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Sociologie politique de Norbert Elias

 | 
Cédric Moreau de Bellaing
, 
Danny Trom

Temporalité historique

À propos de : Elias, « L’expulsion des Huguenots de France »

Retour sur la politique de la sociologie éliasienne

Danny Trom

Volltext

1La sociologie nourrit à la politique un rapport interne. Structurée en tant que savoir autonome avec la consolidation des États-nation, la sociologie accompagne l’enquête que la société politique moderne naissante mène sur elle-même. Procédant de la découverte progressive que la société politique est un ordre de réalité irréductible, gouverné par des lois propres, elle explore le processus de démocratisation fonctionnelle qui la travaille afin de surmonter les problèmes que cette dynamique génère immanquablement. Ces problèmes, les obstacles qui procèdent du processus d’autonomisation du pouvoir sur soi de la société, la sociologie les affronte avec enthousiasme ou crainte. Nulle n’en atteste mieux que la trajectoire de Norbert Elias. De la politique, même la construction sociologique la plus aboutie, retient, dans sa tonalité de fond, une inquiétude ou un enthousiasme, selon les cas ; elle garde la trace politique qui lui est sous-jacente et qui l’anime. La sociologie de Norbert Elias se tient dans un entre-deux, de sorte que ses exégètes ne s’accordent pas sur sa tonalité. Entendons : ils peinent à qualifier précisément le projet éliasien. Le faire suppose de ressaisir ce projet dans la teneur politique qu’Elias lui a toujours conféré, dès lors qu’il jugea que la science de la société demeurait encore très mal assise. La production du savoir sociologique, orientée vers la maîtrise des processus sociaux, n’en est qu’à ses débuts et n’a pas encore livré ses effets intégrateurs et pacificateurs, répétera Elias tout au long de sa carrière.

  • 1 Über den Prozeß der Zivilisation, republié en deux volumes chez Suhrkamp en 1997.

2Que la sociologie, dans sa constitution même, demeure une science politique, apparaît dans toute sa clarté en période crise. La crise permanente de la République de Weimar se doublait d’une situation critique pour les juifs-allemands qui virent leur condition se dégrader dès la signature du Traité de Versailles, alors même que la démocratie libérale et l’État de droit semblaient triompher. L’on sait aujourd’hui que le sionisme, dans sa mouture allemande, ici celle singulière du mouvement de jeunesse Blau-Weiss, était pour Elias la voie de sortie privilégiée d’une crise éprouvée jusque dans sa dimension proprement existentielle (Hackeschmitt, 1997), dans un contexte chaotique où les crises s’accumulent en Allemagne, où le monopole de la violence détenu par l’État craquelle. En 1929, dans un article d’intervention intitulé « Sociologie de l’antisémitisme allemand » (Elias, 2016 [1929]), Elias pose les termes d’une alternative en forme de dilemme – le départ collectif pour la Palestine ou rester en affrontant avec lucidité la détérioration inexorable de la situation des juifs – et se décidera finalement pour le second terme (Trom, 2016). La sociologie est la pourvoyeuse de cette lucidité. Mais, à partir de 1933, la donne change. Le départ s’impose, quelle que soit la direction. Elias part pour Paris poursuivre ses recherches à la Bibliothèque nationale afin de documenter Le Procès de civilisation (Elias, 1973, 1975), qui sera son maître-ouvrage, rédigé plus tard en Angleterre et publié, discrètement, en 19391.

3Lorsqu’en 1935 Elias publie Die Vertreibung der Hugenotten aus Frankreich (dorénavant : DVH) l’Allemagne est déjà tombée dans l’escarcelle nazie depuis deux ans. Le dilemme de 1929 s’en trouve bouleversé. Les deux pôles de l’alternative mutent. Certes, il convient de demeurer lucide, de faire face à la situation, mais ailleurs. Ou plutôt : Elias veut saisir la logique qui a conduit à la nasse dans laquelle il se retrouve, en remontant au plus loin dans l’histoire de la construction de l’État en Europe. Car les juifs, quelles que soient leurs conditions et opinions, sont comme expulsés d’Allemagne par l’État allemand, qu’ils en aient une claire conscience ou, qu’aveuglés, ils espèrent encore que le régime nazi s’effondrera ou se modérera. Dès 1933, avec le Berufsbeamtengesetz, les professeurs juifs, ou désignés tels, sont écartés de l’université, interdiction professionnelle qui touche également d’autres offices liés à la fonction publique, dont le barreau. Cette strate est la première chassée d’Allemagne.

  • 2 Typiquement, Baer (1936-1937).

