À propos de : Norbert Elias, « Sur la sociogenèse de la sociologie »
La sociogenèse de la sociologie et la démocratisation fonctionnelle des sociétés européennes.
p. 131-147
Texte intégral
1Norbert Elias a consacré une part non négligeable de son œuvre à la sociologie de la connaissance. En témoigne d’ailleurs la publication en français d’un important recueil d’articles ou de communications (Elias, 2016), spécifiquement consacré à la « dynamique sociale de la conscience », dont la connaissance et les sciences sont la grande affaire. Concernant cette part de son œuvre, il s’agissait pour Elias, recueillant pour une large part l’héritage de Mannheim, de relier l’ensemble des productions intellectuelles – idéologies, sciences, philosophies et toutes productions rassemblées sous le terme générique de « conscience » – à une analyse des « transformations globales de la société ». Le texte que l’on va lire s’attache plus spécifiquement à l’émergence des sciences sociales, et surtout de l’économie et de la sociologie comme sciences. Contre une certaine philosophie de la connaissance et contre – certainement – l’épistémologie, Elias y élabore une sociogenèse des connaissances, par quoi il montre que l’émergence des sciences sociales (économie ou sociologie) ne peuvent se comprendre qu’en les rapportant à des changements plus fondamentaux de la société. Toute évolution des structures mentales doit être analysée comme « représentative de l’évolution des structures sociales » (Elias, 1970, p. 48).
2Ainsi, l’essor de la science économique ou de la sociologie scientifique – mais comme l’ensemble des catégories de l’esprit humain – ne doit pas être rapporté à un sujet connaissant – des individus qui se seraient intitulés, les premiers, « sociologues » ou « économistes » – pas plus qu’à l’invention d’une rupture critique permettant de faire le départ entre science et idéologie ou connaissance non-scientifique. S’il l’on doit parler de « sociogenèse » des sciences sociales, c’est que les connaissances, ce qu’Elias appelle la conscience, sont de part en part soumises à une détermination socio-historique. Pour comprendre la genèse des savoirs scientifiques, il convient donc de faire retour sur l’expérience sociale des individus et leur évolution historique. La modification des expériences éprouvée collectivement a été le principal moteur des nouvelles conceptions de la société, de la transformation de la conscience et de la connaissance. Il s’est agi, souligne Elias, d’un « maelström de transformations sociales que personne ne semblait avoir délibérément provoquées et qui, en même temps, n’étaient pas totalement anarchiques et désordonnées, qui paraissaient au contraire présenter un certain ordre et suivre une orientation propre » (2022, p. 126). C’est l’épreuve de ces expériences qui a d’abord fait sentir la force propre des phénomènes sociaux, indépendants des actions humaines, puis a permis de les appréhender en les subsumant, sur le plan théorique, sous le terme de « société », et enfin a progressivement mené à l’émergence d’une nouvelle science, la sociologie :
Si l’on ne se contente pas de poser une définition de la société, mais qu’on se focalise plutôt sur le genre d’expériences qui ont présidé à l’apparition d’une science de la société, force est de constater que celle-ci en fait partie : l’expérience selon laquelle, bien que ce soient des êtres humains qui forment les sociétés et les animent par leurs actions et leurs projets, la société paraît souvent suivre son propre cours et, tout en étant entraînée par ceux qui la constituent, les entraîne à son tour. (Elias, 2016, p. 260)
3Pour décrire la sociogenèse des sciences sociales, il convient dès lors de
prendre en considération la dynamique, transcendant le savoir tout en le contenant, de la configuration humaine dans son ensemble, qu’il s’agisse par exemple des changements dans la répartition du pouvoir ou de la transformation de la structure des métiers propre à une société en général. La croissance ou le déclin de la connaissance n’est jamais qu’une facette de ces processus. (Ibid.)
