Les Kurdes, des contreforts du Zagros aux palais d’Égypte
p. 92-93
Texte intégral
1D’après le géographe du ixe siècle al-Yaʿqūbī, le cœur du pays kurde se situait en Iran dans le Jibāl, sur les contreforts occidentaux de la chaîne montagneuse du Zagros. C’est là qu’Ibn Ḥawqal, auteur du xe siècle, situait leurs alpages, rappelant ainsi le mode de vie agro-pastoral et itinérant des Kurdes. Bien que tous les Kurdes n’aient pas vécu, tant s’en faut, en montagne, l’espace kurde se caractérisait par une rupture avant tout géographique avec l’espace arabe. On leur connaît pourtant d’autres lieux d’ancrage, notamment dans la steppe jéziréenne, et d’autres activités économiques. Ils s’illustraient notamment par leurs qualités guerrières. Après une très courte confrontation avec les armées arabes lors de la Conquête, ils intégrèrent massivement celles du califat abbasside. Au moment de l’affaiblissement de ce dernier au tournant du xe siècle, des confédérations tribales kurdes parvinrent à établir quelques principautés en Haute Mésopotamie (Marwanides), dans le Caucase du sud (Shaddadites), entre la mer Caspienne et le lac d’Ourmiye (Rawadites), et dans la zone zagrossienne du Pays kurde (Hasanwayhides). Elles rivalisaient avec les potentats arméniens du sud du Caucase et les émirs* arabes de Mésopotamie. Mises à mal par les infiltrations turcomanes du xie siècle qui aboutirent à la prise de pouvoir des Seljukides en Iran et en Mésopotamie, ces principautés kurdes disparurent alors que les tribus continuaient à structurer l’économie et la politique locales. Dans les années 1120, les tribus kurdes se retrouvèrent au centre d’un double processus de recrutement massif et de conquête de l’arrière-pays de Mossoul de la part des atabegs zenguides. Les citadelles Ḥumaydiyya, Mihrāniyya, Bashnawiyya et Hakkāriyya furent prises, alors que les guerriers kurdes intégraient les armées des atabegs qui allaient mener la contre-croisade (jihad*) jusqu’en Égypte.
2Accaparant de hautes fonctions au sein de l’élite politique et militaire zenguide, les Kurdes furent d’importants acteurs de la campagne. Ainsi, Asad al-dīn Shīrkūh, le plus puissant officier kurde, se trouvait-il à la tête du contingent zenguide lors de l’occupation militaire de l’Égypte par les atabegs en 1169. Son neveu Saladin, qui lui succéda, créa par la suite la dynastie ayyubide (cf p. 88‑89). Nombre de Kurdes les suivirent et firent souche en Égypte et en Syrie. Moins d’un siècle plus tard, supplantés par les mamluks turcs qu’ils avaient recrutés en masse, les sultans ayyubides et l’élite militaire kurde durent céder la place (cf p. 90‑91).
3Dès lors, c’est en pays kurde que cette aristocratie réapparut. Perdant prestige et influence au Levant et en Égypte, elle trouva dans cette région un nouveau rôle de défenseur de l’Islam. Après avoir subi les assauts des troupes mongoles à partir de 1256, tribus et émirs kurdes connurent une nouvelle phase d’« autochtonisation » en Haute Mésopotamie et dans le Zagros à la faveur de la confrontation régionale entre sultanat mamluk et Ilkhanides (cf p. 90‑91 et 296‑297).
Le pays kurde, un territoire mouvant (viiie-xiie siècle).

« [Les Kurdes] sont innombrables. Si l’épée de la discorde ne sectionnait leur pousse croissante et n’empêchait leur irruption, ils se répandraient dans les contrées et s’empareraient de nombreux biens. Mais, ils sont enclins au désaccord et à la division. L’épée reste entre eux dégainée, le sang versé, l’ordre bafoué, les yeux mouillés et de sang maculés. Ils ont deux chefs, tous deux révérés et dotés de troupes nombreuses : le seigneur de Ǧūlmark (Hakkari) et celui de ʿAqr Shūš (pays Humaydī). Le plus illustre des deux est le maître de Ǧūlmark […] Il est à la tête d’un vaste royaume, de villes, de citadelles et de forteresses et mène tribus, clans et coteries. Le chef de la horde [le khan* mongol] et le seigneur de l’Égypte [le sultan mamluk] l’encensaient.
al-ʿUmarī, al-Taʿrīf bi-l-muṣṭalaḥ al-sharīf, p. 47.
Le territoire des Kurdes entre influence mamluke et domination ilkhanide (xiiie-xive siècle).

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