1 En particulier, dans son article « Les techniques du corps », republié dans Sociologie et anthropologie, Paris, puf, 1980, p. 363-386 (1re éd., 1934).
2 Pour une synthèse sur ces concepts, on pourra lire ma contribution : « Biopolitique » in D. Lecourt (sous la dir. de), Dictionnaire de la pensée médicale, Paris, puf, 2004.
3 L’ouvrage d’Ernst Kantorowicz, Les deux corps du Roi. Essai sur la théologie politique au Moyen Âge, Paris, Gallimard, 1989 (1re éd., 1957), et ses prolongements contemporains dans les Essais sur le politique xixe - xxe siècles, Paris, Le Seuil, 1986, de Claude Lefort, abordent les usages politiques du corps depuis le plus haut lieu du pouvoir, du côté de sa transcendance. C’est en quelque sorte la perspective inverse qui est adoptée ici pour mettre en évidence les usages politiques du corps des dominés, à travers ce qui en dévoilerait l’immanence.
4 Voir mon article : « La supplique. Stratégies rhétoriques et constructions identitaires dans les demandes d’aide d’urgence », Annales. Histoire, Sciences sociales, 55(5), 2001, p. 955-981.
5 Se référer à mon texte : « Quand le corps fait loi. La raison humanitaire dans les procédures de régularisation des étrangers », Sciences sociales et santé, 19(4), 2001, p. 5-34.
6 Dans le dernier chapitre « Droit de mort et pouvoir sur la vie » de La volonté de savoir. Histoire de la sexualité, t. 1, Paris, Gallimard, 1976, p. 175-211.
7 Dans le second chapitre, « La question sociale », de son Essai sur la révolution, Paris, Gallimard, 1967 (éd. américaine, 1963), p. 82-165.
8 Sur ce déplacement du bio-pouvoir à la bio-légitimité, je me permets de renvoyer aux textes suivants : « Politiques des corps et gouvernement des villes », in D. Fassin (sous la dir. de), Les figures urbaines de la santé publique. Enquête sur des expériences locales, Paris, La Découverte, p. 7-46 ; et « Les scènes locales de l’hygiénisme contemporain. La lutte contre le saturnisme infantile, une biopolitique à la française », in P. Bourdelais (sous la dir. de), Les Hygiénistes. Enjeux, modèles et pratiques, Paris, Belin, p. 447-465. Si le bio-pouvoir est un pouvoir sur la vie, la bio-légitimité est un pouvoir de la vie.
9 Cette dialectique est largement développée dans le texte que j’ai écrit avec Alain Morice : « Les épreuves de l’irrégularité. Les sans-papiers, entre déni d’existence et reconquête d’un statut », in D. Schnapper (sous la dir. de), Exclusions au cœur de la Cité, Paris, Anthropos, 2000, p. 260-309.
10 La présentation de la psychologisation du politique la plus complète est probablement celle de Nikolas Rose, Gouverning the Soul. The Shaping of the Modern Self Londres, Free Association Books, 1999 (1re éd., 1989). Sur le traumatisme psychique, voir les mises en perspective historique et anthropologique d’Allan Young, The Harmony of Illusions. Inventing Post-Trauma tic Stress Disorder, Princeton, Princeton University Press, 1995 et de Ruth Leys, Trauma. A genealogy, Chicago, University of Chicago Press, 2000 ; ainsi que, sur le versant français, et dans une approche clinique : Gérard Lopez, Victimologie, Paris, Dalloz, 1998. Pour une analyse de la souffrance psychique comme conséquence de problèmes sociaux, voir Christophe Dejours, Souffrance en France. La banalisation de l’injustice sociale, Paris, Le Seuil, 1998 ; Frédéric de Rivoyre (sous la dir. de), Souffrance psychique : une souffrance ordinaire, Paris, L’Harmattan, 1998, avec son pendant anglo-saxon : Arthur Kleinman, Veena Das & Margaret Lock (eds.), Social Suffering, Berkeley, University of California Press, 1997.
11 L’évidence de la maladie et de la souffrance conduit souvent à les penser comme des réalités naturelles, en oubliant qu’elles sont aussi construites. Les travaux réalisés sur le traitement social de la pauvreté et sur la gestion administrative des réfugiés montrent pourtant la capacité des agents à mobiliser des compétences pour se plier aux contraintes des services auxquels ils ont affaire. Sur le premier, voir Didier Demazière, « La négociation des identités des chômeurs de longue durée », Revue française de sociologie, 33, 1992, p. 335-363, et Vincent Dubois, La vie au guichet. Relation administrative et traitement de la misère, Paris, Economica, 2000. Sur la seconde, voir Liisa Malkki, « Refugees and Exile. From’Refugee Studies’to the National Order of Things », Annual Review of Anthropology, 24, 1995, p. 495-523 et Jennifer Hyndman, Managing Displacement. Refugees and the Politics of Humanitarian ism, Minneapolis, Minnesota University Press, 2000.
