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L'eau à découvert

 | 
Agathe Euzen
, 
Catherine Jeandel
, 
Rémy Mosseri

Quatrième partie. Usages de l'eau

14. Le transport par voie d’eau

Émilie Lorant-Plantier und Pierre Pech

Volltext

Les usages de la voie d’eau dans le monde

1La voie d’eau est anciennement utilisée pour la navigation continentale. Fleuves et rivières, peu ou fortement aménagés comme l’est le cours de la Seine entre Montereau et Le Havre, correspondent aux voies d’eau naturelles ; les canaux sont les voies d’eau artificielles. Creusés ou formant des ponts surélevés, les canaux sont alimentés par un transfert d’eau réalisé depuis un ou plusieurs cours d’eau naturel(s), comme pour le canal du Midi alimenté par plusieurs ruisseaux : l’Alzeau, la Dure, le Laudot… Certains canaux n’ont pas de vocation fluviale, mais sont des ouvrages de dérivation d’eau pour l’irrigation, comme le canal de la vallée de Californie aménagé à la fin du XIXe siècle. Dans son ouvrage sur la France d’Ancien Régime, Fernand Braudel évoque en 1979 l’utilisation maximale des cours d’eau de l’amont vers l’aval, avec flottage du bois, déplacement sur des radeaux et aménagement des rives ou du lit des cours d’eau navigables par des digues régulatrices, des chemins de halage… Certains cours d’eau, comme le Rhône, sont équipés de canaux latéraux, d’écluses et de barrages au fil de l’eau chargés de faciliter la navigation et de produire de l’hydroélectricité. Si les grands cours d’eau comme le Mississippi, le Saint-Laurent, le Nil, le Rhin, le Danube, les grands fleuves chinois ou le Gange sont actuellement des axes de transport essentiels, ils offrent une très grande diversité dans leur fonction : transports de matières premières, notamment de marchandises denses (pondéreux), transports par conteneurs et transports de personnes, notamment par des navires de croisières.

Le cas particulier de la voie d’eau française

2La valorisation ancienne de ce mode de transport qui détient, jusqu’au milieu du XIXe siècle, le monopole du transport de masse, explique l’extension importante des réseaux de voies navigables en Europe, et particulièrement en France. C’est essentiellement au cours du XIXe siècle que le réseau français s’est développé : 1 200 km en 1815, 4 200 km en 1 852. Malgré la concurrence du chemin de fer, une nouvelle phase de développement s’amorce dans le dernier quart du siècle, grâce à l’impulsion d’un Ministre des Travaux Publics, Charles Freycinet, à l’origine de la création de deux catégories de voies : les voies principales dotées d’un gabarit, baptisé « gabarit Freycinet », permettant le passage de péniches de 300 tonnes ; et les voies secondaires. Quelques canaux sont construits au XXe siècle, notamment celui du Nord, et les axes fluviaux de la Seine et du Rhône sont mis au gabarit international. La France dispose aujourd’hui du plus vaste réseau d’Europe, avec 8 500 km de voies navigables, devant l’Allemagne, 7 340 km, et les Pays-Bas, 5 050 km. Ce réseau est pour l’essentiel géré par Voies Navigables de France, qui gère également les 40 000 ha de domaine public le long de ces voies. Le réseau est aujourd’hui très largement obsolète et donc peu compétitif. Cette situation résulte du manque d’intérêt porté à ce mode de transport depuis un peu plus d’un siècle. En 1996, au moment où le trafic fluvial de marchandises atteignait son niveau plancher, sa part ne représentait plus que 2,8 % du transport de marchandises. Le manque d’investissement induit une obsolescence du réseau, qui se traduit notamment par l’inadéquation des gabarits des voies d’eau françaises aux enjeux économiques contemporains. Ainsi, le grand gabarit, qui permet le transit de convois de plus de 1 000 tonnes, ne représente que 24 % de l’ensemble des voies navigables françaises contre près de 70 % aux Pays-Bas et en Allemagne, mais elles concentrent actuellement 90 % des trafics en tonnes-kilomètres (figure 1).

