Waqf-s et habous
p. 130-131
Texte intégral
1Dès les premiers temps de l’Islam, les pouvoirs musulmans ont mis en place des institutions pour organiser et administrer les villes. Qu’il s’agisse du maintien de l’ordre par une police d’État (shurṭa, cf p. 66‑69), de la surveillance des bonnes mœurs et des pratiques commerciales par le contrôleur de l’ordre public (muḥtasib*), ou du règlement des litiges de tous ordres entre particuliers par des juges (qāḍī-s : cadis), la plupart des aspects de la vie quotidienne des citadins étaient régulés par des institutions urbaines. La ville elle-même s’est développée et a prospéré grâce à l’une d’entre elles, le waqf* (au Maghreb : ḥabūs – habous*) qui, reposant sur la générosité et la piété individuelles, a permis d’équiper l’espace urbain en infrastructures à vocation collective.
2Ainsi, le dispositif légal du waqf est-il devenu, à partir du xiie et surtout du xiiie siècle, le principal vecteur d’urbanisation en même temps qu’il a accompagné la diffusion et l’enracinement du sunnisme*, notamment en Orient. Les waqf-s de bienfaisance (waqf khayrī) ont ainsi pu, par exemple au Caire aux époques ayyubide et mamluke, contribuer à réurbaniser un quartier en ruine, comme au Bayn al-Qaṣrayn, en assurant tous les types d’équipements nécessaires à une ville.
3En effet, le principe du waqf reposait sur l’immobilisation des revenus tirés de biens fonciers urbains (caravansérails*, marchés, bains, location de maisons, etc.) ou ruraux (terres agricoles, vergers, moulins, etc.) et leur attribution à perpétuité à la fondation, à l’entretien et au fonctionnement d’institutions religieuses (mosquées, madrasas*, khānqāh-s*, etc.). À ce titre, placé au cœur du système socio-économique, le waqf générait d’importants flux financiers à l’intérieur même de la ville mais aussi entre les campagnes et les villes, sa rentabilité nécessitant des investissements réguliers pour le maintien et l’entretien des sources de revenus. D’abord considéré, en milieu urbain, comme le mode d’intervention privilégié des puissants, car il leur permettait d’affirmer publiquement leur sens de la charité et leur piété, à partir du xve siècle le waqf s’est progressivement diffusé dans la société sous la forme de waqf-s familiaux (waqf ahlī), souvent plus modestes, dans lesquels le ou la bénéficiaire n’était alors plus une institution mais une personne. Tout en maintenant son intention pieuse, ce dispositif légal permettait à un individu de transmettre plus aisément son patrimoine, notamment en faveur des femmes, en contournant ainsi les règles contraignantes de l’héritage en droit islamique.
Biens constitués en waqf au xiie siècle au bénéfice de la Khānqāh Duwayrat Ḥamad, fondée par Ḥamad b. ʿAbd Allāh al-Dimashqī al-Muqrī’.

« Il est impossible d’énumérer les genres de legs pieux (awqāf*) et les mérites des gens de Damas tant ils sont nombreux Des legs pieux sont en effet constitués pour ceux qui ne peuvent entreprendre le pèlerinage à La Mecque (ḥājj*), pour les trousseaux de mariages aux filles dont les familles sont trop pauvres, pour les voyageurs, leur fournissant habillement et moyens de retourner dans leur pays, pour l’entretien des chemins et le pavage des rues, etc. [...] Cette institution est une des meilleures qu’on puisse fonder [...] Les habitants de Damas luttent d’émulation pour la construction des mosquées, des zāwiya*, des madrasas et des mausolées. »
Ibn Baṭṭūṭa, Riḥla, I, p. 237‑239.
La wakāla* d’al-Ghawrī, Le Caire (1504‑1505).

© Sailko, 2015.
« Les émirs* turcs [i.e. les Mamluks] craignant l’inimitié du sultan pour leurs progénitures, multiplièrent les constructions de mosquées, de madrasas, zāwiyas, ribats*, khānqāh. etc. et firent des waqfs à forts revenus. Ils désignèrent leurs fils comme administrateurs et intendants de ces waqfs et leur garantirent une partie de leurs biens en guise de revenus. Les riches et autres membres de la société les imitèrent. C’est ainsi que les waqf-s furent nombreux et les revenus et profits énormes. Le nombre des étudiants, enseignants, ʿulama’, soufis*, devint très important eu égard aux bénéfices provenant des biens de mainmorte. »
Ibn Khaldūn, Muqaddima II, p. 384.
Les waqf-s de Bayn al-Qaṣrayn, Khān al-Khalīli, Le Caire (xiie-xvie siècle).

D’après : S. Denoix, F. Baqir et F. Troin, 2002.

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