4Réfugié à Paris au milieu des années 1930, espérant peut-être encore rentrer chez lui une fois l’orage passé, Elias y collecte une partie de la documentation sur laquelle s’édifie le Procès de civilisation. Il dut buter sur un épisode de l’histoire de France faisant écho à sa propre situation de juif expulsé d’Allemagne, comme le supposent unanimement les spécialistes de l’auteur (voir en particulier Blomert, 2005). C’est pourquoi il retint son attention. Aussi, n’est-il pas fortuit que DVH soit le seul excursus de sa sociologie historique publié séparément, avant la parution du Procès de civilisation. Ce court article peut s’appréhender sous deux angles. Elias y décrit un conflit d’élimination dans un contexte où l’État moderne est déjà fortement consolidé. Le texte se lit alors comme une pièce de sa sociologie historique de l’Europe moderne. Et puisqu’Elias y explore les mécanismes qui aboutirent à l’expulsion d’un groupe pourtant intégré dans une société encore largement prémoderne, mais déjà dotée d’un appareil d’État moderne, le texte se lit aussi comme une étude sur un précédent historique capable de clarifier la situation dans laquelle Elias et les juifs allemands se trouvent plongés. Les deux lectures sont superposables. DVH s’inscrit, quoique latéralement, dans cette série d’études d’universitaires juifs-allemands qui s’efforcent d’analyser la situation politique dramatique à laquelle ils font face2. Mais, alors que ces derniers détectent une homologie entre la persécution quasi raciale des juifs qui forment un groupe bien installé et intégré dans les deux grands royaumes de la Péninsule ibérique, puis leur expulsion en masse à la fin xve siècle, Elias ne puise pas dans la longue série des expulsions des juifs dans l’Europe médiévale, celle de France ou d’Angleterre, qui culmine avec celles de l’Espagne et du Portugal, mais se centre sur l’expulsion des Huguenots au cœur de l’État moderne le plus accompli de l’Europe d’alors. Dès 1935, Elias s’interroge donc sur le surgissement de la violence politique dans la dynamique de formation de l’État moderne, État dont il montre pourtant dans le Procès de civilisation qu’il est une condition de l’atténuation de la violence et de la pacification des mœurs.

5Cette possibilité, en apparence contradictoire, est ici abordée pour la première fois par Elias à travers l’histoire de France, et bien que l’Allemagne fût à l’évidence au cœur de ses préoccupations, il n’en traitera pas directement. L’Allemagne creuse comme un vide au cœur du Procès de civilisation, dans lequel seules quelques pages y sont consacrés, pour déjà marquer, comparativement à la France et l’Angleterre, les déterminants de ce que les historiens d’après-guerre nommeront « un chemin singulier » (Sonderweg). L’article sur l’expulsion Huguenots réfracte ce vide. Ce n’est que tardivement dans sa carrière que Elias traitera du cas allemand dans un ensemble de contributions qui s’égrènent sur une longue période, assemblées et publiées en 1989 sous le titre Studien über den Deutschen. Mais DVH laisse penser qu’il convient de renverser la perspective souvent adoptée sur son œuvre : Elias n’édifie pas une théorie du processus de modernisation civilisatrice pour ensuite en indiquer les limites, mais raisonne à partir des manquements, des ratages, du surgissement inopiné de la violence, pour leur assigner une place dans une trame dont ils attestent, a contrario, la logique, qui, pour n’être pas linéaire, n’en est pas moins clairement vectorisée.

  • 3 Eugen Soskin qui se consacre à la rationalisation de la colonisation juive de la Palestine publie d (...)
  • 4 Franz Oppenheimer, réfugié momentanément en Palestine, avant de partir pour les États-Unis, publie (...)

6Le lieu de publication de DVH indique qu’Elias prit contact avec le milieu des émigrés juifs-allemands à Paris et les organisations d’entraide qui s’y forment, et au sein desquels les milieux sionistes étaient actifs, à moins que ce ne soit l’inverse. Le choix de la revue der Ausweg. Monatschrift für Umschichtung, Wanderung, Siedlung, intrigue. On ignore si l’article était une commande de la revue ou si Elias prit l’initiative de le lui proposer. Der Ausweg signifie l’issue, le chemin de sortie. Le sous-titre de la revue, qui se traduit dans son contexte par « Reconversion, émigration (ou migration), installation », en décline les objectifs, repris dans chacune de ses livraisons en première page. La revue a pour vocation d’ouvrir des voies de sortie à l’impasse dans laquelle les juifs d’Allemagne sont poussés. Ils sont contraints de s’expatrier. Éditée à Paris, cette publication éphémère (elle paraît de novembre 1934 à décembre 1935) est dirigée par Karl Loewy, jadis libraire et journaliste à Berlin, émigré en Palestine avant la prise du pouvoir nazi, où il rejoint son frère Joseph Loewy, ingénieur qui y est installé depuis 1911, lui-même collaborateur du sociologue et démographe Arthur Ruppin, qui jouissait d’une grande réputation dans l’Allemagne wilhelmienne, et devint, à partir de 1910, le planificateur principal du mouvement sioniste en Palestine. Karl Loewy y poursuivra son travail de journaliste, spécialisé dans le commentaire de la politique du mandataire britannique en Palestine. Les frères Loewy, établis à Haïfa s’attèleront à attirer les expulsés d’Allemagne vers la ville-nouvelle de Nahariya, sur le littoral nord de Palestine, mise en chantier en 1935 par l’entreprise immobilière privée de Joseph Loewy, dans laquelle le vieil activiste sioniste Eugen Soskin est associé3. Ce dernier était un agronome engagé dans la colonisation de la Palestine depuis les balbutiements de l’aventure sioniste au début du xxe siècle, aux côtés du biologiste Otto Warburg et du professeur de sociologie Franz Oppenheimer, auquel Karl Mannheim succéda à la chaire de sociologie de l’université de Francfort, professeur à la retraite qui échoue en Palestine en 1935 avant de partir pour les États-Unis, et qui publie également un article dans der Ausweg4. Le trio animait la revue Altneuland. Monatsschrift für die wirtschaftliche Erschliessung Palästinas. Organ der zionistischen Kommission zur Erforschung Palästinas fondée lors du VIe Congrès sioniste, qui se tient à Bâle en 1903, et consacrée à l’installation et à la mise en valeur des terres acquises en Palestine. Quoi qu’issu de ce terreau, der Ausweg n’est cependant pas un organe sioniste, mais une revue d’information qui se consacre entièrement à donner des conseils aux expulsés d’Allemagne.

