Les munya-s de Cordoue
p. 240-241
Texte intégral
1Entre le viiie et le xie siècle, l’agglomération cordouane connut trois lieux de pouvoir différents. Après la conquête musulmane, l’ancien palais (qaṣr* - alcázar*) wisigoth abrita naturellement le lieu du pouvoir ; il conserva un rôle administratif jusqu’à la Reconquista en 1236. En 936 ʿAbd al-Raḥmān III al-Nāṣir fonda, à l’ouest de Cordoue, Madīnat al-Zahrā’ qui devint sa résidence officielle. Enfin, la ville de Madināt al-Zāhira, fondée en 978‑979, à l’est de Cordoue, par le ḥājib* amiride al-Manṣūr fut la dernière ville palatiale. Elle fut ruinée en 1009 lors de la révolte de Muḥammad II ibn Hishām al-Mahdī contre le pouvoir omeyyade.
Vue, depuis Madīnat al-Zahrāʾ, de la campagne cordouane où se trouvaient les munya-s.

© A. Charpentier, 2016.
2Le développement de Madīnat al-Zahrā’ favorisa la création de grandes propriétés, les munya-s* associant des fonctions résidentielles et agricoles. Elles reflétaient une mise en valeur des zones péri-urbaines et un mode de vie de l’élite urbaine qui, souvent, était à l’origine de leur construction. Les recherches archéologiques éclairent leur développement et leur organisation que les traités d’agronomie, comme celui d’Ibn Luyūn au xive siècle, décrivent : une maison dans des jardins, bâtie sur un endroit élevé et avec un réseau de canaux d’irrigation et/ou un bassin.
3La première munya fut celle d’al-Ruṣāfa, voulue par l’émir* ʿAbd al-Raḥmān I à la fin du viiie siècle, qui servit aussi de siège du pouvoir. Sous le calife ʿAbd al-Rahmān III, le lien entre pouvoir et munya s’affirma : les voies de communications entre Cordoue et Madīnat al-Zahrā’ furent réorganisées. L’une d’elles, aménagée le long du Guadalquivir, était empruntée par les ambassades officielles qui faisaient halte dans la munya al-Nāʿūra, bâtie par l’émir ʿAbd Allah à la fin du ixe siècle et développée par ʿAbd al-Raḥmān III. Alors que le Faḥs al-Surādiq était le lieu de rassemblement des troupes, le calife, avant ou après les expéditions, résidait quant à lui dans la munya. Un système hydraulique et des bassins y ont été retrouvés. Ces éléments sont aussi attestés à la munya al-Rummāniyya. Les trois terrasses dédiées aux cultures témoignent de sa vocation agricole, la quatrième, en position dominante, a révélé des éléments d’habitation, un grand bassin et sans doute des communs.
4Les munya-s élevées, à partir du xiie siècle, aux alentours de Murcie (Monteagudo ou le Dār al-Ṣugha), à Marrakech, à Séville (la Buḥayra) ou à Grenade (Alcázar Genil ou le Generalife) ou encore à Belyunesh, proche de Sabta, reprennent le modèle de Cordoue.
« Pour implanter une maison au milieu de jardins, on doit choisir un point haut qui permette de mieux la garder et la surveiller. Elle sera orientée au Sud, à l’entrée de la propriété qui sera munie, aussi haut que faire se peut, d’un puits et d’un bassin ou mieux d’une seguia [canal] qui court entre les ombrages. La maison aura deux portes pour être mieux protégée et pour assurer mieux le repos de qui l’habite.
On plantera près du bassin des massifs dont le feuillage, vert en toutes saisons, soit agréable au regard. Un peu plus loin, il faudra disposer des parterres de fleurs et des arbres à feuilles persistantes. Des vignes entoureront le domaine et des treilles couvriront les allées qui le traversent. Une de ces allées entourera le jardin pour le séparer du reste de la propriété. Parmi les fruitiers, outre la vigne, on prévoira des micocouliers et d’autres arbres semblables car leur bois est utile. »
Ibn Luyūn, Livre d’agriculture, p. 191. Trad. inédite : M. Terrasse.
Lieux de pouvoir et munya-s dans la région de Cordoue aux xe et xie siècles.

Fond de carte d’après Junta de Andalucia, Instituto Andaluz del patrimonio historico, Consejeria de Cultura.
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