Une pandémie médiévale
La peste noire
p. 264-265
Texte intégral
1Lorsque la peste s’est abattue sur le pourtour du bassin méditerranéen au milieu du xive siècle, ce n’était pas la première fois que cette partie du monde faisait face à une épidémie de grande envergure. La peste dite « de Justinien », arrivée par la mer Rouge en 541, avait été suivie de plus de deux siècles de répliques. L’Iraq, la Syrie et l’Égypte, notamment, les subirent fortement, d’abord sous les Empires byzantin et sassanide, puis sous le deuxième calife ʿUmar (r. 634‑644) et ses successeurs lors de la première vague des conquêtes arabes (cf p. 56‑57), et plus encore pendant le califat omeyyade (661‑750 ; cf p. 62‑63).
2Les épidémies de diverses natures se firent moins fréquentes à partir de la seconde moitié du viiie siècle jusqu’à l’année 1347, lorsque les galères des marchands italiens apportèrent le nouveau fléau aux différents ports de la mer Noire à partir de ceux contrôlés par Gênes et Venise en Crimée, respectivement Caffa et Soudak (la Soldaïa des Latins). La peste y était vraisemblablement arrivée par la route commerciale reliant la steppe mongole et le nord de la Chine à la mer Noire, voie majeure du commerce mondial depuis les conquêtes mongoles de la première moitié du xiiie siècle, via Saray, capitale de la Horde d’Or d’où l’épidémie emprunta également la route du sud pour atteindre Tabriz, et les États successeurs de l’ilkhanat* mongol.
3À partir de Constantinople, les principales routes commerciales maritimes propagèrent le bacille fatal dans les villes portuaires de l’ensemble de la Méditerranée en seulement deux ans, via les flottes marchandes – là encore en grande partie celle de la thalassocratie génoise qui bénéficiait d’une forte pénétration commerciale dans les principaux ports de Méditerranée –, qui transportaient esclaves, produits de luxe et matières premières. Les voies fluviales et terrestres, aussi bien celles du commerce que du pèlerinage (ḥajj*), prirent le relais pour le diffuser dans une grande partie de la mamlakat al-Islām*, au moins du Maghreb extrême* et d’al-Andalus à l’ouest jusqu’en Iraq à l’est en passant par les rivages arabiques de la mer Rouge et les principautés turques d’Asie mineure, ainsi que dans la quasi-totalité de l’Europe.
4Cette peste noire fut suivie de répliques dans les siècles suivants, plus ou moins fréquentes et plus ou moins bien connues selon les périodes et les espaces concernés. Les sources écrites nous renseignent avec une précision relative sur leur survenue chronique en Égypte : elles y font état de 73 épisodes épidémiques de 1353 à la chute du sultanat mamluk en 1517, soit près d’un tous les deux ans. L’Égypte et la Syrie mamlukes subirent un dépeuplement massif au cours de cette période, ce qui contribua au déclin de diverses activités économiques et à celui des finances du sultan et de l’aristocratie des émirs*, sans pour autant mettre fin au commerce méditerranéen du sultanat.
« C’est une fièvre maligne […] qui est le plus souvent fatale. Sa survenue est suivie d’un état d’anxiété et de sueurs localisées. […] Un certain recul de la fièvre peut intervenir le jour suivant […] puis la fièvre remonte. Il s’ensuit éventuellement des spasmes et des sensations de froid dans les extrémités, des vomissements de bile récurrents […], une soif intense, de la toux, de la noirceur sur la langue ou un gonflement de la gorge et une suffocation avec une incapacité à déglutir. […] Des ulcères noirs peuvent se former sur certaines parties du corps, principalement le dos et le cou. »
Ibn Khātima al-Anṣārī (m. 1368), Tahṣīl gharaḍ al-qāṣiḍ fī tafṣīl al-maraḍ al-wāfid, fol. 51. Trad. inédite : I. Darwish.
Bol à fonction apotropaïque. Cuivre incisé, Syrie, c. 1200.

© David Collection, n° 36/1995.
La diffusion de la peste noire en Méditerranée et dans le monde islamique.

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