Les routes des esclaves
p. 278-279
Texte intégral
1L’Afrique intertropicale a été un grand réservoir d’esclaves pour le monde islamique. Considérés comme païens, les Noirs pouvaient être réduits en servitude et firent très tôt l’objet d’un commerce à longue distance, développé en collaboration avec les structures politiques locales qui fournissaient la précieuse « marchandise ». Depuis les côtes de la Corne d’Afrique et du pays des Zanj-s*, les esclaves étaient transportés à travers l’océan Indien vers le Proche-Orient, notamment les marais du bas-Iraq où ils furent employés pour des travaux agricoles et où ils se révoltèrent au ixe siècle. Ceux d’Afrique subsaharienne furent transportés, à partir du milieu du viiie siècle, tout comme l’or, à travers le désert, vers le Maghreb, par les marchands ibadites*, pour un usage domestique et agricole, ou pour être réexportés vers l’Égypte ou al-Andalus. Dès cette époque, l’axe reliant la région du Kanem (près du lac Tchad) et le Fezzān, et de là vers la Tripolitaine et la Cyrénaïque (Libye), semble particulièrement actif, même si les itinéraires plus occidentaux, vers le Maroc, ont aussi été empruntés. Les caravanes, qui pouvaient compter plusieurs centaines d’esclaves selon le témoignage d’Ibn Baṭṭūṭa au xive siècle, traversaient le désert dans des conditions difficiles, pouvant entraîner une forte mortalité. Au milieu du xve siècle, l’Europe devint un marché majeur d’esclaves noirs, en raison des difficultés d’acheminement, liées à l’expansion de l’Empire ottoman, depuis la mer Noire qui jusqu’alors représentait le principal foyer de production servile de l’Occident. En Cyrénaïque (les « Monts de Barca » des documents latins) et en Tripolitaine, les marchands catalans de Sicile venaient s’approvisionner pour alimenter les villes d’Italie ou de la couronne d’Aragon. Mais à la même époque, la poussée portugaise le long des côtes atlantiques de l’Afrique ouvrait de nouvelles voies d’approvisionnement maritimes, au détriment des historiques voies sahariennes. Arguin en Mauritanie, puis des ports du golfe de Guinée, devinrent des centres d’exportation d’esclaves, toujours à destination de l’Europe, puis, de plus en plus, vers les Canaries, Madère et Sao Tomé, pour soutenir les nouvelles exploitations de canne à sucre. Ces nouvelles voies directes, qui limitaient désormais considérablement l’intervention des marchands sahariens, furent employées dès le milieu du xvie siècle pour développer la traite transatlantique.
2C. C. et D. V.
Le commerce des esclaves africains, (fin xve-début xvie siècle).

D’après I. Armenteros Martínez, La esclavitud en Barcelona a fines de Edad Media (1479‑1516).
3L’esclavage militaire qui prit forme sous les Abbassides au ixe siècle fut une institution propre au monde musulman. Il se distinguait de l’esclavage domestique (pour lequel les esclaves sont appelés ghulām ou, s’ils sont noirs, ʿabīd), notamment parce qu’il constituait une formation d’élite au maniement des armes, aux arts équestres et aux principes de la religion. Sélectionnés sur les marchés aux esclaves, les futurs guerriers étaient des captifs de razzias ou des enfants pauvres vendus par leur famille, pour la plupart originaires des steppes d’Asie centrale et de la mer Noire ou du Caucase. On les appelait mamlūk (en arabe : possédé). Au terme de leur formation, ils étaient affranchis. Paradoxalement, l’esclavage militaire était donc un moyen d’ascension sociale.
« Marché aux esclaves », Maqāmāt d’al-Ḥarīrī, Iraq, 1236‑1237.