Le continuum entre connaissances non-scientifiques et connaissances scientifiques
4Elias prend donc appui sur une critique de la différence, que voudrait imposer l’épistémologie, entre connaissances scientifiques et non-scientifiques. Pour lui, la scientifisation ne passe pas par une rupture, mais s’organise en un continuum. Cette valorisation de la connaissance non-scientifique et l’affirmation concomitante du lien entre les deux types de connaissance, Elias l’a trouvée chez Comte à qui il n’a cessé de rendre hommage :
Si, pour étudier la pensée et la connaissance humaine, l’on ne s’appuie plus sur des individus dont chacun, par sa seule force, indépendamment de toute tradition, parvient à comprendre la nature comme un mécanisme aveugle, mais si, comme le fait Comte, [et donc Elias], on voit dans la « connaissance » le résultat d’une évolution embrassant des centaines, voire des milliers de générations, l’on ne peut s’empêcher de s’interroger sur le lien existant entre une approche scientifique et une approche préscientifique de la réalité. (Elias, 1970, p. 40)
5Deux aspects sont à retenir de cette remarque. Tout d’abord, l’on a affaire à des processus sur le temps long. Elias ne cesse d’ailleurs d’y insister dans de nombreux textes. Les transformations de long cours, dont l’émergence des sciences en général, et des sciences sociales en particulier, rendent sans pertinence les approches en termes seulement théoriques ou épistémologiques. Par exemple, ici, pour ce qui est des sciences de la nature :
L’évolution du langage et de la réflexion sur les contraintes dans le domaine de la nature n’a pas fait l’objet jusqu’ici d’une recherche sociologique. Le concept philosophique statique, selon lequel la connaissance scientifique est une forme de connaissance « éternellement humaine », barre le chemin à la socio et psychogenèse des modes de pensée et des moyens d’expression des sciences naturelles, seule capable d’expliquer pourquoi ce changement d’orientation de la pensée et de l’expérience humaine. Aujourd’hui, on enterre cette question avant même de l’avoir posée, en la qualifiant de question « purement historique », par opposition à la question dite « systématique ». Mais cette distinction même est un exemple de l’incapacité des modèles scientifiques à appréhender des processus sociologiques de longue durée ; la « scientifisation » de la pensée étant d’ailleurs l’un d’entre eux. De tels procédés n’ont rien de commun avec le fait d’opposer (comme c’est le cas aujourd’hui) « la simple histoire des sciences » à un « système de sciences » apparemment invariable, comme on opposait autrefois l’histoire de la nature à l’exploration d’un système solaire apparemment invariable. (Ibid., p. 14-15)
6Ensuite, la sociologie comme pratique scientifique n’aurait pu émerger sans un fond d’idées communes, sans un fond de sens commun. Elias parle à cet égard de « credo social », ou de « religion sociale » – en l’occurrence une croyance en la bonté de la nature et qu’il existait des « lois » de la société, comme il y a des lois de la nature. De sorte que les changements dans des régions du savoir – ou de la conscience – peuvent être repérés dans un changement du vocabulaire commun : les transformations du lexique, dès lors qu’ils se trouvent adoptés par un large public, se révèlent un bon indicateur des évolutions des structures de la pensée relative à la société ; le changement social ayant un effet sur le langage qui se marque dans l’évolution de la signification des mots ou dans l’introduction de termes nouveaux. La sociologie apparaît ainsi comme la pensée de la société ou, plus exactement, liée à une conscience nouvelle de soi gagnée par la société1. Pour autant, et sans doute là Elias se distingue-t-il de Mannheim, la sociologie ne saurait être assimilée à l’expérience commune des individus modernes, mais il a insisté aussi sur le fait qu’il s’agit bel et bien d’une science, c’est-à-dire d’une connaissance objective dont la tâche était de « découvrir et, si possible, d’expliquer cet ordre, ses régularités, ses dynamiques et sa direction » (Elias, 2022, p. 127), et plus encore, « d’élaborer une théorie centrale, empiriquement vérifiable, de la société » (ibid., p. 135).
L’élaboration des sciences sociales ou comment ne pas en finir avec la philosophie
7Dans ce processus de scientifisation des sciences sociales, quel rôle est désormais assigné à la philosophie ? On a certes vu la critique adressée par Elias à la théorie philosophique de la science2. Mais en a-t-on fini, pour autant, avec la philosophie ? C’est bien ce que B. Lahire semble supposer dans son introduction à La Dynamique sociale de la conscience. L’avènement des sciences sociales aurait vidé de sa pertinence et voué à une mort lente la philosophie. Pour autant, il semble que Lahire se soit trop hâté de déclarer son décès. En témoigne, d’ailleurs, le glissement qu’il effectue malicieusement de la dénonciation par Elias du « labyrinthe épistémologique » (Elias, 2016, p. 253) à celle d’un soi-disant « labyrinthe philosophique » (ibid., p. 5). Or, s’il y a bien, chez Elias, une critique de l’épistémologie philosophique, celle-ci ne signe pas l’éviction de toute philosophie. Si cette dernière est en effet « défonctionnalisée » du fait qu’elle ne peut sans doute plus à elle seule rendre les services cognitifs qu’elle rendait, elle trouve une utilité et une pertinence renouvelées dans son inclusion à l’intérieur des sciences sociales. Il faut certainement y insister d’ailleurs : pour Elias, ce qui caractérise les sciences de la société, c’est l’articulation d’énoncés philosophiques à des éléments de preuves. En témoigne l’innovation scientifique des physiocrates. Celle-ci a ainsi d’abord consisté dans le raccordement d’éléments hétérogènes et épars dans la société, en associant des données issues d’observations empiriques et des énoncés relevant de la philosophie. Autrement dit, les sciences sociales ont émergé comme une convergence (« de brillantes entreprises de synthèse ») entre « d’un côté des concepts philosophiques de grande portée, élaborés par des auteurs souvent sans expérience directe des problèmes pratiques et, de l’autre, une somme de connaissances sur des réalités sociales tangibles, accumulée par des administrateurs ou des marchands » (Elias, 2022, p. 107). La formation d’une hypothèse scientifique procède donc toujours de la sorte, par la transformation d’une idée ou d’une théorie – ayant parfois la fonction d’une « religion sociale » – au contact d’un fonds de données empiriques. Elias note ainsi concernant les physiocrates que, conformément à l’idée d’une édification de la science à partir de connaissance non scientifique, « l’innovation ne résidait pas tant dans le fait de se représenter la société sous l’aspect de “lois”, en considérant les forces autorégulatrices qui agissent en elle. Cette idée avait déjà servi auparavant de fondement à de nombreuses doctrines philosophiques. Elle prenait le plus souvent la forme d’une croyance en la nature comme force régulatrice de la société. » (Ibid., p. 105). La nouveauté est que « la confiance dans les bienfaits de la nature en tant que force autorégulatrice de la société a été plus nettement qu’auparavant mise en rapport avec des preuves empiriques » (ibid., p. 106).
