Dada à Paris
|Chapitre I. Paris en guerre et l’« esprit nouveau »
Résumé
État des esprits à Paris en 1915 – Le camp de la guerre – La « trahison » des intellectuels – Genèse de l’« Esprit nouveau » – Guillaume Apollinaire – SIC – Nord-Sud – On entend parler de Dada – Le cinéma – L’équivoque du modernisme.
Texte intégral
Prends mes vers ô ma France Avenir Multitude
Chantez ce que je chante un chant pur le prélude
Des chants sacrés que la beauté de notre temps
Saura vous inspirer plus purs plus éclatants
Que ceux que je m’efforce à moduler ce soir
En l’honneur de l’Honneur la beauté du Devoir.
Guillaume Apollinaire
17 décembre 1915
1Si Dada ne naquit pas de la guerre, c’est pendant la guerre qu’il vint au jour. Et l’on ne saurait comprendre le cheminement souterrain par lequel certains jeunes Parisiens furent amenés à s’engager sur les brisées du dadaïsme zurichois, si l’on ne tient pas compte des circonstances très particulières qui marquèrent leurs cruciales années d’adolescence.
2En effet, Breton, Aragon, Soupault, Éluard, Fraenkel, Hilsum appartenaient tous aux classes 1895-1897 : tous eurent leurs vingt ans au début de la guerre. Tous, au moment où ils accédaient à l’âge d’homme, le cœur plein d’une juste attente, virent tout à coup leur avenir compromis par l’éclatement d’un conflit dont nul ne pouvait prédire ni la durée ni l’issue.
3Et quel conflit ! Même ceux qui vécurent au plus près les horreurs de la guerre de 1939-1944 ont peine à se représenter ce que fut cette monstrueuse épopée qui devait coûter à la France près de deux millions de morts et dont les blessés traînaient par les rues leurs moignons et leurs gueules cassées.
4Il nous faut cependant tenter de jeter sur le Paris de 1915 le coup d’œil d’un jeune intellectuel d’alors. Triste spectacle en vérité ! L’espoir d’une conquête éclair, soigneusement entretenu des deux côtés du Rhin pour raffermir le moral des armées et des nations, s’était lamentablement enlisé avec les fantassins en bleu horizon dans les tranchées de l’Artois et de l’Aisne. La France de l’arrière, d’abord effondrée devant la tournure imprévue que prirent les événements, s’installait maintenant avec résignation dans la guerre. Les places laissées vides par les mobilisés étaient peu à peu occupées par les femmes, les « embusqués », les affectés spéciaux, les étrangers, les très jeunes et les trop vieux. Paris s’accoutumait aux alertes, aux bombardements, aux survols de Zeppelins et de Tauben, aux restrictions, aux uniformes, aux incommodités et aux contraintes de plus en plus nombreuses imposées par l’appareil guerrier. Aragon raconte comment les sergents de ville
- 1 « Les Beautés de la guerre », in Europe, décembre 1935, bibl. 27.
montaient dans les appartements où l’on jouait du Wagner, au nom des voisins réclamant quelque chose de plus patriotique. La peinture française dormait dans les caves, sous prétexte qu’elle était munichoise. Les mères pleuraient quand leurs fils lisaient Jean-Christophe. L’art, que ce fût Maeterlinck, Paul Fort ou Paul Claudel, c’était toujours un peu Mme Chenal enveloppée dans un drapeau1.
5La censure muselait les pessimistes et les protestataires. L’« espionnite » étendait allègrement ses ravages, obligeant chacun à surveiller ses paroles et ses gestes. Les affairistes, spéculant sur la crédulité populaire et l’impréparation militaire du pays, édifiaient des fortunes colossales en commercialisant des masques à gaz ou des « réchauds du soldat ». Les citoyens pauvres supportaient leurs privations en silence.
6Le « bourrage de crâne » gouvernemental et militaire, forme artisanale et néanmoins remarquablement efficace de notre « intox » d’aujourd’hui, tendait à créer dans l’esprit de chaque citoyen l’image d’une patrie française homogène, civilisée et portée par l’« union sacrée » vers une victoire totale, inéluctable et prochaine, et concurremment celle d’un adversaire barbare, fourbe, dégoûtant de bière et de sang, mais voué à la famine, comme en témoignaient les boules d’ersatz de pain dit « kaka » proposées sous vitrine à la délectation vengeresse des badauds parisiens.
- i Voir Pierre Miquel, La Grande Guerre au jour le jour, bibl. 421a.
7La bataille avait beau faire rage à quelques heures des Grands Boulevards, des dizaines de milliers d’hommes tomber chaque jour sous les shrapnels à Ypres, les hôpitaux auxiliaires regorger de « chair à canons » martyrisée, les voiles de deuil proliférer dans les rues de la capitale : la machine, une fois mise en branle, ne s’arrêterait qu’après avoir tout broyé sous ellei.
8Ce n’est pas l’un des moindres sujets d’étonnement, pour l’observateur d’aujourd’hui, que cet unanime enthousiasme de la population française devant la guerre. Les départs de la gare de l’Est vers la ligne bleue des Vosges, fleur au fusil et Madelon aux lèvres, les défilés hauts en couleur, drapeaux tricolores et pantalons garance, tout ce folklore nous paraît entaché d’irréalité. De même cette acceptation moutonnière des servitudes les plus inconcevables, cette dévaluation de la vie humaine couramment pratiquée, dont Le Feu, Les Croix de bois, À l’Ouest rien de nouveau et toute une littérature de guerre nous ont prodigué les macabres exemples.
9L’impression prévaut – et devait prévaloir dans l’esprit de Breton et de ses amis – que ce peuple, élu parmi les plus intelligents de la terre, avait tout à coup sombré dans quelque folie meurtrière et se complaisait dans un abêtissement systématique et volontaire. Il n’est, pour en juger, que de parcourir la presse de ces années de guerre. Les journaux de l’arrière, qui avaient trouvé, sans effort ni délai, le ton « juste » dès la fin de 1914, se virent donner des leçons de patriotisme par les innombrables périodiques (Le Poilu, Le Boyau, Le Crapouillot, etc.) publiés par ou pour les soldats du front. Quant aux revues, grandes et petites, qui avaient suspendu leur publication, elles réapparaissaient les unes après les autres et s’intégraient sans difficultés apparentes dans le nouveau courant nationaliste et patriotique. Pour justifier d’appréciables augmentations de tirage, le plus souvent subventionnées, certains périodiques, comme Le Divan, publiaient sans discrimination tout ce qui s’écrivait dans les tranchées.
