Le régent
| ,Troisième partie. L’historiographie au travail
Chapitre VI. Écrire l’histoire
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Marmontel et ses sources
- 1 Précisons tout de suite que Marmontel n’adopte pas le point de vue politique et moral de Voltaire d (...)
1Le 27 mars 1772, Marmontel est nommé historiographe du roi, à la place de Duclos, décédé la veille. Il commence alors à rédiger une Histoire de la Régence de Philippe d’Orléans. Or, pour qui se lance dans la rédaction d’une histoire de la Régence, les Mémoires de Saint-Simon constituent un document essentiel. En même temps, l’historien doit aussi faire la part de la vérité lorsqu’il consulte une source, a fortiori des mémoires. Comment ne pas récuser ce témoignage si personnel ? Quel point de vue adopter pour extraire, d’une relation aussi subjective que les Mémoires, des certitudes susceptibles de constituer le substrat d’une histoire ? En outre, le romancier qu’est Marmontel doit sans doute se défier de lui-même tout autant que de ses sources1.
Les Mémoires de Saint-Simon dans le projet de l’historien
- 2 Slatkine en donna en 1968 la reproduction fac simile. Curieusement, je n’ai pas trouvé l’original d (...)
- 3 Paris, Née de la Rochelle, 17 volumes in-8˚.
- 4 Ils sont publiés pour la première fois dans l’édition des Œuvres posthumes de 1804-1806 (2 vol., in (...)
2Dans l’édition posthume de Paris de 1818-18202 – Marmontel meurt en 1799 –, l’Histoire de la Régence occupe les trois cents dernières pages du premier volume des Œuvres complètes. Elle fait suite aux Mémoires d’un père pour servir à l’instruction de ses enfants. Ces deux ouvrages furent publiés pour la première fois en 1804 dans une édition qui complète celle des Œuvres prétendument complètes de 17873. L’Histoire de la régence se concevait comme la première partie d’un ouvrage plus vaste : une histoire du Règne de Louis XV. Quant aux Mémoires4 que Marmontel compose pour ses enfants, ils constituent un autre volet, plus personnel, d’un ensemble historique, puisque, précisément, ces Mémoires commencent avec le début du règne de Louis XV – Marmontel naît en 1723 – et s’achèvent à la Révolution. L’écriture des Mémoires d’un père a occupé l’écrivain durant toute la fin de sa vie à partir de 1792, date de la mort de son épouse ; elle a dû remplacer celle du Règne de Louis XV, si l’on considère que, en même temps que la monarchie, disparaissaient les raisons de poursuivre l’ouvrage : « C’est pour mes enfants, avoue-t-il dès le commencement de ses Mémoires, que j’écris l’histoire de ma vie ; leur mère l’a voulu. »
3Les Mémoires sont sans doute une façon de continuer l’œuvre historique de façon moins officielle. D’ailleurs, quelques années plus tard, procédant en sens inverse, un écrivain plus célèbre concevait une histoire de sa vie qui, devenant Mémoires, a pris la mesure de son époque. C’est déclarer comment l’histoire personnelle et les événements se conjuguent, moins pour vider un vaste projet de sa substance, que le lier à un ensemble posthume, reconstitué par un éditeur, mais bien pensé dans la perspective d’une écriture qui rencontre les tumultes de l’histoire. Autrement dit, les Mémoires et l’Histoire de la Régence pouvaient constituer un diptyque contrasté et complémentaire dans l’édition des Œuvres complètes.
4Il faut remarquer que dans les deux œuvres le problème des sources est capital puisque ce sont elles qui constituent le récit en histoire et non en roman d’une époque, permettant de montrer comment, pour un écrivain de la fin des Lumières, doit se composer un ouvrage historique. Aussi importe-t-il d’abord de se tourner vers la composition de l’ouvrage pour saisir globalement l’importance d’une source comme les Mémoires de Saint-Simon dans cette entreprise. Voici les titres des huit chapitres :
Testament de Louis XIV (22 pages) ;
Assemblée du Parlement après la mort de Louis XIV (13 pages) ;
Forme de gouvernement donnée à la Régence (12 pages) ;
État des finances en 1715 (12 pages) ;
Opérations de finances sous le Régent (18 pages) ;
Affaires politiques sous la Régence (78 pages) ;
Affaires intérieures sous la Régence (121 pages) ;
Événements particuliers sous la Régence (27 pages).
5Cet ensemble obéit à une structure qui oscille entre la linéarité chronologique (on peut regrouper les chapitres I, II et III ou encore les chapitres IV et V) et une conception thématique, comme le montrent les chapitres VI et VII. C’est la raison pour laquelle certains faits mentionnés dans les premiers chapitres sont repris dans les chapitres VI et VII. Le chapitre des « Affaires intérieures » aurait pu être le sommet de l’ouvrage, puisqu’il se termine par la mort du Régent. Mais le chapitre VIII, dont les faits auraient pu être intégrés dans le chapitre des « Affaires politiques » pour la visite du tsar ou dans celui des « Affaires intérieures » pour la peste de Marseille, permet de constituer l’œuvre en histoire de la Régence, et non du Régent seulement. En voici les derniers mots : « On permit au peuple l’entrée des églises. L’ordre et le calme se rétablirent, et l’on regarda la contagion comme finie au mois de juin » (p. 784). Si l’on s’en tient aux circonstances de la rédaction, il est tentant de donner à ces mots un sens symbolique, de croire qu’ils reflètent l’inquiétude que soulèvent les premiers tumultes de la Révolution et d’y voir l’expression d’un homme qui ne saurait interpréter ces mouvements comme les prémisses d’un ordre nouveau. Nous pouvons tout aussi bien les lire comme la transition nécessaire avec l’autre volet du Règne, et supposer qu’en 1789, Marmontel pensait encore poursuivre son histoire.
- 5 Dans son édition des Mémoires de Saint-Simon dans la Bibliothèque de la Pléiade (nous nous référons (...)
6Quoi qu’il en soit, le chapitre le plus important concerne ce que Marmontel appelle les « Affaires intérieures » : il comprend les menées contre le duc du Maine, son parti, et, plus particulièrement, le complot de Cellamare, ainsi que l’affaire de la bulle Unigenitus, ses suites, enfin l’élévation de Dubois et la fin du Régent. L’ouvrage principal dont l’historien s’inspire dans cette partie est les Mémoires de Saint-Simon, dont il tire de longs passages – parfois plusieurs pages. C’est ce qui a fait considérer cette histoire comme une sorte de plagiat. Mais si les allusions à Saint-Simon abondent dans toute l’œuvre, elles ne deviennent vraiment sensibles que dans ce chapitre5. En outre, Saint-Simon est loin d’être la seule source. C’est ce qu’atteste d’ailleurs l’éditeur des Œuvres complètes :
- 6 Jean-Baptiste-François Desmarets, marquis de Maillebois, fils du contrôleur général.
Le comte de Maillebois lui livra tous les papiers de son père et les siens6. Le marquis de Castries lui ouvrit son cabinet où étaient les mémoires du maréchal de Belle-Isle. Le comte de Broglie l’initia dans les mystères de ses négociations secrètes. Le maréchal de Contades lui traça, de sa main, le plan de sa campagne et le désastre de Minden. Les portefeuilles du maréchal de Richelieu furent mis à sa disposition (p. 34).
- 7 Et non tant, comme le voudrait l’auteur de la notice, une histoire qui commencerait avec le règne d (...)
7Tous ces détails corroborent le fait que Marmontel préparait bien une histoire du règne de Louis XV (la carrière diplomatique du duc de Broglie commence en 1724, la bataille de Minden est une défaite de la guerre de Sept Ans7). Cependant cette liste, qui pourrait devenir le point de départ d’une étude approfondie des sources, n’est pas exhaustive. Voici, par exemple, ce que Marmontel dit de la princesse des Ursins, première dame d’honneur de la reine d’Espagne, qui, gouvernée par Mme de Maintenon, devait s’opposer au succès des armes du duc d’Orléans envoyé en Espagne par Louis XIV :
[...] le duc de Saint-Simon était persuadé que ce prince [le duc d’Orléans] avait deux ennemis irréconciliables dans madame des Ursins et madame de Maintenon. J’ai sous les yeux leur correspondance, et non seulement il n’y a pas un mot qui marque pour lui la haine, mais tout y respire le plus vif intérêt pour ses succès et pour sa gloire (p. 495).
- 8 Bien d’autres lettres de cette correspondance servent de source pour cette première période, celle (...)
8Saint-Simon était, en effet, persuadé qu’à cause d’un mot lâché au cours d’un repas, alors qu’il était en Espagne en 1708, le duc d’Orléans s’était fait détester par les deux femmes qui « jurèrent la perte de ce prince ». On trouve, également tirée de cette correspondance, une lettre du 5 août 1714 dans laquelle Mme de Maintenon soutient l’édit de juillet sur l’élévation des bâtards au titre de princes de sang8.
9Voici par ailleurs comment Marmontel confronte les personnalités de Saint-Simon et de Noailles à qui, pendant la polysynodie, le Régent remit la présidence du conseil des Finances :
Si l’on écoute le duc de Saint-Simon, Noailles lui devait cette place, et il l’avait sollicitée en courtisan, à qui les souplesses ne coûtent rien. Si l’on en croit Noailles lui-même, il ne l’avait acceptée qu’avec la dernière peine, et que pour se rendre aux instances du duc d’Orléans qui l’exigeait absolument de lui. Noailles dissimule, Saint-Simon exagère : il le peint comme un homme à qui la joie avait troublé l’entendement ; mais ce qui est incontestable, c’est que dans les mémoires que Noailles remit au conseil, on reconnaît un disciple de Desmarets dans l’administration des finances, des vues saines et solides, et un plan d’administration qui eût fait la gloire de la régence, si on ne s’en fût point écarté (p. 529).
10Ainsi, Marmontel retient l’excellence des idées de Noailles en matière de finances, et passe sous silence l’acrimonie virulente qui se manifeste dès le début du célèbre portrait que Saint-Simon donne de ce personnage :
Le serpent qui tenta Ève, qui renversa Adam par elle, et qui perdit le genre humain, est l’original dont le duc de Noailles est la copie la plus exacte, la plus fidèle, la plus parfaite, autant qu’un homme peut approcher des qualités d’un esprit de ce premier ordre, et du chef de tous les anges précipités du ciel (V, p. 283).
11Même s’il importe de brosser quelques portraits (et Marmontel ne s’en prive guère lorsqu’il présente les membres des différents conseils, empruntant de nombreux traits aux Mémoires de Saint-Simon), l’historien se méfie des coups de griffe de l’impitoyable mémorialiste. Toutefois, il s’accorde avec lui pour faire de Noailles un parangon du courtisan (p. 585-586), soulignant « le goût des choses singulières qui lui était commun avec ce prince [le duc d’Orléans] » (p. 586). Sans doute Marmontel pense-t-il que la vérité est déformée par une animosité trop personnelle pour être juste. Pour lui, la référence à Desmarets, dernier intendant des Finances de Louis XIV, rend justice aux compétences du duc de Noailles. Il ne pouvait retenir la mordacité du mémorialiste qui peint Noailles en diable.
- 9 Mémoires politiques et militaires pour servir à l’histoire de Louis XIV et de Louis XV composés sur (...)
- 10 Mémoires pour servir à l’histoire d’Espagne sous le règne de Philippe V, Amsterdam, 1756.
- 11 Marie-Louise-Madeleine-Victoire Le Bel de La Boissière de Séry, comtesse d’Argenton, fut, si l’on e (...)
12À travers cette confrontation des textes, c’est la diversité des sources auxquelles recourt Marmontel qui se fait jour. Il a sans doute lu les Mémoires politiques et militaires du duc de Noailles9 et s’est informé de la valeur de ses projets. A-t-il cependant pu consulter la Chronique de Barbier, le Journal de la Régence et la Gazette de la Régence de Buvat, ou encore le Journal et mémoires sur la Régence et Louis XV (1715-1737) de Mathieu Marais ? On imagine mal qu’il ait pu s’en passer. Pour la partie espagnole, il est probable qu’il s’est servi des Mémoires du marquis de Saint-Philippe10. À quelle correspondance fait-il encore allusion, lorsqu’il écrit de Mlle de Séry11, favorite du duc, à propos de l’affaire du trône d’Espagne :
On attribuait à cette femme le projet criminel qu’on disait avoir été découvert en Espagne : « Elle n’a point cessé de l’y pousser avec violence (écrivait-on de Paris à la princesse des Ursins) : irritée contre vous, madame, parce qu’elle croit que vous seule avez empêché qu’elle ne fût dame d’atours de la reine d’Espagne, elle a cru et voulu s’en venger par là. » Tout cela était vraisemblable (p. 497).
13Force est de reconnaître que les Mémoires du duc de Saint-Simon ne peuvent être la seule source de l’entreprise historique de Marmontel, qu’il faut donc relever de l’accusation de plagiat. Les citations fréquentes tirées des Mémoires donnent plutôt la mesure d’une compilation raisonnée, nécessaire à toute œuvre d’histoire. En effet, un véritable travail de confrontation des sources et des textes compose le fond de son histoire et la structure : passant outre la figure du Régent, cette composition s’élève ainsi de l’histoire d’un homme à l’évocation d’une époque. La notion de « vraisemblance » appliquée au travail de l’historien touche alors particulièrement l’élaboration d’un récit entendu comme le produit de cette confrontation. La distinction générique des Mémoires et de l’Histoire s’ajoute et redouble celle dont le romancier devenu historien doit prendre conscience, entre récit historique et narration (auto)biographique.
Les Mémoires de Saint-Simon : une source contestable
14Qu’ont donc apporté ces Mémoires à la rédaction de l’Histoire ? Ou plus précisément : comment Marmontel s’en est-il servi ? Commençons non par le texte de Saint-Simon, mais par le portrait élogieux que Marmontel compose de l’auteur, fondé sur les seuls Mémoires :
On le voit peint dans ses mémoires avec ses talents supérieurs, ses défauts et même ses vices ; avec cette éloquence si pleine quelquefois, si véhémente et si rapide, et cette affluence de paroles qui le rend si diffus lorsqu’il est négligé ; avec ce don d’approfondir, d’analyser les caractères, d’en saisir toutes les nuances, de les marquer par des touches si fines et par des traits si vigoureux, et cette partialité qui exagère tout à ses yeux, ou lui fait tout louer ou tout blâmer sans mesure ; avec cette raison si forte et cette vanité si faible ; avec ce caractère si droit lorsqu’il est calme, mais souvent si passionné ; avec ce sentiment si doux, si pénétrant qui fait aimer tout ce qu’il aime, et cette bile envenimée qu’il répand à grands flots sur tous les objets de sa haine ou de ses fiers ressentiments ; enfin avec cette ostentation de franchise et de probité, ce zèle ardent pour la justice, cet amour de la vérité qui semble l’animer sans cesse, et cet intérêt personnel qui le domine à son insu, au point de ne lui laisser voir dans la nation que la noblesse, et dans la noblesse que les ducs et pairs, dans les ducs et pairs que lui-même, ou que leurs rapports avec lui (p. 515).