8L’approche scientifique des phénomènes sociaux n’a donc pu se développer qu’à la faveur d’un « croisement », d’une « relation dialectique » entre une « ligne philosophique » et une « ligne observationnelle ». En ce sens, la théorie de la connaissance qu’élabore Elias a pour caractéristique qu’en elle « les traditions sociologiques et philosophiques ne sont plus disjointes » : il y a, à la base de tout travail scientifique, une « interdépendance de la théorie et de l’observation » (Elias, 1970, p. 35). L’article d’Elias montre, à travers le cas de l’économie, la façon dont se sont réalisées « l’interdépendance et la coalescence croissantes entre ces deux lignes, jusqu’alors faiblement intégrées dans les usages ». Il montre ainsi le rôle qu’a eu le concept de « revenu annuel mesuré à l’échelle d’un pays ». Cet outil théorique a permis de percevoir de manière cohérente la société dans son ensemble : le revenu total circule entre les différentes « classes de la société » et les lie. Ce lien était, dans une large mesure, autorégulé comme les processus de la nature. Il suivait ses propres lois. Les Physiocrates ont, par le truchement de cette notion, perçu de manière cohérente certains aspects de la société comme « un ensemble de fonctions » (Elias, 2022, p. 110). Le concept même de « société » a joué sensiblement le même rôle dans le cas de l’émergence de la sociologie. À la base du développement de la sociologie, on a bien une certain nombre d’« idées générales » au rang desquelles la représentation de la « société » comme un ordre sui generis ; en d’autres termes, une part de l’univers des phénomènes douée d’une certaine autonomie, et régie par des « lois » qui en réalité « soutiennent toutes les lois édictées par les êtres humains – ces lois qui sont inhérentes à la société au même titre que les lois naturelles le sont à la nature » (ibid., p. 122). L’apport a été ainsi de vouloir restituer cet ordre « en suivant une démarche scientifique » : « Cela signifie qu’ils ont cherché à confirmer les idées générales qu’ils nourrissaient au sujet des régularités qu’ils observaient – les “lois” de la société – au moyen de preuves factuelles. » (Ibid., p. 123).
La sociogenèse des sciences sociales et le problème du gouvernement
9Quel a été le motif suffisamment puissant qui a poussé à se doter de tels instruments scientifiques pour analyser les transformations globales de la société ? Quel a été le moteur qui a permis le passage d’une connaissance préscientifique à la connaissance scientifique ? Le mode de repérage de ces transformations passe chez Elias, on l’a dit, par une analyse des modifications du vocabulaire :
Lorsqu’un mot reçoit une nouvelle signification de la part de quelques individus et qu’il entre dans le langage public d’une société – lorsqu’il y entre non seulement comme une mode passagère, mais devient une caractéristique langagière permanente et donne lieu à d’autres développements dans la même direction –, il est à parier que la nouvelle nuance de sens acquise par le mot est plus qu’une lubie personnelle ou l’intuition isolée d’un individu singulier et génial. (Ibid., p. 104-105)
10Et il ajoute : « On peut être sûr que ce mot répond aux préoccupations d’un ample public en quête d’outils intellectuels pour surmonter les nouveaux problèmes qui se présentent à l’horizon de la pensée. » (Ibid., p. 105). En ce sens, les nouveaux outils, les nouveaux savoirs et la scientifisation des sciences sociales ont surgi parce qu’ils viennent proposer des réponses à un problème ou une série de problèmes. Quel était ce problème ? Pour le dire d’un mot, disons qu’il s’agissait de celui du gouvernement de la société, et le mot qui vient ramasser la teneur de ce problème est celui de « loi ». L’édification des sciences sociales – et de ce point de vue, il n’y a pas de différence entre économie et sociologie – s’est faite à partir de l’idée de « lois autorégulatrices » de la société.