10Plus consternant peut-être encore est l’examen des mille et un documents abandonnés par le temps comme feuilles mortes après l’orage et qui, hélas ! ne sauraient mentir : les romances bêtement patriotiques, les chansons revanchardes, les affiches primaires, les dessins édifiants, les caricatures sans esprit, les tableaux de bataille sans art, les cartes postales où les bons sentiments le disputaient à l’obscénité et au sadisme dans une symbolique simpliste dont la naïveté prêterait à rire si elle ne soulevait le cœur.
11Que des chefs éloquents aient su, pour attiser la colère des foules et l’utiliser à leurs fins, faire vibrer la corde patriotique toujours sensible en France, des souvenirs récents interdisent de s’en indigner. Mais que nulle voix ne se soit trouvée dans ce pays de l’ordre et de la mesure pour dénoncer la folie de cette vertigineuse marche au suicide, voilà qui passe l’imagination. Comme il est aisé de partager la douloureuse indignation d’un Romain Rolland, incompris et exilé :
- 2 Au-dessus de la mêlée, bibl. 517, p. 13.
Ce ne sont pas seulement les passions de races qui lancent aveuglément des millions d’hommes les uns contre les autres, comme des fourmilières […] ; c’est la raison, la foi, la poésie, la science, toutes les forces de l’esprit qui sont enrégimentées, et se mettent, dans chaque État, à la suite des armées. Dans l’élite de chaque pays, pas un qui ne proclame et ne soit convaincu que la cause de son peuple est la cause de Dieu, la cause de la liberté et du progrès humain2.
12Ce fut sans doute cette banqueroute générale des valeurs traditionnelles, cette inaptitude des élites à garder leur tête et leur cœur dans des circonstances exceptionnelles qui, inscrites de manière indélébile dans leur subconscient, devaient inciter les futurs dadaïstes à rejeter en bloc tout un système de pensée. À quoi bon l’Évangile, quand les prêtres demandaient à porter l’uniforme ? Le généreux idéal socialiste, quand les militants, sur le cadavre de Jaurès, votaient les crédits militaires ? Et que dire des intellectuels, plus prompts les uns que les autres à se défaire de leur toge et à prendre les armes ?
13En effet, l’esprit frondeur qui caractérisait le Paris d’avant 1914 avait cédé la place au culte inconditionnel de la Raison d’État. Sous prétexte de participer à leur façon à l’effort de guerre général, les hommes de lettres, poètes ou romanciers, mobilisés ou non, rivalisaient de lyrisme pour célébrer les beautés de la guerre, l’héroïsme de leurs compatriotes, la sainte haine du Kaiser et les vertus martiales des poilus français. Tous les littérateurs célèbres, écrit Soupault,
- 3 « Les Pas dans les pas », in Profils perdus, bibl. 601, p. 145.
sauf quelques rares exceptions (dont Romain Rolland qu’on considérait alors comme un traître et dont nous ne pouvions d’ailleurs pas lire les articles), acceptèrent et même exaltèrent les tragiques malentendus, qui furent la cause et la conséquence de la Première Guerre mondiale3.
- 4 L’Argent, suite, Cahiers de la Quinzaine, 14e série, 9e cahier, 27 avril 1913, p. 155. Charles Pégu (...)
- 5 Ibid., p. 93-94.
14Certes cette surenchère verbale et patriotique n’avait rien qui dût surprendre de la part de certains « ténors » de la littérature bourgeoise 1900, tels que Jean Aicard, Edmond Rostand, Victor Margueritte, Jean Richepin, Anatole France, Paul Bourget ou Mme de Noailles. Qu’un Maurice Barrès succédât en juillet 1914 à Paul Déroulède comme président de la Ligue des Patriotes, qu’il lui tînt à cœur d’écrire quotidiennement l’un de ces articles enflammés qui devaient composer les quatorze volumes de sa Chronique de la Grande Guerre, cela était assez conforme à l’idée que le grand public pouvait se faire de l’auteur de L’Appel au soldat. De même, la continuité spirituelle était latente entre le Charles Péguy de Notre patrie et le fantassin qui, avant de tomber pour la terre charnelle de Plessis-l’Évêque, proclamait « qu’il y avait des guerres qui sortaient des entrailles mêmes des peuples4 » et exaltait la fonction du soldat « qui mesure la quantité de terre où un langage, où une âme fleurit5 ».
- 6 Jean Cocteau, Frédéric Guillaume, Kronprinz d’Allemagne.
- 7 Paul Fort, « Ce que nous défendons », in Poèmes de France (1914-1915), Lausanne-Paris, Payot, 1916, (...)
15Les étudiants en médecine qui, à la sortie des salles du Val-de-Grâce où on les confrontait avec les plus affreuses réalités humaines, se retrouvaient avec Breton autour d’un café crème, avaient trop de largeur d’esprit pour ne pas admettre l’inévitable de la part d’un groupe d’hommes qui pour eux appartenaient à un autre monde. Ils ne s’émurent pas non plus outre mesure lorsqu’ils virent de jeunes poètes comme Jean Cocteau ou de moins jeunes comme Paul Fort reprendre, au refrain, la « chanson française6 » de leurs aînés et crier à leur suite : « En avant, Roi Albert. Et vous, Joffre, en avant ! Ce sont nos terres7 ! »
16En revanche, certaines « figures de proue », comme Valéry, Gide, Claudel même, images vivantes de la rébellion contre les conventions sociales, les décevaient, les unes par leur mutisme, les autres par leur engagement au service d’une « mauvaise » cause. Qu’attendaient-ils d’eux ? Pensaient-ils vraiment que ces hommes arrivés allaient déserter, se faire interner, ameuter la foule, se gausser au péril de leur vie de l’armée et du « jusqu’au-boutisme » ? Ils n’en savaient sans doute rien eux-mêmes, mais ils espéraient un signe, qui ne vint pas.
- 8 Breton en était d’ailleurs. Il avait entendu lire La Jeune Parque « par l’auteur lui-même chez Jean (...)
- 9 Nul ne devait prendre cette « trahison » plus à cœur qu’André Breton. Voir Entretiens, bibl. 106, p (...)
17Paul Valéry, dont le silence poétique, obstinément observé depuis 1896, pouvait laisser entendre qu’il mûrissait en secret les idées subversives contenues dans La Soirée avec Monsieur Teste, voilà que loin d’aboutir sur les rivages illustrés par Rimbaud, il retombait avec la publication, en 1917, de La Jeune Parque dans des variations mallarméennes pour initiés8. Le désappointement des jeunes fut indicible, encore que l’ouvrage, ambigu quant au sens et aride quant à la forme, fût passé presque inaperçu9.
18Quant à Gide, dont rien ne semblait devoir entamer le prestige et en qui on pouvait escompter trouver au moins les vestiges d’un Lafcadio, il louvoyait avec adresse pour maintenir intact son crédit auprès des générations montantes.
