Avicenne une vie d’itinérance
p. 210-211
Texte intégral
1Ibn Sīnā, célèbre en Occident sous le nom d’Avicenne, rédigea la plupart de ses très nombreux ouvrages de philosophie, de médecine, de sciences, en arabe, alors langue de culture de tous les pays d’Islam. Or toute sa vie, connue par son autobiographie que recueillit et poursuivit son disciple al-Jūzjānī, s’est déroulée en Perse, à une époque où cette région, partagée entre Samanides et Kharezm-Shahs, princes buyides rivaux et émirs* du Daylam, subissait l’arrivée des Turcs, Qarakhanides et Ghaznévides.
2Il est né peu avant 980 à Afshana, un village proche de Boukhara, dans une famille de hauts fonctionnaires au service des Samanides qui avaient fait de leur capitale Boukhara un foyer de la renaissance persane. C’est dans cette atmosphère brillante qu’Avicenne grandit – sa famille s’y installa peu après sa naissance – et reçut une excellente éducation. Peu avant l’âge de 18 ans il entra comme médecin au service de Nūḥ b. Manṣūr (r. 977-997), mais il fut contraint de quitter Boukhara, sans doute en raison de la prise de la ville par les Turcs Qarakhanides en 999. Il se réfugia à Gurganj, auprès de ʿAlī b. Maʾmūn, qui régnait alors sur l’ensemble du Kharezm. Peut-être parce qu’inquiet des conquêtes de Maḥmūd de Ghazni, qui devaient faire de ce souverain turc le nouveau maître de l’Iran oriental, Avicenne quitta cette cité en 1012. Passant par Nasā, Abīvard, Ṭūs, Samanqān et Jājarm (ces étapes s’expliqueraient par l’intention de rejoindre Abū Ibrāhīm al-Muntaṣir qui tentait alors de restaurer le pouvoir des Samanides), il atteignit Gorgan où il espérait bénéficier de la protection de l’émir ziyāride Qābūs. Mais celui-ci venait d’être renversé et mourut en prison en 1013. Avicenne repartit alors pour Dihistān, puis revint à Gorgan où, bénéficiant de la protection d’un notable local, il composa ses premiers ouvrages et rencontra son disciple al-Jūzjānī. Il en partit rapidement pour Rayy où il entra au service du Buyide Maj al-Dīn (r. 997-1029) et de sa mère, la régente al-Sayyīda, pour une courte durée toutefois. En 1015, la cité fut attaquée par Shams al-Dawla, le frère de Maj al-Dīn qui s’enfuit avec la régente. Avicenne quitta alors Rayy et gagna Qazvin, puis Hamadan où il devint le médecin attitré de Shams al-Dawla qui le prit à son service. Au retour d’une expédition à Qirmīsīn, Shams al-Dawla fit d’Avicenne son vizir, ce qui suscita l’hostilité des troupes qui le firent emprisonner. Il fut rétabli dans ses fonctions, mais, après la mort de son protecteur en 1021, il entra secrètement en correspondance avec le prince d’Ispahan, d’origine daylamite, ʿAlāʾ al-Dawla. Dénoncé, il fut de nouveau emprisonné et réussit finalement à s’enfuir, déguisé en soufi*, en 1024. À Ispahan, il fut traité avec honneur par ʿAlāʾ al-Dawla et put mener à bien ses grandes œuvres, commencées depuis des années. Comme courtisan et médecin, il accompagna le prince dans plusieurs de ses expéditions : à Shābūr Khwāst, à Hamadan lors de la conquête de cette ville en 1023, à al-Karaj pour contrer une attaque des Ghaznévides, et de nouveau à Hamadan en 1037. Ce fut son ultime voyage : atteint d’une forte dysenterie il mourut dans cette ville et y fut inhumé.
Statue d’Avicenne, « Pavillon des érudits » (Avicenne, al-Bīrūnī, Rhazès et Omar Khayyam), offert par la République d’Iran au Centre international de Vienne en 2009 pour glorifier la contribution de la Perse au savoir universel.

© Yamaha5, 2013.
3La carrière mouvementée d’Avicenne est celle d’un savant constamment à la recherche de protecteurs, d’un médecin contraint par le service du prince, d’un homme de cour victime des divisions et rivalités politiques, d’un Persan hostile aux Turcs alors en pleine expansion. Ses déplacements successifs, mais limités à la Perse, traduisent une nouvelle géographie du savoir : avec la fragmentation de l’empire califal (cf p. 66-69), Bagdad n’est plus le seul pôle attractif, les cours des souverains régionaux se sont multipliées, une culture proprement persane est en train de naître.
« Quand je devins important, aucune métropole ne me fut assez vaste, quand ma valeur augmenta, je n’eus aucun acheteur. »
Vers attribués à Avicenne, cités dans Ibn Abī Uṣaybiʿa (m. 1270).
Les étapes de la vie d’Avicenne.

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