© Paris, BnF, ms. Arabe 5847, fol. 105.
4Au xiiie siècle, le phénomène atteignit son apogée quand, pour la première fois, deux puissants sultanats devinrent des régimes mamluks : celui de Delhi, puis celui d’Égypte et de Syrie (cf p. 90‑91). Non seulement les esclaves militaires formaient la base de leurs armées mais seuls ces derniers pouvaient être portés sur le trône, comme le montre l’exemple du sultan Baybars (1260‑1277), turc Qipchaq originaire de la Horde d’Or. L’éducation des mamluks au Caire est la mieux documentée. La première étape était la conversion à l’islam : le futur mamluk recevait d’abord un nom musulman et était circoncis. Il entrait alors dans une kuttābiyya (école de la Maison d’un émir* ou du sultan) où il apprenait à lire et écrire en arabe et en turc. L’entraînement militaire commençait après l’âge de 15 ans. Une fois leur éducation achevée, les candidats recevaient un diplôme et étaient affranchis. C’est alors qu’ils devenaient réellement des mamluks et qu’ils pouvaient bénéficier des privilèges associés à leur statut : porter des armes et un uniforme, monter à cheval et posséder leurs propres esclaves militaires. La Maison d’un grand émir était dotée en moyenne de 100 à 200 mamluks sans compter les élèves des kuttābiyya. Quant aux sultans, ils avaient jusqu’à 10 000 mamluks. Ces derniers, coupés de leurs racines, avaient la réputation d’être d’une loyauté absolue envers leur maître et leurs frères d’armes, contrairement aux mercenaires considérés comme peu fiables. L’institution de l’esclavage militaire continua d’exister, quoique à une échelle réduite, sous les Ottomans qui recrutèrent des « janissaires » jusqu’au xixe siècle.
5M. F.
Le sultan al-Ṣāliḥ Ayyūb mandate un marchand d’esclaves, le khawāja ʿAlī ibn al- Warrāq, pour lui acheter des mamlūk-s
« Sur le champ, le vizir envoya quérir tous les marchands de mamlouks qui se trouvaient au Caire et leur dit : “Sa Majesté le sultan notre maître veut acheter quelques mamlouks triés sur le volet, savants, habiles et compétents, pour les utiliser dans les services du gouvernement et en faire des émirs et des vizirs. Il lui faudrait en tout quelque chose comme cent esclaves, pas davantage.” […]
[Le sultan dit à ʿAlī ibn al- Warrāq :]
– Je veux que tu m’achètes quelques mamlouks de choix que je ferai entrer au conseil comme vizirs, émirs et écuyers.
– À tes ordres, sur ma tête et mon œil.
– Il m’en faudrait quelque chose comme soixante-dix ou quatre-vingt. »
Anonyme, Roman de Baïbars I. Les enfances de Baibars, p. 46, 62. Le Roman de Baybars est une œuvre littéraire anonyme et collective, écrite plusieurs siècles après l’époque mamluke. Elle ne rend donc pas compte des réalités sociales, mais témoigne de la forte impression que les Mamluks ont faite.
L’évolution de la traite des mamluks au xiiie siècle.

(D’après M. Favereau, 2018).

Le texte seul est utilisable sous licence Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les chemins de la décolonisation de l’empire colonial français, 1936-1956
Colloque organisé par l’IHTP les 4 et 5 octobre 1984
Charles-Robert Ageron (dir.)
1986
Premières communautés paysannes en Méditerranée occidentale
Actes du Colloque International du CNRS (Montpellier, 26-29 avril 1983)
Jean Guilaine, Jean Courtin, Jean-Louis Roudil et al. (dir.)
1987
La formation de l’Irak contemporain
Le rôle politique des ulémas chiites à la fin de la domination ottomane et au moment de la création de l’état irakien
Pierre-Jean Luizard
2002
La télévision des Trente Glorieuses
Culture et politique
Évelyne Cohen et Marie-Françoise Lévy (dir.)
2007
L’homme et sa diversité
Perspectives en enjeux de l’anthropologie biologique
Anne-Marie Guihard-Costa, Gilles Boetsch et Alain Froment (dir.)
2007