15La période évoque le style de Saint-Simon, ce caractère « diffus » que lui reproche Marmontel, et qui constitue un des charmes si particuliers de l’œuvre que Marmontel ne peut s’empêcher de l’imiter. Mais une page plus loin, Marmontel se défie de son premier tableau et de l’influence que l’écriture du mémorialiste semble exercer sur lui ; une phrase brève lui suffit alors :
C’est Saint-Simon qui le raconte ; personne n’était mieux instruit de ces détails ; et autant je suis en défiance de son jugement sur les hommes, autant j’ai peine à révoquer en doute son témoignage sur les faits (p. 516).
16Ainsi se trouvent justifiées à la fois l’importance de la source et la distance qu’il importe de mettre entre la lecture enthousiaste des Mémoires et leur utilisation documentaire. Marmontel ne se fie pas aveuglément au récit de Saint-Simon, même s’il lui paraît digne de foi.
Je ne sais lequel est le plus étonnant ou de l’excès de cette vanité, ou de l’éloquence qui l’exprime ; mais l’un et l’autre font voir combien il faut se méfier des jugements et des récits d’un homme si passionné (p. 670).
17La forme la plus achevée de cette distance s’apparente au commentaire. Ainsi, dans l’affaire de l’abrogation du testament de Louis XIV, et en particulier ce qui touche « le pouvoir qu’on allait donner à la nation assemblée de prononcer sur l’état des princes et sur les prétentions des pairs » (p. 646), Marmontel souligne la crainte de Saint-Simon de voir l’affaire remise à l’autorité du Parlement, alors qu’il en avait appelé de ses vœux la convocation pour casser le testament ; voici comment, non sans une pointe d’ironie, Marmontel introduit la longue citation : « C’est une chose curieuse à voir, que ce changement de langage dans le même homme, selon ses divers intérêts » (ibid.). Après cette citation, il commente le propos de Saint-Simon, en faisant passer au singulier le terme d’« intérêts », qui peint désormais le fond du caractère du mémorialiste, et non pas seulement son opportunisme politique :
Dans cette harangue, l’intérêt personnel de Saint-Simon était en évidence : il avait pour principe qu’il n’y avait que les pairs assesseurs et conseillers nés du tribunal suprême, laterales regis, qui eussent droit de délibérer sur les affaires d’État (p. 648).
- 12 Il parle de la « clause de ceux qui véritablement et d’effet sont laterales regis contre ce vas ele (...)
18Le recours au vocabulaire juridique, que Saint-Simon lui-même emploie à propos du lit de justice d’août 171812, signale qu’on entre non dans une discussion des faits, mais bien des « principes », ce qui explique la contradiction apparente des positions de Saint-Simon. Marmontel remarque encore cette attitude à propos de l’idée que le mémorialiste se fait de sa contribution à l’Histoire :
- 13 Il s’agit toujours de l’affaire de l’abaissement des bâtards et de la réduction du rôle du duc du M (...)
Dans ces détails13, on voit deux caractères, le duc de Bourbon franchement prince, et tout occupé de lui-même, Saint-Simon se croyant citoyen patriote, homme d’État, lorsqu’il n’était que duc et pair (p. 661).
19Notons au passage que les termes de ce chapitre des « Affaires intérieures » laissent entendre que sa rédaction est, au moins en partie, contemporaine des débuts de la Révolution. Souvent, le commentaire de l’historien corrige l’illogisme et brosse ainsi, par nuances rectificatives, le portrait discontinu du mémorialiste. Ailleurs, il s’agit de mettre en évidence le parti pris du mémorialiste, soit pour rétablir une réalité des faits, soit pour les expliquer selon un point de vue plus satisfaisant. Les idées de Saint-Simon à propos de la conspiration de Cellamare laissent Marmontel songeur : « Mais en tout cela, Saint-Simon ne forme que des conjectures ; et il avoue que, du Régent lui-même, il n’a pu rien tirer de clair et de précis » (p. 677). Cependant Saint-Simon assigne à Dubois un rôle que ne contestera pas l’historiographie ultérieure : J.-C. Petitfils reprend, en effet, la leçon de Marmontel qui pense, en se fondant sur le récit de Saint-Simon, que le Régent n’était pas vraiment au fait de ce qui se tramait :
Quelles qu’aient été les précautions prises, Dubois ne tarda pas à être au courant des réunions nocturnes de l’Arsenal et de l’existence d’un complot […] Ainsi Dubois tenait-il en main tous les fils de la conspiration et pouvait-il à son gré la faire éclater (p. 487-488).
20Ce qui est tout à fait pertinent, c’est la démarche logique selon laquelle Marmontel accompagne les faits, les citations et les observations partielles de commentaires qui, peu à peu, convergent vers une conclusion dont les moyens rhétoriques assoient l’autorité. Ainsi, l’affaire de Cellamare pose le problème de la connaissance que le Régent lui-même avait des menées du duc et de la duchesse du Maine, et le récit de Saint-Simon devient alors le lieu d’un jugement qui, partant de lui, le dépasse :
Comment Saint-Simon n’a-t-il pas vu que, si le Régent avait eu en main de quoi convaincre les du Maine aux yeux de leur frère et de leur sœur, aux yeux du conseil de régence, aux yeux de la nation, il se fût fait un point d’honneur et d’équité de les confondre comme il avait confondu le premier président ? N’était-il pas pour lui du plus grand intérêt de rendre leur crime notoire ? Il est donc plus que vraisemblable qu’il n’avait sur leur compte que de ces soupçons, dont la force tient lieu de certitude, mais qui ne prouvent rien lorsqu’on procède à la rigueur (p. 691).
21Les questions oratoires soulignent une argumentation qui parvient à son terme ; le critère de vraisemblance est de nouveau évoqué pour marquer l’enjeu de cette démarche et la portée de cette conclusion.
22Si Marmontel se méfie de certaines allégations de Saint-Simon, c’est surtout lorsqu’elles atteignent les personnes. À propos du marquis d’Effiat, voici comment il met en cause les idées diffamatoires qui traversent l’esprit du mémorialiste :
Il avait gouverné Monsieur jusqu’à sa mort, toujours avec autorité, dit Saint-Simon, et souvent avec insolence. Ce même Saint-Simon l’accuse d’avoir empoisonné Henriette, première femme de Monsieur, pour venger le chevalier de Lorraine qu’il avait fait exiler ; et il raconte cette anecdote avec des circonstances qui semblent en exclure le doute […] rien, dans ce récit, n’est croyable ; mais lequel des deux témoins soupçonner, de Fleuri ou de Saint-Simon ? (p. 514).
- 14 Toujours à propos de cette affaire, voici ce que dit encore Marmontel de la relation des Mémoires :(...)
23Le portrait du marquis s’impose dans la circonstance, puisqu’il est un des trois hommes de confiance, avec Saint-Simon et le marquis de Canillac, grâce auxquels le Régent a pu se rallier une partie de la cour et solliciter les pleins pouvoirs. Mais, d’une certaine façon, Marmontel tombe dans le travers séduisant qu’il reproche à Saint-Simon, et, le sentant bien, il précise : « [...] c’est ce que je laisse en suspens. Je dois seulement avertir que Saint-Simon haïssait d’Effiat, et que la haine dans tous ses mémoires distille le plus noir venin » (ibid.)14. Le doute peut aussi s’exercer sur les motivations des personnages.
Mais ce qu’il y a de plus frappant dans ce lit de justice, c’est la lâcheté du parlement […] ; c’est la lâcheté du maréchal de Villeroi […] ; c’est la mollesse de Villars, et de tous ces autres maréchaux de France […]. Cela seul paraît démentir tout ce que Saint-Simon nous dit de leur dépit et de leur rage (p. 670).
24On peut se demander si, par une sorte de compensation, Marmontel n’a pas établi une distance pour ainsi dire systématique avec l’œuvre du mémorialiste, tout en lui empruntant des passages de plus en plus longs au fur et à mesure qu’il avance dans son œuvre.
25Le récit de Marmontel tire aussi profit, dans les parties de portrait surtout, de ses propres talents de romancier, tout en résistant à la tentation de ce style brillant, de cette présentation contrastée des personnalités qui est le propre de la narration des Mémoires. Ainsi, dans la relation de l’assemblée du 2 septembre, un des effets stylistiques les plus constants consiste à coordonner une proposition brève, qui stipule une décision, à une proposition plus longue, qui fait état des manœuvres, pour montrer avec quelle maîtrise le Régent a dominé l’assemblée et imposé ses vues :
Cependant la contestation de l’un et de l’autre s’animait par des répliques entrecoupées, et dégénérait en une dispute indécente et interminable, lorsque le duc d’Orléans, dont la dignité se trouvait compromise, prit le parti, comme il était tard, de faire lever la séance et de la remettre à l’après-midi ; mais, en renvoyant l’assemblée, il frappa un coup décisif ; il déclara donc que le premier usage du pouvoir de Régent, était de mettre le parlement en état de l’aider de ses conseils et de ses lumières, et que, dès ce moment, il lui rendait l’ancienne liberté des remontrances. Ces paroles furent suivies d’acclamations et d’applaudissements, et la séance fut levée (p. 520).
26Ce style n’a sans doute rien de très original, mais le procédé est sûr. En fait, il s’agit non seulement de montrer comment le Régent, en « homme de génie » (ibid.), est parvenu à ranger le Parlement dans son parti, tout d’abord en semant un trouble et en faisant preuve d’autorité, ensuite en rétablissant le droit de remontrances qui avait été restreint en 1673, mais aussi de peindre l’atmosphère passionnelle qui régnait dans les séances.
27Quel historien ne serait fasciné et dubitatif en lisant les Mémoires de Saint-Simon, surtout s’il lui faut rédiger une histoire de la Régence ? Marmontel a tendance à balancer entre l’enthousiasme du lecteur et les obligations auxquelles son travail d’historien réduit son imagination. En quête d’une vérité impossible, il sent la nécessité de mettre en cause le récit du mémorialiste, mais cette démarche ne peut avoir de sens que s’il s’appuie sur l’œuvre du mémorialiste dont il cite, par conséquent, de longs extraits. Le commentaire qu’il construit de l’œuvre de Saint-Simon traduit ainsi sa volonté d’entrer lucidement dans le récit des faits et des motifs qui les commandent, même s’il ne peut construire une interprétation globale. Il faut pour cela résister au pittoresque des événements et conduire à partir des sources une réflexion sur le sens que l’on veut donner à la période.
Des Mémoires de Saint-Simon au portait d’un homme et d’une époque
28Or ce sens ressortit tout d’abord à la perception que l’on a de la personnalité de ceux qui tiennent les rênes du pouvoir, à commencer par le duc d’Orléans. Les témoignages que fournissent les Mémoires, passés au crible de l’analyse historique par la confrontation avec d’autres textes et une démarche qui privilégie un ordre logique des faits, entendus comme le produit de la volonté des hommes qui gouvernent, deviennent des lieux de réflexion sur le pouvoir et sur la monarchie tels que peut les concevoir un historien de cette fin de siècle. Il est clair qu’une perspective cavalière de la période comporte nécessairement le portrait de celui sur qui vont se cristalliser toutes les interrogations : le duc d’Orléans. Aussi convient-il de distinguer, schématiquement, trois niveaux de lecture : quelle présentation des personnalités Marmontel retient-il des Mémoires ? Quel jugement porte-t-il sur Saint-Simon comme homme du pouvoir ? Enfin, quelle idée de la monarchie nous livre-t-il à travers l’enchevêtrement de ces portraits ? On restera néanmoins sensible au fait que l’histoire à laquelle avait songé Marmontel est incomplète.
29En fait, la mise en cause de plus en plus systématique du témoignage des Mémoires s’explique profondément par le portrait que Marmontel donne de leur auteur, non tant celui qu’il nous a livré dans le second chapitre, que celui qui se dessine de loin en loin dans la trame alternative des récits, des citations et des commentaires. Ce sont les défauts qui vont occuper l’historien et faire de Saint-Simon un être verbeux, impatient, insinuant, en vérité l’égal de Dubois, mais sans le pouvoir qu’a pris le ministre.
30Lorsqu’il est question de perdre le maréchal de Villeroy, Marmontel accepte de suivre Saint-Simon, qui se présente comme l’instigateur de la ruse : « Le moyen qu’on imagina, et Saint-Simon se l’attribue, ce fut une querelle du Régent avec le gouverneur au sujet du travail du roi » (p. 740). On sait que Saint-Simon avait tendance à exagérer son influence dans les affaires ; il faut apprécier son importance politique à la mesure de ce qui est dit du Régent, dont les talents de comédien sont souvent soulignés. À propos de la conjuration de Cellamare, l’éloquence de Saint-Simon, qui en profite pour composer un tableau de l’action politique du Régent, n’en impose guère à Marmontel : « Saint-Simon lui fit remarquer les points de son gouvernement qui pouvaient être répréhensibles » (p. 683-684) ; suit un catalogue de ces différents « points » (Law, la Triple Alliance, le parti du duc du Maine et son pouvoir devant le roi) ; enfin une remarque critique achève de signifier l’inefficacité du discours : « Rien de tout cela ne parut émouvoir le duc d’Orléans ; et Saint-Simon ne trouvait en lui que dissimulation et faiblesse » (p. 684). D’autre part, Marmontel retient la version que le mémorialiste donne de la séance du 26 août 1718 : le portrait que Saint-Simon donne de lui-même est saisissant, et Marmontel ne manque pas de le reprendre, mais pour en dégager une curieuse leçon qui contraste avec le portrait du deuxième chapitre. On se souvient du texte des Mémoires :
Achevons de voir Saint-Simon se peindre en nous parlant de la fin de cette séance : « Je promenais doucement, dit-il, mes yeux de toutes parts, et si je les contraignis avec constance, je ne pus résister à la tentation de m’en dédommager sur le premier président. Je l’accablais, à cent reprises, de mes regards assénés et prolongés avec persévérance ; l’insulte, le mépris, le dédain, le triomphe, lui passèrent de mes yeux jusque dans ses moelles. Une fois ou deux il fixa les siens sur mon visage, et je me plus à l’outrager par des sourires dérobés, mais noirs, qui achevèrent de le confondre. Je me baignais dans sa rage, et je me délectais à le lui faire sentir. » (C’est ainsi, ce me semble, qu’un démon nous peindrait sa joie) (p. 670).