  • 5 Cf. Gelber (1990, p. 358-359 et 364).
  • 6 James Grover MacDonald sera ensuite nommé observateur international de la politique mandataire en P (...)

7Car, ce dont les juifs poussés hors d’Allemagne, déclassés malgré eux, ont urgemment besoin, ce sont des opportunités pour se réinventer une vie ailleurs. Der Ausweg procède certes de l’activisme des frères Loewy qui œuvrent pour l’installation des juifs d’Allemagne et d’Europe centrale germanophone en Palestine5, surtout depuis que la première pierre de la ville de Nahariya est posée, mais elle présente également des opportunités d’installation un peu partout à travers le monde, informe ses lecteurs de moyens de reconversion professionnelle (options de formation, possibilités de financement), en favorisant l’agriculture et l’artisanat, et cela en direction d’un groupe social souvent diplômé, mais désorienté et dont les professions dépendent souvent de leur insertion dans le cadre de l’État-nation qu’ils doivent quitter. Éditée sous le patronage de James G. MacDonald, le Haut-Commissaire pour les réfugiés de la Société des Nations de 1933 à 1935, la date de la disparition de der Ausweg coïncide avec celle où le diplomate américain démissionne de ses fonctions pour protester contre le peu de soutien dont il bénéficie pour venir au secours des juifs allemands6. Même si la promotion de la Palestine comme lieu d’accueil occupe une place de choix dans la revue, tout autre espace ouvert, tout autre lieu hospitalier sur le globe y est présenté et valorisé, comme si le monde était un vaste éventail d’options ouvertes (Auswanderungsmöglichkeiten) à ceux contraints de quitter le vieux continent, qu’elle décrit comme étant surpeuplé, essoufflé, et gangrené par la crise.

8Sur les circonstances qui conduisirent Elias à publier dans der Ausweg, on ne peut que spéculer. La revue est sans aucun doute en phase avec la situation d’Elias, dont le départ d’Allemagne n’est plus motivé par un idéal sioniste partagé mais l’effet d’une contrainte, et une affaire personnelle et individuelle. On notera cependant que Karl Loewy était actif au sein du Kartell jüdischer Verbindungen (KJV) qui chapeautait les associations d’étudiants sionistes d’Allemagne depuis 1914, et dont le mouvement Blau-Weiss (au sein duquel Elias s’impose comme l’un des leaders dans les années 1920) était pour partie une émanation. Les membres des deux organisations se rencontrèrent en 1921 à Haïfa pour établir des objectifs unitaires et y discuter de la construction d’infrastructures communes destinées à préparer la jeunesse sioniste allemande à émigrer. Elias et Loewy purent donc se connaître, mais cela demeure anecdotique. Ce qui importe, c’est que le lieu de publication de DVH est peut-être une confirmation de l’éloignement définitif d’Elias de l’orbite du sionisme. L’article signale un cran supplémentaire dans sa désimplication des affaires allemandes et juives, indissociablement, détachement nécessaire dès lors qu’il s’agit pour lui de reconstruire, avec la distance requise, la logique de la trajectoire historique de l’État moderne en Europe.

  • 7 L’article inaugural de James G. Macdonald (Der Ausweg, n° 1, novembre 1934, p. 1) débute ainsi : « (...)