11Ce caractère scientifique de l’idée de loi autorégulatrice venait, à l’évidence, percuter les conceptions traditionnelles du gouvernement. En effet, « l’idée d’un monde gouverné par des lois naturelles, obéissant à leur seule logique, portait implicitement, sinon explicitement, atteinte aux autorités en place » (ibid., p. 109). Comme le remarque Elias,
l’audace d’une telle conception ne peut être saisie que si, pour sa propre compréhension, on se représente les conséquences sociales concrètes qui en découlent. En ce temps-là, il n’était pas simple de convaincre les hommes au pouvoir dans l’Église et dans l’État que la nature suit ses propres lois, que celles-ci sont indépendantes de toute autorité séculière ou spirituelle et qu’il convient donc de les étudier au moyen de protocoles appropriés avant de pouvoir espérer contrôler les forces qu’elles régissent. (Ibid.)
12L’idée de lois sociales scientifiquement établies venait miner l’autorité législatrice des autorités politiques, et faisait de ces nouveaux groupes professionnels qu’étaient les économistes et les sociologues, les points de passage obligés pour élaborer une législation pour la société :
Suggérer aux rois et aux ministres qui, dans ces sociétés traditionnelles, détenaient un immense pouvoir qu’ils n’étaient pas les législateurs suprêmes du pays, mais qu’avant de prendre des décisions, il leur fallait d’abord étudier les lois inhérentes à la société et prendre conseil auprès de ceux qui en ont la connaissance – dans un État aux mains d’une puissante oligarchie, il était osé d’exprimer cette conviction ou même seulement de la former dans son esprit. (Ibid.)
13On le saisit, la sociogenèse des sciences sociales accompagne et révèle « un déplacement de la balance des pouvoirs », ce qu’Elias qualifie au travers de l’expression de « démocratisation fonctionnelle » (Elias, 1970, p. 79). Cette démocratisation ne doit pas être lue comme une conséquence de l’industrialisation, mais il s’agit de voir que démocratisation et industrialisation sont deux effets d’une même transformation globale de la société. De même, l’élargissement du droit de suffrage ne saurait non plus être analysé comme la source de cette démocratisation, mais tout au contraire comme « la conséquence manifeste et institutionnelle d’un déplacement latent du pouvoir au profit de couches plus larges » (ibid., p. 77). Elias a marqué les traits principaux de ce déplacement : réduction des différences de pouvoir entre les gouvernants et les administrés ; réduction des différences de pouvoir entre les différentes couches sociales – dont le trait caractéristique a été l’amplification de l’accès au pouvoir des classes moyennes et l’accroissement de leur influence sociale et politique.
14Surtout cette démocratisation doit être analysée comme une « transformation de l’ensemble des relations sociales dans le sens d’un renforcement des dépendances et des contrôles réciproques et multipolaires » (ibid.). La spécialisation et la différenciation croissantes de toutes les activités sociales, ainsi que l’accroissement parallèle de l’intégration de ces spécialités ont fait que les chaînes d’interdépendance se différenciaient et s’allongeaient, et devenaient de moins en moins lisibles, échappant ainsi au contrôle de l’individu et du groupe (ibid., p. 76-80). Le renforcement des interdépendances, mais aussi le caractère de plus en plus « polycratique » des sociétés ont accru les mécanismes de contrôle réciproque, défaisant dans le même temps les possibilités d’attribution des changements sociaux à une classe déterminée et restreinte d’individus. La naissance des sciences sociales est ainsi à rapporter, pour Elias, à cette opacité des complexes sociaux. Cette démocratisation et les processus d’interdépendance renforcée en quoi elle consiste ont, en effet, permis de dégager d’abord par l’expérience, puis intellectuellement, la notion même de « société » :
Les porte-parole des classes moyennes montantes employaient les notions de « société civile » puis de « société » tout court dans la lutte intellectuelle avec les classes supérieures de leur temps, les princes et la noblesse, qui monopolisaient les instruments de pouvoir de l’État. […] Mais peut-être la notion de société définie comme une entité non étatique ne serait-elle pas aussi profondément enracinée si ne s’était pas associée à la fonction idéologique la fonction d’une découverte pour une part tout-à-fait objective et à cet égard scientifique. La tournure qu’a prise au xviiie siècle l’emploi du terme « société » et qui se retrouve dans l’utilisation de notions comme celle de société civile dans la lutte de la société bourgeoise contre les classes supérieures a reflété d’un côté sans aucun doute la conscience croissante des groupes bourgeois montants. Mais elle a reflété aussi d’une autre côté un début de compréhension de l’autonomie d’évolution des processus et des structures sociales dont le déroulement ruinait parfois les espoirs et les projets des individus les plus puissants. (Elias, 1987, p. 267-268)
15Si Elias remarque que cette dimension idéologique a retardé l’analyse des États « comme des organisations sociales dotées de certaines fonctions et la formation des États un processus social comme tous les autres », elle a, en même temps, permis « de se rendre compte que les sociétés humaines présentaient des processus d’évolution et des structures d’un type particulier. Elle a en quelque sorte mis le pied à l’étrier à la société pour qu’elle devienne un objet d’étude scientifique à part entière » (ibid., p. 268).
