Évolution urbaine de Fustat-Le Caire
p. 118-119
Texte intégral
1En 641, les Arabes conquirent l’Égypte jusqu’alors sous domination byzantine. Conduits par ʿAmr b. al-ʿĀṣ, ils firent le siège d’un fortin, appelé « Babylone d’Égypte », ou « Qaṣr* al-Shamʿ », un toponyme grec, arabisé, au pied duquel ils s’établirent dans un vaste campement s’étalant sur 750 ha. Après le siège d’Alexandrie et une victoire décisive des Arabes contre les Byzantins, le calife ʿUmar b. al-Khaṭṭāb, resté à Médine, prit la décision que là serait la capitale de la province d’Égypte, et non à Alexandrie, trop éloignée du siège du califat. Ils la dénommèrent « al-Fusṭāṭ », un mot arabe signifiant « la tente ».
2Si tous les conquérants se situaient dans une appartenance tribale, les élites étaient des citadins qui avaient un mode de vie urbain et familial. Ils bâtirent leurs demeures, souvent avec des bains, les premiers hammams, et érigèrent, en 642 la mosquée de ʿAmr b. al- ʿĀṣ, première d’Égypte et d’Occident musulman. Avec les souks, cela constitua les noyaux urbains originels autour desquels la ville se développa, notamment grâce à la corvée imposée aux autochtones, chrétiens et juifs, qui résidaient dans le Qaṣr al-Shamʿ, zone fortifiée déjà urbanisée, et à la main d’œuvre importée de force de la province égyptienne (cf p. 122‑113).
3Lorsque les Abbassides déposèrent les Omeyyades en 750, ils poursuivirent le dernier calife, Marwān II, jusqu’en Haute Égypte, incendièrent une partie de Fustat où il s’était réfugié et fondèrent, au nord, une ville de garnison, al-ʿAskar (littéralement : « l’armée ») où ils délimitèrent des concessions pour les groupes de leur armée et érigèrent une mosquée et un Hôtel du gouvernorat (dār al-imāra*).
4En 868, un gouverneur envoyé par les Abbassides, Ibn Ṭūlūn, fit sécession et voulut fonder sa propre dynastie. Cela se matérialisa par une nouvelle cité, al- Qaṭā’iʿ, organisée, encore une fois, selon un système d’urbanisme concessionnaire, où des lots (qaṭā’iʿ, sing. qaṭīʿa) furent distribués aux groupes constituant l’armée.
5Une mosquée, encore en place actuellement, fut érigée par Ibn Ṭūlūn, ainsi qu’un Hôtel du gouvernorat (dār al-imāra). Son fils, Khumārawayh, développa de somptueux jardins.
6Le modèle urbain d’al-Qaṭā’iʿ semble être Samarra (cf p. 120‑121), la cité princière que les Abbassides fondèrent en 833 au nord de Bagdad : urbanisme concessionnaire, minaret à escalier extérieur hélicoïdal et parcs de chasse.
7En 969, les Fatimides, chiites ismaéliens*, conquirent l’Égypte (cf p. 76- 77) et fondèrent leur propre capitale, au nord, sur le modèle de leurs villes en Ifriqiya, Mahdia et Ṣabra al- Manṣūriya, avec des murailles isolant la cité princière de la cité populaire et des concessions pour les différents groupes tribaux constituant leur armée.
8On l’appela « al-Qāhira », « la Martiale », du nom de la planète Mars (al- qāhir), au zénith au moment de l’érection de l’enceinte par laquelle on commença les travaux. Le long d’un grand axe nord- sud, on érigea des complexes palatins à l’est pour le calife et les organes du gouvernement fatimide, et pour son successeur, à l’ouest. La mosquée al- Azhar, centre de l’enseignement chiite, est encore en place, avec ses agrandissements réalisés sous les dynasties suivantes, sunnites*. Elle fut, pendant des siècles, et encore de nos jours, un des phares de l’enseignement pour tout le monde musulman. La « maison de la sagesse » (dār al- ḥikma), centre de recherche et de diffusion du savoir ismaélien*, abritait une grande bibliothèque (cf p. 266‑267).
9De 642 à 969, Fustat et les sites suivants furent le siège des gouverneurs qui administrèrent la province d’Égypte pour le compte des califes de Médine d’abord (632‑661) puis pour celui des Omeyyades de Damas (661‑750), ensuite à al-ʿAskar pour celui des Abbassides de Bagdad puis Samarra, jusqu’à la sécession d’Ibn Ṭūlūn qui gouverna à al-Qaṭā’iʿ. À l’époque fatimide, Fustat perdit son statut de capitale de province, mais profita de la proximité de la capitale du califat chiite et des richesses du commerce d’Orient que les Fatimides avaient attiré via la mer Rouge et la vallée du Nil (cf p. 266‑267). Port fluvial, elle devint une ville artisanale et économique par laquelle transitaient les produits d’Orient en partance vers Alexandrie et les fondouks* des Européens (cf p. 262‑263) et attegnit son apogée au début du xie siècle. Mais, sous le calife al-Mustanṣir, dans les années 1060, de mauvaises crues du Nil, accompagnées d’épouvantables disettes (on relate des scènes d’anthropophagie), provoquèrent la ruine de quartiers entiers à l’est de la ville. Ce n’est qu’au xiie siècle, avec la reprise économique, que Fustat put retrouver une certaine prospérité.
10Lors de sa prise de pouvoir, Saladin, sultan sunnite, dut marquer, sur le plan urbain, sa différence et n’envisagea pas de résider sur le site des palais fatimides. Il fit construire sur la montagne du Muqaṭṭam, dominant la ville, une citadelle pour abriter son gouvernement et enserra l’ensemble urbain de Fustat et al-Qāhira d’une muraille (cf p. 154‑155). Champion du sunnisme*, il édifia, au Caire et dans toute l’Égypte, un réseau de madrasas*, lieux d’enseignement de l’islam sunnite.
11Lors de leur prise de pouvoir, les Mamluks (cf p. 90- 91) conservèrent le siège du gouvernement à la citadelle qu’ils agrandirent, et construisirent dans la ville des hippodromes pour leurs exercices équestres et des palais, lieux de résidence des émirs* (cf p. 146‑147).
12À la suite des Ayyubides, ils réurbanisèrent, grâce au système des waqf-s* (cf p. 138‑139), le centre d’al-Qāhira, pillé lors de la chute des Fatimides. Ce fut l’occasion de construire des lieux de culte et de commerce, dont beaucoup sont encore en place. Le Nil, se retirant vers l’ouest, dégagea des terres qui furent alloties et l’île de Būlāq, désormais rattachée à la rive, profitant du changement de route des marchandises transitant par la mer Rouge, deviendra, au xve siècle, le port fluvial du Caire et précipitera la ruine de Fustat.
Fusta-Le Caire entre 642 et 1517

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