1 Nous devons cette citation à Mathias Girel (2020).

2 Notre questionnement sur la notion d’expérience s’est également nourri de l’héritage de la phénoménologie (Cefaï, 1998 ; Katz, 1999, 2013 ; Benoist & Karsenti, 2001 ; Perreau, 2010).

3 Dans l’essai qu’il consacre à la conceptualisation de l’engagement, Claude Giraud fait un pas dans cette direction. Parmi les traits communs à des engagements aussi variés que la relation amoureuse et l’engagement militaire, il relève : 1). Une projection de soi dans le temps – qui est « celle d’une anticipation de situations futures articulées à un désir de continuité des relations actuelles », avec l’« espoir d’un futur construit comme un avenir » ; 2). Une « représentation de la nécessité de changer […] le cours de ce qui a été jusqu’alors vécu et de poser un acte le signifiant » (Giraud, 2011, p. 19).

4 Elle appelle à être explorée au présent : « l’expérience, c’est aussi ce qu’on ignore, ce qu’on découvre en se trouvant confronté à une situation, ce qu’on établit peu à peu au fil des cas, à la fois si proches et toujours un peu différents ; c’est quelque chose qui ne peut que se reprendre et se prolonger toujours, en se discutant avec les autres, en se reformulant indéfiniment » (Hennion & Monnin, 2019, § 31).

5 Cette perspective ouvre sur une approche différente de l’engagement dans le travail, en termes de « vrai boulot », qui « met en lumière un riche espace de sens en deçà des registres des identités, du mandat et des rhétoriques professionnelles » (Bidet, 2011, p. 11).

6 « Le principe de continuité de l’expérience signifie que chaque expérience, à la fois, conserve quelque chose de celles qui la précèdent et affecte d’une certaine façon la qualité de celles qui lui font suite. » (Dewey, 1997, p. 35).

7 Chez Arendt, l’ancrage ontologique de cette capacité tient au fait de la natalité (1983). Avec chaque naissance, « c’est un nouveau venu qui est advenu dans le monde, c’est un nouveau monde qui est virtuellement venu à être » (Arendt, 1972, p. 211).

8 Malgré une attention aux formes d’hybridation entre les pratiques militantes et l’activité professionnelle, la focalisation sur l’engagement militant amène alors à circonscrire étroitement « ceux qui s’engagent », et qui donnent une portée politique à leur activité, par opposition aux autres (Champy & Israël, 2009). Sur l’intérêt de ne pas « opposer les “engagé” à ceux qui refusent le monde ou s’en tiennent à l’écart », voir Prochasson (1998).

9 « Nos pensées et nos actions ne sont pas dirigées vers ou sur l’environnement, mais sont exercées à partir de et avec lui », rappelle en ce sens Pierre Steiner (2008, p. 279).

10 Le rythme étant défini par Dewey comme « la variation ordonnée des changements » (2005, p. 189).

11 Précisons qu’« une situation, pour Dewey, dénote tout ce qui est engagé dans une relation de transaction entre un organisme et son environnement, qu’il soit présent, passé ou futur. Elle n’est donc pas un lieu ou un moment. La situation n’est pas non plus un objet d’expérience ; elle est plutôt ce à partir de quoi l’expérience – comme transaction – se déploie. » (Steiner, 2019, p. 196).

12 Joëlle Zask note justement que Dewey « a distingué une “fin-en-vue” d’une finalité pour rendre compte de la possibilité d’un ordonnancement expérimental des changements sociaux » (2007, p. 145).

13 La civilité s’avère un terrain de choix en la matière, comme l’ont montré les travaux pionniers de Patrick Pharo (1985) avec sa conceptualisation des « interventions civiles », à mi-chemin entre les formes d’engagement et la forme la plus routinisée des pratiques civiles rituelles. Sur la doxa tenace relative aux interactions civiles, encore souvent tenues pour l’exemplum du « social » en tant qu’il serait dépourvu d’agentivité, voir Gayet-Viaud (2022).