9Alors que la reconversion (Umschichtung) prenait au sein du Blau-Weiss un sens ample et profond, celle d’une transmutation volontaire de toutes les sphères de la vie – retour à la terre, idéal de justice universelle, humanisme exprimé non plus en allemand mais en langue hébraïque – et exigeait un intense travail sur soi, une longue préparation (appelé dans l’idiolecte sioniste « harchara ») en vue de se forger une nouvelle vie collective en Terre d’Israël, ici, la reconversion prend un sens plus trivial, celui d’une reconversion professionnelle (Berufsumschichtung), éventuellement en Palestine. Le déclassement, souhaité et préparé par et dans les mouvements de jeunesse sionistes, nimbé du prestige d’une renaissance culturelle, est désormais une fatalité, quelle que soit la classe d’âge. Dans l’article inaugural de der Ausweg, MacDonald, le Haut-Commissaire, souligne combien la tâche de reconversion professionnelle d’un groupe qui, pour des raisons historiques, exerce des professions libérales, sera ardue, alors que l’entreprenariat agricole lui ouvre pourtant de larges opportunités à travers le monde7. L’épreuve individuelle qu’affronte l’expulsé d’une société hautement différenciée est donc d’abord celle du changement de métier afin de s’assurer les moyens de sa subsistance, quel que soit le lieu où il trouve à s’installer. Elias avertit pourtant explicitement qu’il ne traitera pas du destin des protestants émigrés dans son article. On peut alors aussi conjecturer qu’Elias donna DVH à der Ausweg en choisissant de traiter de l’expulsion des Huguenots pour indiquer, sur un mode détaché, que l’expulsion de groupes entiers est un phénomène certes en régression, mais qui accompagne pourtant encore la marche chaotique de la modernité et que chacun devra s’en débrouiller.

10L’expulsion apparaît comme un règlement violent, guerrier, des rapports entre groupes, dans un État qui n’a pas encore complètement assis son monopole, ou pense devoir l’affermir en bannissant une fraction de sa population, considérée comme potentiellement rebelle à son autorité et comme une cible facile de par son extériorité relative dans la configuration de la France du xviie siècle. Détaché de l’intense ambivalence à l’égard de l’Allemagne qui était la sienne, et dont le sionisme était un avatar, Elias pourra traiter du sort des juifs de manière latérale, à travers l’analogie implicite de la persécution, puis de l’expulsion des Huguenots du royaume de France à la fin du xviie siècle. Le départ des Huguenots n’est nullement volontaire, proactif, tendu vers la réalisation d’un idéal, mais procède d’une pression qui les poussera jusque cette extrémité. Les parallèles entre les deux articles, celui de 1929 sur l’antisémitisme allemand et celui de 1935 sur l’expulsion des Huguenots, sont patents. L’analyse des logiques qui conduisent à l’expulsion y est menée dans des termes similaires : compétition entre groupes, relations de pouvoir, perception du groupe minoritaire comme occupant une position privilégiée, position objective du groupe minoritaire dans la structure sociale. Les protestants de France sont davantage bourgeois (Elias n’hésite pas à utiliser le terme anachronique de Mittelstand, classe moyenne) dans une monarchie catholique qui s’allie à l’aristocratie, elle aussi restée globalement catholique. « Le paysan connaît surtout les juifs à travers le masque social du négociant de bestiaux ou de détail, le citadin et le grand propriétaire terrien à travers le masque du banquier […] le commerçant connaît les juifs […] sinon pas toujours immédiatement comme un concurrent, à tout le moins comme le propriétaire du grand magasin » constatait Elias en 1929 (Elias, 2016 [1929]), analyse qu’il réitère telle quelle à propos des Huguenots : « Au xviie siècle déjà, on voit contribuer à la haine catholique la jalousie du pauvre contre le riche, du petit marchand contre le grand, du petit industriel contre le gros, de la terre contre l’argent. » (Elias, 2022 [1935], p. 35). La même approche vaut pour les deux expulsions.

11De même, tout comme les échecs de la politique de conquêtes extérieures du roi de France se répercutent sur sa politique intérieure, la défaite du Reich, suite à la Première Guerre mondiale, engendre une contestation interne d’associations d’anciens combattants en Allemagne. Crise de la politique extérieure et crise économique intérieure se combinent, dans le cas de la France de la fin du xviie siècle et dans celui de l’Allemagne de l’entre-deux-guerres, pour produire un ressentiment à l’égard d’une minorité perçue comme dominante et responsable de l’affaiblissement du Royaume ou du Reich. Il suffit ici de songer à l’assassinat de Walter Rathenau par les Corps Francs, premier Ministre des Affaires étrangères de la République, un juif qui incarne aux yeux de la droite nationale l’humiliation acceptée de l’Allemagne soumise au « dictat de Versailles ». Alors, un sous-groupe, qui diffère essentiellement par ses options religieuses, un groupe confessionnel – qui forme une espèce de bourgeoisie de second rang à l’intérieur de la bourgeoisie établie, dira Elias à propos des juifs d’Allemagne – est désigné comme un ennemi intérieur. Cette inimitié, écrit Elias dans DVH, conduit à le traiter de la manière la plus cruelle qui soit, allant d’une série d’interdictions formelles dégradantes et de brimades jusqu’à la destruction de ses conditions d’existence et finalement à son expulsion hors des frontières du Royaume. Cette permutation de l’ennemi étranger en ennemi domestique consonne évidemment avec la situation des juifs d’Allemagne, si l’on considère qu’Elias établit un parallélisme entre les dragonnades, la terreur qui s’abat sur les Huguenots, et les forces réactionnaires qui refusent la défaite allemande et s’organisent en milices agressives. De même, Louis XIV ressentant comme « un affront personnel » le refus de confesser une religion tenue par lui pour la seule vraie, ambitionnant d’exercer un pouvoir absolu et d’uniformiser les sujets de son royaume, mu par un mélange d’affirmation de soi, d’orgueil démesuré et d’anxiété, fait écho au pouvoir charismatique de Hitler auquel Elias consacrera plus tard une grande attention dans son analyse du nazisme. Remarquons ici qu’Elias souligne que la conversion en masse de membres du groupe persécuté n’efface pas la suspicion à leur encontre, de sorte que le groupe des Huguenots demeure étanche, un groupe rigide dans sa délimitation, dont on ne sort jamais réellement, suggérant sans aucun doute un parallélisme avec juifs de la Péninsule Ibérique sous l’Inquisition et les juifs d’Allemagne depuis la promulgation des lois de Nuremberg de 1935 sur la pureté du sang.