16C’est l’expérience de la « société » comme force extérieure et irrésistible – aussi extérieure et irrésistible que l’étaient les forces de la nature – qui a fourni le premier ressort à la naissance de la sociologie comme « science des configurations ». On prend ainsi conscience du lien interne entre le développement social dans le sens de la démocratisation et la scientifisation de la sociologie : « On ne peut comprendre la naissance de la sociologie sans avoir présente à l’esprit cette transformation des sociétés de type oligarchique, dominées par des privilégiés de naissance, en sociétés dominées par des représentants révocables des partis de masse, et sans se souvenir de certains aspects de cette transformation globale de la société qui se manifeste à travers ces glissements du pouvoir » (1970, p. 76). Et c’est dans ce devenir « plus scientifique » des savoirs que s’exprime justement leur fonction politique. Elias n’a certes pas à l’esprit que les sciences sociales viennent se substituer aux hommes d’État et à ceux qui gouvernent ; elles révèlent toutefois une transformation des manières de faire la politique. La démocratisation fonctionnelle des sociétés, c’est-à-dire la « progression de la spécialisation fonctionnelle et le renforcement des interdépendances entre toutes les activités sociales » a profondément transformé la manière d’exercer le pouvoir, désormais « réparti entre des groupes de plus en plus nombreux, si bien qu’aucune classe sociale n’était plus le simple objet passif du pouvoir exercé par d’autres et n’avait son mot à dire lors de la prise de décisions » (Elias, 2022, p. 132). C’est cette transformation de la balance des pouvoirs qui a donné naissance aux sciences sociales.
17Les sciences sociales et les idéologies sociales ont servi d’instruments d’orientation « dans des formations sociales relativement peu transparentes, alors que l’on commence à prendre conscience de ce manque de transparence » (Elias, 1970, p. 80) : la difficulté croissante d’analyse et de repérage des configurations sociales pour les hommes qui les constituent en raison même de leur interdépendance manifestait l’insuffisance des explications préscientifiques des phénomènes sociaux :
La complexité croissante des interpénétrations sociales, l’impossibilité pour l’individu, même le plus puissant d’entre eux, de prendre seul des décisions indépendamment des autres, le fait que les décisions prises le sont constamment à la suite d’épreuves de forces – plus ou moins maîtrisées – entre des individus et des groupes, toutes ces expériences aident l’homme à prendre conscience de cette nécessité : il lui faut d’autres moyens conceptuels, plus impersonnels, pour comprendre ou même maîtriser ces complexes sociaux si peu transparents. (Ibid., p. 81)
18Elias remarque à cet égard que deux voies s’offraient, en fait, pour résoudre le problème de l’orientation dans des complexes de relations de plus en plus opaques. Celle de la science et des méthodes scientifiques, et celle des « systèmes de croyances et des idéaux sociaux » :
Ces systèmes et idéaux étaient bien plus satisfaisants, car ils permettaient soit de remédier immédiatement aux souffrances et misères sociales, soit de les supprimer dans un proche avenir. Au cours de leur évolution, ces deux types d’orientation, le type scientifique et le type dogmatique, ont été en constante liaison. (Ibid.)
19Elias remarque ainsi que « les sciences sociales, et notamment la sociologie, les systèmes de croyance des grands partis de masse, les grandes idéologies sociales – malgré les différences existantes entre sciences et idéologies – sont tous nés à la même époque, que ce sont les manifestations des mêmes transformations sociales » (ibid., p. 76). Pour une part, sciences sociales et idéologies se sont ainsi trouvées en compétition pour indiquer la « bonne direction » (ibid., p. 38) à l’évolution de la société.
Une double différenciation des styles de pensée et des couches porteuses des sciences sociales
20La scientifisation des sciences sociales est toutefois, pour Elias, le lieu d’une double différenciation, à la fois d’un style de pensée particulier, mais également d’une couche sociale porteuse d’intérêts intellectuels spécifiques3. Concernant la différenciation des types de pensée, on a affaire à une réorganisation de la structure de la connaissance qui passe par une double autonomisation, d’abord des phénomènes relevant des sciences sociales, ensuite des théories et des concepts qu’elles contiennent. Le découpage d’un « domaine scientifique à l’intérieur de tout l’univers des corpus événementiels » (Elias, 1970, p. 76) n’a pu être effectué qu’à partir de l’appréhension de la « société », comme instance distincte de l’État – non pas seulement comme société « civile », mais comme un ordre de réalité « autonome des événements avec ses propres régularités inhérentes, ses propres “lois” » (ibid.). L’autonomie des théories et des concepts décrivant la manière dont les « lois » auxquelles les phénomènes sociaux répondent permettait ensuite d’affirmer une autonomie des sciences sociales par rapport aux autres sciences, et de ses théories et méthodes par rapport à celles des autres disciplines.
