URL originale : https://books.openedition.org/editionscnrs/88343

Culte des saints à Zabid
Zacharie Mochtari de Pierrepont
p. 180-181
Texte intégral
1Zabid était la grande métropole de la Tihama (plaine côtière de l’ouest de la péninsule Arabique) yéménite à l’époque médiévale. Fondée par un émir* du calife abbasside al-Ma’mūn, Muḥammad b. Ziyād, en 820, la ville devint le siège du pouvoir émiral puis mahdide (1158-1174) et un grand centre urbain : c’était la ville la plus peuplée d’Arabie, avec Sanaa et La Mecque. À 25 km de la mer Rouge, située dans une plaine fertile entre le Wādī Rima‛ au nord et le Wādī Zabīd au sud, la ville se trouvait sur la route de pèlerinage entre Aden et La Mecque. Elle était reliée au grand commerce grâce à ses deux ports (bandar) qui faisaient face à la côte des Noirs (barr* al-Sudān) – ou côte des non-Arabes (barr al-‛Ajam*) : Ghulāfiqa d’abord puis, à partir du xiiie siècle, al-Ahwāb. Cette situation géographique permit à Zabid de jouer très tôt un rôle structurant dans l’économie régionale.
2Les Ayyubides (cf p. 88-89) conquirent la ville en 1174, y firent élever un quatrième mur d’enceinte percé de quatre portes principales, et confirmèrent la place de la cité comme capitale économique, culturelle et politique de la Tihama. Zabid « la bien gardée » connut un âge d’or sous les sultans de la dynastie rasūlide, qui régnèrent sur la plus grande partie du Yémen entre 1229 et 1454. À l’époque médiévale, la ville s’étendait bien au-delà de l’enceinte ottomane, encore visible aujourd’hui, comme l’ont montré les fouilles menées depuis les années 1980 par les missions archéologiques du Royal Ontario Museum, dirigées par Edward J. Keall.
3La métropole de la Tihama s’affirma aussi progressivement comme le principal centre d’enseignement religieux sunnite* en Arabie du Sud, et, à partir du xiiie siècle, comme un haut lieu de la diffusion du soufisme* au Yémen. Le culte des saints dans la ville – dont les tombes étaient considérées comme sacrées – s’y développa considérablement entre le xiiie et le xve siècle, et joua un rôle fondamental dans la construction de l’identité urbaine zabidie.
La mosquée d’al-‛Ashā’ir à Zabid fondée en 629.

© Z. Mochtari de Pierrepont.
4Près du souk central, la mosquée bénie al-Ashā‛ir était l’une des plus anciennes du monde musulman. Maqbarat Bāb Sihām, le cimetière au nord de la ville, était quant à lui un pôle important de la sainteté tihamie. C’est là que se déroulaient la plupart des visites pieuses aux saints de la cité, notamment aux sept grandes figures qui, au xve siècle, se trouvaient au cœur de la piété zabidie. Le savant Aḥmad al-Sharjī (1410-1488) leur rendit hommage dans son ouvrage biographique dédié aux grands savants du Yémen, Les générations de l’élite spirituelle (Ṭabaqāt al-khawāṣṣ) :
« [Les sept sont les] sept [saints] dont les gens de Zabid croient qu’une visite pieuse à leurs tombes pendant sept jours d’affilée exaucera leurs souhaits […]. [Ibrāhīm al- Fishalī] est le plus connu des sept […]. Et [les sept] sont les suivants : Aḥmad al-Ṣayyād, Ibrāhīm al-Fishalī, ʻAlī b. Aflaḥ, Marzūq b. Ḥasan, ‘Alī al-Murtaḍā, ‘Umar b. Rushayd […]. [Quant à l’identité du septième], les avis divergent ».
Trad. inédite : Z. Mochtari de Pierrepont.
5À l’époque rasūlide, la croissance urbaine conduisit au développement de plusieurs faubourgs près des espaces funéraires. Ainsi apparurent al-Marzūqiyya et al-Ṭaliḥiyya, près des mausolées de Marzūq b. Ḥasan (m. 1222) et de Ṭalḥa b. ‛Īsā al-Hitār (m. 1378-1379), importants cheikhs* soufis de Zabid. Le cimetière de Bāb al-Qurtub, au sud-est, constitua également un autre pôle sacré au xve siècle. À partir du milieu des années 1430, des épidémies de peste (cf p. 264-265), les difficultés de plus en plus grandes de la dynastie rasūlide pour contrôler le territoire tihami, en proie à plusieurs révoltes, les querelles de succession dynastique, conduisirent à une crise économique, sociale et démographique, amorçant le déclin de Zabid comme grand centre régional. Dans le même temps se renforçait l’ancrage du sacré dans la cité. Les habitants de Zabid se replièrent sur une dévotion en partie liée aux espaces funéraires, qui s’étaient constitués comme un patrimoine identitaire, mémoriel et spirituel symbolique de la grande métropole de la Tihama médiévale.
Les mausolées de Zabid (xiie-xve siècle).

(d’après P. Bonnenfant).

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