Structuration des confréries soufies à l’échelle locale
L’exemple du Fars
p. 196-197
Texte intégral
1Le Fars a donné naissance à de nombreuses ṭarīqa-s* soufies*. Né à Chiraz, Shaykh Kabīr (m. 981) est considéré comme le saint patron de la ville. Retiré dans sa khānqāh*, il enseigna une pratique ascétique du soufisme.
2Deux siècles plus tard, Rūzbihān Baqlī Shīrāzī (m. 1209) incarne la spiritualité de l’ivresse mystique. Ses nombreux écrits ont largement participé à l’élaboration d’une spiritualité spécifiquement persane. Néanmoins, la Kabīriyya et la Rūzbihāniyya, les ordres dont les cheikhs* de Chiraz furent les initiateurs, n’ont pas rayonné en dehors du Fars, sans doute faute de disciples et de moyens matériels.
3À Kāzarūn, Shaykh Abū Isḥāq Kāzarūnī (m. 981) aurait converti à l’islam les zoroastriens, très nombreux dans la province. La légende rapporte que lorsqu’il appelait à la prière, tous les feux de leurs temples s’éteignaient. Déjà de son vivant, l’ordre qu’il fonda, la Kāzarūniyya, se diffusa largement dans le Fars, puis jusqu’en Inde, en Chine et en Anatolie. La puissance de l’ordre reposait sur les dons des grands négociants internationaux qui, en vertu du pouvoir protecteur de la terre du tombeau de Shaykh Abū Isḥāq contre les périls du voyage, vouaient de l’argent pour le cheikh. Dans les ports de l’océan Indien, les membres de l’ordre montaient à bord des bateaux pour recueillir les sommes promises par les commerçants ; les dons étaient par la suite redistribués aux indigents.
Tombeau de Shaykh Abū Isḥāq Kāzarūnī à Kāzarūn.

© Ḥ. Ṭarāwat, 2012.
La renommée du tombeau de Shaykh Muḥammad ibn Abī Najm (m. 1384) à Khunj
« Après avoir prononcé des invocations et lu le Coran, les résidents du saint voisinage du tombeau et les voyageurs de tous les pays rapportent des histoires sur les états, les actions et les paroles de ceux qui cheminent vers Dieu […]. De toutes les directions du monde, ‘Arab* et ‘Ajam* viennent se sanctifier à ce tombeau. Les Turcs, les Tajiks, les gens du peuple et les grands, les émirs*, les sultans, les rois, les musulmans, les juifs, les zoroastriens, les chrétiens, tous les pôles, les piliers, les pauvres, les ascètes et les dévots se sont arrêtés à cet endroit. Depuis l’époque du cheikh et jusqu’à aujourd’hui, les grands et les pieux ont fait de ce sanctuaire leur lieu de résidence. Les amis de Dieu et les gens du cœur y reposent en paix. »
Tadhkirat-i Muḥammad b. Abī Najm, fol. 102. Texte rédigé au début du xvie siècle. Trad. inédite : D. Aigle.
Les réseaux soufis dans le Fars de la fin du xe siècle au xvie siècle.

4Le Laristan est également le territoire de plusieurs ṭarīqa-s soufies. Les sources évoquent la richesse de cette région du Fars en raison de ses activités commerciales. Elle était située sur la route entre Chiraz et les îles du golfe Persique, ce qui pourrait expliquer l’hostilité perceptible entre les cheikhs du Laristan. Tirant une partie de leurs revenus du commerce, chacun considérait les établissements soufis des autres comme des rivaux.
5À Khunj, qualifiée de « Demeure des saints » dans les sources, plusieurs lignées de cheikhs soufis, les Dānyālī, les Abū Najmī et les Kā’kā’ī, se revendiquaient de l’initiation onirique de Shaykh Abū Isḥāq Kāzarūnī. Ils entrèrent en rivalité avec Shāh Sayf Allāh Qattālī (m. 1275-1276) qui, après la prise de Bagdad par les Mongols, s’était installé dans le Fars à proximité de Khunj. Descendant de ʿAlī b. Abī Ṭālib, dont il aurait reçu l’initiation spirituelle, il se rattache aussi à Aḥmad al-Rifā‘ī (m. 1182), le fondateur d’une ṭarīqa dans la région de Wāsiṭ en Iraq. Shāh Sayf Allāh Qattālī donna naissance à la Qattāliyya ; elle fut perpétuée par ses descendants bien après l’époque safavide. Ils fondèrent des établissements soufis dans plusieurs villages du Laristan, à Hormuz, à Julfar et en Oman.
6Quṭb b. Muḥyī (m. après 1503), autre maître spirituel du Laristan, est l’initiateur d’une communauté de mystiques. Afin d’échapper à l’hostilité des cheikhs de la ville de Jahrum, il édifia sa khānqāh à Ikhwānābād (aujourd’hui Quṭbābād), sur la route commerciale entre Chiraz et le golfe Persique. Le courant spirituel, ikhwāniyya, qu’il initia fut perpétué par quelques-uns de ses disciples, qui étaient devenus chiites*.
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