Delhi à travers le témoignage d’Ibn Baṭṭūṭa
p. 128-129
Texte intégral
1Ibn Baṭṭūṭa (Tanger, 1304 - Tunis, 1368 ou 1377) a parcouru le monde entre 1325 et 1354, depuis l’Afrique du Nord jusqu’à la Chine. À la demande du souverain mérinide Abū ‘Inān Fāris (r. 1348‑1358), Ibn Juzayy consigna les récits du voyageur dans un texte intitulé Tuḥfat al- nuẓẓar fī gharā’ib al-amṣār wa ʿajā’ib al- aṣfār, connu sous le nom de Riḥla, Récit de voyage (cf p. 34‑35).
Qutb Minar à Delhi (1199‑1368).

© É. Brac de la Perrière, 2014.
2On a pour habitude de diviser les voyages d’Ibn Baṭṭūṭa en plusieurs périodes ; celui qui le mena en Inde correspond à celle qui s’étend entre 1330 et 1346. Après avoir effectué un troisième pèlerinage à La Mecque, il se rendit en Anatolie, traversa l’Asie centrale, l’Afghanistan et c’est par l’Indus, voie fluviale bien connue des voyageurs, qu’il finit par atteindre les terres indiennes en 1333. Ibn Baṭṭūṭa se rendit à Delhi où règnait alors le sultan Muḥammad Shāh Tughluq (1324‑1351, cf p. 102). Il y séjourna plus de dix ans, avant de repartir finalement vers la Chine par le Sri Lanka. Son récit présente une description de la capitale du Sultanat de Delhi, riche en détails, ainsi qu’un compte-rendu étonnamment précis de ses différentes phases d’expansion.
« Dans la cour septentrionale de la mosquée se trouve le minaret, qui n’a pas son pareil dans toutes les contrées musulmanes. Il est construit en pierres rouges, à la différence de celles qui composent le reste de l’édifice, lesquelles sont blanches ; de plus, les premières sont sculptées. Ce minaret est fort élevé ; la flèche qui le termine est en marbre blanc de lait, et ses pommes sont d’or pur. L’entrée en est si large que les éléphants peuvent y monter.
Ibn Baṭṭūṭa, Voyages II. De La Mecque aux steppes russes, p. 359.
Mihrab* du mausolée d’Iltutmish à Delhi, c. 1235.

© É. Brac de la Perrière, 2014.
3« La plus grande ville de l’Inde, voire la plus grande ville islamique en Orient » : l’émerveillement exprimé par Ibn Baṭṭūṭa visitant Delhi dans la première moitié du xive siècle est manifeste.
4Déjà très étendue et très peuplée, elle était alors composée de quatre villes mitoyennes, reflets de quatre phases d’expansion successives. La partie la plus ancienne, que le voyageur nomme Dihlī, était construite sur les vestiges de la cité hindoue conquise en 1192, Qila Rai Pithora. Un siècle plus tard, ʿAlāʾ al-Dīn Khaljī (1296- 1316) y adjoinit Sīrī, un camp militaire. Puis, en 1320, fut bâtie Tughluq Ābād, cité fortifiée, ainsi nommée en hommage au sultan Ghiyāth al-Dīn Tughluq (1320- 1325). Enfin, Jahān Panāh, correspondant à la quatrième phase d’expansion, est dépeinte par Ibn Baṭṭūṭa comme la « résidence personnelle du sultan Muḥammad Shāh [Tughluq 1325‑1351] ». Disposée exactement entre Dihli et Siri, elle les rassemblait en un seul bloc.
5Peu d’ensembles urbains préservés de nos jours permettent d’identifier avec certitude les sources d’inspiration des bâtisseurs de Dilhi : la partie la plus élevée du site (Lal Kot) comprenait la citadelle et le fort où se trouvait la grande mosquée (Jamiʿ* Masjid*, Qutb Mosque), tandis que la ville (Qila Rai Pithora) s’étendait à un niveau inférieur. Tughluqabad (cf p. 160‑161), au sud- est, constitue le programme urbanistique et architectural le plus complet qui nous soit parvenu : il se caractérisait par une organisation tripartite hiérarchisée par le relief (dans l’ordre descendant : citadelle, fort, ville) qui n’est pas sans rappeler celle de la ville ghaznévide de Bust, au sud de l’Afghanistan (début du xiie siècle). Jahanpanah, dont l’existence résultait de l’élévation d’une muraille autour des faubourgs de la ville ancienne, reprit encore ce principe. À la même période, dans le Deccan, la ville de Daulatabad (cf p. 160‑161), aménagée pour devenir la seconde capitale du sultanat de Delhi, reprit l’organisation tripartite, ainsi que le positionnement du Jamiʿ Masjid au centre de la ville (Mahakot).
Delhi à la lumière des récits d’Ibn Baṭṭūṭa.

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