Fig. 1 – Le grand gabarit en France, une absence de réseau. Les classes sont des catégories de voies navigables établies par l’Union européenne en 1992. D’après CLAC, 1998

Fig. 2 – Efficacité énergétique* des différents modes de transport. L’unité horizontale correspond au nombre de kilomètres qu'une tonne de marchandises peut parcourir avec une tonne équivalent pétrole. D'après MEDDE, 2006

Un récent regain d’intérêt en France

3Depuis la fin des années 1990, ce mode de transport, longtemps délaissé au profit du fer et de la route, a enregistré une progression de près de 25 % en valeur absolue, c’est-à-dire en tonnes, et de 38 % en tonnes-kilomètres (VNF, 2012). Ce regain d’intérêt est lié à l’augmentation des prix du pétrole. En outre, la voie d’eau est devenue le transport de substitution dans la lutte contre les rejets de CO2 et le réchauffement climatique (figure 2). En France, si le transport ferroviaire du fret a un meilleur bilan énergétique que la voie d’eau, car il fonctionne en grande partie à l’électricité, son développement est limité par la saturation des réseaux existants, primauté étant donnée au transport de passagers. En revanche, la voie d’eau à grand gabarit représente un mode de transport extrêmement massifié. Le gabarit européen permet la circulation de convois allant de 4 400 tonnes à 16 000 tonnes pour le cours inférieur de grands fleuves comme le Rhin ou le Danube. Un seul convoi poussé de 4 400 tonnes a la même capacité qu’un train composé de 110 wagons de 40 tonnes ou que 220 camions de 20 tonnes. En outre, en France, le réseau est très largement sous-exploité et offre des potentialités d'évolution vers le grand gabarit. De plus, le transport fluvial est aujourd’hui un mode de transport que les évolutions techniques et organisationnelles de ces 50 dernières années ont rendu accessible à tous les types de marchandises, et non plus seulement au transport de pondéreux en vrac, mais aussi des automoteurs-citernes pour le vrac liquide, des barges poussées pour les conteneurs adaptés à tous les types de marchandises. Des progrès ont été accomplis en matière de capacité de transport et de manutention portuaire limitant les temps de rupture de charge. Enfin, le charme de la navigation touristique entraîne un regain d’intérêt sur les voies d’eau secondaires.

La voie d’eau, un mode de transport écologique ?

4La voie d’eau contribue à réduire les émissions de polluants et de CO2. Néanmoins, cet impact positif nécessite l’existence d’un report modal de la route vers la voie d’eau, qui suppose des politiques volontaristes des États. Localement, les aménagements nécessaires à la navigation ont des impacts négatifs sur l’environnement. Un canal est à l’origine de la destruction de milieux naturels, d’effets de coupure. Il nécessite également des transferts d’eau, responsables d’une perturbation de la dynamique fluviale*. Parmi ces impacts, la réduction des crues faiblement débordantes menace la pérennité de nombreuses zones humides (cf. III.8). Cependant, l’aménagement des cours d’eau fait désormais l’objet d’une attention particulière portée à l’environnement, notamment grâce au développement de l’ingénierie écologique*.

Literaturverzeichnis

Références bibliographiques

• M.-M. DAMIEN – Transport et logistique fluviaux, Dunod, coll. L’Usine nouvelle, Technique et ingénierie, 2009.

• E. LORANT-PLANTIER – Contribution géographique à la démarche d’évaluation environnementale dans le cadre de grands projets d’infrastructures linéaires. L’exemple du projet Seine-Nord Europe, Thèse de doctorat de géographie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2014.

• M. MERGER – La concurrence rail-navigation intérieure en France 1850-1914, Histoire, économie et société, 1990.

• VNF – Voie navigable et développement durable, les atouts du transport fluvial, 2012.

Abbildungsverzeichnis

Bildunterschrift Fig. 1 – Le grand gabarit en France, une absence de réseau. Les classes sont des catégories de voies navigables établies par l’Union européenne en 1992. D’après CLAC, 1998
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/9956/img-1.jpg
Datei image/jpeg, 55k
Bildunterschrift Fig. 2 – Efficacité énergétique* des différents modes de transport. L’unité horizontale correspond au nombre de kilomètres qu'une tonne de marchandises peut parcourir avec une tonne équivalent pétrole. D'après MEDDE, 2006
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/9956/img-2.jpg
Datei image/jpeg, 45k

Autoren

Géographe, Docteure et professeure agrégée de géographie, Paris, p. 186.
emilie.lorant@gmail.com

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