12 Un exposé détaillé des différents aspects de l’enquête a été présenté dans deux articles : « Charité bien ordonnée. Principes de justice et pratiques de jugement dans les aides d’urgence », Revue française de sociologie, 42(3), 2001, p. 437-475; et « Les inégalités des chances dans l’accès aux secours d’urgence » (avec Anne-Claire Defossez et Valérie Thomas), Revue française des affaires sociales, 55(1), 2001, p. 91-110.
13 Une mise en perspective anthropologique de cette scène est présentée dans mes articles : « The biopolitics of otherness. Undocumented immigrants and racial discrimination in the French public debate », Anthropology Today. Journal of the Royal Anthropological Institute, 17(1), 2000, p. 3-7, et « Une double peine. La condition sociale des immigrés malades du sida », L’Homme. Revue française d’anthropologie, 160, 2001, p. 137-162.
14 En reprenant bien sûr la distinction que fait Georg Simmel entre droit et obligation dans son ouvrage Les pauvres, Paris, puf, 1998 (1re éd., 1908). Certes, on pourrait arguer du fait que bénéficier d’un minimum de ressources pour survivre ou d’une carte de séjour pour se soigner sont des droits rappelés dans des constitutions nationales et des conventions internationales, mais la réalité de ce droit procède bien, dans les deux cas, d’une relation asymétrique d’obligeant à obligé.
15 Prestations « totales » : la vie contre la bourse, serait-on tenté de dire, tant le récit autobiographique sert à justifier, non seulement par les faits malheureux qu’il révèle, mais par le simple fait d’être livré comme un don, le contre-don de l’État. On peut alors rappeler la leçon de Marcel Mauss, dans son « Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques », in Sociologie et anthropologie, Paris, puf, 1980 (1re éd., 1950), p. 279 : « Cette étude concrète peut mener non seulement à une science des mœurs, à une science sociale partielle, mais même à des conclusions de morale », car elle permet « d’entrevoir, de mesurer, de balancer les divers mobiles... dont l’ensemble fonde la société et constitue la vie en commun, et dont la direction consciente est l’art suprême, la Politique, au sens socratique du mot ».
16 Selon l’expression par laquelle Giorgio Agamben, Homo sacer. Le pouvoir sacré et la vie nue, Paris, Le Seuil, 1997 (1re éd. italienne 1995), traduit zoé différencié chez Aristote de bios, vie sociale ou politique.
17 Pour reprendre la dualité proposée par Hannah Arendt dans Essai sur la Révolution, Paris, Gallimard, 1967 (1re éd. américaine 1963) : la compassion « consiste à être frappé des souffrances d’autrui comme si elles étaient contagieuses alors que la pitié » consiste à s’en attrister sans en être touché dans sa chair.
18 Selon la distinction classique que la littérature anglo-saxonne a souvent analysée non seulement pour le xixe siècle, mais plus récemment pour le traitement des nouvelles formes de pauvreté, en Amérique du Nord notamment. Voir Michael Katz, The Undeserving Poor. From the War on Poverty to the War on Welfare, New York, Pantheon Books, 1989.
19 À cet égard, on doit bien sûr considérer l’attitude des requérants vis-à-vis des pouvoirs publics non comme la marque d’une adhésion aux normes imposées dans la sollicitation, mais comme la preuve de compétences sociales permettant de s’y adapter, ainsi qu’y invite Michel Messu dans Les assistés sociaux. Analyse identitaire d’un groupe social, Privat, Paris, 1991.
20 En ce sens, « chair » bien plus que « corps », pour reprendre le déplacement essentiel qu’opère Maurice Merleau-Ponty entre sa Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, 1945, et son œuvre posthume rassemblée par Claude Lefort, Le visible et l’invisible, Paris, Gallimard, 1964.
21 Comme l’écrit, à propos du revenu minimum d’insertion, Robert Castel dans Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Paris, Fayard, 1995, p. 473 : « Le demandeur n’a rien d’autre à apporter que le récit de sa vie avec ses échecs et ses manques... Les fragments d’une biographie brisée constituent la seule monnaie d’échange pour accéder à un droit ».
