D’une Méditerranée islamique à une Méditerranée latine
p. 262-263
Texte intégral
1Les conquêtes musulmanes en Méditerranée affectèrent les côtes syriennes, africaines et une partie de la péninsule Ibérique, auxquelles vinrent s’ajouter au ixe siècle les grandes îles comme la Sicile ou la Crète. Au nord, n’échappèrent à l’Islam que l’Europe occidentale, très affaiblie, et l’Empire byzantin qui conservait encore une puissance navale importante. La Méditerranée devint alors une « mer des califes » (pour reprendre l’expression de Christophe Picard), lieu d’affirmation de leur devoir de jihad* par des razzias menées contre les côtes chrétiennes, mais aussi lieu d’échanges désormais intégré dans un espace économique largement unifié à l’échelle de l’Islam. Dès le ixe siècle au moins, les effets des crises de l’Antiquité tardive s’estompèrent : les navires du monde islamique reliaient les principaux ports, contribuant à connecter les différentes régions de l’Islam, comme le montrent les documents de la Geniza*.
Coupe à décor de lustre métallique* découverte à Bahnasā, égypte, début du xe siècle.

© Le Caire, musée d’Art islamique, n° inv. 79000.
La « mer des califes » aux xe et xie siècles.

2Au xe siècle les califats omeyyade et fatimide (cf p. 76‑77) s’affirmèrent comme de grandes puissances maritimes, contribuant à construire des réseaux d’échanges dynamiques, polarisés par les grandes métropoles commerciales comme Cordoue, Kairouan ou Le Caire. C’est au sein de ces réseaux proprement islamiques qu’apparurent au xe siècle, de manière encore marginale, les marchands latins de Campanie ou de Venise.
3La « révolution commerciale » de l’Europe à partir du xie siècle produisit cependant une mutation majeure des échanges en Méditerranée. Les pôles du grand commerce maritime migrèrent alors vers la rive nord et les grandes cités marchandes de Gênes, Venise ou Barcelone, dont les marchands imposaient en grande partie les termes de l’échange, en fonction des besoins de l’Europe en produits venant du monde musulman, et en marchés pour écouler leur production, notamment textile. Progressivement marginalisés, les musulmans se replièrent sur les ports, où ils accueillirent les flottes et les marchands latins, faisant de ces villes des interfaces essentielles entre la Méditerranée largement contrôlée par les chrétiens (et au-delà, l’ensemble de l’Europe), et leur arrière-pays qui ouvrait sur les routes transsahariennes (cf p. 270-271) et de l’océan Indien, et restait globalement fermé aux marchands chrétiens latins.
Une societas maris génoise pour l’Outre-mer (24 septembre 1186)
« Moi, Gandulfus Ottainus reçois en societas de toi Vasallo Straleira 100 livres de deniers génois et apporte pour ma part 50 livres. Je porte cette société Outre-mer [Syrie franque] pour commercer et de là à Alexandrie ou Ceuta ou Bougie, et de là je dois revenir à Gênes sans changer de route, et je dois remettre le capital et les profits effectués dans ce voyage à toi ou tes procurateurs, et une fois le capital mis de côté, nous devons partager le profit par moitié. En commande j’ai 229 livres et 12 sous à quart de profit, et qui proviennent d’une société. […]
Fait sous le portique de Vassallus Straleire, ce jour. »
M. Chiaudano, Oberto Scriba de Mercato, p. 12
Les réseaux maritimes latins entre le xiie et le xve siècle.

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