Céramiques et commerce dans l’océan Indien

Hélène Renel et Bing Zhao

p. 286-287


Texte intégral

1Entre la fin du xe et le début du xiie siècle, l’océan Indien, notamment sa façade maritime occidentale, connut un véritable essor économique, conséquence du développement des réseaux ismaéliens* et sirafis.* L’accroissement du pouvoir fatimide, désireux de capter le grand commerce international, favorisa l’implantation de marchands égyptiens dans les grands ports de l’océan Indien à partir de la fin du xe siècle (cf p. 266‑267). À cette mise en place d’un réseau ismaélien puissant s’ajouta l’installation massive de marchands du golfe le long des côtes de l’océan Indien occidental. En effet, le déclin progressif de Siraf, au sud de l’Iran, en raison des effets conjugués du tremblement de terre de 977 et de problèmes politiques dans le Fars, entraina la dispersion de ses marchands dans le sud de la péninsule Arabique et en Afrique de l’Est. Au port de Siraf, jusqu’alors tête de pont du commerce international, se substituèrent alors d’autres ports en aval du golfe Persique et le long des côtes de l’océan Indien occidental, favorisant ainsi les échanges.

2Un grand nombre de tessons de céramiques chinoises et islamiques a été mis au jour, depuis le milieu du xxe siècle, sur de nombreux sites, témoignant du dynamisme des réseaux marchands et de leur évolution dans l’océan Indien occidental. En provenance de Chine, dès la fin du ixe siècle, des grès à décor peint en brun de fer et vert de cuivre ont été retrouvés sur l’ensemble des côtes de l’océan Indien. À leur côté, ont été importés des grès et porcelaines de Chine du Nord (sancai* et grès à couverte verte des fours de Yue*), qui furent remplacés progressivement par les qingbai* produits au Jiangxi et au Fujian.

Coupe en grès à couverte verte des fours de Yue, découverte dans l’épave du Cirebon, île de Java, Indonésie.

Coupe à décor de sgraffiato hachuré, Iran, xie siècle, découverte à Mayotte sur le site de Dembeni.

© H. Renel, 2015.

3L’étude et l’identification des grès à couverte verte des fours de Yue*, associées à celles des sgraffiatos* islamiques à décor hachuré, deux productions emblématiques des xe et xie siècles, mettent en lumière cette intense activité commerciale. Leur répartition présente, toutefois, quelques différences significatives écho de deux réseaux complémentaires. Les sgraffiatos, production glaçurée de qualité, sont attestés sur l’ensemble des côtes africaines et arabiques, ainsi que celles du détroit d’Hormuz, mais pénétrèrent très peu dans le golfe Persique et sont absents de la mer Rouge, marquant probablement ainsi les limites de l’emprise du réseau persan. La production chinoise apparait plus largement diffusée, à l’instar d’autres produits de luxe tels que les épices, les soieries ou le cristal de roche (cf p. 272‑273). Ces denrées étaient transférées, à Aden, sur des bateaux égyptiens pour atteindre Le Caire (cf p. 224‑225).

4L’arrivée en nombre de ces céramiques chinoises, par voie maritime, mais également terrestre, à la cour abbasside entraîna une série d’innovations techniques chez les potiers du Proche et Moyen-Orient. Le désir de reproduire la polychromie des céramiques trois couleurs sancai mais surtout la blancheur des productions des fours de Ding*, aboutit à la première révolution des potiers islamiques : la glaçure stannifère. L’ajout d’oxyde d’étain dans la glaçure permit d’obtenir des surfaces opaques parfaitement blanches qui, dans un premier temps, imitèrent les pièces chinoises avant de devenir le support d’une multitude de décors finement peints et luxueux comme les décors cobalt, les lustres métalliques*, ou la céramique dite « à petit feu »* quelques années plus tard. Cette innovation fut reprise à partir du xiiie siècle en Italie dans les productions majoliques archaïques qui constituèrent elles-mêmes les prototypes de la faïence de la Renaissance en Europe. À l’inverse, l’introduction de cobalt dans les céramiques sancai et la production de grès à décor bleu des ixe et xe siècle, attestée notamment par des découvertes à Yangzhou, se fit sous l’influence des céramiques iraqiennes à décor cobalt importées en Chine.

La diffusion des céramiques sgraffiatos et des grès à couverte verte des fours de Yue dans l’océan Indien, fin xe-xie siècle.


Le texte seul est utilisable sous licence Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.