31Saint-Simon mauvais génie du prince ? N’était-ce pas le rôle habituellement dévolu à Dubois ? Inversion volontaire des portraits ? Il faut dire que Dubois n’est guère entré dans cette histoire de l’abaissement des bâtards qui ne pouvait le préoccuper, et que cette peinture de Saint-Simon, d’autant plus forte qu’elle est tirée des Mémoires, stimule l’imagination de l’historien qui saisit plus particulièrement ce qu’il appelait ailleurs l’« intérêt » du conseiller, même si cet intérêt sert la gloire et les projets du prince.
32De toute évidence, cette manière de distribuer les rôles réduit la part du Régent dans l’action politique, et, par conséquent, sa responsabilité. Est-il loisible de penser que, pour Marmontel, la Régence fut une période de désordre pendant laquelle celui qui avait obtenu le pouvoir refusait d’y participer vraiment ? Loin s’en faut. Mais le portrait du Régent est toujours difficile : tantôt, l’historien paraît en saisir les contours, tantôt il se dérobe. Cette figure fluide, Marmontel la laisse deviner dans son interrogation la plus fréquente, celle qui le conduit à mesurer la crédibilité du récit de Saint-Simon. En se demandant quelle part avait le mémorialiste dans les affaires dont il parle, ce qu’il considère, au fond, c’est la manière dont le Régent exerçait le pouvoir. Ce jugement défavorable peut expliquer certains traits que l’historien saisit dans la suite de son récit :
À l’égard du Régent, rien ne convenait mieux à son caractère qu’un peuple qui, dans l’enivrement de l’opulence et de la joie, se laissait gouverner à son gré […] Il ne voyait dans les Français qu’un peuple facile à tromper, et qui serait docile tant qu’il serait heureux (p. 559).
33Mais ces lignes prennent peut-être leur sens du contexte révolutionnaire, tendant à peindre au noir ce qui, ailleurs, peut être considéré comme le jeu naturel du pouvoir, comme une stratégie bien méditée et une véritable aptitude politique. La plupart des remarques de Marmontel vont d’ailleurs dans ce sens, à savoir montrer que le Régent a bien exercé sa charge comme son devoir le lui prescrivait :
Le même jour, 26 mars, que les gentilshommes bretons furent exécutés à Nantes, le comte d’Horn le fut à Paris, pour un crime bien plus atroce. Je ne remarque ce fait isolé, que pour ajouter au caractère du duc d’Orléans, un trait de vigueur qui l’honore et qui peut servir à modérer l’opinion qu’on a de sa faiblesse (p. 692).
34Saint-Simon n’a pu, dans cette occasion, influencer le Régent : sa plaidoirie n’a rien changé à la décision prise. Encore une fois, l’éloquence du duc fut vaine. Dans cette optique, la prétendue dissimulation du Régent s’éclaire : elle est le fait d’un homme entouré de conseillers dont il se méfie des intérêts, qu’il connaît, qu’il doit ménager sans pour autant leur céder le pas. Le jugement de Saint-Simon, qui voit dans le Régent un homme faible, est alors mis en question, et deux pages plus loin, Marmontel aiguise son point de vue :
[...] faible dans les petites choses qui ne lui tenaient point à cœur, son âme reprenait, comme on a pu le voir, dans les occasions importantes, sa force et son élévation (p. 694).
35Cette image d’un Régent dissimulateur par nécessité, plus fort qu’il ne paraît, imperméable aux critiques qui ne lui paraissent relever que de l’amour-propre, contredit foncièrement le premier portrait, celui d’un Régent protecteur cynique de Law et peu soucieux des responsabilités qui l’engagent devant son peuple. Or, cette confrontation des portraits n’est pas sans conséquences : quelle réalité concevoir dans des représentations si différentes ? Comment ne pas tomber dans le piège d’une vision des faits et des actes ou tout unifiée – ce qui manifesterait une naïveté peu acceptable chez un historien – ou de temps à autre incohérente ? L’humilité de l’historien consiste à accepter ces contradictions qui déterminent pourtant la compréhension que l’on peut avoir de la période.
36En fait, pour Marmontel, écrire l’histoire est œuvre d’élucidation plus encore que de reconstruction, même s’il est souvent nécessaire d’interroger la cohérence des faits. Au sujet de la succession, qu’il juge immorale, voici comment Marmontel présente les faits :
poursuivi par le malheur et réfugié auprès d’elle, il [Louis XIV] lui [Mme de Maintenon] fut tout abandonné. Il n’est plus permis à l’histoire de dissimuler à quel excès elle abusa de ce dangereux ascendant (p. 491).
37Un peu plus loin dans cette même page, on retrouve le verbe « dissimuler », dans une acception identique, relative encore au travail de l’historien :
Je vais rappeler sa jeunesse [celle du duc d’Orléans] ; car mon silence sur ses disgrâces ferait injure à sa mémoire, en laissant soupçonner de lui ce que je semblerais avoir dissimulé.
38L’image du monarque déchu irradie l’œuvre entière et suggère deux idées opposées : que le Régent a hérité de cette faiblesse familiale, puisqu’il est difficile de gouverner quand on subit soi-même des influences (Dubois et Law) ; que le pouvoir monarchique ne peut s’exercer sans la complète indépendance du prince, qui a su à cet égard remplir sa tâche, en usant de sa légendaire dissimulation, de ses dons de comédien.
- 15 Éd. Félix Danjou, Paris, Beauvais, 1834-1841, 30 vol.
39Ainsi se lisent en parallèle les représentations de deux monarques : si le début de l’ouvrage évoque l’éducation du prince, c’est sans doute moins pour nous donner une idée de ses mœurs, sur lesquelles l’historien dit, au fond, peu choses – rien, par exemple, de ses frasques ou de ses bons mots –, que pour fustiger Mme de Maintenon et son influence sur Louis XIV, signifiant par là comment se mêlent dans un grand monarque force et faiblesse, et pour renverser, en fin de compte, les représentations usuelles sur la grandeur de l’un et la faiblesse de l’autre. Les dernières années de Louis XIV lui permettent de montrer ce qu’il entend par un pouvoir faible. Dans les Archives curieuses de l’histoire de France depuis Louis XI jusqu’à Louis XVIII15, on trouve un ouvrage attribué à Marmontel, intitulé Mort de Louis XIV, 1715. C’est dire encore l’intérêt que suscite chez Marmontel la fin du règne de Louis le Grand.
40Cette interrogation sur l’exercice du pouvoir, les aléas auxquels il est soumis, et les devoirs du monarque, laisse percevoir une vraie inquiétude chez l’historien, qui touche à la maîtrise de ce pouvoir par Louis XVI et qui se traduit symboliquement par la peinture d’un Régent plus fort qu’on veut bien l’entendre. D’autre part, il faut croire que cette idée d’un récit qui vise à dévoiler, est chère à Marmontel, car au moment où il entre dans le chapitre VIII, mal raccordé à la fin du chapitre précédent qui retrace la mort de Régent, il précise à nouveau la fonction qu’il dévoue à l’histoire, et l’on retrouve significativement le verbe « dissimuler » :
Les voyages du Czar Pierre Ier sont un magnifique sujet d’amplification pour l’éloquence et la poésie, dont le privilège est de dissimuler, d’exagérer et d’embellir. Mais l’histoire, qui n’apprécie les hommes et les choses qu’à leur juste valeur, ne trouve pas dans ses voyages une importance qui réponde à l’éclat de leur renommée (p. 758).
- 16 Il se fit notamment remarquer dans ce genre avec « La Gloire de Louis XIV perpétuée dans le Roi son (...)
41Le jugement de Marmontel se réfère à deux rôles qu’il a lui-même tenus : celui de candidat des concours académiques16 et celui de journaliste. Ces deux genres ont trait à la relation des faits, contemporains ou historiques, en définissant par opposition le domaine propre de la narration d’histoire, laquelle doit autant se garder de l’anecdote que de l’ornement. Éteindre son style est une nécessité pour un romancier ou un poète qui veut composer une histoire.
42En vérité, Marmontel ne cherche pas à nous présenter un certain homme dans le Régent, mais plutôt une maîtrise du pouvoir, un art de gouverner qui, fort des faiblesses qu’il se connaît, tire parti d’une position délicate : le Régent n’est pas le roi, mais la conscience qu’il a de son pouvoir, difficile à exercer, lui sert de rempart contre l’errance dans laquelle un monarque comme Louis XIV est tombé par faiblesse pour une femme, par l’oubli du fait que la grandeur qu’on tire du pouvoir demeure fragile.
43Pour autant, le Régent ne saurait égaler un grand prince comme Louis XIV : c’est, au fond, cette idée que semble suggérer le dernier chapitre. La manière dont a été traitée la peste de Marseille – Marmontel souligne les atermoiements de la capitale qui hésite à envoyer des médecins – ne fait guère honneur au duc, mais le rétablissement de l’ordre que le fléau avait détruit, symbolise sans doute, à la fin de l’ouvrage, la véritable force du gouvernement du Régent : avoir maintenu un ordre, illusoire mais efficace, en dépit des désordres réels, financiers et politiques, qui hantèrent la période et qui remontent à la fin du règne de Louis le Grand.
44On peut reprocher à Marmontel d’avoir tant emprunté à Saint-Simon, et l’éditeur n’épargne pas l’historien : « [...] en avertissant son lecteur qu’il fallait se défier beaucoup des Mémoires de Saint-Simon, il ne paraît quelquefois s’en être assez défié lui-même » (p. 34). Sans doute son œuvre aurait-elle gagné à masquer davantage ses sources, en particulier les citations nombreuses tirées des Mémoires. Reste qu’il sait vérifier les faits par la confrontation avec d’autres sources ; c’est là le travail fondamental de l’historien, un travail moderne en vérité qui fait apparaître concurremment le document et le commentaire. Dans Jeannot et Colin, Voltaire rappelle que la difficulté à laquelle se heurte l’histoire contemporaine réside dans le « chaos qu’on ne peut débrouiller ». C’est sans doute la conscience de cette difficulté qui a conduit Marmontel d’une part à se borner à l’Histoire de la Régence, bien que son projet eût été une histoire du règne de Louis XV ; d’autre part, à honorer sa mission d’historien en proposant, plus encore que le portrait d’un homme ou la fresque d’une époque, une vraie réflexion sur le pouvoir.
« Tout un 89 » : Michelet et le Régent
Nous sommes, c’est convenu, Régence, justaucorps bleu, Pompadour, Dix-huitième siècle, tout ce qu’il y a de plus maréchal de Richelieu Rocaille, et, j’ose le dire, Liaisons dangereuses…
Balzac, La Cousine Bette
45Dans l’imaginaire du bourgeois louis-philippard s’épanouit, à en croire la profession de foi de Crevel dans La Cousine Bette, la légende scandaleuse du Régent. Mais dans l’Histoire que par une désignation commode, j’appellerai romantique ?
- 17 Charles Lacretelle, Histoire de France pendant le xviiie siècle, 1808, Paris, Buisson, 2e éd., 1810 (...)
Avant la Révolution, l’on ne parlait qu’avec gaieté de la Régence […] on rappelait volontiers cette époque de liberté, d’insouciance et de folie. Aujourd’hui nous la jugeons plus rigoureusement17.
- 18 Camille Jullian lui reconnaît « du jugement, de la gravité, un effort de sobriété […] Il a été pour (...)
- 19 Chateaubriand, Études historiques, 1831, Lefèvre, 2e éd., t. I, Préface, p. 65.
- 20 « Augustin Thierry, dix ans d’études historiques », 1834, in Œuvres, Paris, Garnier, s. d., p. 317.
- 21 Velly, Histoire de France depuis l’établissement de la monarchie jusqu’au règne de Louis XIV, Dessa (...)
46Dès 1811 Charles Lacretelle, le grand précurseur selon Jullian18 de la « nouvelle école historique19 », enregistre, conséquence de la fracture révolutionnaire, une rupture dans la « manière d’écrire l’histoire » – la formule est de Thierry20 – et dans la définition de ses enjeux. Rupture avec l’histoire en habit de cour : Velly eût-il conduit son Histoire de France jusqu’à la Régence, qu’il eût probablement repris pour le portrait de Philippe d’Orléans ce qu’il écrit de Childéric, et qui lui vaudra les sarcasmes d’Augustin Thierry : « C’était l’homme le mieux fait de son royaume : il avait de l’esprit, du courage ; né avec un cœur tendre, il s’abandonnait trop à l’amour : ce fut la cause de sa perte21. »
47Ce stéréotype du prince libertin va perdurer bien au-delà de la coupure épistémologique et malgré elle, et pourra se lire en transparence dans les portraits romantiques du Régent. Rupture, ensuite, dans la méthode. Chateaubriand, en 1791, s’indignait de voir l’histoire contrainte de s’abaisser au niveau des gazettes :
- 22 Chateaubriand, Essai sur les révolutions, 1797, Bibl. de la Pléiade, p. 397.
La presse, cette invention céleste et diabolique, commençait à vomir les chansons, les pamphlets, les livres philosophiques. Chaque poste annonçait au citoyen tantôt l’inceste d’un père, l’exécrable mort d’un cardinal, des débauches que la plume d’un Suétone rougirait de décrire22.
- 23 C. Lacretelle, op. cit.
48Lacretelle, vingt ans plus tard, se montre mieux avisé : « L’Histoire ne doit pas être composée sur les matériaux fournis par les libelles », et il précise qu’il ne présentera « que dans les résultats généraux des faits relatifs aux mœurs privées ». D’où une troisième rupture, qui tient au déplacement et à l’élargissement du questionnaire : « On a peut-être trop oublié les points de vue plus importants qu’offre la Régence sous des rapports de politique et d’administration23. »
- 24 « Chateaubriand », in Études historiques, t. IV, p. 444.