  • 8 Soutenue sous la direction de Karl Mannheim en 1934, Die Entstehung der Judenassimilation in Deutsc (...)

12Alors, si DVH apparaît comme une analyse oblique de la situation des juifs d’Allemagne en 1935, l’article figure aussi le signe de leur absentement du Procès de civilisation. Absents de l’ouvrage d’Elias, les juifs favorisèrent et accompagnèrent la centralisation et la rationalisation du pouvoir royal, ils furent des agents et des bénéficiaires d’une conception de la puissance publique détachée de la personne du roi, pouvoir public assis sur une bureaucratie et un droit uniforme, qui conduisit à une baisse tendancielle des risques de spoliation et d’expulsion et, finalement, en bout du processus – comme le montre Jacob Katz dans sa thèse de 1934 élaborée au sein de l’équipe de doctorants de Karl Mannheim, dont Elias était le chef de travaux8 –, à leur intégration dans les sociétés de l’espace germanique du xviiie siècle par la formation progressive d’une bourgeoisie juive cultivée.

  • 9 Sur la distinction entre unité de survie prémoderne et État-nation, cf. Bruno Karsenti dans ce volu (...)

13Dans cette dialectique moderne où la formation de l’État monarchique, puis de l’État-nation, forge des sujets moins enclins à la violence, conscients de leur interdépendance, intégrés dans une configuration stabilisée, la politique de la sociologie d’Elias devient saillante : l’incertitude et le besoin de protection y forment un arrière-plan qui n’est pas encore complètement explicité dans le Procès de civilisation, mais qui conduira plus tard Elias à qualifier les regroupements humains d’« entité de survie » (Elias, 1997), en identifiant la fonction de base – la protection contre la violence intérieure et l’agression extérieure – que remplit toute association, sur laquelle s’édifie toute « unité du nous », prémoderne, puis moderne9. L’État national traduit un stade élaboré de cette fonction qui se pluralise, dans la mesure où il est le vecteur d’une plus grande prévisibilité et calculabilité du gouvernement et d’une maîtrise plus assurée des relations entre segments interdépendants de la société.

14En ce sens, la fonction de protection irrigue de part en part la politique de la sociologie éliasienne, tel un centre d’irradiation. La dynamique bénéficie certes à tous les membres de l’unité de survie, mais prémunissait le groupe des juifs, qui formait une sous-unité de survie dans l’État, contre la violence de la populace et l’arbitraire des pouvoirs intermédiaires rivaux et versatiles. La préférence d’Elias pour la stabilité politique, pour la prévisibilité de la conduite des autorités, l’atténuation de la violence, la concurrence pacifiée entre groupes, la monétarisation des échanges, le recul de l’arbitraire, le caractère public du pouvoir, transparaît dans ces tendances générales, dont les bénéfices furent précocement éprouvés par les juifs au regard de leur position dans la structure sociale, et que l’expulsé Elias éprouve dans l’échec. Aussi, le double monopole (de la violence et de la collecte des impôts) acquit par l’État, renvoie, terme-à-terme, à la double dépendance des juifs qui s’assurent leur survie en abondant le trésor du roi en échange de leur protection, dans le processus de consolidation de l’État moderne. Présents sous le double des Huguenots dans DVH, absents du Procès de civilisation, les juifs sont comme omniprésents dans la politique de la sociologie d’Elias (thèse suggérée par Russel, 1996), qui scrute le processus centrifuge de consolidation d’un pouvoir suprême sur un territoire étendu, puis la formation des États-nation qui franchit un saut qualitatif décisif dans la constitution d’un « nous » qui équilibre l’appartenance au collectif de personnes individuées, incluses dans un tout qui les insère, sans écraser ni leur individualité ni leur appartenance à des sous-groupes dans la société. Et, dans l’article de 1929 qui traite de l’antisémitisme, Elias signale le revers de cette identification avec le pouvoir central, lorsque le ressentiment des dominés à l’égard de celui-ci se retourne contre eux, sans qu’Elias n’anticipe que la désintégration du monopole de la violence d’État dans la République de Weimar conduirait abruptement à une violence d’État radicale contre les juifs.