- 11 Arthur Cravan, que Dada regarda toujours comme un précurseur, avait percé à jour le manège de Gide. (...)
- 12 18 février 1919. Inéd. Voir infra, app., pièce n° 3.
19Plus habile et plus industrieux que Valéry, il savait laisser s’instaurer dans ses actes et ses œuvres de savants malentendus11 grâce auxquels, malgré qu’ils en eussent, les animateurs de Littérature allaient se croire fondés à solliciter son patronage. « Vous ne pouvez savoir, écrira Breton à Tzara en 1919, comme André Gide est avec nous. Je l’ai vu prodigieusement intéressé par les tentatives modernes en littérature et en peinture et si vous l’entendiez parler des nègres12! » Mais pour l’heure (1916), il se débattait dans des problèmes d’ordre religieux, se consacrait à des tâches humanitaires (foyer Franco-Belge), et cautionnait l’Action française.
- 13 C’était l’acteur Pierre Bertin, étudiant en médecine, comme Breton et Aragon qu’il fréquentait au V (...)
20Ainsi les valeurs poétiques les plus sûres de l’avant-garde, celles qui semblaient devoir supporter sans faiblir les aléas de ces temps troublés, s’effritaient au dur contact du monde concret. Des œuvres qui, quelques années ou même quelques mois auparavant, pouvaient passer pour révolutionnaires, apparaissaient dans la nouvelle conjoncture comme les reliques d’une société disparue. Ainsi, ce même Pelléas et Mélisande qui, en 1902, avait désigné à la vindicte publique les noms conjoints de Debussy et de Maeterlinck, ne suscita plus, lors de sa reprise à l’Odéon en 1917, qu’un silence charitable13. Pour la génération des Breton, des Aragon et des Éluard, cet échec marquait le dernier sursaut du symbolisme qui avait illuminé toute leur œuvre antérieure.
21Et cependant, face à cet effondrement et au triomphe apparent de l’opportunisme et de la violence, les jeunes gens percevaient confusément que tout n’était pas perdu. À l’ombre de la littérature de circonstance, des forces vives et neuves prenaient forme qui, nées dans l’isolement, la réprobation et le silence, n’aspiraient qu’à se manifester au grand jour.
22En effet, les Chants du soldat de Déroulède n’avaient pas totalement pu couvrir les échos, tout récents encore, des grandes manifestations artistiques et littéraires de l’immédiate avant-guerre. Après tout, le futurisme, le cubisme, les Soirées de Paris n’avaient pas cinq ans. Les espoirs suscités par la victoire de la Marne ayant tourné court, et la ferveur belliqueuse du public ayant été quelque peu tempérée par les holocaustes de l’hiver 1914-1915, certaines des revues mentionnées plus haut prirent leurs distances à l’égard des patriotes professionnels et, sans se consacrer à la poésie pure, tentèrent du moins d’élever le débat et de restituer à l’art son droit à l’existence dans la cité.
- 14 Voir bibl. 711.
- 15 Voir bibl. 689.
23C’est cette tendance qui se manifesta, timidement d’abord, dans des feuilles comme Le Mot, « journal politique et satirique », fondé en novembre 1914 par Paul Iribe avec la collaboration de Jean Cocteau14, ou bien le généreux bimensuel du peintre Amédée Ozenfant, L’Élan15, qui eut une vingtaine de fascicules entre avril et décembre 1915.
- 16 Voir lettre inédite de Max Jacob à Tristan Tzara, infra, pièce n° 198.
24Parallèlement, l’évolution des arts plastiques n’avait marqué qu’un bref temps d’arrêt au début de ces années de guerre. À Montparnasse, où les rangs des rapins s’étaient clairsemés, régnaient Kisling et Modigliani, Salmon et Max Jacob. Ce dernier, du seul fait de sa présence à Paris et du départ au front de la plupart de ses confrères, avait vu son personnage revêtir, dans l’atmosphère raréfiée du monde intellectuel de l’arrière, une importance hors de proportion avec sa situation réelle16. Le parrainage spectaculaire de Picasso à son baptême, le 18 février 1914, avait eu un énorme retentissement. Max Jacob s’en trouvait publiquement inféodé au cubisme, dont les jeunes peintres assimilaient graduellement les conquêtes et qui, avec le retour d’Apollinaire – considéré à tort ou à raison depuis les Méditations esthétiques comme un des maîtres à penser de la jeune peinture – allait jouir pour quelques années d’un supplément d’estime.
25Non que l’influence du poète d’Alcools eût jamais réellement cessé de se faire sentir sur les lettres et les arts parisiens : il ne s’écoula que quelques mois entre son engagement, à la fin de 1914, et son hospitalisation à Paris après sa blessure du 17 mars 1916, absence d’ailleurs entrecoupée de permissions au cours desquelles Apollinaire ne manquait pas de voir ses amis et de se faire voir à Montparnasse. En outre, le nom du poète était resté sous les yeux du public lettré : il avait repris le 1er juin 1915 sa chronique du Mercure de France, envoyé à ses amis le texte polycopié de Case d’armons et publié dans les jeunes revues de l’époque les pièces de vers que lui inspiraient la guerre, l’amour et l’aventure.
- 17 Entretiens, bibl. 106, p. 25.
26Mais la réapparition, vers juillet 1916, de la forte silhouette d’Apollinaire à la terrasse du Café de Flore, où il fréquentait chaque mardi vers six heures, symbolisa le renouveau des activités intellectuelles : vieux amis et jeunes artistes, Jacob, Carco, Dufy, Reverdy, Dermée, Breton vinrent ou revinrent spontanément se grouper autour du maître bien-aimé qui portait maintenant, sous la forme de volumineux bandages autour de son front, l’auréole de la gloire et du sang. Pour le réveillon du 31 décembre, Paul Dermée, futur dadaïste, organisa en son honneur un banquet au palais d’Orléans. Le « poète assassiné » se voyait promu au rang de héros national, ce qui n’allait pas sans tempérer quelque peu l’admiration que lui portaient les plus exigeants de ses disciples. Dans ses poèmes composés au front et qui circulaient à Montparnasse, observe Breton, « passait toujours la même flamme, mais rien n’y marquait une prise de conscience appréciable des événements17 ». Dans Calligrammes,
- 18 Ibid. De même Aragon déplorera qu’Apollinaire « se soit malheureusement astreint de changer les obu (...)
les pires réalités de l’époque étaient éludées […], les plus légitimes inquiétudes détournées au bénéfice d’une activité de jeu. […] Devant l’effroyable fait de guerre, Apollinaire avait réagi par une volonté de plongée dans l’enfance, […] j’estime qu’en sa personne la poésie avait été incapable de surmonter l’épreuve. Elle se trouvait à mes yeux frappée d’insuffisance. C’est sans doute ce qui allait me rendre très attentif à un message d’ordre tout différent18.