49Chateaubriand avait eu de ces intuitions-là. « Changer les mœurs d’un État, ce n’est qu’en changer les fortunes », notait à propos de la Régence l’Essai sur les Révolutions. Et l’Analyse raisonnée de l’Histoire de France précise en 1831 : « À [la] vieille corruption des mœurs se mêla cette corruption nouvelle qui s’opère par les révolutions subites des fortunes, et que nous devons au moderne système de finances24. »
50Mais l’Essai restait dépendant du double et contradictoire héritage du providentialisme classique et du schéma romain de l’historiographie des Lumières :
Enfin le Régent parut, et de cette époque il faut dater la chute presque totale du christianisme. Le duc d’Orléans brillait de génie, de grâces et d’humanité, mais il était l’homme le plus immoral de son siècle.
51Aussi ne saurait-il entrer dans le système de Chateaubriand, qui refuse de conduire à son terme l’esquisse d’un parallèle entre la Régence et l’intervalle entre « le siècle de Lycurgue et le siècle de Solon » :
- 25 Essai sur les révolutions, p. 397, 99 et 98.
- 26 Michelet, « Le xviiie siècle », in Histoire de France, 1863, Genève, Éd. Rencontre, t. X, p. 354.
- 27 Chateaubriand, Essai, op. cit., p. 71.
- 28 Mémoires d’outre-tombe, Paris, Flammarion, édition du Centenaire, IIIe partie, IIe époque, livre 6, (...)
Quelle comparaison pourrions-nous découvrir entre les livres d’un âge moral et ceux du temps du Régent et de Louis XV, entre « le siècle de l’énergie, quoique ce ne fût pas celui de la plus grande liberté », – valeurs romantiques s’il en fut – et celui de la licence et de la débauche ? Exclu d’une vision presque vicchienne du « retour périodique des révolutions des peuples25 », le Régent de Chateaubriand demeure prisonnier d’une généalogie de l’immoralité qui conduit du « roi de Paris26 » au roi des Français par l’« infâme » Égalité27. Comment admettre que Louis-Philippe, lui ou sa lignée, ne paierait pas la dette de la dépravation de la Régence ? Cette dette n’a-t-elle pas été contractée de nouveau par Égalité à l’échafaud de Louis XVI, et Philippe n’a-t-il pas augmenté la créance paternelle, lorsque tuteur infidèle, il a détrôné son pupille innocent et orphelin ? Si la race d’Orléans pouvait régner au droit des vices et des crimes de ses aïeux, où serait la Providence28 ?
- 29 Thiers, Histoire de la Révolution française, 1823, 6e éd., Paris, Furne, 1837, t. I, p. 5.
52Chose surprenante, un interdit analogue semble peser sur le Régent dans le parti orléaniste. Thiers, dans le chapitre liminaire de son Histoire de la Révolution française atteint presque au degré zéro de l’historicité du personnage. Même exagérément sollicitée, la seule phrase qui lui est consacrée ne pourrait en effet guère passer pour une discrète allusion à la monarchie selon la Charte : « Louis XIV était à peine expiré, que le Régent offrit aux parlements l’occasion de se venger de leur longue nullité29. »
- 30 « Lemontey, très fin, très exact, très informé, […] a fait un beau livre. Mais […] l’ensemble est o (...)
53À ne considérer que l’histoire générale et à se limiter aux ténors de la nouvelle école, sans tenir compte des travaux spécialisés auxquels Michelet qui affirme s’être « interdit […] de se servir d’aucun auteur qui ne fût pas strictement du temps du Régent » ne consacre que quelques brèves références30, il semblerait que du premier au second Empire, et de Lacretelle à Michelet, l’ostracisme demeure général. Le Dictionnaire universel peut paraître étayer ce que j’avance ici à titre d’hypothèse. Pierre Larousse y bâtit en effet son article « Régence » à partir de l’Histoire de la Régence de Marmontel résumée en quelques lignes et à une demi-colonne de commentaire de celle de Michelet. En 1847, dans l’Introduction de l’Histoire de la Révolution, Michelet lui-même n’échappe guère à la règle du silence : « Louis XIV meurt enfin, on remercie Dieu. Voici heureusement le Régent, ce bon duc d’Orléans. »
- 31 « Histoire de la Révolution », in Histoire de France, op. cit., t. XIII, p. 86.
54Le ton est ici à l’ironie et à la polémique, accentuées par la citation de propos du Régent : « Si j’étais sujet, disait-il, je me révolterais à coup sûr. » Et comme on lui disait qu’en effet une émeute allait avoir lieu, il dit : « Le peuple a raison, il est bien bon de tant souffrir31. »
55Il faudra les longues années de traversée de l’histoire qui se fait et d’écriture de l’Histoire de la Révolution pour que la leçon de Lacretelle se trouve transfigurée et dépassée dans ce qui constitue avec la « Préface » de 1868 et l’Histoire du xixe siècle le testament d’historien de Michelet, l’Histoire du xviiie siècle.
- 32 C. Lacretelle, op. cit.
56Malgré une volonté de rupture fortement affirmée, Lacretelle restait en effet tributaire du moralisme de l’historiographie classique : « Nous croyons devoir accuser des maux que nous avons soufferts à la fin du xviiie siècle, la licence qui en déshonora le commencement32. »
- 33 Ibid., p. 41.
- 34 P. 253.
57Il a certes fait nettement litière des accusations portées contre le Régent : du parricide, de l’empoisonneur et du père incestueux, il revient, faute de preuves avérées à la figure de « Philippe le Débonnaire33 ». Il souligne sa valeur, son esprit, sa bonté, son refus de la haine et de la contrainte, mais aussi son inégalité au modèle qu’il s’est choisi, Henri IV. Même « ardeur dans les combats », même « esprit fin et étendu », même « adroite familiarité », mais la galanterie qui fit céder l’un « trop souvent et trop longtemps à l’amour », ne saurait être comparée à la débauche de l’autre, sans frein, sans pudeur, sans délicatesse dans ses honteuses voluptés. Ce trait de différence dans leur caractère en établit une telle dans leur conduite, qu’un parallèle serait une profanation34.
- 35 P. 385.
58Le moraliste est prompt à enfermer son personnage dans les codes classiques du portrait : « Le duc d’Orléans s’éleva souvent au-dessus du vulgaire des princes, et mérita souvent d’être confondu avec les plus abjects d’entre eux35. » Mais son regard rejoint celui de Saint-Simon : « Ses amis observaient avec inquiétude de fâcheux symptômes sur son visage. Son teint était enflammé, et ses yeux chargés de sang. »
- 36 P. 381.
- 37 Saint-Simon, Mémoires, Paris, Ramsay, t. XII, p. 373.
- 38 Michelet, xviiie siècle, t. X, p. 387.
59Et Lacretelle saisit son modèle, non plus sub specie aeternitatis, mais au fil d’un temps qui s’écoule dans une succession effrénée d’états d’« affaissement » et d’« irritation36 ». Michelet comme lui se souviendra de la terrible vision du Régent sur « sa chaise percée […] la tête basse, d’un rouge pourpré, avec un air hébété37 », au point même de l’évoquer en filigrane dans le portrait de l’enfant de quatre ans « fort myope, ne voyant qu’à deux pas, […] le teint rouge, échauffé38 ».
- 39 xviiie siècle, t. II, p. 35.
- 40 P. 178.
- 41 P. 93.
60Monstre exclu de l’histoire, le Régent retrouve avec Michelet une historicité pleine et entière. Il est tout d’abord réintégré dans la succession des siècles. Le siècle de Louis XIV avait immobilisé le temps. Le siècle du Régent, « tout un siècle en huit années39 », « ce siècle a pris son cours » et s’« il descend vers 8940 », ce n’est pas sous l’effet d’une quelconque fatalité, mais de façon apocalyptique, même si Philippe d’Orléans s’abîme dans une déchéance dont Michelet épie tous les signes, même s’il n’annonce « l’Esprit […] du siècle de Diderot », qu’« anticipé, déclassé, malheureux41 ». L’histoire ici manifeste les premiers signes d’une accélération voire d’une précipitation, au sens étymologique du terme, auxquelles les romantiques, de Chateaubriand à Lamartine et Michelet, ont été particulièrement sensibles. L’homme est désormais en situation.
61Chez Lacretelle ou Henri Martin, les vertus comme les vices du Régent s’affrontent à la force des choses :
- 42 Henri Martin, Histoire de France populaire, t. III, p. 135.
Philippe d’Orléans, eût-il été aussi sage et aussi économe qu’il était déréglé et dissipateur, ne s’en fût pas moins trouvé dans un embarras immense42.
- 43 Michelet, op. cit., t. II, p. 25sq.
- 44 P. 224.
- 45 P. 343.
62Tout hostile qu’il est à la formule de l’école terroriste de Thiers et Mignet, Michelet la leur emprunte néanmoins pour déplorer le « terrible héritage » du règne de Louis XIV, et les « nécessités cruelles » qu’il entraîne, l’arrivée « par la force des choses », de Law et Dubois43. Mais là n’est pas le principe moteur de son histoire. Le Régent a rendu, « admirable spectacle », la France au mouvement et à la vie, à la « circulation » et à la « respiration44 », et ceci ne vaut pas que pour la réforme financière. Le trio infernal du Régent, du cardinal et du banquier se mue sous la plume de Michelet en autant de démons du bien. L’historien n’a de cesse de rappeler la bonté de Philippe d’Orléans : « Le Régent, avec tous ses vices et ses déplorables faiblesses, fut, il faut bien le dire, infiniment doux et humain45. »
- 46 P. 76 et 148.
- 47 P. 66.
63La même humanité se retrouve chez Law, « étrange beauté féminine », personnage luciférien « né pour gagner tout homme, troubler toute femme » et mué de « prophète de la Bourse » en « apôtre humanitaire46 ». Dubois lui-même a droit à une sorte de rédemption : « Il n’est pas de coquin qui n’ait eu un jour dans sa vie, un jour où il ait marché droit47. »
- 48 P. 39.
- 49 P. 178.
- 50 P. 25.
- 51 P. 208.
- 52 P. 72.
- 53 P. 107.
- 54 P. 153.
- 55 P. 179.
- 56 P. 209.
- 57 « xviie siècle », in Histoire de France, t. VIII, p. 110.
- 58 Ibid., p. 124.
- 59 xviiie siècle, t. II, p. 343.
- 60 Ibid, t. VIII, p. 110.
- 61 Ibid, t. II, p. 107.
- 62 P. 82.
- 63 P. 294.
64Ils sont à eux trois le parti de l’avenir et de l’humanité48. Ils font du siècle du Régent l’aurore du siècle des révolutions : « Le beau printemps de 1719 semblait une aurore sociale49. » D’un seul et même élan, « révélation », « révolution », « création50 », mots clés de la philosophie michelettiste de l’histoire, qui n’ont pas échappé à la lecture de Pierre Larousse. « Tout un 8951 » dont Michelet dresse la liste avec jubilation. Ce sont successivement une révolution du droit : « [...] contre le faux droit de famille, […] le vrai droit et l’unique, celui des nations et celui du progrès52. » Puis « la fondation de la paix du monde53 », principe de la politique étrangère conduite par Dubois, la « Révolution financière, la Banque déclarée royale54 », « l’égalité d’instruction, […] l’égalité d’impôt, […] la simplification […] hardie de l’administration55 », « une révolution territoriale » – le projet formé par Law de vente des biens de l’Église56. Michelet ne le dit pas ici, mais jusque dans la façon dont il l’expose en alinéas numérotés, le lecteur familier de son Dix-septième siècle y reconnaîtra sans peine la révolution de Henri IV, « révolution sociale », financière contre « l’hypothèque sacrée de nos créanciers étrangers », administrative « contre les offices achetés […] les gouverneurs de province », « Révolution plus hardie contre la seigneurie57 », et jusqu’au « romanesque projet que lui attribue Sully, de vouloir fonder la paix éternelle58 ». En un mot, « très belle révolution » de « l’humanisation59 ». Révolution entravée, inaboutie comme celle d’Henri IV60, car « seuls » Dubois et Law « voulaient61 ». Le Régent, lui, « aimait la liberté et ne voulait rien que par elle. Même aux fameux soupers62. » Et Michelet de conclure : « Ce que le Régent avait eu dans sa vie si souillée, c’était d’être après tout un homme d’esprit, avec un goût naturel, généreux, pour les libertés de l’esprit63. »
- 64 P. 257.
65Rien toutefois qui pût empêcher la France « frappée de trois Terreurs : […] La Terreur financière […] La Terreur des Jésuites. […] La Terreur de la peste64 » de glisser de 89 vers 93 :
- 65 P. 32.
Depuis le temps si rude où j’ai conté 1793, je n’avais rien trouvé de tel. La Régence n’est pas si sanglante, mais elle n’est guère moins violente dans son énorme brisement d’intérêts, d’idées, d’hommes, d’âmes et de caractères65.
- 66 Ibid, t. II, p. 212.
66C’est par là que le Régent touche au plus profond de l’imaginaire michelettiste. À travers les huit ans de son règne, Michelet revit, dans une vision figurale de l’histoire, la tragique plongée de la Révolution depuis la lumière jusqu’aux ténèbres. Il aura beau chercher dans les traits du Régent, dans son hérédité, dans son histoire personnelle, les traces brouillées, anticipées et dégénérées à la fois, doublement prophétiques du passé et de l’avenir, de l’esprit même de la France, c’est à la figure d’Œdipe, et à ses transformations qu’il se trouve confronté. Le Régent est pour lui l’objet privilégié peut-être de l’intense interrogation qu’il ne cesse de mener sur le visage humain : « Représentons-nous dans son Palais-Royal, cette figure qui fut le Régent, ce distrait, ce myope alourdi, ahuri66. »
- 67 Révolution, t. XIV, p. 107.
- 68 xviiie siècle, t. II, p. 78.
67C’est le même mouvement qui lui faisait conduire son lecteur sur les bancs des Cordeliers, pour lui dévoiler dans la conjonction formidable d’un temps, d’un lieu et d’un homme, l’énigme même de l’histoire67. « Les portraits du Régent (tout un volume infolio)68 » ne font plus l’objet, dans leur consultation incessante, de simples réécritures de Saint-Simon, omniprésent mais comme chez Lacretelle tenu à distance.
- 69 Ibid, t. X, p. 343.