21Mais, parallèlement à cette différenciation intellectuelle, on a une différenciation interne aux classes moyennes dont la conséquence a été l’autonomisation des spécialistes de ces nouvelles sciences sociales. Elias esquisse l’histoire de cette différenciation, à propos de l’économie et des économistes. Il est ainsi clair que la naissance et l’autonomie de la science économique doit être d’abord rapportée à l’émergence de couches sociales intéressées par le marché4 :
L’ascension sociale des groupes dont le métier consiste en des activités telles qu’acheter et vendre, payer des salaires et calculer des bénéfices, est allée de pair avec l’essor de spécialistes qui se sont donné pour mission de découvrir et d’expliquer ce qui se produit dans ce champ d’événements et de construire à cette fin des modèles théoriques établissant les régularités – les « lois » – qui régissent cet ordre de réalité. (Elias, 2022, p. 115)
22De ce point de vue, la science économique apparaît bien comme l’idéologie de ces classes moyennes, et les économistes comme leur porte-parole. Toutefois le processus de scientifisation des sciences sociales a également eu comme conséquence d’émanciper ces économistes ou ces sociologues de leur groupe social – devenant ainsi, toujours de manière relative, sans attache : « Désormais, l’économie politique se transformait, pas à pas, en une science économique pure » (ibid., p. 110), et leurs représentants revendiquaient, ce faisant, une autonomie plus ou moins compète sur le fond d’une expérience qui se voulait rationnelle. La scientifisation s’est donc accompagnée d’une revendication de l’autonomie du groupe social spécialisé dans la production des théories économiques. Comme le souligne Elias, « cette avancée vers davantage d’autonomie, que l’on constate ici dans le contexte de l’essor d’une des sciences sociales, est de façon générale l’un des indicateurs du passage d’un mode de pensée pré-scientifique à un mode de pensée plus scientifique tel qu’il se produit dans tous les domaines » (ibid., p. 113).
23Ce processus a certes rencontré bien des obstacles, mais il est aussi décisif de remarquer le caractère auto-renforçant des processus d’autonomisation. Le phénomène d’autorégulation et d’autonomie des marchés est en effet apparu de manière de plus en plus nette à mesure que le pouvoir des classe moyennes augmentait et que se retiraient les interventions gouvernementales. C’est le développement d’activités marchandes de moins en moins régulées qui manifestait l’interdépendance des transactions et la spécificité des lois qui les régissent. De la sorte, on voit qu’à partir d’une transformation des structures sociales, les processus d’autonomisation de la société (ou de l’économie) comme telle, de la théorie et d’un corps de spécialistes se nourrissent et se renforcent les uns les autres.
Les traits de la scientifisation des savoirs sur la société
24Si l’on cherche enfin à caractériser les traits qui ont marqué la scientifisation des sciences sociales, trois dimensions peuvent mises en exergue. Le premier aspect conduit à souligner que les sciences sociales ont émergé dans un mouvement de d’impersonnalisation des phénomènes observés. Le fait de partir des actions des individus a sans doute constitué un problème difficile à résoudre :
Bien que la science économique ait grandement contribué à la compréhension des rapports et des régularités fonctionnels, elle a formulé ses hypothèses fondamentales sous la forme de théories de l’action et elle s’y est longtemps tenue. Ses modèles élémentaires ont en grande partie été construits comme des modèles de comportements individuels. (Elias, 2022, p. 120)
25Comme le note Elias, cela tenait d’abord au fait « que les couches moyennes en ascension ont, dans leurs valeurs et leurs idéaux, mis l’accent sur la libre concurrence entre les individus » (ibid.), et dont témoigne d’ailleurs la prégnance en économie d’un concept fortement individualiste comme celui d’homo œconomicus, révélateur de la difficulté « de ne pas se représenter des phénomènes comme des propriétés des êtres humains alors qu’ils sont des propriétés des configurations qu’ils forment ». Démêler les actions individuelles et les configurations que ces actions constituent, et dont les régularités leur apparaissent irréductibles, a été une étape majeure dans l’élaboration des sciences sociales, tant « il était malaisé, dans les premières étapes du développement des sciences sociales, d’imaginer et d’exprimer sans ambiguïté que les régularités observées et entendues comme des “lois” sociales ou économiques étaient propres à des configurations humaines et non à des êtres humains individuels » (ibid., p. 116). Toutefois, au fur et à mesure que les dynamiques structurelles faisaient sentir leurs effets, la dimension de d’impersonnalisation s’est largement imposée, en même temps que la société apparaissait aux individus qui la formaient comme une entité externe, douée d’une force propre.