- 19 Jacqueline Apollinaire nous avait montré une importante correspondance d’André Breton à son mari. L (...)
- 20 Aragon, « Les Beautés de la guerre », in Europe, décembre 1935, bibl. 27.
27Et pourtant quelles que pussent être leurs réserves à son égard, ni Breton19, ni ses amis ne songeaient à retirer leur confiance au « seul homme qui pût encore [… leur] verser les alcools précieux dans la France sèche du temps de guerre20 ». « Je sais : Apollinaire voulait la Légion d’honneur », répliquera violemment Aragon aux détracteurs du poète de « Lueurs des tirs ».
- 21 Voir infra, p. 120.
- 22 « Calligrammes », in L’Esprit nouveau, bibl. 691, n° 1, octobre 1920, p. 106 (note).
Il craignait de se compromettre en correspondant avec d’anciens amis. Pour les yeux de la censure, il écrivait : Vivent les Alliés ! sur les cartes qu’il envoyait en Suisse21. Il disait blanc avec les blancs, noir avec les noirs. Il descendait ses Picassos à la cave les jours de bombardements. Il portait un bandeau noir autour de la tête pour mieux souligner sa blessure. Je sais bien d’autres choses encore : mais que voulez-vous que ça me fasse22 ?
28Au reste, son autorité était telle que ceux qui débutaient dans les lettres ne pouvaient que se ranger sous sa bannière protectrice. En effet, les tendances « modernistes » étaient nombreuses et confuses. Nul ne savait exactement où diriger ses pas, et l’omniprésence du grand homme qui avait si bien su ménager les uns et les autres dans ses Méditations esthétiques était à la fois rassurante et stimulante.
29Toute la « jeune littérature » de l’époque souhaitait obtenir son patronage, et notamment les petites revues de poésie, dont les deux plus importantes, pour notre propos, furent SIC et Nord-Sud.
30La première livraison de SIC (janvier 1916) prit chronologiquement le relais de L’Élan (dernier numéro : décembre 1915). Son titre (S.I.C. : « Sons, Idées, Formes, Couleurs ») ne laissait pas prévoir que les intentions de ses animateurs seraient révolutionnaires.
- 23 Voir bibl. 733.
31De fait, on s’étonnera sans doute longtemps que SIC23 ait pu faire pendant près de trois ans figure de revue d’avant-garde. En fait, le premier mérite de cette revue aura été de paraître, et celui de son entreprenant directeur, Pierre Albert-Birot, de fournir, dans les conditions très difficiles des années de guerre, un moyen d’expression à des poètes et artistes de tous bords.
- 24 Voir les collaborations de Gino Severini, Luciano Folgore, Enrico Prampolini, Gino Cantarelli ; les (...)
- 25 « Prendre des initiatives, ne pas attendre qu’elles nous reviennent d’outre-Rhin ». Pierre Albert-B (...)
- 26 Voir le compte rendu par Dermée de la conférence sur le Nunisme prononcée le 25 février 1917 à l’Ac (...)
- 27 Voir d’Apollinaire : « L’avenir » (n° 4, avril 1916, p. 5) ; un [poème] (n° 7, juillet 1916, p. 4) (...)
- 28 SIC, n° 28, avril 1918, p. 1.
- 29 Ibid., n° 27, mars 1918, p. 5.
- 30 Ibid., n° 8-9-10, août-octobre 1916, p. 5.
32Futuriste24 et nationaliste25 à ses débuts, SIC se transforma en juin 1916 en l’organe du Nunisme (« du grec nun : maintenant »), doctrine vaguement vitaliste fondée par Albert-Birot pour contrer l’apologétique marinettienne du futur26. Malgré ses réserves à l’endroit de la revue, Apollinaire n’hésita pas un instant à la cautionner et à s’y laisser imprimer27, encore qu’il ne se privât pas dans l’intimité de se moquer affectueusement des efforts de son jeune ami. Celui-ci se réservait une part importante dans sa revue pour y publier ses propres poèmes, non dénués de tout intérêt, qu’ils fussent idéogrammatiques (nouvelles moutures des calligrammes d’Apollinaire rebaptisés Poèmes-paysages) comme ces Éclats28 (figurant une explosion d’obus) ; bruitistes (« Poème à crier et à danser29 » ; modestement nuniques, « à mots collés » (« Vertigecélestialdesimmensitésspatiales… »)30 ; ou bien encore « narratifs » dans sa chronique rimée des événements du mois.
- 31 Auteur d’un recueil de Réflexions poétiques, illustré de reproductions de sculptures de Chana Orlof (...)
33La survie, on peut même dire le succès, de SIC était imputable à des raisons très diverses, encore que rarement d’ordre littéraire. Albert-Birot avait fort bien compris (à la différence de trop de directeurs de jeunes revues) le mécanisme élémentaire de l’édition. Au lieu de s’engager dans des frais somptuaires, il rédigeait avec la seule aide de sa femme (la musicienne Germaine Albert-Birot) et d’un poète polonais, Ary Justman31, quelques pages sans prétention, dont il assurait le tirage au moindre prix. Il savait que l’existence matérielle et spirituelle d’un périodique ne s’achève pas, mais en fait commence, à la sortie des presses : SIC était donc bien diffusé, on le trouvait chez les plus petits dépositaires, et un groupe d’amis s’occupait en permanence de recueillir des abonnements. La périodicité en était parfaitement régulière et comme entre L’Élan et Nord-Sud ce fut la seule revue du genre publiée à Paris, force était bien aux poètes débutants d’en passer par SIC, nonobstant leur dédain pour les pauvretés et les puérilités qui l’encombraient. Du reste, Albert-Birot était fort accueillant, ne reculait pas devant les audaces compromettantes et n’hésitait nullement à publier les élucubrations les plus aberrantes de ses poulains.
- 32 Voir infra, p. 87, note 15.
34La réputation de SIC passa très vite les frontières françaises et parvint ainsi à Zurich jusqu’aux oreilles de Tzara, lequel répondit aussitôt par un service de Dada. Quelques événements (la représentation des Mamelles de Tirésias, l’incident Fraenkel-Cocteau32, la mort même d’Apollinaire) repris dans la grande presse servirent les desseins d’Albert-Birot, comme aussi le soutien patent du grand Guillaume qui feignait d’avoir découvert en lui un second Henri Rousseau, et l’ignorance des journalistes qui, en attaquant systématiquement ses poèmes, contribuèrent à faire passer Albert-Birot pour un champion de l’avant-garde. Ce qu’Aragon résuma en une formule vitriolique de ses carnets : « C’est ainsi que Monsieur Perrichon, s’étant mis en tête de devenir poète, devint un homme important dans la République et prit le nom de Pierre Albert-Birot. »
- 33 Mais pas tous. On remarque l’absence d’Éluard, de Fraenkel, de Breton (sauf un poème en collaborati (...)
