La conquête de la Sicile et les établissements islamiques en Italie méridionale
p. 70-71
Texte intégral
1La présence des Arabo-musulmans en Méditerranée centrale a revêtu plusieurs formes du début du ixe au milieu du xie siècle.
2La Sicile, où la dynastie aghlabide de Kairouan intervint en 827 à la demande d’Euphemios, un général byzantin qui s’était proclamé empereur, constitua une marche frontière jusqu’à sa prise de contrôle complète en 976 par les Fatimides (cf p. 76‑77). Jusque-là, les Byzantins et l’émirat aghlabide de Palerme (puis le califat fatimide après 909) s’y combattirent le long d’un front qui traversait l’île et se déplaçait peu à peu vers l’est. En effet, si les Aghlabides contrôlèrent rapidement la partie occidentale de l’île avec laquelle ils avaient précédemment entretenu des relations et installèrent leur capitale à Palerme, la capitale byzantine de la Sicile, Syracuse, ne tomba qu’en 878 et la partie nord-est un siècle plus tard. Ceci explique que, plutôt que d’évoquer une conquête de la Sicile, il est plus pertinent de concevoir l’île comme une zone frontière, au centre de la Méditerranée, pendant un siècle et demi. À partir de la fin du xe siècle, elle fut la base du jihad* (cf p. 60‑61) mené par les Fatimides contre le sud de la péninsule Italienne.
3Aux ixe et xe siècles, les Arabo-musulmans étaient en effet aussi des acteurs importants en Italie méridionale. Qu’ils aient ou non été rattachés aux Aghlabides, leur avancée y fut favorisée par la désunion des forces qui auraient pu les freiner : les Byzantins (et les duchés tyrrhéniens indépendants de fait), les Lombards, les Carolingiens puis les Ottoniens (intervenant en tant que rois d’Italie), la papauté (Rome fut pillée en 846 et les grandes abbayes bénédictines de la région souvent attaquées).
4Les Arabo-musulmans fournissaient des mercenaires à ces différentes entités, plus souvent en conflit qu’à leur tour. Il convient toutefois de ne pas les envisager comme des forces indisciplinées alternant piraterie et razzias. Ils utilisaient en effet leur bonne connaissance du contexte géopolitique régional pour avancer leurs positions. Ils mirent ainsi sur pied des émirats en Pouille (Bari, Tarente) et en Calabre (Amantea, Santa Severina) au ixe siècle, qui développèrent des échanges diplomatiques et commerciaux avec les entités politiques voisines.
La côte septentrionale de l’Ifriqiya et l’Italie dans la géographie d’Ibn Ḥawqal.

Ibn Ḥawqal (seconde moitié du xe siècle, cf p. 18‑19) fut le premier géographe à représenter aussi précisément l’Italie, réduite ici essentiellement à sa partie méridionale, la plus en relation avec le monde islamique. Le texte du géographe l’évoque dans la partie consacrée à la Méditerranée (Baḥr al-Rūm* ou « mer des Romains »). Il est aussi le premier à décrire en détail Palerme.
D’après Istanbul, Topkapı Sarayı, Kitāb Ṣurāt al-arḍ, ms. 6527/A.3346, fol. 19.
L’Italie méridionale décrite par Ibn Ḥawqal (fin du xe siècle)
« Plus loin, la région de la Calabre touche
la Lombardie [région d’Italie méridionale
où s’étaient installés les Lombards à partir
du vie siècle]. C’est d’abord le territoire de Shaluri [Salerne], puis les cantons d’Amalfi. Cette dernière ville est, en Lombardie,
une des plus fertiles, des plus jolies, qui jouissent des meilleures conditions et se signalent
par leur richesse et leur opulence. La cité d’Amalfi est proche de Naples, excellente
ville, mais d’un niveau inférieur à Amalfi
en de très nombreux domaines : la fortune
des Napolitains provient surtout du lin
et des étoffes de lin, car on y fabrique
des tissus dont on ne peut se procurer l’équivalent en aucun point du monde
et il est impossible de les imiter ; certaines pièces, qui ont une longueur de cent coudées sur dix de large, se vendent à très bas prix,
et l’unité est payée cent cinquante rubaʿi
[quarts de dinars] parfois légèrement
davantage, mais le plus souvent bien en dessous. Cette région est suivie de la ville de Gaète, puis le territoire longe le rivage de la mer jusqu’au pays des Francs, parvient en face de la Sicile et la dépasse, pour aboutir à Tortosa,
dans la péninsule Ibérique. »
Ibn Ḥawqal, La Configuration de la Terre, I, p. 197‑198.
La Sicile, une zone frontière (ixe-xe siècle).

La prise d’Enna par les Aghlabides en 859
« En 859, les musulmans s’emparèrent
de la ville d’Enna, siège du roi de Sicile.
Il était auparavant à Syracuse, mais quand
les musulmans conquirent une partie de l’île,
la capitale fut déplacée à Enna, qui était
une place plus forte. La ville fut prise ainsi : al-ʿAbbās [émir* aghlabide de Sicile] s’était
approché avec ses troupes d’Enna et de Syracuse
et avait envoyé une flotte qui dut faire face
à quarante embarcations byzantines.
Ces dernières l’emportèrent et s’emparèrent
de dix embarcations, avec tout leur équipage.
Al-ʿAbbās s’en retourna à Palerme. L’hiver arriva et il envoya une troupe à Enna pour l’attaquer et la razzier. Les combattants en revinrent avec un prisonnier de haut rang et célèbre chez les Byzantins. Al-ʿAbbbās ordonna de l’exécuter, mais celui-ci lui dit : “Épargne-moi, car j’ai un bon conseil pour toi”. “Lequel ?” demanda l’émir. Il répondit :
“Je te rendrai maître d’Enna : cet hiver
et avec cette neige, les habitants seront certains
que vous ne les attaquerez pas et ils ne seront donc pas très vigilants. Si tu m’y envoies
avec un contingent de l’armée, je vous ferai entrer dans la ville”. »
Ibn al-Athīr, La Chronique complète, vol. 7 p. 62.
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