15Dans Le Procès de civilisation, Elias conçoit les luttes d’élimination entre entités rivales comme des conflits d’élargissement et d’intégration, portant les liens d’interdépendance à une échelle supérieure. Mais DVH signale parallèlement qu’il existe des guerres d’élimination qui sont des conflits d’exclusion. Les Huguenots, malgré leur position dans la structure sociale, sont séparés comme s’ils étaient un groupe étranger au royaume, puis expulsés. Le conflit se solde par la révocation de l’édit de Nantes, attestant par ailleurs que le jus emigrandi (Duhamel, 2015) établi par les paix d’Augsbourg (1555) et de Westphalie (1648), qui garantissent à toute minorité confessionnelle au sein d’un des territoires de l’Empire de pouvoir migrer hors de ce territoire sans subir de pertes matérielles ni honorifiques, ne s’est pas encore irréversiblement imposé. Le cas spécifique des minorités juives, marginal, n’a pas même bénéficié d’une codification aussi générale, de sorte que, pour Elias, qui écrit en 1935, l’année 1933 sonne comme la révocation de l’édit de Nantes, dans un État-nation moderne et pourtant vulnérable aux régressions dont l’ampleur ne s’est pas encore dévoilée — le sort des juifs d’Allemagne n’étant pas encore définitivement scellé. Dans DVH, Elias est particulièrement attentif au type de violence dont pâtissent les Huguenots, avec ses gradations, qui vont de la fermeture des lieux de culte à leur destruction, des restrictions de leurs droits acquis à l’exclusion systématique de la vie sociale et économique, et aux exactions massives. Licence est donnée à la maltraitance et à la torture des populations protestantes, mais Elias signale que le meurtre, direct et assumé, des Huguenots, demeure interdit (2022, p. 37). En 1935, Elias, ni personne, ne pouvait prévoir ni même pressentir la violence d’État qui, quelques années plus tard, dans la guerre, allait atteindre un stade paroxystique, inouï, au regard duquel l’expulsion des Huguenots, certes régressive, porte encore la marque du polissage civilisationnel. Faut-il rappeler que l’expulsion des juifs, au long du Moyen Âge jusqu’aux Temps modernes, était considérée comme une manière civilisée de se débarrasser d’eux, l’autre option, parfois envisagée, quelquefois mise en œuvre, étant le massacre ponctuel ? L’analogie des deux expulsions de masse, si tel est bien ce qu’Elias à l’esprit en 1935, s’est avérée rétrospectivement, non pas erronée, mais incomplète et, somme toute, superficielle. L’élimination d’un groupe dans une société caractérisée par un haut degré de différenciation et d’intégration, comme l’était l’Allemagne de Weimar passée sous domination nazie, avait ceci de singulier qu’elle passa par ce qu’Elias conçu, dans son article de 1961-1962, comme une interruption, un brusque effondrement de la civilisation.

16Il n’empêche que DVH est la première mouture de l’analyse que livrera Elias de la catastrophe allemande, bien plus que l’article sur l’antisémitisme de 1929, car c’est directement l’État détenteur du monopole de la violence qui y est au centre de son attention, alors que son article sur l’antisémitisme allemand portait sur les tensions à l’intérieur d’une configuration sociale dans une République de Weimar encore résistante, malgré la polarisation extrême qui la traversait et la menaçait. Hormis un compte rendu élogieux d’une analyse sociologique du nazisme paru dans Association of Jewish Refugees Information (Elias, 2006 [1950]), où s’esquisse déjà la thèse qu’Elias développera sur la dynamique entre « établis » et « marginaux » (Elias, 1991), ce n’est qu’en 1961 qu’Elias reprend sans détour, frontalement, le dossier allemand, à l’occasion du procès Eichmann qui se tient à Jérusalem (Elias, 2005 [1961-1962]). L’extermination des juifs atteint manifestement l’auto-compréhension de l’Europe en son cœur, bien plus que cet épisode marquant de la guerre persistante des religions que fut l’expulsion des Huguenots de France.

17La confrontation d’Elias avec la réalité de l’extermination, longtemps contenue, s’y manifeste sous le signe d’une curieuse ambivalence :

Le souvenir des méfaits d’un État moderne ayant tenté d’exterminer une minorité haïe était en train de s’estomper. Le procès Eichmann le ramena brutalement au premier plan. Il n’y eût pas lieu de se demander s’il eût mieux valu laisser la mémoire des victimes et de leurs assassins sombrer dans l’oubli, nonobstant peut-être, en guise de seule pierre tombale, quelques lignes ici et là dans les livres d’histoire. Cette mémoire est revenue. (Elias, 2005 [1961-1962], p. 399)