- 34 « Usine-usine », poème (n° 8-9-10, août-octobre 1916, p. 17) ; « Dernière nouvelle », prose (n° 21- (...)
- 35 « Jeu » (n° 12, décembre 1916, p. 3) ; « Un poème » (n° 14, février 1917, p. 3) ; « Poème » (n° 19- (...)
- 36 « Départ », signé Philippe Verneuil (n° 15, mars 1917, p. 3) ; « Déception » (avril 1917), (n° 19-2 (...)
- 37 « Note 6 sur l’art nègre » (n° 21-22, septembre-octobre 1917, p. 2) ; « Retraite » (ibid., p. 5) ; (...)
- 38 « Le 24 juin 1917 », compte rendu des Mamelles de Tirésias, (n° 27, mars 1918, p. 6-7) ; critique d (...)
- 39 « Poème » (n° 33, novembre 1918, p. 2) ; « Tohu » (n° 35, décembre 1918, p. 8) ; « Plan » (n° 40-41 (...)
- 40 « Poème » (25 décembre 1918) sur la mort d’Apollinaire, (n° 37-38-39, janvier-février 1919, p. 299)
35Ce fut néanmoins grâce à SIC que la plupart33 des futurs dadaïstes français se firent connaître au public : Drieu La Rochelle34 tout d’abord, puis Dermée35, Soupault36, Tzara37, Aragon38, Radiguet39 et Picabia40. Ainsi, lieu de rencontre de tous les peintres et écrivains qui se voulaient ou se croyaient rebelles, dépourvu de programme bien déterminé, mais en revanche libre de préjugés, SIC représente assez bien le prototype dont allaient s’inspirer les revues dadaïstes parisiennes.
- 41 « Revue littéraire ». Le titre était emprunté à la ligne (aujourd’hui n° 12, Porte de la Chapelle-M (...)
36En mars 1917, SIC vit naître un concurrent sérieux, Nord-Sud41, dirigé par le poète Pierre Reverdy, dont le but avoué était d’unir toutes les tendances résolument modernes tant dans les lettres que dans les arts. Et, bien entendu, ce fut aussi sous l’égide du poète de Calligrammes que s’effectua ce rassemblement dont l’importance est grande pour l’histoire des débuts de Dada. Le premier numéro, daté du 15 mars 1917, s’ouvrait sur un éditorial de Reverdy :
- 42 Nord-Sud, bibl. 713, n° 1, p. 12.
[…] Naguère les jeunes poètes allèrent trouver Verlaine pour le tirer de l’obscurité. Quoi d’étonnant que nous ayons jugé le moment venu de nous grouper autour de Guillaume Apollinaire42 ?
- 43 Sur les relations Reverdy-Breton, voir notamment Henri Pastoureau, « Des influences dans la poésie (...)
37Le directeur de la revue, poète encore jeune (il était né en 1889) mais déjà respecté, n’avait alors à son actif qu’une mince plaquette de vers publiée à compte d’auteur en 1916. Ce que Breton et ses amis pouvaient en avoir lu à l’époque, c’est-à-dire fort peu, avait suffi à les conquérir. Aussi dès la parution de Nord-Sud, ils accordèrent à ce nouveau périodique le préjugé favorable qu’ils avaient refusé à SIC43.
- 44 Voir ses nombreuses collaborations : « La victoire » (n° 1, 15 mars 1917, p. 8-10) ; « Avant le cin (...)
- 45 N° 1, p. 2-4. Autres contributions de Paul Dermée : « Festin », n° 2, 15 avril 1917; p. 10 ; « Poèm (...)
38Il est vrai que, dès ses premiers numéros, Nord-Sud confirma le bien-fondé de leurs espérances : la tenue générale dénotait une certaine expérience de la chose littéraire. Et l’on n’y retrouvait rien de cette puérilité touchante qui désarmait Apollinaire à la lecture de chaque livraison de SIC, encore que la présentation matérielle de Nord-Sud ne s’écartât guère de celle de son prédécesseur et concurrent. Les collaborateurs étaient choisis avec moins d’éclectisme et plus de rigueur : en fait, les seize numéros de la revue de Reverdy reposaient sur trois grands noms – Guillaume Apollinaire (dont l’intérêt pour Nord-Sud ne se démentit jamais)44, Max Jacob et Reverdy lui-même. La ligne directrice de la revue était difficilement définissable : si les rédacteurs furent peu à peu amenés à prendre position en faveur du cubisme pictural et à essayer de le transposer sur le plan poétique, cette recherche d’une réalité nouvelle ne fit jamais l’objet d’une tentative de codification. À travers les créations souvent affligeantes de la baronne d’Oettingen (qui signait Roch Grey ou Léonard Pieux), les poèmes du Chilien Vicente Huidobro et de Paul Dermée, et les textes de Max Jacob, on a peine à se former une conception cohérente de cette doctrine bâtarde et baroque qu’on a désignée, faute de vocable plus adéquat, sous le nom de « cubisme littéraire ». Il est toutefois intéressant de remarquer d’une part que cette doctrine, toute d’engagement, était inconciliable avec la démarche de Dada, toute de refus, d’autre part que c’est le futur dadaïste Paul Dermée (dont le nom figure au sommaire de chacun des quatorze premiers numéros de Nord-Sud) qui amorça cette orientation cubiste dans le premier article de tête intitulé « Quand le symbolisme fut mort45 ».
- 46 « Promenade » (n° 6-7, août-septembre 1917, p. 28) ; compte rendu d’« Aquarium » de Soupault (n° 9, (...)
- 47 « Coqs de bruyère » (n° 3, 15 mai 1917, p. 7) ; « L’an suave » (n° 6-7, août-septembre 1917, p. 27) (...)
- 48 « La grande complainte de mon obscurité » (n° 4-5, juin-juillet 1917, p. 27) ; « Verre traverser pa (...)
- 49 « Soifs de l’Ouest » (n° 13, mars 1918, p. 14) ; « Acrobate » (n° 14, avril 1918, p. 10) ; « Charlo (...)