26Le second aspect a trait à la dénaturalisation des phénomènes sociaux. La référence à la nature et aux « lois naturelles de la société » – la capacité « naturelle » d’autorégulation des fonctions sociales – a été certes un moyen de lutter contre la personnalisation des phénomènes étudiés : le modèle de la nature dont les économistes disposaient permettait d’« appréhender un ensemble intégré de fonctions autorégulées et impersonnelles ». Mais la référence à la nature a aussi constitué un piège. Le modèle de science dont disposaient les premiers économistes ou sociologues était celui des sciences naturelles, en sorte que les sciences sociales ont initialement pris la forme d’une science de « la nature dans la société » – le livre de Dupont de Nemours, cité par Elias, s’intitulait ainsi Physiocratie, ou Constitution naturelle du gouvernement le plus avantageux au genre humain – : la nature en tant que « force autorégulatrice de la société », « offrirait aux gens une vie plus heureuse et plus harmonieuse à condition d’être laissée à elle-même et de ne pas subir les interventions artificielles de gouvernements insuffisamment éclairés » (ibid., p. 105). Le modèle épistémologique des sciences naturelles a aussi constitué un puissant attracteur dans l’élaboration des théories et des méthodes des sciences sociales : les lois découvertes par les nouveaux savoirs étaient immédiatement assimilées aux lois de la nature, du fait même de l’autorité et du prestige des sciences de la nature. Cependant, les sociologues, dans leur rôle d’« explorateur », ont aussi, à partir de la découverte de la société, de sa structure, et des formes de son développement, réélaboré des concepts plus anciens ou défini de nouveaux concepts aptes à saisir la dimension impersonnelle de leur objet (comme ceux de « lois de l’évolution sociale », de « forces sociales » ou de « rapports de production », etc.). Remarquons toutefois que cette entreprise de dénaturalisation reste une tâche inachevée. Comme le remarquait en effet Elias,
au blocage des problèmes concernant les processus d’évolution sociale à long terme correspond jusqu’à ce jour l’absence d’une image représentative d’un changement d’orientation à long terme dans le domaine du langage et de la pensée des sociétés européennes, centrées sur le développement des sciences de la nature. Une telle image serait nécessaire pour obtenir une vision claire et concrète de ces transformations. Si celle-ci existait, il serait plus facile de montrer qu’il s’agit actuellement pour la sociologie – parvenue à une nouvelle étape de réflexion et d’expérience, et ce en liaison constante avec la recherche empirique individuelle – d’écarter de nombreux modèles de pensée et de connaissance traditionnels, et qu’il lui faut développer, au cours des générations, d’autres instruments de langage et de pensée mieux adaptés à la spécificité des interrelations humaines en tant qu’objet d’investigation scientifiques. (Elias, 1970, p. 15)
27Le dernier trait de la scientification a été de désidéologiser le corpus de connaissance. Elias note ainsi :
Les premiers sociologues étaient tous profondément engagés dans les conflits entre les différents systèmes de croyances sociales. Et ce qu’ils percevaient ou ne percevaient pas de la société et de son évolution était conditionné par les besoins de leur propre camp dans ces luttes. En étudiant la société, ils ont contribué, plus ou moins consciemment, à forger des armes intellectuelles engagées dans ces conflits qui voyaient s’affronter différents idéaux et systèmes de valeurs et qui faisaient rage dans la société. Ce n’est pas par hasard que leurs conceptions avaient une fonction double, à la fois théories sociologiques et expressions d’un système rigide de croyances sociales. (Elias, 2022, p. 134)
28Les sciences sociales se présentent ainsi comme « un étrange mélange de mythe et de théorie » dans lequel il était particulièrement difficile de distinguer « ce qui appartient au diagnostic sociologique des interdépendances fonctionnelles dans la formation, la structure et le fonctionnement des sociétés et ce qui relève de l’expression des buts, des croyances, des idéaux et des jugements propres à des groupes particuliers » (ibid., p. 117) – en d’autres termes, de faire la part entre leur fonction scientifique et leur fonction idéologique. La désidéologisation de la sociologie est liée à la différenciation du corps des spécialistes dans un mouvement de conquête de plus de scientificité. Elle configure la tâche du sociologue comme « chasseur de mythe » (Elias, 1970, p. 55) : « Parmi les nombreuses tâches auxquelles les sciences sociales naissantes ont dû faire face, l’une des plus difficiles a été celle d’affronter et de soumettre à un examen critique le fait que leurs représentants étaient eux-mêmes socialement engagés. » Cette conquête – là encore un processus – est toujours inachevée et à relancer. Comme le note Elias, « l’autonomie relative du travail de recherche dans les sciences sociales est encore peu assurée, même en ce qui concerne la sociologie » (ibid., p. 70). Elle suppose que soient effectivement préservées la structure sociale du travail scientifique et l’autonomie du groupe professionnel des sociologues – une autonomie qui ne peut se maintenir et se renforcer que dans une capacité continuée d’auto-contrôle5.