68Il ne s’agit pas de refaire, encore moins de copier, le grand portrait, si fort, si fin dans le détail, qu’en a fait Saint-Simon. Tous l’ont lu, tous le savent. Je me tiendrai surtout aux points qu’il laisse dans l’ombre69.
- 70 Ibid, t. XI, p. 78.
69Michelet partage avec lui l’obsession du temps perdu et des occasions manquées, mais y ajoute celle de la vérité et de la nature retrouvées, depuis le premier (à douze ans), portrait doux, tendre, gai, de l’enfant le mieux doué qui fut jamais, jusqu’à la grosse face bouffie, apoplectique qui de si près, touche à la mort70.
70Cette durée rendue sensible dans un corps, Michelet la traque de portrait en portrait : « Quelle est à cette époque la figure de ce galant prince ? Si changée que personne n’ose la peindre. » Mais lui insiste pour montrer « dans son état apoplexique le pauvre gros homme », « de plus en plus grotesque » :
Après sa mort, un burin véridique […] donne la triste réalité. Là il fait peine. Il est fort sombre, fort lourdement bouffi, avec de gros yeux injectés, saillants et pleins de sang, qui vous disent : « Je mourrai bientôt. »
- 71 P. 270 et 277.
71On est là fort loin de « la célèbre estampe du Triomphe de la Banque (1720) » où le Temps offre un petit portrait du Régent au culte des agioteurs. Mais ce joli portrait est pris sur ceux de la jeunesse. Fausse et menteuse image, toile légère et pauvre chiffon, que le vent va plier, crever, rouler on ne sait où71.
- 72 Chateaubriand, Mémoires, IIIe partie, IIe époque, livre 11, chap. xiv, p. 629.
- 73 xviiie siècle, t. X, p. 344.
- 74 Ibid., t. II, p. 78.
72Image moins fausse et moins menteuse qu’il n’y paraît peut-être. En creusant ces portraits, Michelet remonte dans le temps jusqu’à la généalogie de Philippe d’Orléans. Chateaubriand s’en était fait une arme pour refuser toute légitimité à « la monarchie de Philippe » : il lui importait que le Régent ne fût plus un Bourbon, un second Henri IV, mais un Valois72. Elle renvoie Michelet moins à l’histoire qu’à la nature. Chez le fils de « la robuste et hommasse bavaroise73 », « l’élément allemand […] se marque dans l’enfant et il reparaît à la fin », le reliant à la rêverie des origines, comme dans Le Temps retrouvé l’image première d’Odette resurgit miraculeusement préservée des atteintes du temps. « Le Français se dégage dans les portraits intermédiaires, svelte, élégant, vif à tout prendre au vol, avec un mélange italien, l’aptitude à tout art74. »
- 75 T. X, p. 344.
- 76 P. 343.
73Ce ne sont plus là spéculations dynastiques. Michelet réintègre même au portrait l’élément italien, malgré la haine qu’il voue à cette anti-nature qu’est pour lui « l’école italienne » à la mode sous Henri III, et à laquelle le Régent, fils d’une femme-homme et d’un homme-femme, « le principicule italien, la femmelette et le vieux mignon75 », a heureusement échappé. Il s’agit bien de Valois ou de Bourbons ! Ce qui est esquissé en filigrane de cette pauvre caricature du Vert Galant pour laquelle Michelet n’est pas sans indulgence, c’est l’image véridique du roi des Français, non plus roi de France ou « roi de Paris », encore moins « roi des libertins76 » mais roi-peuple, qui reproduit en sa personne ce qui a fait la France, cette puissance d’assimilation que Michelet a montrée à l’œuvre dans son Tableau.
74Mais dans une France prise entre la peste et la ruine, ce roi-peuple est un roi de douleurs. Dans une gravure de 1716 :
- 77 T. II, p. 94.
Le Régent tout pensif et plein des douleurs de la France l’a devant lui assise […] La France est une belle petite fille de quatorze ans […] Ce sont les traits idéalisés de la fille du Régent […] Mais elle était indigne de jouer ce beau rôle77.
- 78 P. 98.
- 79 P. 253.
75Le réel – ou le fantasme – rature l’allégorie, le roman défigure l’histoire. Si Michelet n’accorde aucune foi aux accusations d’empoisonnement, il en va tout autrement lorsqu’entre en jeu la fascination de l’inceste : c’est « en échange » du secret du Masque de fer que la duchesse de Berry « jura […] de donner tout78 ». La vue de l’historien se trouble, et trouve dans cette myopie aiguë empruntée à son modèle de quoi approfondir sa vision : « Law, le Régent, quand on les suit de près, sans être tout à fait en démence, sont manifestement effarés, incertains79. »
- 80 P. 103.
- 81 P. 159.
76Tout un jeu d’analogies de surface y contribuent. Voltaire « avait hardiment demandé au Régent de lui dédier » son Œdipe80. La duchesse de Berry fournit commodément « la véritable Jocaste81 ». Mais, plus profondément, le Régent devient la figure même de l’énigme. Et dans cette apocalypse confuse d’un 93 anticipé, il rejoint – passé et avenir confondus – une autre figure du chaos :
Ce visage effroyablement brouillé de petite vérole, avec ses yeux obscurs, […] ce n’est pas là un homme, c’est l’élément même du trouble ; l’ivresse et le vertige y planent, la fatalité… Sombre génie, tu me fais peur ! Dois-tu sauver, perdre la France ?
- 82 Révolution, t. XIV, p. 110.
- 83 P. 116.
- 84 Journal, 30 janvier 1842, Paris, Gallimard, t. I, p. 378.
- 85 De même, la duchesse de Berry « avait une chose de son père […] ; le don des larmes. Tous deux pleu (...)
77On aura reconnu, bien sûr, Danton. C’est encore là une méditation sur un portrait « qu’esquissa David » et que Michelet a « sous les yeux » en écrivant. « Obscurité, vertige, ignorance absolue de l’avenir, voilà ce qu’on lit ici82. » Le motif revient ostinato tout au long de cette scène des Cordeliers. Si bien que le lecteur de la Révolution n’aura nulle peine à en entendre l’écho affaibli et prophétique dans les portraits que Michelet donne du Régent, lui aussi « un Œdipe dévoué, qui, possédé de son énigme, porte en soi, pour en être dévoré le terrible sphinx83 ». L’un et l’autre ont posé sous le regard d’un troisième Œdipe, l’historien lui-même84. Comme il le fait aussi des oubliés de l’histoire, il les ramène à la lumière, et les rend à l’humanité que leur action annonce. Avec lui-même ils partagent « le don des larmes85 ». Danton s’adressant aux femmes de Paris :
Tout son cœur, dit-on, lui sortit de la poitrine, avec des paroles d’une tendresse violente pour la France… Et sur ce visage étrange, brouillé de petite vérole […] commencèrent à venir de grosses gouttes, et c’étaient des larmes.
- 86 Révolution, t. XIV, p. 352.
78Bien sûr, Danton l’emporte sur le Régent. « Sa parenté avec Diderot est tout extérieure ; il est nerveux et positif, Diderot enflé et vague » comme l’image brouillée qui l’annonce dans le duc d’Orléans. Et celui-ci ne sut pas vouloir, alors que chez Danton, « parole et acte, c’est tout un86 ».
- 87 xviiie siècle, t. II, p. 28.
- 88 Révolution, t. XV, p. 115.
79Mais l’un et l’autre témoignent, le Régent de l’arrivée d’« un monde en fusion […] avec tous les essais éphémères et difformes par lesquels la Nature prélude à ses créations87 ». Danton du débrouillement pénible, laborieux, d’une création vaste, trouble, impure, violente comme quand la nature tâtonnait encore, sans pouvoir se dire au juste si elle ferait des hommes ou des monstres, « monstres […] sublimes88 » d’une mythologie moderne qui s’édifie entre histoire et légende.
À L’école
80Jean-Jacques Rousseau écrit dans Émile, quand approche le temps où son élève, qui a seize ans, est selon lui en âge de s’intéresser à l’étude de l’histoire :
- 89 Émile ou de l’Éducation, Paris, Flammarion, 1966, p. 311.
Les pires historiens pour un jeune homme sont ceux qui jugent. Les faits ! les faits ! et qu’il juge lui-même ; c’est ainsi qu’il apprend à connaître les hommes. Si le jugement de l’auteur le guide sans cesse, il ne fait que voir par l’œil d’un autre ; et quand cet œil lui manque, il ne voit plus rien89.
81Préparer aussi objectivement que possible les élèves à se représenter et à évaluer le passé à partir des faits et en donnant peu de place au portrait (la trop grande place attribuée au portrait est l’un des défauts que Rousseau reproche aux historiens qui lui sont contemporains) est-ce bien le souci premier des auteurs de manuel ? À parcourir des manuels du xixe siècle jusqu’à nos jours, on s’aperçoit que n’exposer que les faits et rien que les faits est peut-être un idéal utopique, qui n’est accessible que partiellement.
Au xixe siècle
- 90 Le Ragois, Instructions sur l’Histoire de France et romaine par demandes et par réponses, Par monsi (...)
82Si nous comparons plusieurs éditions des Instructions sur l’Histoire de France et romaine par demandes et par réponses90, le Régent et ses diverses initiatives sont, sous l’Empire, ainsi présentés :
Le duc d’Orléans vint au parlement avec tous les princes du sang, les ducs et pairs et grands officiers de la couronne, où il fut déclaré régent du royaume.
DEMANDE : Que dit de remarquable le duc d’Orléans dans cette assemblée ?
RÉPONSE : Il déclara qu’il consentait à avoir les mains liées pour faire du mal mais qu’il voulait être le maître pour faire du bien.
DEMANDE : À qui l’éducation du roi fut-elle commise ?
RÉPONSE : À monsieur le duc du Maine, qui fut nommé surintendant de l’éducation du roi, selon les dispositions de Louis XIV. [Suivent les noms du gouverneur et de la gouvernante.]
DEMANDE : À quel âge le roi passe-t-il entre les mains des hommes ? […]
DEMANDE : En quel temps le roi vint-il au parlement tenir son lit de justice ?
RÉPONSE : Il y vint le 12 septembre 1715, où il confirma tout ce qui avait été réglé touchant la régence.
DEMANDE : Quelle fut la nouvelle forme du gouvernement depuis l’avènement de Louis XV ?
RÉPONSE : Il y eut une déclaration du roi qui établit divers conseils particuliers subordonnés au conseil supérieur de la régence…
DEMANDE : Combien le roi établit-il de conseils par cette déclaration ?
RÉPONSE : Un conseil de conscience et de religion, un conseil de guerre, un conseil des finances, un conseil pour les affaires étrangères, un conseil pour le dedans du royaume, un conseil pour le commerce.
DEMANDE : Quand le roi fut-il sacré ?
RÉPONSE : À Reims le 25 octobre 1722 et il fut déclaré majeur le 22 février 1723.
M. le duc d’Orléans, qui pour lors était chargé du soin des affaires et de l’administration, mourut le 2 décembre de cette même année 1723.
83Cette édition de 1810 a ceci de remarquable que la présentation des faits ne se distingue pas de celle d’un document officiel. Seul existe le roi, peu importe qu’il ait cinq ans et qu’il soit alors bien incapable de réfléchir sur une quelconque forme de gouvernement. Le Régent est donc nié en tant qu’auteur et personnage politique. Le mot même de « Régent » n’est jamais prononcé. La transmission, continue, doit se faire de Louis XIV à Louis XV.
84À la question : « Qu’est-ce que l’Histoire ? » le manuel répond : « C’est le récit véritable des principaux événements qu’il y a eu dans notre pays. » Cependant dans une édition de 1822 (c’est-à-dire sous le règne de Louis XVIII, ici défini comme un « gouvernement monarchique tempéré »), le voile se déchire, les mêmes événements sont repris sous un tout autre éclairage, et un portrait du Régent est esquissé. Ses « passions » entrent en scène :
- 91 C’est nous qui soulignons.
Le duc d’Orléans, neveu de ce monarque [Louis XIV], se rendit au parlement avec tous les princes du sang, les ducs et pairs, et grands officiers de la couronne : il y fut déclaré régent du royaume, malgré le testament du roi91, qui établissait un conseil de régence où sa voix devait être seulement prépondérante.
DEMANDE : À qui l’éducation du roi fut-elle confiée ? [Suivent les noms du surintendant, du gouverneur, et de la gouvernante.]
DEMANDE : Quelle fut la première opération du régent ?
RÉPONSE : Il établit des conseils particuliers où les affaires de l’État devaient être discutées avant que le conseil général de régence donnât sa décision ; mesure sage, qui aurait produit un grand bien, si on ne l’eût pas abandonnée deux ans après. Monsieur de Noailles fut président du conseil des finances, le plus important de tous, puisque le royaume était ruiné, et que la banqueroute paraissait inévitable.
DEMANDE : Que fit-on pour rétablir les finances ?
RÉPONSE : Le régent, par un édit du 2 mai 1716, créa une banque générale sous le nom de Law, banquier, ou plutôt aventurier écossais… L’auteur du mal, Law, que le régent avait, par une confiance aveugle, fait contrôleur général, prit la fuite en 1720, emportant avec lui l’exécration publique, et alla mourir dans la misère à l’étranger…
DEMANDE : Quel homme aussi peu digne que l’écossais Law de la confiance du régent figurait à la tête des affaires, lorsque la paix fut conclue avec l’Espagne en 1720 ?
RÉPONSE : C’était l’abbé Dubois, fils d’un chirurgien de Brive-la-Gaillarde. Il avait été sous-précepteur du duc d’Orléans. En flattant les passions de son élève il obtint tant de crédit, qu’en moins de trois ans il devint prêtre, archevêque de Cambrai, cardinal et Premier ministre.
85Dans cette nouvelle édition, où se devine la haine de Louis XVIII pour la famille d’Orléans, deux faits sont affirmés : le Régent a cassé le testament de Louis XIV et il est, de 1715 à 1723, le chef politique réel de royaume. Pour le malheur de celui-ci, car le portrait qui s’esquisse le montre aveugle et dominé par un homme de basse naissance et vicieux.
- 92 Nous avons parfois choisi, d’un même auteur, des manuels s’adressant à des niveaux divers, primaire (...)
86La présentation par questions et réponses produit un effet de netteté et même de sécheresse, moins radical dans la présentation en un discours continu que l’écolier devra se remémorer non pas littéralement mais approximativement. Nous suivrons, pour ce parcours des manuels, un ordre chronologique. Les extraits sélectionnés n’ont, par définition, rien d’exhaustif92. Ils tendent seulement à montrer le jeu de la répétition et des variations et quelles références implicites ou explicites sont régulièrement utilisées.