39Une curieuse impression d’unité et d’ennui se dégage d’ailleurs à la lecture de la collection de la revue, tenant sans doute au petit nombre des collaborateurs et à leur absence de dynamisme collectif. Les articles émanant d’auteurs étrangers à ce nouveau « groupe des six » (Apollinaire, Jacob, Reverdy, Dermée, Roch Grey-Léonard Pieux et Huidobro) se comptent sur les doigts de la main. L’exception faite en faveur de Soupault46, Breton47, Tzara48 et Aragon49, n’en est que plus significative, encore qu’on s’en explique mal le motif. Qu’espérait en effet Reverdy en accueillant ces jeunes gens ? Les rallier à l’esprit du « cubisme littéraire » ? Cette hypothèse est moins improbable qu’il y paraît, car les poèmes des membres du futur groupe Littérature publiés dans Nord-Sud ne tranchent pas suffisamment sur ceux des autres collaborateurs pour indiquer dans quel sens s’effectuera leur évolution ultérieure. De leur point de vue, le patronage d’Apollinaire et l’admiration qu’ils vouaient au grand poète, la profonde amitié aussi qui les liait à Reverdy suffisaient à compenser ce que pouvaient avoir d’irritant les cocasseries de Max Jacob, les élucubrations esthétiques de Dermée et les odes au Titanic de Roch Grey.
40Au reste les jeunes poètes ne réservaient pas leur collaboration au seul Nord-Sud. Ils continuaient de publier, en tout éclectisme, dans SIC ainsi que dans d’autres petites revues françaises ou étrangères, où leurs vers voisinaient avec ceux d’autres inconnus. C’est de cette manière que leur attention fut attirée par des textes poétiques d’une grande et singulière beauté, signés d’un nom dont la consonance seule était propre à exciter l’imagination : Tristan Tzara. Intrigués, ils cherchèrent, ici et là, à se renseigner et ils parvinrent sans trop de peine à se faire une idée assez précise du dadaïsme zurichois.
- 50 Voir supra, Préambule, p. 11.
- 51 In 391, n° 5, New York, juin 1917, p. 8.
41En effet, l’écho des manifestations du Cabaret Voltaire avait atteint Paris dès 191650 et l’on peut penser que, dès le début de 1917, il se colportait, un peu partout dans les chapelles des histoires assez fantastiques sur les agissements de Tzara. La plupart des petites revues françaises en faisaient état vers cette époque, encore que leurs renseignements fussent en général très imprécis. Max Jacob annonça au printemps 1917 la « naissance d’un poète roumain Tristan Tsara [sic]51 » et Adrienne Monnier a rapporté, dans Rue de l’Odéon, avoir reçu dès leur parution, les deux premiers numéros de Dada (respectivement datés de juillet et décembre 1917) et les avoir montrés avec étonnement à Jean Paulhan. À peu près dans le même temps, Albert-Birot publiait dans SIC l’entrefilet suivant :
- 52 N° 21-22, septembre-octobre 1917, p. 11.
Naissances. Dada : Cahiers d’art dune tenue et dune sobriété sympathiques, publiés à Zurich par le poète roumain Tristan Tzara et le peintre Janco. Dada 2 va paraître incessamment52
42Et quand le numéro en question parut, il fut accueilli en ces termes :
- 53 Pierre Albert-Birot, in SIC, n° 25, janvier 1918, p. 8. En se reportant aux deux premiers numéros d (...)
L’ennui naquit un jour de l’uniformité : la présentation des œuvres dans cette revue soignée m’a remis ce vers au bout des lèvres. Cette régularité toute mécanique dans la marche des poèmes, des notes, des bibliographies et avis d’administration me semble un pas de parade. Un poème, comme le pense parfaitement le Roumain directeur de cette revue, est une construction, un monument, un tout, pourquoi par force le pousser dans le rang et le faire partie ? Chaque poème a sa physionomie. Pourquoi l’obliger à l’uniforme et puisqu’il est œuvre d’art pourquoi n’aurait-il pas un socle ou un cadre isolateur comme une statue ou un tableau ? En résumé, pourquoi Dada fait-il de l’individualisme avec les peintres et du collectivisme avec les poètes53 ?
43Quant à Nord-Sud, c’est sur un ton plus détaché (et aussi plus tardivement) qu’il annonça la sortie de Dada 2, dans son numéro 12 de février 1918, à propos d’une querelle de Reverdy avec Gonzague-Frick et Roger Allard.
- 54 SIC, n° 15, mars 1917, p. 8.
44Enfin l’existence de la revue de Picabia, 391, était connue, puisque SIC en avait fait part à ses lecteurs en un propos touchant : « Nous avons reçu les deux premiers numéros de “391”, journal de langue française qui nous vient de Barcelone. Il a l’intention de servir la bonne cause : qu’il soit le bienvenu, aimons-nous les uns les autres54. » Mais on conçoit que, présentées sous de tels auspices, les publications dada n’aient pas provoqué chez leurs rares lecteurs parisiens de bouleversement immédiat.
- 55 Il est tout de même assez surprenant, à la lumière des développements ultérieurs du dadaïsme, qu’au (...)
45Pour l’heure, du reste, ceux qui allaient, quelques années plus tard, « faire le mouvement Dada » à Paris n’accordaient à ces émanations zurichoises ou barcelonaises qu’une discrète attention. Pris dans l’étau d’une réalité quotidienne impitoyable, ils ne songeaient qu’à se soustraire à ses contingences. Tous, ils ont insisté dans leurs écrits sur le caractère fantastique de l’ambiance qui régnait en ces années sombres sur la capitale. Les jeunes gens d’alors ne se sentaient pas concernés par les effroyables batailles qui se livraient à l’Est et dont ils n’apercevaient que la lugubre vanité. « Embusqués » spirituels, avides d’évasion, ils cherchaient par tous les moyens l’accès à un monde qui fût aux antipodes de celui qu’on leur imposait, grevé d’hypothèques morales et patriotiques, confit en ses vertus personnelles et civiques, rabougri dans l’espace, étriqué dans ses perspectives, écrasé sous le poids des impératifs militaires55.
- 56 Aragon, « Les Beautés de la guerre », in Europe, décembre 1935, bibl. 27.
- 57 Voir Ado Kyrou, Le Surréalisme au cinéma, bibl. 355, p. 53-59. La compilation des textes littéraire (...)
- 58 Charlie Chaplin deviendra l’un des héros favoris du surréalisme. Voir par exemple « Hands Off Love (...)
46« Au milieu de tout cela, avec l’horreur et la sottise de la guerre, jeunes bourgeois qui ne nous souciions point d’un avenir menacé de mort, un certain ton de voix, comme une contrebande, atteignait en nous ce goût profond du fruit défendu56. » Cette ivresse de contrebande, ce fut d’abord un certain exotisme introduit en France par les troupes américaines et leurs orchestres de jazz nègre qui la leur procura ; puis le cinéma57, le cinéma de Charlot58 et de Mack Sennett, de Douglas Fairbanks, de Tom Mix, de Rio Jim, de Pearl White ; des bandes comiques américaines entrées en France avant la déclaration de guerre, des westerns, des ciné-feuilletons interminables dont la presse, avec Nick Carter, avait donné le modèle ; et surtout les films de Musidora.
