2. L'eau sous toutes ses formes et ses transformations
p. 50-51
Texte intégral
1À température et pression ambiantes (20°C et 1 atmosphère*), l'eau est liquide, mais il suffit de la chauffer à 100°C pour la transformer en vapeur, ou de la refroidir à 0°C pour voir apparaître de la glace. Ces trois états de la matière (liquide, gaz et solide), qui n'existent que dans certaines conditions de température et de pression, ont des propriétés et un aspect très différents, alors que ce sont les mêmes molécules qui les constituent.
Changements de phase
2Ces molécules, en agitation incessante, d'autant plus vive que la température est élevée, s'attirent mutuellement à petite distance les unes des autres, mais sans s’interpénétrer. Plus la pression est forte, plus le milieu est dense et les interactions entre les molécules jouent un rôle important. À haute température et à basse pression, l'agitation thermique l'emporte sur les forces de cohésion et les molécules, occupant tout le volume accessible, constituent un gaz (phase* fluide, désordonnée et de basse densité). Au contraire, à basse température et à basse ou haute pression, l'attraction entre les molécules est suffisante pour former un cristal (phase solide, ordonnée et dense), dans lequel les molécules sont placées aux nœuds d'un réseau cristallin. Dans un domaine de température et de pression intermédiaires, l'attraction l'emporte de peu sur l'agitation thermique, et les molécules forment alors des liaisons labiles*. La phase fluide désordonnée et dense qui en résulte est un liquide.
3La façon précise dont les molécules interagissent dépend de la substance considérée. Chaque corps pur est donc caractérisé par son propre diagramme de phase, qui représente les domaines d'existence des différentes phases en fonction de la température et de la pression. Ces domaines sont délimités par des frontières, appelées « lignes de transition » ou « courbes de coexistence », qui, lorsqu'elles sont franchies en modifiant la température ou la pression, signalent la transformation brusque d'une phase en une autre, comme la fusion d'un solide, ou au contraire la solidification d'un liquide. Ainsi, à 1 atm, l'eau liquide ne peut pas exister à l'équilibre au-delà de 100°C, puisque la vapeur apparaît à cette température, alors qu'elle subsiste jusqu'à 120°C à 2 atm dans un autocuiseur. Ces transitions de phase sont accompagnées d'un échange de chaleur, dite « latente », qui ne modifie pas la température du système, mais qui est nécessaire pour réorganiser sa structure à l'échelle microscopique. Par exemple, la vaporisation nécessite un apport d'énergie permettant aux molécules de s'affranchir de l'attraction de leurs voisines dans le liquide. La liquéfaction produit au contraire un dégagement de chaleur.
4Trois lignes de transition se rencontrent en un unique point triple, où le gaz, le liquide et le solide coexistent, à une température de 0,01°C et une pression de 0,006 atm pour l'eau. En dessous de cette pression, un liquide ne peut pas se former et le solide se transforme directement en gaz (sublimation). L'autre extrémité de la courbe de coexistence liquide-gaz est appelée « point critique ». Celui de l'eau, découvert par Charles Cagniard de la Tour en 1822, se situe à 374°C et 218 atm. En ce point très particulier, le gaz et le liquide ont la même densité et passent continûment de l'un à l'autre. Au-delà de la température critique, il n'existe plus de distinction entre deux fluides, un gaz de basse densité et un liquide de haute densité, mais un unique fluide homogène dit « supercritique » (cf. IV.13). Au voisinage du point critique, des fluctuations de densité apparaissent sur toutes les échelles de longueur, du microscopique au macroscopique, donnant au fluide un aspect laiteux (« opalescence critique »). L'absence de longueur caractéristique* engendre des comportements universels, c'est-à-dire indépendants des détails microscopiques propres à une substance donnée, observés dans des systèmes de nature très différente.

Fig. 1 – Transformations de phase d'un corps pur et représentation schématique des molécules d'eau dans les trois états de la matière
Les anomalies de l’eau
5À première vue, l'allure du diagramme de phase de l'eau est typique des corps purs en général. Pourtant, une particularité des molécules H2O et de leurs interactions, fait de l'eau une substance très spéciale, qui présente de nombreuses « anomalies » : deux molécules d'eau peuvent former entre elles une « liaison hydrogène », renforçant leur attraction mutuelle (qui reste moins forte qu'une liaison covalente*) et leur orientation relative, car l'oxygène et un hydrogène d'une molécule ont tendance à s'aligner avec l'oxygène d'une molécule voisine (cf. II.4).

Fig. 2 – Diagramme de phase de l'eau. Le point critique est en rouge, le point triple en bleu. Les chiffres romains correspondent à différentes phases cristallines de la glace. Le symbole T indique la température et la pression à la surface de la Terre
6Ainsi, les liaisons hydrogène augmentent la cohésion des phases condensées (cf. II.5) : d'une part, les chaleurs latentes de fusion et de vaporisation sont exceptionnellement élevées et, d'autre part, le solide et le liquide peuvent subsister à plus haute température que d'autres corps purs similaires. Sans liaison hydrogène, à température et pression ambiantes, l'eau ne serait pas un liquide, mais un gaz et l'aspect de la Terre serait bien différent. Notons que même en dessous de 100°C, l'air atmosphérique contient de l'eau sous forme de vapeur (l'humidité), mais en quantité limitée. Lorsqu'elle est en excès, la vapeur (transparente) se condense en gouttelettes ou en cristaux (buée, rosée, brouillard, traînée laissée par un avion…), qui, en diffusant la lumière, donnent un aspect laiteux aux nuages, dans le ciel ou au-dessus d'une casserole.
7De plus, la directivité des liaisons hydrogène est à l'origine des nombreuses phases cristallines (une quinzaine) de l'eau et en particulier de la glace ordinaire (Ih), dont la structure est hexagonale (symétrie que l'on retrouve dans les flocons de neige) et si peu compacte, que sa densité est plus faible (de 10 %) que celle du liquide avec lequel elle coexiste, ce qui est exceptionnel dans la nature (cf. II.5). Curieusement, comprimer de la glace au voisinage de la courbe de coexistence solide-liquide, dont la pente est (faiblement) négative, peut donc la faire fondre. Et surtout, les glaçons et les icebergs flottent sur l'eau. Sans liaison hydrogène, la glace serait plus dense, tomberait au fond des océans et se formerait de nouveau en surface. Durant les périodes de glaciation*, les océans auraient ainsi pu geler entièrement sur toute leur profondeur, supprimant toute forme de vie marine.
Bibliographie
Références bibliographiques
• M. DEFRANCESCHI – L'eau dans tous ses états, Ellipses, 1998.
• P. PAPON – La matière dans tous ses états, Fayard, 2001.
• P. PAPON, J. LEBLOND et P. H. E. MEIJER – Physique des transitions de phases, Dunod, 2002.
Auteur
Physicien, Maître de Conférences à l'Université Pierre et Marie Curie, LPTMC, Paris, p.50.
sator@lptmc.jussieu.fr
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