- 93 Casimir Raffy, Répétitions Écrites d’Histoire et de Géographie pour le Baccalauréat Es Lettres, Par (...)
87Dans ses Répétitions Écrites d’Histoire et de Géographie93, Casimir Raffy donne ce portrait concis de Philippe d’Orléans où il apparaît comme un personnage dominé par celui même qu’il promeut :
Le régent lui-même, esprit d’élite, mais trop facile à distraire de tout travail sérieux, fut à son tour dominé par l’abbé Dubois, qu’il éleva des modestes fonctions de précepteur à celles de ministre (p. 416).
- 94 Émile Chevalet, Précis d’Histoire contemporaine. Pour l’admission à l’École impériale spéciale mili (...)
88Un an plus tard, Émile Chevalet, dans son Précis d’Histoire contemporaine (1866)94, écrit dans un style vif et décidé :
Le nouveau régent qui avait reçu de la nature des qualités aimables et des talents distingués, mais qui affichait publiquement le dérèglement de ses mœurs, se montra d’abord très populaire en réparant les injustices que la dévotion outrée du grand roi lui avait fait commettre dans les dernières années de son règne ; il fit sortir de prison ceux qui s’y trouvaient pour cause de religion, décréta les remises sur les impôts, augmenta la solde des troupes, rendit libre la circulation des grains, donna la chancellerie au vertueux d’Aguesseau et permit l’impression du Télémaque (p. 111-112).
89Ce mais est ici relativement peu grave. Il ne porte que sur une proposition en incise. D’ailleurs, l’auteur donne tout de suite après des signes de son approbation, à propos de Law : « Le régent […] préféra adopter un système de remboursement qui lui fut proposé par un Écossais fugitif, et qui fut le premier essai de la puissance du crédit public » (p. 112). L’opération, on le sait, se termine mal (« […] et Law disparut, emportant la malédiction générale ») ; à long terme, cependant, elle a des effets bénéfiques : « L’établissement de la compagnie des Indes et le goût des spéculations commerciales furent néanmoins un grand résultat de cette opération » (p. 113). Les graves éléments de critique portent sur l’affaire de la bulle Unigenitus (les jansénistes sont appelés « la secte de Port-Royal ») et sur le libertinage de l’époque, en particulier sur l’abbé Dubois, « ancien précepteur de Philippe d’Orléans, compagnon de ses plaisirs ». Habile, intrigant, infâme, « il mourut en 1723, des suites de ses débauches. Quant au régent, il suivit de près son valet dans la tombe (1723) » (p. 114).
- 95 Victor Duruy, Histoire de France, t. II, Paris, Hachette, 1870.
90L’Histoire de France de Victor Duruy95, parlant de la mort de Louis XIV, cite Voltaire : « J’ai vu de petites tentes dressées sur le chemin de Saint-Denis. On y dansait, on y buvait, on y riait », et Victor Duruy enchaîne (à l’exact opposé de Chevalet) : « Ainsi s’ouvrit le xviiie siècle, par une protestation inconvenante contre la monarchie absolue et contre la direction religieuse qui lui avait été imprimée dans les derniers temps » (p. 339). Lors de sa prise de pouvoir, « le duc empruntant une phrase de Télémaque, ajoutait qu’il réclamait une entière liberté pour le bien, et consentait à être lié pour le mal » (p. 339). Pour le mal, le cardinal Dubois y collabore activement :
L’ancien précepteur du duc d’Orléans qui avait communiqué à son élève, la cour de Saint-Cloud y aidant, tout ce que la nature généreuse de celui-ci pouvait comporter de vices (p. 343).
91Sur le système de Law (« Lass »), Victor Duruy affirme :
Enfin s’il fit des ruines douloureuses, comme celle de la veuve de Racine, dont le patrimoine, gagné par des vers immortels, passa à quelques habiles de la rue Quincampoix, il améliora la fortune publique par une réduction de 20 millions sur l’impôt, et par une répartition plus favorable pour les classes inférieures. Mais en bouleversant les conditions et les fortunes, il accéléra aussi l’ébranlement déjà commencé des mœurs et des idées. Cette cour, d’aspect solennel et grave autour de Louis XIV, s’était dispersée. Elle ne pouvait renaître sous un roi mineur qui n’avait pas la distribution des grâces, avec un régent qui voulait bien prendre quelques instants sur ses plaisirs pour les donner aux affaires, mais qui n’entendait pas en sacrifier un seul à l’étiquette et à la représentation. À son exemple, chacun rejetait toute retenue, toute gêne, dans les grandes comme dans les petites choses. Cela se vit jusque dans la mode (p. 350).
92Faisant référence à l’art, Victor Duruy note que Boucher succéda à Lebrun ; et il conclut : « Si les arts déclinent, les mœurs s’en vont ; et le cynisme de la conduite, comme celui de la pensée, s’affiche tout haut » (p. 350). Quant à la mort du Régent, le texte est laconique mais lourd de réprobation : « Il mourut le 2 décembre 1723, d’une attaque d’apoplexie que tout le monde et lui-même voyaient venir, qu’il pouvait mais ne voulait pas retarder, en changeant les habitudes meurtrières d’une vie de débauches » (p. 351). Suit en note de bas de page (en correctif à ce triste constat ?) : « Une institution importante appartient au régent, la création de l’administration des ponts et chaussées en 1722. »
- 96 Ernest Lavisse, Histoire. Pour les Écoles primaires et Classes élémentaires des Lycées et Collèges. (...)
93Dans son Histoire96, Ernest Lavisse n’est guère moins réprobateur que Victor Duruy. Voici le résumé qu’il donne (à réciter) :
Pendant la minorité de Louis XV, la France est gouvernée d’abord par le duc d’Orléans (17151723), qui a pour principal conseiller Dubois, puis par le duc de Bourbon (1723-1726). Ces trois personnages sont célèbres surtout pour leurs vices (p. 144).
Au xxe siècle
- 97 Blanchet, Histoire de France. Classe de Rhétorique, Paris, Belin, 1900.
94Au siècle suivant cette vision à dominante sombre et moralisante perdure, avec quelques exceptions. Dans L’Histoire de France de Blanchet (1900)97 nous pouvons lire :
Le duc d’Orléans représentait tous les ennemis du régime précédent. Il avait pour lui la haute noblesse, le parlement et les Jansénistes. Il avait de brillantes qualités ; il s’était distingué par sa bravoure à la tête de nos armées dans les campagnes d’Italie et d’Espagne. Il avait un esprit vif, accessible à toutes les séductions de la littérature et des arts, une conception facile des questions politiques, une certaine générosité dans le caractère. Son éducation et son entourage avaient malheureusement développé dans son âme une profonde corruption. Son précepteur l’abbé Dubois avait favorisé tous ses vices et lui avait donné l’exemple d’une dépravation complète (p. 254).
95Le système de Law va dans le sens de cette décadence :
Il bouleversa toutes les fortunes, il mêla toutes les classes de la société, il mit à la mode un luxe brutal et grossier et contribua encore à corrompre les mœurs de la Régence (p. 260).
96Cependant, souligne l’historien : « Le Régent rendit toute liberté à l’opinion, qui avait été si longtemps tenue silencieuse » (p. 256).
- 98 Albert Malet, Histoire de France. Enseignement secondaire des Jeunes Filles, Paris, Hachette, 1911.
97L’Histoire de France d’Albert Malet (édition de 1911)98 joue complètement sur le contraste entre la vertu de la dernière partie du règne de Louis XIV et le vice qui s’affiche pendant la Régence. À l’influence bienfaisante de Mme de Maintenon succède l’athéisme et la dissipation des « roués ».
Le Régent – il est resté célèbre sous ce nom – avait quarante-deux ans. Il était réputé pour son brillant courage, maintes fois prouvé pendant les guerres de la ligue d’Augsbourg et de la Succession d’Espagne, pour sa générosité, sa courtoisie, la vivacité de son intelligence, les grâces de son esprit. Mais il était paresseux, insouciant et corrompu. Aussi vit-on à la cour sous son influence une violente réaction contre les mœurs du règne précédent. Pendant les dernières années du règne de Louis XIV, grâce à Mme de Maintenon, la vie à Versailles avait été sérieuse et digne ; le roi avait été dévot, et les courtisans, à l’exemple du maître, s’étaient, en apparence au moins, jetés dans la dévotion. Sous la Régence, au lieu des dévots on eut les roués, fanfarons d’incrédulité et de vice, passionnés de plaisirs, même les plus grossiers, à l’exemple de Philippe d’Orléans, qui se plaisait chaque soir à de petits soupers d’où ses compagnons et lui sortaient rarement sans être complètement ivres (p. 198).
98Concernant le système de Law, une remarque, développée dans une autre édition à l’usage de l’enseignement secondaire, aggrave considérablement le tableau : sous la Régence, en effet, « on voulut devenir riche, non point par le travail, mais par le jeu : l’honnêteté générale en souffrit » (p. 204).
- 99 Albert Mallet, Histoire de France. Classe de première. Programmes officiels de 1902, Paris, Hachett (...)
99Ce qui est ainsi esquissé dans un manuel destiné à l’enseignement secondaire des jeunes filles est, par le même auteur, plus détaillé pour les classes de garçons99, sans cependant que soit donné à ces « crapuleuses débauches » d’autre contenu que le vin :
Le Régent avait quarante-deux ans. Il y avait en lui de brillantes qualités, une intelligence vive, prompte à tout saisir, apte à rendre claires pour tous les questions les plus complexes et les plus abstraites ; une grande générosité naturelle, une extrême courtoisie, surtout une rare intrépidité où se reconnaissait le sang d’Henri IV. Pour ses débuts, à dix-huit ans, pendant la guerre de la ligue d’Augsbourg, il avait été blessé à Steinkerque (1692) ; l’année d’après, devant le village de Neerwinden, il chargeait cinq fois en tête des colonnes d’assaut. Pendant la guerre de succession d’Espagne, il avait été de nouveau blessé devant Turin.
Par malheur ses belles qualités étaient annihilées par ses vices. « Il avait tous les talents, disait sa mère, excepté celui d’en faire bon usage. » Il était insouciant, « incapable de suite dans rien, jusqu’à ne pouvoir comprendre qu’on en pût avoir », paresseux et débauché. Dans sa jeunesse cet homme à l’intelligence si fine admirait « jusqu’à la vénération » son cousin, le grand prieur de Vendôme, parce qu’il y avait quarante ans qu’il ne s’était couché sans être ivre. Régent, il se plut aux mêmes crapuleuses débauches et il n’était pas de jour qui ne s’achevât pour lui dans un de ces « petits soupers » d’où les convives sortaient le plus souvent emportés aux bras des laquais. L’exemple donné de si haut ne manqua pas d’être suivi et la Régence fut, à la cour, marquée par une réaction violente contre les mœurs de la période précédente… Sous la Régence on eut, au lieu des Dévots, les fanfarons d’incrédulité et de vice, ceux que, par allusions aux individus bons à tout et dignes du dernier supplice, le duc d’Orléans, leur modèle, appelait familièrement les Roués (p. 3-5).
100Sur le système de Law, Malet enseigne :
Selon le mot de Saint-Simon, l’un des principaux résultats du système fut de faire passer « le bien de Pierre dans la poche de Jean » […] Le spectacle de ces richesses si rapidement et si facilement acquises eut sur nombre de gens, surtout à Paris, la même influence démoralisatrice qu’ont aujourd’hui sur tant de travailleurs modestes les courses et le pari mutuel. On voulut devenir riche, non point par le travail, mais par le jeu : l’honnêteté générale en souffrit. D’autre part, les nouveaux enrichis ne pensaient qu’à jouir de leur fortune soudaine et, jetant à pleines mains l’argent pour satisfaire leurs passions, devinrent de néfastes agents de corruption… L’essai de la polysynodie, l’application du système de Law au dedans, au dehors un renversement total du système politique […] tels furent les faits essentiels du gouvernement du Régent (p. 14-15).
101Sa mort, une fois de plus, est présentée dans l’éclairage tragique d’une sanction inévitable de la Nature : « Il mourut avant l’âge, à quarante-neuf ans, usé par ses débauches, tué par une attaque d’apoplexie (2 décembre 1723). »
- 100 Roman d’Amat, Cours d’Histoire (1610-1789). Classe de seconde, Paris, Hatier, 1927.
102La même articulation du portait à double facette se retrouve dans le Cours d’Histoire (1610-1789) de Roman d’Amat100 ; la facette brillante est finalement « oblitérée » par la facette négative, puisque les vices du Régent l’empêchent de s’appliquer à ses tâches politiques :
[Le Régent] avait quarante-deux ans, était beau, intelligent, instruit, spirituel, brave et séduisant. Son passé militaire était brillant ; il s’était distingué à Nerwinden (1693) et en Espagne. Ces qualités étaient malheureusement oblitérées par une absence absolue de sens moral, une mollesse et une paresse maladive, un fâcheux manque de suite dans les idées. Cet « épicurien dilettante » sans amour pour le bien, sans haine pour le mal était dangereux à la tête d’un État. Par ses mœurs déplorables, par son goût pour la « fête », pour les promiscuités interlopes, il donnait un triste exemple. Par la protection qu’il accordait à ses « bons compagnons », les « roués », ainsi appelés parce qu’il les jugeait lui-même, en bloc, dignes du supplice de la roue, il changea l’esprit de la cour… Aux dévots de Mme de Maintenon s’opposèrent les athées, les libertins… À l’intérieur, les principaux faits de la Régence furent la réaction aristocratique, parlementaire et janséniste contre le gouvernement de Louis XIV, le remplacement des secrétaires d’État par les Conseils, et la tentative de redressement financier par l’application du système de Law (p. 368-369).
- 101 Jean Guiraud, Histoire de France, Cours moyen développé, Paris, De Gigord, 1929.
103C’est ce que l’Histoire de France de Jean Guiraud101 résume en deux adjectifs à retenir par cœur :
Le duc d’Orléans régent (intelligent, débauché) […].