- 59 André Breton, « Jacques Vaché », in Les Pas perdus, bibl. 103, p. 69-70.
La belle affiche : ils reviennent. – Qui ? – Les Vampires, et dans la salle éteinte les lettres rouges de Ce soir-là59.
- 60 Voici quelques détails, recueillis de la bouche de sa fille, sur ce personnage qui n’est plus guère (...)
- 61 Voir Aragon, Les Vampires, manuscrit inédit, déposé à la B.L.J.D., B.IV.3 7206-10. Partiellement re (...)
47Il faut se reporter à la correspondance et aux écrits intimes des jeunes auteurs de l’époque pour évaluer l’influence de cet être mystérieux dans la genèse de Dada et du surréalisme. Nos vedettes d’aujourd’hui, répandues par millions d’exemplaires dans les revues spécialisées et sur les murs, n’ont pu à ce point transformer les mœurs : Musidora60, qui apparut sur les écrans parisiens en 1914 dans les films à épisode de Louis Feuillade Les Vampires, incarna la Femme pour toute une jeunesse, mais la femme moderne, se mouvant à l’aise grâce à son collant noir dans un monde fictif et réel à la fois, luxueux et raffiné, mystérieux et amoral. Elle enseignait le dédain des convenances, l’esprit d’aventure et le mépris de la mort. Mais surtout elle fut la grande initiatrice des choses de l’amour, la Vénus noire aux yeux troubles de Baudelaire, si « docte en voluptés » que le surréalisme allait lui emprunter son idée propre de ce nouvel art d’aimer qu’on ne nommait pas encore l’érotisme61.
- 62 On sait que, préparé à Rome par Serge de Diaghilev, Cocteau, Satie, Picasso et Léonide Massine, Par (...)
- 63 Premier nom donné aux jeunes musiciens qu’Henri Collet devait baptiser les « Six ».
48D’autres occasions de « divertissement » s’offraient encore, malgré la guerre, aux esprits en quête d’aventures esthétiques : si nombreuses même, quand arriva 1918, que le problème majeur devint de distinguer entre tant d’entreprises, toutes plus « modernes » les unes que les autres. Comment un poète débutant pouvait-il faire le départ entre ce qui n’était que survivance et l’invention encore informulée qui aboutirait à Dada ? Entre la modernité mondaine d’un Cocteau – le « Parmentier du jazz-band », comme le surnommait Picabia –, par exemple, et l’originalité fondamentale d’un Satie ? Surtout lorsqu’elles s’alliaient au « cubisme » d’un Picasso pour produire Parade62 ? Perçus avec un siècle de recul, les domaines respectifs sont assez aisément circonscrits, mais dans l’instant ? La vague d’injures et de critiques menaçantes qui accueillirent le spectacle des Suédois visait l’équipe toute entière, Cocteau inclus. Et quand Satie, poursuivi en justice pour avoir insulté un critique, fut condamné à huit jours de prison avec sursis, tout ce que Montparnasse comptait de « Nouveaux Jeunes63 » se rangea derrière lui. Ces prises de position catégoriques, exigées par l’événement, desservaient en fin de compte la cause des véritables innovateurs et contribuaient à entretenir une équivoque que Dada même n’allait jamais pouvoir complètement dissiper.
- 64 Compagnie dramatique animée par Louise Lara, ex-sociétaire de la Comédie-Française, et son mari, Cl (...)
- 65 On aimerait être assez charitable pour passer sous silence les « potassons » de la bonne Adrienne M (...)
- 66 Adrienne Monnier, Rue de l’Odéon, bibl. 424, p. 48.
49Aussi bien, dans les cercles parisiens de plus en plus nombreux où évoluaient écrivains et artistes dits d’avant-garde, on se refusait volontiers à toute exclusive, ne sachant jamais si le cheval sur lequel on avait misé le moins ne deviendrait pas l outsider qui enlèverait la course. Partout, aux soirées poétiques, séances dramatiques, conférences ou expositions d’art moderne organisées par des groupements artistiques comme Lyre et Palette ou Art et Vie (devenu plus tard Art et Action)64 ; chez les Six, dans l’atelier du peintre Émile Lejeune, rue Huyghens ; aux spectacles de bienfaisance donnés chaque jour sous l’impulsion de femmes de tête comme Mme Aurel, Mme Bathori, Mme York, la baronne d’Oettingen, au profit de quelque œuvre de guerre dans leurs salons ou au Vieux-Colombier, on pouvait rencontrer aussi bien Léon-Paul Fargue que Louis Aragon, Paul Fort qu’André Breton, André Salmon que Philippe Soupault. La librairie d’Adrienne Monnier, rue de l’Odéon, servait de plate-forme à tous les « efforts modernes », ceux d’Albert-Birot, de Romains, de Cendrars, de Gide, de Reverdy, tout autant que ceux de Breton. Le public voyait même avec faveur certains mouvements entachés d’infantilisme65, comme cet inénarrable bibisme, « sorte de Dada avant la lettre66 », engendré par une fille déjà vieillissante, Raymonde Linossier, commensale d’Adrienne Monnier. La définition qu’en donne cette dernière vaut une brève citation :
- 67 Loc. cit. Le « bibisme » devait son nom à un texte romanesque (Bibi-la-bibiste) de Raymonde Linossi (...)
Le bibisme cherchait à instaurer le goût du baroque et du primitif. On y honorait les arts sauvages et ces formes d’art populaire qui s’expriment par des fantaisies sur peluche, coffrets en coquillages, cartes postales à surprises, tableaux en timbres-poste, constructions en bouchons, etc. Là où les dadas ont mis le tragique, bibi mettait la tendresse. Raymonde aimait les formes d’art vagissantes et titubantes comme une mère qui sait bien que tout ça ne deviendra que trop vite grand et sérieux et que rien ne vaut les jeux et les mélanges des commencements67.
- 68 Bibl. 705.
50Que Dada ait pu, même un temps, se confondre avec ces passe-temps kitsch d’adolescentes attardées dépasse l’entendement, et pourtant Ezra Pound lui-même n’hésita pas à publier le « manifeste » du bibisme dans la Little Review68 qu’il codirigeait alors ! L’aventure montre en tout cas la confusion qui régnait parmi les meilleurs esprits vers la fin de la guerre. Et c’est pourtant dans ces milieux bien parisiens, où proliféraient les cénacles, où à tout prix il fallait qu’on se distinguât par quelque affectation dans le geste, le langage, voire le costume, que Dada allait prendre racine.
