Les premières fondations musulmanes
p. 112-113
Texte intégral
1Les pays conquis par les Arabes disposaient de belles cités (Damas, Jérusalem, Alep, Alexandrie…) dans lesquelles ceux-ci ne répugnèrent pas à s’installer, mais l’avancée de la Conquête, avec des troupes montées (dromadaires et chevaux), constituées d’une élite de citadins, ainsi que de groupes tribaux, nécessita d’organiser leur installation dans des villes-garnisons (miṣr*, plur. amṣār) où les tribus purent s’établir avec leurs montures. Les principaux furent les deux miṣr-s fondés en Iraq en 638, Kufa et Bassora, et celui d’Égypte, Fustat, en 642. Plus tard, Kairouan, camp militaire fondé à la fin du viie siècle par les conquérants du Maghreb, releva aussi de ce type urbain.
2La fonction de ces fondations était d’abord militaire : afin de poursuivre la conquête à l’est du Tigre et de l’Euphrate et à l’ouest du Nil, le recours à un urbanisme fondé, d’une part, sur des concessions collectives dévolues aux tribus et réparties extensivement sur un vaste territoire, et, d’autre part, sur des concessions individuelles attribuées aux citadins venus d’Arabie, permettait d’assurer le logement des troupes. Il est en effet important de comprendre que l’élite des Arabes était constituée de citadins venant des villes du Hedjaz (Taymā’, La Mecque et Médine), du Yémen (Najran – en actuelle Arabie Saoudite –, Aden Ẓafār, Sanaa…), d’Oman (Nizwa), et du golfe Persique (Gerrha, Uqayr). Les demeures de cette aristocratie des conquérants furent construites sur les concessions attribuées individuellement et ont formé, avec la grande mosquée et les souks, de premiers noyaux urbains. Rapidement, ces villes devinrent des centres commerciaux et artisanaux importants avec leurs ports fluviaux, leurs arsenaux, leurs dār-s al-rizqs*, où étaient entreposés les impôts en nature, leurs centres financiers.
3Il semble qu’il y ait eu des différences de traitement concernant les autochtones, « gens du Livre », chrétiens, juifs et, en Orient, zoroastriens. S’ils eurent, dès les débuts, leur place à Fustat, ne serait-ce que parce qu’ils peuplaient déjà le fortin byzantin appelé par les Arabes le Qaṣr al-Shamʿ et étaient, pour les conquérants, une main d’œuvre corvéable, la tradition prétend que ʿAlī b. Abī Ṭālib leur aurait interdit de s’établir à Kufa ; ils durent donc s’installer de l’autre côté de l’Euphrate, à al-Zurāra. En revanche, à Bassora, les commerçants juifs et chrétiens étaient présents.
4Ces villes furent les centres d’une intense activité intellectuelle où se cotoyèrent poètes, prosateurs, grammairiens, juristes, théologiens, développant la première grande culture arabe.
Ville-garnison de Kufa au viie siècle.

Les concessions de Kūfa (Khiṭaṭ al-Kūfa)
« Lorsque l’Irak fut conquis, ʿUmar b. al-Khaṭṭāb (le calife) écrivit à Saʿd b. Abī Waqqāṣ (commandant de la bataille de Qādisiyya en 636), lui ordonnant de s’établir à Kūfa et il ordonna aux gens d’y délimiter les concessions (an yakhṭaṭṭū-hā). Chaque tribu délimita une concession tribale (fa-ikhṭaṭṭa kullu qabīla) avec son chef. ʿUmar attribua des concessions personnelles (aqṭaʿa) aux Compagnons de l’Envoyé de Dieu. ʿAbs était au sud de la mosquée. [...] Salmān b. Rabīʿa al-Bāhilī, al-Musayb b. Majuba al-Fazārī et des gens de Qays Ḥiyyāl délimitèrent la concession personnelle (ikhṭaṭṭa… dāra) d’Ibn Maqʿūd. Puis ʿAbd Allāh b. Masʿūd, Talḥa b. ʿUbayd Allāh et ʿAmr b. al-Ḥurayth délimitèrent les concessions personnelles (ikhṭaṭṭū al-dūr) autour de la mosquée. »
al-Yaʿqūbī, Le livre des pays, p. 310.
Ville-garnison de Bassora au viie siècle.

Ville-garnison de Fustat au viie siècle.

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