Il était intelligent et brave, mais il n’avait ni foi religieuse, ni moralité dans sa conduite. La cour fut bientôt corrompue à son exemple. L’enfant royal fut entouré de flatteurs incapables de lui donner le sentiment de ses devoirs. Philippe d’Orléans avait de grandes qualités naturelles, mais peu d’esprit de suite et beaucoup d’indolence. Sa mère disait que les fées s’étaient donné rendez-vous à son baptême pour l’orner de tous leurs dons ; mais que l’une d’elles, qu’on avait négligé d’inviter, avait déclaré qu’elle empêcherait toutes les faveurs accordées au jeune prince de lui servir à rien. À vrai dire, sa vive intelligence, son courage intrépide et même la générosité de son cœur furent gâtés par les vices auxquels il s’abandonna. Il n’aimait que les fêtes qui se terminaient en orgies, s’entourant de jeunes gens incrédules et débauchés comme lui-même (p. 227).
- 102 Émile Tersen, Cours d’Histoire. Les Temps modernes. Enseignement primaire supérieur, 2e année, Pari (...)
104Émile Tersen propose en 1939 une vision plus équilibrée. Les qualités et les vices ne s’opposent plus en deux sommes tellement inégales que la seconde annule toute la bonne volonté et le possible talent du personnage. Le portrait du Cours d’Histoire102 demeure stéréotypé mais le bilan politique est plus complexe et plus intéressant. (Notons la mention inhabituelle de Cartouche, non loin de Law.)
Philippe d’Orléans, alors âgé de quarante-deux ans, était brave, intelligent, tolérant (il fit surseoir aux persécutions religieuses, et mettre en liberté les jansénistes). Mais ces qualités natives étaient gâtées par une grande insouciance, une certaine mollesse de caractère, un manque absolu de préparation aux tâches gouvernementales. Son entourage de seigneurs débauchés (les roués) aggrava encore ses fâcheuses dispositions […] La Régence ébaucha une réforme politique, qui échoua très vite, et tenta une réforme financière, qui eut d’importantes conséquences. La Régence héritait d’une situation financière lamentable… Les contemporains, peu habitués à de telles expériences (le système de Law), furent surpris des mutations de fortune extraordinairement rapides qui s’étaient produites (nobles ruinés, roturiers ou domestiques brusquement enrichis). Ils attribuèrent au « système » une vague de criminalité qui sévit durant plusieurs années (exploits de Cartouche et de sa bande) […] Il n’en est pas moins vrai qu’une partie de la dette avait été remboursée, qu’on avait pu, en 1717, suspendre la perception du dixième. Dans les années qui suivirent le commerce maritime et colonial se développa beaucoup. Pourtant le but initial : créer et mettre en circulation une nouvelle masse monétaire, n’avait pu être réalisé (p. 309-311).
- 103 A. Huby, Cours d’Histoire, Dix-septième et dix-huitième siècles. Programmes officiels du 3 juin 192 (...)
105C’est toujours dans le même registre des variations légères, qu’A. Huby écrit son Cours d’Histoire103:
Né en 1674, [le Régent] avait montré tout jeune une vive intelligence, des dispositions remarquables pour la peinture, la musique, les sciences. Il s’était aussi distingué par son courage sur les champs de bataille, – à Steinkerque, en 1692, où il avait reçu sa première blessure, à Turin, en 1706, où il avait été blessé deux fois. Mais cet homme « né ennuyé », – mal conseillé, du reste, par son ancien précepteur, l’abbé Dubois, resté son confident – avait cherché très tôt dans les fêtes et la dissipation des occasions de se distraire […] À ce régime, son énergie s’était usée. En 1715, ce n’était plus qu’un prince paresseux, faible, passant ses soirées et ses nuits dans des orgies, dormant tard le matin, ne consacrant aux affaires sérieuses que les premières heures de l’après-midi et n’y apportant qu’une intelligence déjà fatiguée et une bonne volonté réfractaire à tout effort. Sous son nom, c’étaient quelques amis personnels […] qui allaient être les véritables maîtres du gouvernement […].
Réaction sans mesure : réaction politique, réaction religieuse, réaction dans les mœurs, qui ne tarda pas à remettre en question l’ordre établi par le Grand Roi (p. 474).
Ce fut, suivant les vers de Voltaire, « le temps de l’aimable Régence… Où l’on fit tout, excepté pénitence », le triomphe des bals masqués de l’Opéra (une création du duc d’Orléans), des soupers fins, de la galanterie, de la poésie légère, des bons mots et des mauvaises mœurs. L’ivrognerie notamment fit de fâcheux progrès dans l’aristocratie. Le goût ne fut plus qu’à la raillerie sans mesure, à l’impertinence spirituelle, au scepticisme. On affecta de ne plus rien prendre au sérieux, – surtout les choses sérieuses (p. 476).
Puis le duc d’Orléans, quoique de plus en plus usé par sa vie de débauche, prit à son tour le titre de Premier Ministre et le conserva jusqu’en décembre, où une attaque d’apoplexie le foudroya (p. 485).
- 104 P. Hallynck, Cours d’Histoire, xviie et xviiie siècles, 1610-1789. Enseignement du second degré. Pr (...)
106Dans ce dernier texte, à la différence de la présentation plus nuancée d’Émile Tersen, la décrépitude morale et physique du Régent gagne tout. Ce gouvernement « par réaction » n’a d’autre énergie que celle des passions les plus viles. Cependant, avec le manuel de P. Hallynck104, professeur au lycée Louis-Le-Grand, qu’un degré supérieur de blâme est atteint :
Malgré le testament de Louis XIV, le duc d’Orléans se fit investir Régent absolu par le Parlement de Paris. Homme intelligent mais taré, il abandonna en fait le gouvernement à l’abbé Dubois pour mener une existence de débauche en compagnie des roués. La Régence fut d’abord une réaction générale contre le règne précédent, dans les mœurs (licence), la politique (polysynodie) et la religion (réveil du jansénisme). Mais, en 1718, le Régent revint à une attitude de fermeté. […] À côté de remarquables qualités, le Régent présentait de terribles défauts. D’une intelligence brillante et fine, d’une conversation séduisante soutenue par une solide instruction et un tempérament d’artiste, il avait aussi montré de la bravoure et des talents militaires pendant la guerre de Succession d’Espagne, où il avait été blessé. Mais, profondément sceptique, il n’avait aucune moralité et, désabusé, recherchait les plaisirs les plus bas ; sa paresse lui faisait délaisser ses devoirs. Seule son ambition restait en éveil ; devant la santé alors chancelante de Louis XV, il aspirait à lui succéder, et on verra que cette préoccupation orientera sa diplomatie vers une entente avec l’Angleterre. Désireux du pouvoir, il n’avait cependant nullement la passion de l’exercer (p. 302-303).
Loin de donner l’exemple de la tenue, Philippe d’Orléans vécut dans la licence et contribua largement au scandaleux relâchement des mœurs qui caractérisa le temps de la Régence. Il menait joyeuse vie en compagnie de gens sans dignité qui avaient pris le surnom de roués (dignes du supplice de la roue). Aux petits-soupers qu’il leur offrait en sa demeure du Palais-Royal, « on buvait, on disait des grossièretés et des impiétés à qui mieux mieux, rapporte Saint-Simon ; puis, quand on avait bien fait du bruit et qu’on était bien ivre, on s’allait coucher et on recommençait le lendemain ». Il invitait la société la plus mêlée à des bals travestis à l’Opéra. Ainsi s’affaiblissait dangereusement le prestige de la Royauté, que Louis XIV avait su tenir si haut, et de déplorables exemples s’offraient au jeune souverain (p. 304).
Depuis 1718 le Régent revenait donc nettement à une politique de fermeté, car il s’apercevait de l’affaiblissement de l’autorité alors qu’il avait le secret espoir de parvenir au trône (p. 305).
- 105 Mallet et Isaac, Cours d’Histoire xviie et xviiie siècles. Classe de seconde, édition révisée, Pari (...)
107En 1952, le Cours d’Histoire xviie et xviiie siècles de Mallet-Isaac105, propose une vision beaucoup plus modérée, avec une analyse détaillée du système de Law. La condamnation morale dudit système (« Le spectacle de ces richesses si facilement acquise eut, comme à l’ordinaire, une influence démoralisatrice », p. 313) est cependant une simple variante de l’édition Mallet de 1914 déjà citée, sans la référence à l’effet démoralisateur du pari mutuel sur les travailleurs modestes.
- 106 xvie, xviie, xviiie siècles, par une réunion de professeurs, Paris, Éd. Ligel, 1959.
108Dans un manuel de 1959 intitulé xvie, xviie, xviiie siècles106, on trouve encore ce portrait :
Philippe d’Orléans était un prince brave, d’une réelle capacité militaire et d’esprit brillant, mais il gâta ses belles qualités par sa paresse, son insouciance et le dérèglement de sa conduite. Les courtisans suivirent son mauvais exemple et l’époque de la Régence devint une époque d’incrédulité et d’immoralité qui contribua à avilir le prestige de la monarchie. Il prit pour conseiller son ancien précepteur, l’abbé Dubois, homme habile mais sans scrupule qu’il fit nommer cardinal […] La Régence fut une réaction générale contre les principes qui avaient régi la société française sous Louis XIV (p. 398-399).
- 107 Pierre Milza et Serge Bernstein, Histoire. Classe de quatrième, Paris, Nathan, 1970.
109Le manuel d’Histoire de Pierre Milza et Serge Bernstein (1970)107 propose une présentation plus visuelle, doublée par ce commentaire :
Une réaction contre le règne de Louis XIV s’opère dans tous les domaines. Le Régent est un homme intelligent et qui a des qualités d’homme d’État, mais il est insouciant et ami des plaisirs. Subissant l’influence de son entourage de grands seigneurs libertins, il donne le ton à une haute société qui aspire à une rupture avec les mœurs austères imposées à la cour par Louis XIV vieillissant. Le goût des divertissements, de la vie mondaine, du jeu caractérisent cette société des salons et des « fêtes galantes » dont Watteau et Lancret seront des témoins (p. 240).
Certains résultats du « système » de Law peuvent être considérés comme positifs. La hausse des prix a stimulé le commerce et l’industrie. La compagnie des Indes a survécu à la banqueroute et les dettes de l’État, payées en monnaie dépréciée, ont diminué sensiblement. Mais les Français ont perdu toute confiance dans la monnaie de papier et dans les pratiques bancaires. Ce qui va retarder de plus d’un siècle le développement en France de grands établissement de crédit (p. 241).
- 108 Pierre Milza et Serge Bernstein, Histoire classe de seconde, Paris, Hatier, 1981, p. 95.
- 109 P. Wagret (dir.), Histoire classe de seconde, Casteila, 1987, p. 55.
- 110 J.-M. Lambin, Histoire classe de seconde, Paris, Hachette, 1996, p. 162.
- 111 J.-M. Gaillard (dir.), Histoire classe de seconde. Les Fondements du monde contemporain. Programme (...)
110Les manuels suivants, postérieurs aux années 1970, font tous impasse sur le Régent. Qu’il s’agisse de l’Histoire. Classe de seconde des mêmes Milza et Bernstein108 : « Dès le début du xviiie siècle, la monarchie absolue connaît en France des difficultés qui s’aggravent après le mort de Louis XIV en 1715. Elle devient de plus en plus une monarchie bureaucratique […] » ; de l’Histoire classe de seconde, dirigé par P. Wagret109: « Devenu roi de France à la mort de son arrière-grand-père Louis XIV alors qu’il n’a que cinq ans, Louis XV hérite en même temps que du trône de l’appareil de pouvoir perfectionné par ce dernier » ; de l’Histoire, classe de seconde, de J.-M. Lambin110 : « Après la Régence (17151723), au cours de laquelle la monarchie absolue est remise en cause par la noblesse, Louis XV décide de gouverner seul » ; ou encore de l’Histoire classe de seconde, sous la direction de J.-M. Gaillard111 qui ne mentionne la Régence ni dans un vaste tableau « De la Renaissance à la Révolution », ni dans la rubrique « Politique et mouvement des idées », ni dans celle « Arts et Sciences », mais seulement dans « Économie » : « 1720. Échec du système de Law en France (abandon du billet de banque) ».
111La lecture de ces manuels, ce parcours dans le temps pédagogique, révèle dans la facture du livre deux grands changements : l’apport de graphiques et d’images qui occupent de plus en plus de place ; et la modification du titre : le Cours d’Histoire xviie-xviiie siècles ou l’Histoire de France 1610-1789 est aujourd’hui devenu : Histoire classe de seconde : ce n’est pas sans signification. Quant au texte même, ses variations d’écriture peuvent se lire un peu comme des Exercices de style. Infimes remplacements d’un mot par un synonyme.
112Pour ajouter à cet effet de troublante proximité, les citations ou référence retenues, peu nombreuses, se répètent avec une belle régularité : la princesse Palatine, écrivant que son fils « avait tous les talents excepté celui d’en faire bon usage », ou encore l’anecdote de la fée non invitée (par contre tous les passages où Madame dit comment le Régent « se tue au travail » sont oubliés) ; et Saint-Simon déplorant le temps et l’énergie perdus dans les petits soupers. Voltaire n’est cité qu’épisodiquement et l’utilisation du Journal de Barbier est récente et rare.
- 112 Voir, sur ce point, Pierre Michel, « “Tout un 89” : Michelet et le Régent », p. 225.
113À partir d’une circulation d’éléments communs, des choix importants se font pour aboutir à un jugement d’ensemble sur le Régent et son gouvernement. Le jugement clairement positif développé dans sa pleine affirmation de liberté par Michelet dans son Histoire de France112 ne rencontre pas d’écho chez les auteurs de manuels. Le Régent est un personnage très critiquable. Intelligent, esthète et brave, mais… Le degré de condamnation varie en fonction :
-
de l’emphase mise sur les vices. Ceux-ci ne sont jamais détaillés ni même nommés, sauf pour l’ivrognerie et les excès de table ; par contre, à l’inverse de ce qui se passe dans les libelles des contemporains, la duchesse de Berry n’est jamais mentionnée. Parler des vices c’est évoquer le « couple » le Régent/Dubois (qui fait écran à celui, incestueux et par trop scandaleux du Régent/sa fille). Dubois est présenté comme le corrupteur du Régent, tandis que le Régent lui-même est dénoncé, dans quelques manuels, comme le corrupteur du jeune roi. Chaîne de corruptions et de déchéances successives, en réaction à l’absolutisme religieux et politique du Grand Roi…
-
du jugement porté sur le système de Law. Celui-ci, au pire, rejoint les « vices » dont il multiplie la puissance de désordre et de destruction ; au mieux, on admet que les dettes accumulées par le Grand Roi ont été en partie payées et que le système bancaire introduit par Law est promis à un avenir certain.