La tâche politique de la sociologie
29Cette conquête n’a toutefois pas mis entre parenthèses la tâche politique de la sociologie. Celle-ci, suggère Elias, est liée à la position même des sociologues comme « strate intellectuelle » intermédiaire, à la fois « observateur distancié » et « participant engagé ». Les deux pôles, nécessaires et irréductibles6, se renforcent l’un l’autre sous l’impact de la démocratisation fonctionnelle des sociétés. Mais, c’est bien du côté de la participation engagée que l’on peut trouver le moteur du développement de la sociologie et comprendre la tâche de ceux qui la pratiquent :
Dans leur rôle de participants, la répartition plus égalitaire, plus multilatérale et plus réciproque du pouvoir dans les sociétés qui étaient les leurs les a affectés d’une manière toute différente. Le fait nouveau, qui était un symptôme de la distribution plus égalitaire du pouvoir, était que des couches sociales de plus en plus larges se ralliaient à des programmes visant à indexer l’organisation de la société à certains idéaux et à certaines croyances sociales. Ce fait a été un des plus puissants stimulants de l’étude de la société et de l’essor de la sociologie. (Elias, 2022, p. 134)
30La différenciation et l’autonomisation sociale des sociologues a permis une réarticulation entre les fonctions scientifiques et politiques des sciences sociales. Dans des sociétés devenant de plus en plus polycratiques, les sociologues ne peuvent plus être au service de l’État. Ils ne sauraient non plus se cantonner dans un scientisme où ils se feraient les porte-parole de leur propre groupe. Sans doute, en forgeant des descriptions de la société, ils ont offert « des armes intellectuelles engagées dans ces conflits qui voyaient s’affronter différents idéaux et systèmes de valeurs et qui faisaient rage dans la société » (ibid.) – en concurrence avec les porte-paroles politiques. Mais, comme intellectuels, relativement sans attache, ils se trouvent sans doute les mieux placés pour analyser et permettre à la société de réflexivement contempler « la différence des intérêts entre les groupes qui forment la société », « le renforcement des interdépendances entre toutes les activités sociales » (ibid., p. 132), et donc la répartition du pouvoir entre des groupes de plus en plus nombreux. Telle serait la tâche politique de la sociologie : une tâche ajustée à la démocratisation fonctionnelle, permettant, par une plus grande scientificité, d’y accéder réflexivement et d’analyser politiquement les voies de son développement.
Bibliographie
Elias Norbert (1970), Qu’est-ce que la sociologie, Paris, Pandora.
Elias Norbert (1987), La Société des individus, Paris, Fayard.
Elias Norbert (1993), Engagement et distanciation, Paris, Fayard.
Elias Norbert (2016), La Dynamique de la conscience. Sociologie de la connaissance et des sciences, Paris, La Découverte.
Elias Norbert (2022), « Sur la sociogenèse de la sociologie », in Cédric Moreau de Bellaing & Danny Trom (dir.), Sociologie politique de Norbert Elias, traduit par Dominique Linhardt, Paris, Éditions de l’EHESS (« Raisons Pratiques », 30), p. 99-136.
Mannheim Karl, (1952 [1925)], « The Problem of a Sociology of Knowledge », in Essays on the Sociology of Knowledge, Londres, Routledge and Kegan Paul, p. 84-133.
Notes de bas de page
1 « À la différence des sciences de la nature qui cherchent à éclairer les phénomènes précédant l’apparition de l’homme, les sciences sociales s’occupent des relations entre les hommes. Sur ce plan de la recherche, les hommes se rencontrent et eux-mêmes aussi bien que les autres ; les “objet” sont en même temps des “sujets” » (Elias, 1993, p. 23-24).
2 La critique qu’Elias adresse à la Logique de la découverte scientifique de Popper est à cet égard exemplaire. Cf. « Les secrets bien gardés de La logique de la découverte scientifique » (Elias, 2016, p. 68-108).
3 Il semble ici qu’Elias suit ici de près la sociologie de la connaissance de Mannheim (1952).
4 Même si Elias montre aussi que les premiers économistes se sont d’abord présenté comme des hommes d’État et la science économique comme contribution fondamentale à l’art du gouvernement. Cela correspondait aussi à une situation historique où « la société était encore sous le système “traditionnel”, que la montée des classes commerciales et marchandes était encore bloquée et les innovations intellectuelles cantonnées à des personnes s’adressant essentiellement à la petite élite au pouvoir, aux membres de la cour et de la haute administration » (Elias, 2022, p. 103).
5 Cf. Elias, « Les établissements scientifiques », (2016, p. 133-209) ; et Elias (1970, p. 69-71).
6 « Le problème devant lequel se trouvent placés les spécialistes en sciences humaines ne peut donc être résolu par le simple fait qu’ils renonceraient à leur fonction de membre d’un groupe au profit de leur fonction de chercheur. Ils ne peuvent cesser de prendre part aux affaires sociales et politiques de leur groupe et de leur époque, ils ne peuvent éviter d’être concernés par elles. Leur propre participation, leur engagement conditionne par ailleurs leur intelligence des problèmes qu’ils ont à résoudre en leur qualité de scientifiques. Car, si pour comprendre la structure d’une molécule on n’a pas besoin de savoir ce que signifie se ressentir comme l’un de ses atomes, il est indispensable, pour comprendre le mode de fonctionnement des groupes humains, d’avoir accès aussi de l’intérieur à l’expérience que les hommes ont de leur propre groupe et des autres groupes ; or on ne peut le savoir sans participation et engagements actifs. » (Elias, 1993, p. 29).
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