’anthropologie politique visant entre autre à l’analyse du passage des sociétés construites sur la « parenté » aux sociétés politiques.

Notes

1 – Cette partie est le fruit d’une collaboration avec C. Billard ; nous tenons donc à le remercier ici pour son aide.

2 – Cette partie est le fruit d’une collaboration avec F. Favory ; nous tenons donc à le remercier ici pour son aide.

Table des illustrations

Légende FIG. 141. Évolution chronologique du site de la phase 1 à la phase 2 (les structures par phase ne sont bien entendu pas strictement synchrones).
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/23338/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 107k
Légende FIG. 142. Les enclos à vocation domestique du Bronze moyen de Basse-Normandie.
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Fichier image/jpeg, 39k
Légende FIG. 143. Les datations 14C des phases 1 à 3 (calibrées par le logiciel OxCal).
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/23338/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 14k
Légende FIG. 144. Les dates des phases 1 à 3 comparées aux principales entités culturelles du nord de la France et du Royaume-Uni. Les résultats de Tatihou sont proches des dates proposées pour le groupe de Trevisker et le Deverel-Rimbury.
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Fichier image/jpeg, 45k
Légende FIG. 145. Le répertoire schématique des récipients des phases 1 et 2.
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Légende FIG. 146. Contour schématique des principales entités culturelles du nord-ouest de l’Europe à la fin du Bronze ancien et au Bronze moyen. L’ensemble des entités du nord-ouest de la France semble pouvoir être regroupé sous une seule et même composante Manche-mer du Nord.
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Légende FIG. 147. Le parcellaire fossile de Dartmoor (Grande-Bretagne).
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Légende FIG. 148. Le parcellaire fossile de Snail Down (a) et de Weather Hill (b) (Grande-Bretagne). Les fossés de ce dernier site sont relativement proches de ceux de Tatihou.
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Légende FIG. 149. Le parcellaire fossile de l’âge du Bronze moyen de Hijken dans le nord des Pays-Bas.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/23338/img-9.jpg
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© Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2003

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