- 113 Histoire classe de seconde, Éd. Bertrand-Lacoste, coll. « Le Pellec », 1995.
114Ce qui précède ne vaut que pour des Cours d’Histoire de France relativement anciens et aux découpages chronologiques traditionnels. Les manuels contemporains ont des repères historiques beaucoup plus larges et tendent à inclure la France dans une configuration plus vaste (le but : « Permettre à l’élève de comprendre le monde contemporain et de s’insérer dans la cité113 »). Du Régent nul portrait. La Régence même disparaît.
115Dans cette ellipse tombe en fait, à partir de Louis XIV et des premières attaques contre l’absolutisme, tout l’Ancien Régime, c’est-à-dire, en un bloc : la Régence, Louis XV et Louis XVI. Les parlements, la philosophie des Lumières, les révolutions d’Angleterre et la guerre d’Indépendance d’Amérique font le travail de sape qui ouvre sur la Révolution et sur le monde contemporain. Le sous-titre d’un tableau représentant le « Lit de justice tenu par le jeune roi Louis XV, le 2 septembre 1715 » illustre bien cette suppression du Régent.
116Paradoxalement, on revient ainsi au gommage initial opéré par les antiques Instructions sur l’Histoire de France par demandes et par réponses de M. Le Ragois, précepteur de M. le duc du Maine. Mais dorénavant ce n’est plus parce que seul le Roi seul, mais parce que tous les rois étant promis à disparition, il est inutile de s’attarder sur un personnage aussi secondaire que le Régent.
117Si les Mémoires de Saint-Simon sont la principale source de l’historiographie de la Régence, ils ne sont évidemment pas la seule. Tout repose sur un ensemble de textes somme toute peu nombreux. Les Journaux de Barbier et de Buvat, les Mémoires secrets de Duclos, les Mémoires du duc de Richelieu et la Vie privée du même sont très souvent cités et constituent, avec quelques correspondances, comme celle de la princesse Palatine, le fonds commun dans lequel ont puisé de très nombreux auteurs.
Notes
1 Précisons tout de suite que Marmontel n’adopte pas le point de vue politique et moral de Voltaire dans son Essai sur les mœurs et ne peut non plus, étant donné la brièveté de la période qu’il étudie, imposer à son récit la dynamique qui commande aux Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence (1734) ou à l’Histoire du déclin et de la chute de l’Empire romain d’Occident (1787), dont les premiers tomes paraissent en 1777.
2 Slatkine en donna en 1968 la reproduction fac simile. Curieusement, je n’ai pas trouvé l’original de cette édition répertorié dans le catalogue des imprimés de la BNF.
3 Paris, Née de la Rochelle, 17 volumes in-8˚.
4 Ils sont publiés pour la première fois dans l’édition des Œuvres posthumes de 1804-1806 (2 vol., in-8˚, t. I-IV) et sont suivis dans les tomes V et VI de l’Histoire de la Régence. Ils ne seront publiés à part qu’à partir de 1827 (Paris, Ledoux, 2 vol., in-8˚).
5 Dans son édition des Mémoires de Saint-Simon dans la Bibliothèque de la Pléiade (nous nous référons à cette édition pour les citations tirées des Mémoires), Yves Coirault rappelle en préface dans quelles circonstances ont été lus les manuscrits au xviiie siècle : après le transfert du dépôt des Affaires étrangères, où étaient gardées les cinq caisses qui contiennent le manuscrit de Saint-Simon du donjon du Vieux Louvre à Versailles en 1762, l’abbé Voisenon et Duclos exploitèrent les premiers ce manuscrit autographe ; Marmontel vint à leur suite.
6 Jean-Baptiste-François Desmarets, marquis de Maillebois, fils du contrôleur général.
7 Et non tant, comme le voudrait l’auteur de la notice, une histoire qui commencerait avec le règne de Louis XIV. D’ailleurs, cette entreprise reviendrait à refaire du Voltaire, et le point de vue de Marmontel devait s’en dégager, tout en reconnaissant l’héritage laissé par le philosophe. Il faudrait peut-être aussi montrer comment Marmontel récupère la manière voltairienne d’aborder l’histoire, si l’on veut au mieux éclairer les problèmes spécifiques de l’écriture historique. Mais cette ambition ne peut être réduite aux dimensions d’un article, de même que l’étude des sources qui ressortit à une problématique similaire. Voltaire, source documentaire de Marmontel ? La question mériterait d’être traitée avec précision : même si on ne saurait entrer dans tous les points de vue – celui de Saint-Simon comme source nous suffit amplement –, l’on peut toutefois envisager, à propos de Voltaire, quelques éléments de compréhension que nous essaierons de mettre, certes brièvement, en évidence à la fin de cette étude.
8 Bien d’autres lettres de cette correspondance servent de source pour cette première période, celle de la jeunesse du duc d’Orléans.
9 Mémoires politiques et militaires pour servir à l’histoire de Louis XIV et de Louis XV composés sur les pièces originales recueillies par Adrien-Maurice, duc de Noailles. La mention de cette source suggère que le chapitre n’a pu être achevé avant 1777, date de la publication de ces Mémoires par l’abbé Millot, à moins que Marmontel n’ait eu accès à ces papiers avant, ce qui semble peu probable.
10 Mémoires pour servir à l’histoire d’Espagne sous le règne de Philippe V, Amsterdam, 1756.
11 Marie-Louise-Madeleine-Victoire Le Bel de La Boissière de Séry, comtesse d’Argenton, fut, si l’on en croit J.-C. Petitfils, la seule de ses maîtresses que le duc aima d’un amour profond : elle le garda de 1701 à 1710 sous son emprise, et eut de lui deux enfants, dont le second mourut très tôt ; l’autre, Jean-Philippe, né le 28 juillet 1702, fut légitimé et devint abbé d’Hautvilliers, grand d’Espagne. Elle comprit qu’elle pouvait jouer un rôle politique auprès du Régent.
12 Il parle de la « clause de ceux qui véritablement et d’effet sont laterales regis contre ce vas electum du tiers état ».
13 Il s’agit toujours de l’affaire de l’abaissement des bâtards et de la réduction du rôle du duc du Maine.
14 Toujours à propos de cette affaire, voici ce que dit encore Marmontel de la relation des Mémoires : « Il faut donc croire, ou que Dubois trompait son maître et ne lui disait que ce qu’il voulait, et quand il voulait, comme Saint-Simon le présume, ou que les instructions qui regardaient le duc et la duchesse du Maine ne s’étaient pas trouvées dans les papiers de l’ambassadeur, et furent acquises plus tard » (p. 681).
15 Éd. Félix Danjou, Paris, Beauvais, 1834-1841, 30 vol.
16 Il se fit notamment remarquer dans ce genre avec « La Gloire de Louis XIV perpétuée dans le Roi son successeur » (1745), et « La Clémence de Louis XIV est une des vertus de son auguste successeur » (1747).
17 Charles Lacretelle, Histoire de France pendant le xviiie siècle, 1808, Paris, Buisson, 2e éd., 1810, t. I, p. 125.
18 Camille Jullian lui reconnaît « du jugement, de la gravité, un effort de sobriété […] Il a été pour beaucoup dans cette vogue incroyable dont jouira l’enseignement historique en 1820 : il l’a commencée et justifiée » (Extraits des historiens français du xixe siècle, Paris, Hachette, 1896, p. 10).
19 Chateaubriand, Études historiques, 1831, Lefèvre, 2e éd., t. I, Préface, p. 65.
20 « Augustin Thierry, dix ans d’études historiques », 1834, in Œuvres, Paris, Garnier, s. d., p. 317.
21 Velly, Histoire de France depuis l’établissement de la monarchie jusqu’au règne de Louis XIV, Dessaint et Saillant, 1765, t. I, p. 41.
22 Chateaubriand, Essai sur les révolutions, 1797, Bibl. de la Pléiade, p. 397.
23 C. Lacretelle, op. cit.
24 « Chateaubriand », in Études historiques, t. IV, p. 444.
25 Essai sur les révolutions, p. 397, 99 et 98.
26 Michelet, « Le xviiie siècle », in Histoire de France, 1863, Genève, Éd. Rencontre, t. X, p. 354.
27 Chateaubriand, Essai, op. cit., p. 71.
28 Mémoires d’outre-tombe, Paris, Flammarion, édition du Centenaire, IIIe partie, IIe époque, livre 6, p. 110.
29 Thiers, Histoire de la Révolution française, 1823, 6e éd., Paris, Furne, 1837, t. I, p. 5.
30 « Lemontey, très fin, très exact, très informé, […] a fait un beau livre. Mais […] l’ensemble est obscur […] Les historiens économistes […] clairs à première vue […] restent obscurs », xviiie siècle, t. II, p. 30-33.
31 « Histoire de la Révolution », in Histoire de France, op. cit., t. XIII, p. 86.
32 C. Lacretelle, op. cit.
33 Ibid., p. 41.
34 P. 253.
35 P. 385.
36 P. 381.
37 Saint-Simon, Mémoires, Paris, Ramsay, t. XII, p. 373.
38 Michelet, xviiie siècle, t. X, p. 387.
39 xviiie siècle, t. II, p. 35.
40 P. 178.
41 P. 93.
42 Henri Martin, Histoire de France populaire, t. III, p. 135.
43 Michelet, op. cit., t. II, p. 25sq.
44 P. 224.
45 P. 343.
46 P. 76 et 148.
47 P. 66.
48 P. 39.
49 P. 178.
50 P. 25.
51 P. 208.
52 P. 72.
53 P. 107.
54 P. 153.
55 P. 179.
56 P. 209.
57 « xviie siècle », in Histoire de France, t. VIII, p. 110.
58 Ibid., p. 124.
59 xviiie siècle, t. II, p. 343.
60 Ibid, t. VIII, p. 110.
61 Ibid, t. II, p. 107.
62 P. 82.
63 P. 294.
64 P. 257.
65 P. 32.
66 Ibid, t. II, p. 212.
67 Révolution, t. XIV, p. 107.
68 xviiie siècle, t. II, p. 78.
69 Ibid, t. X, p. 343.
70 Ibid, t. XI, p. 78.
71 P. 270 et 277.
72 Chateaubriand, Mémoires, IIIe partie, IIe époque, livre 11, chap. xiv, p. 629.
73 xviiie siècle, t. X, p. 344.
74 Ibid., t. II, p. 78.
75 T. X, p. 344.
76 P. 343.
77 T. II, p. 94.
78 P. 98.
79 P. 253.
80 P. 103.
81 P. 159.
82 Révolution, t. XIV, p. 110.
83 P. 116.
84 Journal, 30 janvier 1842, Paris, Gallimard, t. I, p. 378.
85 De même, la duchesse de Berry « avait une chose de son père […] ; le don des larmes. Tous deux pleuraient fort aisément » (xviiie siècle, t. II, p. 93).
86 Révolution, t. XIV, p. 352.
87 xviiie siècle, t. II, p. 28.
88 Révolution, t. XV, p. 115.
89 Émile ou de l’Éducation, Paris, Flammarion, 1966, p. 311.
90 Le Ragois, Instructions sur l’Histoire de France et romaine par demandes et par réponses, Par monsieur Le Ragois Précepteur de Monseigneur le duc du Maine, Paris, chez André Pralard (la première édition date de 1687).
91 C’est nous qui soulignons.
92 Nous avons parfois choisi, d’un même auteur, des manuels s’adressant à des niveaux divers, primaire ou secondaire : on y retrouve la même intention plus ou moins développée. Dans les textes cités, les italiques sont des auteurs.
93 Casimir Raffy, Répétitions Écrites d’Histoire et de Géographie pour le Baccalauréat Es Lettres, Paris, A. Durand et E. Privat, 1864-1865.
94 Émile Chevalet, Précis d’Histoire contemporaine. Pour l’admission à l’École impériale spéciale militaire, Paris, Librairie Chamerot et Lauwereyns, 1866.
95 Victor Duruy, Histoire de France, t. II, Paris, Hachette, 1870.
96 Ernest Lavisse, Histoire. Pour les Écoles primaires et Classes élémentaires des Lycées et Collèges. Programme de 1882, Paris, Armand Colin, 1887.
97 Blanchet, Histoire de France. Classe de Rhétorique, Paris, Belin, 1900.
98 Albert Malet, Histoire de France. Enseignement secondaire des Jeunes Filles, Paris, Hachette, 1911.
99 Albert Mallet, Histoire de France. Classe de première. Programmes officiels de 1902, Paris, Hachette, 1914.
100 Roman d’Amat, Cours d’Histoire (1610-1789). Classe de seconde, Paris, Hatier, 1927.
101 Jean Guiraud, Histoire de France, Cours moyen développé, Paris, De Gigord, 1929.
102 Émile Tersen, Cours d’Histoire. Les Temps modernes. Enseignement primaire supérieur, 2e année, Paris, Delagrave, 1939.
103 A. Huby, Cours d’Histoire, Dix-septième et dix-huitième siècles. Programmes officiels du 3 juin 1925, Paris, Delagrave, 1942.
104 P. Hallynck, Cours d’Histoire, xviie et xviiie siècles, 1610-1789. Enseignement du second degré. Programme de 1944, Paris, Masson, 1945.
105 Mallet et Isaac, Cours d’Histoire xviie et xviiie siècles. Classe de seconde, édition révisée, Paris, Hachette, 1952.
106 xvie, xviie, xviiie siècles, par une réunion de professeurs, Paris, Éd. Ligel, 1959.
107 Pierre Milza et Serge Bernstein, Histoire. Classe de quatrième, Paris, Nathan, 1970.
108 Pierre Milza et Serge Bernstein, Histoire classe de seconde, Paris, Hatier, 1981, p. 95.
109 P. Wagret (dir.), Histoire classe de seconde, Casteila, 1987, p. 55.
110 J.-M. Lambin, Histoire classe de seconde, Paris, Hachette, 1996, p. 162.
111 J.-M. Gaillard (dir.), Histoire classe de seconde. Les Fondements du monde contemporain. Programme 2001, Paris, Bréal.
112 Voir, sur ce point, Pierre Michel, « “Tout un 89” : Michelet et le Régent », p. 225.
113 Histoire classe de seconde, Éd. Bertrand-Lacoste, coll. « Le Pellec », 1995.
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Caption | Philippe d’Orléans et son fils le duc de Chartres à Meudon, anonyme, Musée de Versailles. (BnF.) |
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