18Qu’il n’y ait pas lieu de se demander si l’oubli de l’événement eut été préférable au forçage du souvenir à l’occasion du procès Eichmann peut se comprendre de deux manières. Soit il s’agit d’un état de fait, un phénomène objectif, de sorte qu’il entre dans les coordonnées de la réalité que le sociologue enregistre. Soit, Elias eut espéré secrètement que l’événement qui s’estompe tombe définitivement dans l’oubli, afin que l’on soit épargné des conséquences de son retour. Ici, à nouveau, cet évitement espéré recouvre potentiellement deux facettes, l’une personnelle, intime, à savoir le souvenir de sa propre mère assassinée, l’autre, publique, qui a pour enjeu la trajectoire de la modernité européenne elle-même, puisque cet événement, souligne Elias, « s’ajoute à la masse croissante des événements défiant l’image que nous avons de nous-mêmes en tant que sociétés civilisées » et touche donc « à quelque chose de très profond » (ibid.). Le texte de 1961-1962 porte effectivement le titre « L’effondrement de la civilisation », ce qui conduira les successeurs d’Elias à forger le concept de « décivilisation » pour capter le cours chaotique, profondément ambivalent, de la modernité européenne. L’anamnèse, Elias le sait, est ici au risque de déstabiliser le récit de la dynamique civilisatrice dont il a toujours souligné, depuis DVH, les sinuosités, mais qui, cette fois, ébranle l’image de soi de l’Europe et de l’Humanité en tant que telle.

19Certes, le souvenir de sa mère assassinée est vif pour Elias, il évoque à plusieurs reprises dans ses textes autobiographiques son sentiment de culpabilité de n’avoir pas pu la sauver, mais le souvenir public du crime politique pâlit inexorablement. Avec le procès Eichmann, les deux plans, le drame personnel d’Elias et la Shoah, semblent se raccorder. Mais Elias précise que le souvenir du génocide qui surgit dans l’actualité n’est pas généré par la réflexivité propre aux sociétés politiques européennes qui s’accommodent de l’oubli :

Et les conditions de ce retour sont riches d’enseignements. En général, il y a peu de chances qu’on se souvienne des victimes de l’histoire, des groupes sans pouvoir ayant subis des défaites. Le cadre principal de ce qu’on a l’habitude de retenir comme faits historiques demeure l’État ; les livres d’histoire sont encore largement, de nos jours, des chroniques étatiques. (Ibid., p. 400)

20Elias en conclut que le souvenir du crime chemine à travers la chronique des juifs survivants qui, impuissants il y a peu encore, sont désormais partiellement étatisés dans un État-juif : « […] si le souvenir des juifs assassinés est revenu à la vie, c’est grâce à leur nouvel État et aux ressources de puissance qui sont les siennes » (ibid.). Sans la naissance de l’État d’Israël, les juifs assassinés auraient rapidement sombré dans l’oubli. Alors, la préférence pour l’oubli, qu’Elias envisage comme une possibilité avec une neutralité surprenante, emporte-t-elle avec elle une préférence pour que les juifs ne se soient pas dotés d’un État ? Dans ce cas, le sionisme de sa jeunesse se serait complètement dilué en 1961 pour faire place à son contraire, une préférence pour l’effacement politique des juifs d’Europe.

21Que les juifs assassinés eussent rapidement sombré dans l’oubli sans un État capable d’imposer leur souvenir, peut recevoir également une autre interprétation : l’histoire étant toujours celle des vainqueurs, il est certes logique que l’assassinat des juifs ne figure pas dans les chroniques des États d’Europe, ou s’y inscrit discrètement, tel un événement marginal, sans importance particulière, mais l’existence de l’État des juifs vaincus en Europe est désormais, note Elias, une donnée, de sorte qu’il impose le souvenir de l’événement en Europe. Si ce qui vaut pour un événement historique mémorable dépend entièrement des ressources de l’État, le retour de l’oublié, ou du refoulé, est attribuable à l’État des juifs ; il est attribuable à la politisation des juifs qui, face à l’antisémitisme, puis aux crimes de l’État nazi, se sont dotés d’une unité de survie séparée de l’Europe et hors d’Europe. Le souvenir du crime pénètre alors abruptement, avec le procès Eichmann, le « nous » de l’Europe en formation. Les juifs sont, de la sorte, réincorporés dans l’auto-compréhension de l’Europe.

22Elias ne renoue donc nullement avec son engagement de jeunesse, où le sionisme était une réaction à l’antisémitisme tout en prenant un tour idéaliste, celle d’une réalisation d’une collectivité sans État, manière dont Elias concluait son attachement à la nation culturelle allemande lavé de tout penchant nationaliste (Elias, 2005 [1989]). À présent que l’État des juifs existe – État auquel précisément Elias ne s’identifie nullement, pas davantage qu’à l’État-nation quel qu’il soit – les juifs intègrent politiquement à l’Europe en égalisant sa conscience commune sous la modalité d’un degré supérieur de réflexivité. C’est pourquoi, interrogé avec insistance en 1989 sur son identité (Elias, 2005, p. 389-390), Elias ne se déclare pas Allemand, ni Juif, mais juif-allemand – allemand par sa langue et sa culture, juif par la facticité de son habitus minoritaire –, identité impossible, périmée, auquel le sionisme allemand de sa jeunesse n’a pu donner corps et que le procès Eichmann rappelle au souvenir de tous. « Je suis un juif allemand. C’est ainsi que je suis. Un sociologue », répond-il à son interlocutrice insistante (ibid.). Le raccourci est saisissant : alors que son dilemme de juif allemand le plaçait devant l’alternative entre sionisme et sociologie dans l’entre-deux-guerres, Elias prend à présent acte de l’existence de l’État d’Israël, existence dont il dit se réjouir et dont il assume la lutte (« ils doivent tirer en premier afin de pas être abattus et défaits » dit-il), tout en précisant que lui-même ne fait qu’hériter de la tradition juive qui répudie toute violence – violence sociale ou violence d’État, qu’il qualifie de « barbare », de non-juive (unjüdisch).

