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L'eau à découvert

 | 
Agathe Euzen
, 
Catherine Jeandel
, 
Rémy Mosseri

Première partie. Les grandes thématiques et les enjeux d'aujourd'hui

6. L’eau, marqueur d’événements climatiques

Emmanuel Garnier

Testo integrale

1L’histoire du climat reste traditionnellement associée aux campagnes et à la terre ferme. Pourtant, le monde de l’eau s’avère être un observatoire privilégié pour reconstruire les climats du dernier millénaire, qu’il s’agisse de leurs fluctuations ou de leurs extrêmes. Espace nourricier et productif majeur des sociétés occidentales et outre-mer, l’eau fut le moteur de la croissance économique et démographique du Moyen Age jusqu’au début du XXe siècle, avant d’être supplantée par le chemin de fer, puis par la route. A ce titre, les aléas climatiques sont systématiquement consignés dans les archives de l’historien en raison de leur impact sur les populations.

Les observatoires aquatiques de l’histoire du climat

2La documentation est prolixe pour parler des « caprices du temps » qui affectent les ouvrages fluviaux. Les moulins, qui peuplaient nos fonds de vallées jusqu’au milieu du XIXe siècle, ou encore les étangs, en raison de leur intérêt économique, ont laissé de multiples traces archivistiques. Ainsi, les comptes signalent-ils parfaitement les événements extrêmes* survenus depuis le Xe siècle ! Toute phase d’étiage*, d’embâcle* ou d’inondation avait des répercussions immédiates, les plus graves d’entre elles étant l’interruption de la mouture du blé ou l’impossibilité de pêcher du poisson pour le jeûne du Carême. Les villes n’étaient pas épargnées. Paris, Londres, Rome, comme la plupart des grandes cités européennes, étaient régulièrement menacées de disette ou de froid lorsque les basses-eaux, les crues ou le gel interdisaient l’acheminement du blé et du bois de chauffage par voie fluviale.

3Source climatique de première main, ces témoignages textuels indiquent la durée d’un phénomène, son intensité par des repères de crue ou de sécheresse ou encore en précisant l’épaisseur de la glace, fréquente au Petit Âge Glaciaire* (cf. III.6). En Alsace, les moines de Guebwiller signalent même dès le XIIe siècle les dates de migration des cigognes inféodées au Ried (milieux humides bordant le Rhin) et s’interrogent sur leurs fluctuations. L’image est parfois jointe à l’écriture quand les chrétiens victimes d’une inondation offrent à la Vierge de petites peinture naïves appelées « ex-voto » pour la remercier de les avoir protégés (figure 1).

4Les Outre-Mer ne sont pas non plus dépourvues de documentation, comme en attestent les archives coloniales pour l’Afrique ou pour l’Asie. Les militaires britanniques et français ont collecté une masse de données météorologiques exceptionnelle. Pour les régions sub-sahéliennes, les méharistes* français (unités à dos de dromadaires) consignaient avec rigueur les températures, les précipitations et le régime des vents en raison de leur caractère stratégique.

Des horizons scientifiques prometteurs

5Bien que la majorité des sources soit non instrumentale jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, leur contenu textuel autorise plusieurs types de reconstructions. La première consiste à établir la chronologie des principaux événements extrêmes, parfois depuis l’an mil. Pour chacun d’entre eux, les archives mentionnent la date et la durée. Elles livrent aussi pléthore d’informations sur les dommages (matériels, agricoles ou démographiques) et les territoires touchés. L’historien peut donc proposer une évaluation relative de l’intensité d’aléas climatiques très anciens et même reconstruire des débits en fonction des repères de hauteur des eaux de l’époque. Ainsi, les fluctuations et l’intensité des inondations ont été récemment reconstituées pour l’Est de l’Angleterre entre 1660 et aujourd’hui (figure 2).