22 L’expert théoricien de l’individualisation des politiques sociales est Pierre Rosanvallon qui, dans La nouvelle question sociale. Repenser· l’État-providence, Paris, Le Seuil, 1995, propose « de donner congé à l’homme moyen ‘de Quételet et au fait sociologique’ de Durkheim et de rendre aux données leurs valeurs individuelles ». Pour lui, « l’efficacité des politiques sociales impose de considérer les individus dans leur singularité ».
23 En référence, évidemment, aux « choix tragiques » que les sociologues de la médecine ont analysés dans les situations d’attribution de biens rares susceptibles d’engager la vie des malades, tels que les organes des greffes ou les médicaments du sida. Voir notamment de Guido Calabresi & Philip Bobbit, Tragic Choices. The conflicts Society confronts in the Allocation of Tragically Scarce Resources, New York, Norton, 1968, et de Sébastien Dalgalarrondo & Philippe Urfalino, « Choix tragique et controverse. Le cas du tirage au sort des malades du sida », Revue française de sociologie, 41(1), 2000, p. 119-157.
24 Frontière qui constitue la ligne de partage essentielle dans les principes de l’action, selon Luc Boltanski dans La souffrance à distance. Morale humanitaire, médias et politique, Paris, Métailié, 1993.
25 A la différence de la définition qu’en donne John Rawls, A Theory of Justice, Oxford, Oxford University Press, 1972, les positions sont très différentes de chaque côté de ce voile : les requérants présupposent plus qu’ils ne connaissent les principes selon lesquels ils seront jugés (on verra qu’ils ignorent largement les règles du jeu et se trompent sur les valeurs des agents) ; les dispensateurs, en revanche, disposent d’un grand nombre d’informations privées, voire intimes, sur les personnes (sans pour autant, bien sûr, accéder de manière transparente à la vérité de leur situation qui ne leur est livrée que sous la forme de discours).
26 Comme le montre Marc-Henry Soulet dans « Les raisons d’agir », in Urgence, souffrance, misère. Lutte humanitaire ou politique sociale ?, Fribourg, Éditions universitaires de Fribourg, Ressocialis, 1998, p. 9-41, l’opposition classiquement établie entre « action humanitaire » et « politique sociale », entre « initiative privée » et « dette publique » résiste mal au constat de la « mixité des fondements normatif produisant une mixité des modes d’intervention ». Ici, on le voit bien l’État se fait acteur humanitaire, ou tout au moins construit sa politioc que sociale sur la « raison humanitaire ».
27 L’expression « détachement moral », qu’emploie Everett Hughes, Le regard sociologique, Éditions de l’EHESS, Paris, 1998, pour désigner cette forme de protection dont usent les agents de l’administration pour ne pas s’impliquer au-delà du nécessaire dans la relation à autrui, peut servir à décrire ce phénomène.
28 La distinction mérite d’être faite, en s’appuyant sur le Vocabulaire technique et critique de la philosophie d’André Lalande, Paris, PUF, 1993 (1re éd., 1926), entre deux formes de jugements iniques, c’est-à-dire d’injustices dans l’application d’une mesure : celle qui repose sur le contingent, l’effet du hasard (par exemple, le passage devant une commission plutôt que devant une autre, l’humeur d’un président ou la fatigue d’un médecin) et celle qui repose sur l’arbitraire, le bon vouloir ou la mauvaise volonté (intention de récompenser ou au contraire de punir, de donner une leçon ou de manifester son pouvoir).
29 Pour reprendre l’expression de Michel Foucault qui, dans Dits et écrits, t. 4, Paris, Gallimard, 1994, fait de l’examen de conscience le cœur du pouvoir pastoral.
30 Selon la thèse développée par Dominique Memmi dans « Vers une confession laïque ? La nouvelle administration étatique des corps », Revue française de science politique, 2000, p. 3-19.
31 Pour reprendre la distinction, classique en anthropologie, telle que la conceptualise Marc Augé, Symbole, fonction, histoire, Paris, Hachette, 1979.
32 Probablement faut-il ici s’en tenir à cette prudence radicale à laquelle invite Ludwig Wittgenstein dans ses Investigations philosophiques, Paris, Gallimard, 1961 (1re éd., 1945), lui qui affirmait définitivement indécidable la question de savoir ce que ressent celui qui dit qu’il souffre.
33 L’aporie en a été vigoureusement dénoncée par Jacques Bouveresse, Le mythe de l’intériorité. Expérience, signification et langage privé chez Wittgenstein, Paris, Éditions de Minuit, 1976.