23Telle est la matrice où se détache la politique de la sociologie éliasienne, qui pivote autour de l’impérieuse nécessité que l’État monopolise la violence, puis que la nation moderne bien formée atteigne un équilibre « nous-je » satisfaisant, trajectoire dont Elias signale précocement les ratés en 1935 dans DVH, puis l’échec en Allemagne en 1961. Les juifs qui suivirent ce chemin, qu’Elias refusa finalement pour lui-même en choisissant la sociologie comme substitut du sionisme allemand, ré-arriment pourtant de facto les juifs d’Europe à la chaîne des interdépendances desquels ils furent isolés, puis extirpés. On ne parvint jamais, note Elias à la fin de DVH, à les [les Huguenots] expulser complètement (völlig) de France. Il en demeura toujours, écrit-il en 1935, un reste inéliminable. Cette incise traduit encore une lueur d’optimisme relative au sort des juifs d’Allemagne. Très vite, il s’avéra que leur expulsion ne fut qu’un épisode dans l’entreprise d’élimination complète des juifs menée à l’échelle de l’Europe. Désormais, note Elias, « ils » s’adjoignent politiquement à l’Europe, fut-ce sous la forme de l’auto-compréhension douloureuse que l’Europe a et aura d’elle-même, perspective qui alors concilie Elias avec son engagement politique de jeunesse, mais reconfiguré en une donnée objective de la vie politique européenne.

24Le processus d’européanisation de la configuration des États-nation implique le retour du souvenir des juifs assassinés et l’existence de l’État d’Israël qui en est le vecteur. En se déclarant d’abord européen (« Europa ist meine Heimat », Elias, 2005 [1989], p. 393), en intégrant l’État d’Israël dans l’équation européenne, Elias réitère alors sa décision initiale, formulée en conclusion de son article de 1929, en faveur de la sociologie, cette science de la société qui contient en elle les ressources pour acheminer l’Humanité vers un avenir plus sûr et plus heureux. Elias peut se déclarer « juif allemand », donc sociologue, parce que cette identité périmée invite au décentrement maximal. Et Elias peut se déclarer aussi européen, parce que le retour des juifs assassinés est le réceptacle politique d’une relance de la dynamique réflexive propre à la sociologie.

25Le motif de l’expulsion des Huguenots collectivisait et dépersonnalisait l’expérience d’Elias, l’oubli collectif du crime en Europe individualisait son expérience, tandis qu’avec le procès Eichmann, et à partir de la nouvelle donne qui s’impose à tous, Elias pourra relancer son engagement sociologique en le projetant toujours davantage sur le plan mondial des configurations interétatiques, ce plan où les chaines d’interdépendance atteignent une extension maximale, là où se joue non pas la survie des juifs, ni même celle de l’Europe, mais celle de l’espèce humaine face aux risques d’autodestruction.

Literaturverzeichnis

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Anmerkungen

1 Über den Prozeß der Zivilisation, republié en deux volumes chez Suhrkamp en 1997.

2 Typiquement, Baer (1936-1937).

3 Eugen Soskin qui se consacre à la rationalisation de la colonisation juive de la Palestine publie dans der Ausweg « Ein Jahr Nahariah » (1935, p. 36).

4 Franz Oppenheimer, réfugié momentanément en Palestine, avant de partir pour les États-Unis, publie dans Der Ausweg, en avril 1935, « Rechoboth : Genossenschaftliche Siedlung », un article portant sur son modèle de développement socio-économique, sur la base de sociétés agricoles coopératives, à partir de l’exemple de l’implantation de Rekhovoth situé au sud de la Palestine, aux portes du désert.

5 Cf. Gelber (1990, p. 358-359 et 364).

6 James Grover MacDonald sera ensuite nommé observateur international de la politique mandataire en Palestine après-guerre, et ensuite le premier ambassadeur des États-Unis en Israël, de 1949 à 1952.

7 L’article inaugural de James G. Macdonald (Der Ausweg, n° 1, novembre 1934, p. 1) débute ainsi : « Je me suis laissé conter que les Juifs, lorsqu’ils affrontent de grandes épreuves ou sont confrontés aux mauvais coups du sort, ont soin de dire : “Cela aussi sera peut-être finalement à notre avantage”. »

8 Soutenue sous la direction de Karl Mannheim en 1934, Die Entstehung der Judenassimilation in Deutschland und deren Ideologie sera publiée sous le titre Imagination and Assimilation: Studies in Modern Jewish History, par Farnborough, Westmount, en 1972.

9 Sur la distinction entre unité de survie prémoderne et État-nation, cf. Bruno Karsenti dans ce volume, p. 149-184.

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