14 Chez Becker, en outre, la question de la responsabilité et de ses conséquences reste hors champ ; elle n’entre pas dans les produits de l’engagement qui rendent le retour en arrière difficile. Merci à Daniel Cefaï d’avoir attiré notre attention sur ce point de divergence supplémentaire.

15 La croissance du soi chez Dewey est véritable quand elle garantit ou crée les conditions d’une croissance ultérieure. Si le gangster ou le politicien corrompu peut progresser, devenir plus efficace dans sa pratique, cette croissance n’est pas durable, car elle n’est pas éducative. Elle tend au contraire « à se chosifier et se fermer » en se coupant de l’expérience des autres (Fabre, 2023), donc de sources de croissance ultérieure (à travers des occasions d’interactions et d’intérêts partageables). Dewey invite à se demander : « est-ce que cette forme de croissance cultive la croissance en général ? Est-ce qu’elle crée les conditions d’une croissance future ? Ou bien prive-t-elle la personne poursuivant cette voie particulière de stimuli et d’opportunités de croissance continue dans d’autres directions ? » (Dewey, 1997 [1938], p. 36). La vraie croissance individuelle est donc coextensive à celle de la vie commune, qu’elle cultive et qui la cultive en retour.

16 Dans son analyse, Laurent Willemez (2004) se demande ainsi « comment l’individu engagé s’inscrit dans son histoire et relie ce passé à son présent et à son futur », mais entend d’abord rendre compte d’affiliations ou d’identifications nouvelles survenant au gré de « carrières militantes ».

17 « Chacun fait l’expérience de la vie sous un angle différent des autres, et ainsi il a quelque chose de spécifique à donner aux autres s’il peut faire de ses expériences des idées qu’il transmet aux autres. Chaque individu est un nouveau commencement, l’univers lui-même prend, en quelque sorte, un nouveau départ en lui et tente de faire quelque chose, même à petite échelle, qui n’a jamais été fait auparavant. » (Dewey, Construction and Criticism, LW.5.127).

18 Ils désignent par-là une « relocalisation de la politique » par les participants, signifiant la mise à « distance volontaire et volontariste » de l’idéologie et du « rapport intellectualiste et abstrait au politique » propre à la politique institutionnelle, allant de pair avec « un ensemble d’expériences, de protestations, de projets [faisant] des potentialités libératrices et démocratiques du “local” un nouvel enjeu d’imagination politique » (Jeanpierre, 2019, p. 15), à l’image d’autres formes déjà documentées de « politisation du proche » (Thévenot, 1994 ; Breviglieri & Pattaroni, 2005 ; Dechézelle & Olive, 2019 ; Brahy, 2019).

19 « L’enquête continue l’expérience, lui donne une méthode, dans la mesure où elle en affine, étend et libère le contenu et les moyens » ; « l’enquête, qui conduit au jugement, est elle-même un processus de transition temporelle réalisée dans des matériaux existentiels » (Dewey, 1993, p. 326).

20 « Avant d’être citoyens, nous sommes mitoyens, et c’est dans cette proximité distante avec l’étranger que nous apprenons à donner un sens à la notion de monde », rappelle Isaac Joseph (2007, p. 216).

21 Christophe Traïni articule travail militant et travail sur soi, en thématisant une « succession singulière d’expériences toutes personnelles » où « les chocs moraux s’insèrent au sein de la succession d’expériences qui constituent l’histoire sociale du militant », mais aussi un « tempérament singulier »). On a le double horizon de l’adhésion à une cause et d’une mobilisation collective.

22 À propos des phénomènes d’emprise, Francis Chateauraynaud précise qu’ils désignent « les procédés […] par lesquels des entités en tiennent d’autres sous leur contrôle dans un savant mélange de manipulation, d’exploitation des asymétries, de jeu avec les contraintes organisationnelles et de servitude volontaire » (2022, p. 73).

23 Suivons donc ici la suggestion de Traïni (2011a, § 13) : « La logique d’ajustement progressif, les tâtonnements propres aux expériences individuelles, les tensions continues entre les processus d’assimilation et d’accommodement, bref, ce qui ressort des travaux consacrés à la socialisation propre à la jeunesse, mérite sans doute d’être étendu tout au long de la vie. »