9. Lagunes et estuaires
p. 110-111
Texte intégral
Les lagunes
1Les lagunes côtières sont présentes sur 12 % du littoral mondial ; rien qu’en Méditerranée, il en existe plus de 600. Ces plans d’eau se caractérisent par une faible profondeur et une connexion avec la mer adjacente, appelée « grau », « golo » ou « passe ». Les échanges avec la mer sont induits par la marée, le vent et les variations de pression atmosphérique. Leur salinité dépend de celle de la mer adjacente, des proportions d’eaux marines et continentales dans le mélange et du bilan précipitation – évaporation. La plupart des lagunes côtières sont saumâtres, mais leur salinité varie fortement pendant l’année. Dans un climat méditerranéen, certaines peuvent même avoir une salinité supérieure à la mer adjacente, grâce à une concentration des sels par évaporation.
2Les lagunes sont généralement formées dans les plaines du littoral pendant les transgressions marines et ont ainsi une formidable capacité d’adaptation naturelle à la hausse du niveau de la mer. Les tempêtes acheminent de grandes quantités de sédiments marins dans les lagunes, formant ainsi des cônes de sédimentation sableux, collés à l’intérieur du cordon littoral (figure 1). Le vent contribue à y créer un système dunaire, permettant ainsi le rehaussement de ce cordon et sa migration vers l’intérieur des terres. Malheureusement, ce mécanisme d’adaptation est souvent compromis par les aménagements humains. Ainsi, la construction de barrages dans les grandes rivières induit une forte diminution des apports sédimentaires en mer, ce qui met en péril l’engraissement des cordons littoraux. Localement, l’urbanisation du cordon littoral et des rivages de la lagune rend ce socio-écosystème particulièrement vulnérable aux changements planétaires.
3Les lagunes côtières sont largement exploitées (conchyliculture, pêche artisanale, récréation) et représentent à la fois des enjeux de conservation d’une biodiversité (cf. III.16) et des fonctions écologiques importantes (rôle de nurserie pour nombre d’espèces marines). Une lagune vierge de l’impact humain se caractérise par des eaux limpides et des prairies de phanérogames marines*, enracinées dans les sédiments meubles. Un grand nombre d’espèces microbiennes, végétales et animales sont inféodées à ces herbiers. Cette vie aquatique est fortement impactée par les apports des bassins versants et les échanges avec la mer. Des petites rivières et ruisseaux se jettent dans les lagunes en y acheminant des argiles* et limons telluriques, de la matière organique et des éléments nutritifs, comme l’azote et le phosphore. Ainsi, le développement des activités humaines dans les bassins versants (agriculture, urbanisation) expose les lagunes à un excès de nutriments, qui engendre une eutrophisation*. Il s’en suit une bascule du système vers la dominance de macro-algues opportunistes (comme Ulva sp., communément nommée « algue verte ») ou une efflorescence phytoplanctonique intense avec des valeurs de chlorophylle parfois supérieures à 0,5 g/m3. Dans les pays européens, les politiques publiques soutiennent des programmes de restauration écologique des lagunes en s’attachant à réduire les intrants nutritifs.

Fig. 1 – Photo du cône de sédimentation sur le lido de l’Étang Pierre Blanche. Carte : OSU-OREME : www.soltc.org. © R. De Wit
Les estuaires
4Un estuaire se définit communément par « une vallée creusée en période glaciaire et envahie par la mer ». Ce milieu, à l’interface continent-océan, subit globalement les impacts de trois forces : l’énergie fluviale, la marée et, dans une moindre mesure, les vagues. Selon l’intensité de ces trois composantes, la géomorphologie des estuaires s’adapte à ces contraintes. Si l’énergie fluviale est très dominante, il y aura formation d’un delta et non d’un estuaire. Les apports continentaux, tant solides que liquides, seront alors expulsés en mer, où leurs devenirs se feront en milieu salé. Si les énergies fluviale et marine sont de forces plus ou moins équilibrées, alors le système fluvioestuarien portera sur des étendues variables, pouvant atteindre des dimensions de l’ordre de la centaine de kilomètres et/ou être réduites à quelques kilomètres. Citons, à titre d’exemples, les cas, en Europe, de la Gironde et de la Loire pour les plus grands, du Rhin pour les plus réduits. La largeur de l’embouchure et la sinuosité de l’estuaire conditionnent fortement l’influence des deux forces marine et fluviale, de même que tous les aménagements anthropiques (retenues et barrages en amont, creusement de chenaux de navigation, renforcement des berges, poldérisation*…), qui affectent la forme naturelle de ces espaces.
5La variabilité saisonnière des débits fluviaux et celle des cycles lunaires de marée déterminent le comportement des estuaires. Si, comme dans nos régions tempérées, les débits fluviaux connaissent des périodes très contrastées de débits forts (crues) ou faibles (étiages), les déplacements des masses d’eaux douces et marines seront totalement opposés. En crue, les eaux douces transitent très rapidement en aval dans les estuaires et tous les apports terrigènes, issus des bassins versants des fleuves, qu’ils soient solides ou dissous, peuvent être expulsés hors de l’estuaire. Il en résulte la formation d’un panache turbide (figure 2), aux eaux plus foncées que les eaux claires marines environnantes, qui se répand en zone marine côtière. En étiage*, l’intrusion marine est très marquée et les eaux et particules issues de l’amont stagnent plus ou moins longtemps (de quelques semaines à plusieurs mois) dans la partie estuarienne fluviale ou centrale. Si les rivières du bassin fluvial amont traversent des zones très érosives, alors de grands amas de particules solides se forment dans l’estuaire. Ces « bouchons vaseux » sont typiques des estuaires « macrotidaux », où les hauteurs d’eaux entre pleine-mer et basse-mer varient de plusieurs mètres de hauteur.

Fig. 2 – Bouchon vaseux et panache turbide de l'estuaire de la Gironde, mars 2011. © MODIS/NASA
6Dans le premier cas, les estuaires se comportent comme de simples tuyaux, par lesquels les apports terrigènes parviennent rapidement en mer, alors qu’en étiage, les estuaires sont de véritables réacteurs chimiques, où les apports terrigènes subissent de multiples transformations avant d’atteindre la mer.
7Le rôle biologique des estuaires est très important : zone de nourricerie pour de multiples espèces (comme la sole et l’anchois) et zone de passage pour de nombreux poissons migrateurs (esturgeon, alose, anguille, saumon, lamproie…). Ces milieux étant soumis à de fortes pressions anthropiques engendrant de multiples pollutions (métalliques et organiques), ils doivent faire l’objet de toutes les attentions dans le futur. En effet, la baisse des débits fluviaux, l’élévation de la température des eaux et la population croissante risquent de provoquer des dégradations peu réversibles de ces milieux.
Bibliographie
Références bibliographiques
• F. MAXANT et J.-P. QUIGNARD – Thau, oasis de vie : écosystèmes, patrimoines et paysages sous marines, Biotope Éditions, 2004.
• F. VERGER et R. GHIRARDI – Zones humides du littoral français : estuaires, deltas et lagunes, Belin, 2009.
Auteurs
Géochimiste, Chercheur honoraire de l'Université Bordeaux 1, EPOC, Pessac, p. 110.
h.etcheber@epoc.u-bordeaux1.fr
Écologue de systèmes littoraux, Directeur de recherche au CNRS, MARBEC, Montpellier, p. 110.
rutger.de-wit@cnrs.fr
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
L'archéologie à découvert
Hommes, objets, espaces et temporalités
Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012