Fig. 1 – Ex-voto de Jean David, de Villeneuve relatant le sauvetage d’un enfant durant l’inondation du Rhône de 1840. Chapelle Notre-Dame de Rochefort (30)

6En Afrique, souvent considérée comme un continent pauvre en matière de données météorologiques, la reconstruction de la pluviométrie historique est envisageable grâce aux archives militaires. Au-delà, c’est aussi l’histoire des sécheresses de la période coloniale et de ses conséquences socioéconomiques qui se dessine. Elle révèle, par exemple, que les grandes sécheresses des années 1920 ont eu une incidence directe sur les révoltes des Touaregs et des Maures.

7Enfin, l’éclairage historique livre une contribution inédite et originale au débat actuel sur l’adaptation en révélant les stratégies développées par les sociétés anciennes pour affronter l’adversité climatique. Alors que la Grèce est victime d’une crise économique d’une extrême violence, l’île de Syros (Cyclades) illustre le paradoxe d’un pays méditerranéen ayant oublié son expérience en matière de gestion de l’eau. La population insulaire dépend de nos jours d’une usine de dessalement, dont le coût de fonctionnement (filtrage, carburant) implique un prix de l’eau élevé. Pour cette raison, les plus modestes en sont réduits à puiser à nouveau l’eau dans les puits mentionnés par les archives pour leurs usages agricole et domestique, alors même que ces nappes phréatiques* sont de plus en plus saumâtres en raison des pompages excessifs des agriculteurs et des villes. Pourtant, jusqu’aux années 1990, l’île pratiquait une gestion durable de l’eau qui lui offrait une très forte résilience* aux sécheresses et aux pluies diluviennes.

Fig. 2 – Répartition chronologique (1660-2000) par période de 49 ans et par intensité des inondations dans l’est de l’Angleterre. Les catégories de 1 à 5 indiquent le niveau de sévérité des événements en fonction de leurs dommages aux biens et aux personnes. Source E. Garnier

8Sur le plan paysager, des terrasses appelées anavathmi (aujourd’hui abandonnées) construites sur les versants et connectées à un complexe système de canaux permettaient de freiner puis de recueillir les eaux de pluies dans des cuves de stockage enterrées. Elles évitaient également le lessivage de sols et le risque de glissement de terrain pour l’habitat. Le constat est similaire sur le plan agricole. Les agriculteurs locaux sont totalement dépendants de plants achetés à l’étranger pour subvenir à leurs besoins en légumes, alors qu’existent des semences locales anciennes dites « anhydra », qui ne nécessitent pas d’eau pour pousser. Encore cultivées par des anciens, elles sont en passe de disparaître désormais.

9Le domaine des eaux offre donc à l’historien et à l’ensemble des scientifiques spécialistes de la question, une opportunité supplémentaire de mieux comprendre l’impact qu’eurent les événements climatiques du passé et les stratégies que nos ancêtres élaborèrent pour en atténuer les effets.

Bibliografia

Références bibliographiques

• E. GARNIER – Les dérangements du temps, 500 ans de chaud et froids en Europe, Plon, 2010.

• E. GARNIER – A Historic Experience for a Strenthened Resilience. European Societies in Front of Hydro-Meteors 16th -20th Centuries. In Prevention of Hydrometeorological Extreme Events-Interfacing Sciences and Policies, P. QUEVAUVILLER, Ed. Chichester, John Wiley & Sons, 2014.

• E. GARNIER – At The Risk of Floodwaters : Historical Flood Risk and its Social Impacts in the Area of the Wash in Eastern England (Cambridgeshire, Norfolk, Lincolnshire). Mid 17th Century-End of the 19th Century, Hydrol. Earth Syst. Sci., 2015.

Indice delle illustrazioni

Legenda Fig. 1 – Ex-voto de Jean David, de Villeneuve relatant le sauvetage d’un enfant durant l’inondation du Rhône de 1840. Chapelle Notre-Dame de Rochefort (30)
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/9771/img-1.jpg
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Legenda Fig. 2 – Répartition chronologique (1660-2000) par période de 49 ans et par intensité des inondations dans l’est de l’Angleterre. Les catégories de 1 à 5 indiquent le niveau de sévérité des événements en fonction de leurs dommages aux biens et aux personnes. Source E. Garnier
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/9771/img-2.jpg
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