51Cette implantation hétéroclite, qu’on retrouve ailleurs à des degrés divers dans les autres lieux où devait sévir Dada (New York, Zurich, Berlin ou Cologne), explique la difficulté qu’on a pu éprouver, lors de ses toutes premières manifestations, à déceler ce qui marquait la différence et la spécificité des actes proprement dadaïstes. Il fallut attendre quelques gestes spectaculaires, quelques provocations indubitablement marquées au coin d’un esprit distinct des petites gesticulations cocasses, quotidien des cabarets montmartrois ou des terrasses montparnassiennes, pour qu’on s’aperçût qu’une contagion nouvelle, celle du « microbe vierge », allait contaminer Paris.
Notes
1 « Les Beautés de la guerre », in Europe, décembre 1935, bibl. 27.
2 Au-dessus de la mêlée, bibl. 517, p. 13.
3 « Les Pas dans les pas », in Profils perdus, bibl. 601, p. 145.
4 L’Argent, suite, Cahiers de la Quinzaine, 14e série, 9e cahier, 27 avril 1913, p. 155. Charles Péguy est mort en septembre 1915 à Plessis-l’Évêque.
5 Ibid., p. 93-94.
6 Jean Cocteau, Frédéric Guillaume, Kronprinz d’Allemagne.
7 Paul Fort, « Ce que nous défendons », in Poèmes de France (1914-1915), Lausanne-Paris, Payot, 1916, p. 33.
8 Breton en était d’ailleurs. Il avait entendu lire La Jeune Parque « par l’auteur lui-même chez Jean Royère. Breton disait que c’était “transparent” et “gris” […] ». Adrienne Monnier, Rue de l’Odéon, bibl. 424, p. 127.
9 Nul ne devait prendre cette « trahison » plus à cœur qu’André Breton. Voir Entretiens, bibl. 106, p. 16-17. Extrayons de ces pages cette phrase significative : « Valéry, pour moi, s’inscrivait alors dans cette même lumière [celle de Rimbaud au Harrar], comme s’y est inscrit, depuis, Marcel Duchamp, et lui seul » (p. 16). Il serait intéressant de pouvoir publier intégralement la longue correspondance échangée, de 1915 à 1924, entre Valéry et Breton, dont les extraits ont paru dans l’article de Henri Pastoureau, « Des influences dans la poésie présurréaliste d’André Breton » (bibl. 443, p. 144-147) et dont A. Breton avait gardé copie. Voir aussi la réaction d’Aragon, in Paul Valéry fait paraître La Jeune Parque, B.IV.3 7206-12.
10 Anonyme, in A.I.1 6, p. 335. Voir aussi l’allusion d’Aragon : « Gide se met au courant », dans son Projet d’histoire littéraire contemporaine, qu’il a développée dans les manuscrits de la B.L.J.D., B.IV.3 7206-13 (André Gide).
11 Arthur Cravan, que Dada regarda toujours comme un précurseur, avait percé à jour le manège de Gide. Voir son féroce article « André Gide » paru dans Maintenant, juillet 1913, p. 1-7.
12 18 février 1919. Inéd. Voir infra, app., pièce n° 3.
13 C’était l’acteur Pierre Bertin, étudiant en médecine, comme Breton et Aragon qu’il fréquentait au Val-de-Grâce, qui avait monté la pièce au Théâtre National. L’inexpérience de Bertin (limitée à l’organisation des matinées poétiques du Vieux Colombier de Mme Bathori) entra sans doute pour beaucoup dans l’échec de l’entreprise.
14 Voir bibl. 711.
15 Voir bibl. 689.
16 Voir lettre inédite de Max Jacob à Tristan Tzara, infra, pièce n° 198.
17 Entretiens, bibl. 106, p. 25.
18 Ibid. De même Aragon déplorera qu’Apollinaire « se soit malheureusement astreint de changer les obus, les fusées en fantasmes » (« Calligrammes », in L’Esprit nouveau, bibl. 691, n° 1, octobre 1920, p. 106).
19 Jacqueline Apollinaire nous avait montré une importante correspondance d’André Breton à son mari. La lecture de ces lettres, complétant celle de la correspondance Apollinaire-Breton (voir bibl. 15) permet de mieux comprendre la nature des rapports entre les deux hommes.
20 Aragon, « Les Beautés de la guerre », in Europe, décembre 1935, bibl. 27.
21 Voir infra, p. 120.
22 « Calligrammes », in L’Esprit nouveau, bibl. 691, n° 1, octobre 1920, p. 106 (note).
23 Voir bibl. 733.
24 Voir les collaborations de Gino Severini, Luciano Folgore, Enrico Prampolini, Gino Cantarelli ; les comptes rendus de revues italiennes (La Diana, Avanscoperta, L’Italia futurista, La Chronica letteraria, Procellaria, etc.) et le numéro spécial cubiste et futuriste de mai 1917 (n° 17).
25 « Prendre des initiatives, ne pas attendre qu’elles nous reviennent d’outre-Rhin ». Pierre Albert-Birot, in n° 1, janvier 1916, p. 2. Voir aussi le n° 8-9-10 (août-octobre 1916), p. 12-13.
26 Voir le compte rendu par Dermée de la conférence sur le Nunisme prononcée le 25 février 1917 à l’Academia par Albert-Birot (in SIC, n° 15, mars 1917, p. 7).
27 Voir d’Apollinaire : « L’avenir » (n° 4, avril 1916, p. 5) ; un [poème] (n° 7, juillet 1916, p. 4) ; une « interview » avec Albert-Birot (n° 8-9-10, août-octobre 1916, p. 2-3) ; « Il pleut… » (n° 12, décembre 1916, p. 4) ; « Il est entré… » (n° 14, février 1917, p. 5) ; « Le pont… » (n° 16, avril 1917, p. 4-5 ; « Six poèmes » (n° 18, juin 1917, p. 5-6), etc. C’est sous le patronage de SIC, on le sait, que fut organisée, le 24 juin 1917, la représentation des Mamelles de Tirésias : cette manifestation donna lieu à un long compte rendu dans le périodique (n° 18, juin 1917, p. 2-4), suivi dans le n° 19-20 (juillet-août 1917, p. 2-8) d’une « revue des revues ». Enfin quand le maître mourut, SIC prit le deuil (n° 34, novembre 1918) et en février 1919 parut le célèbre numéro spécial sur Guillaume Apollinaire (n° 37-38-39). Et l’on sait que ce dernier préfaça en mars 1917 les Trente Et Un Poèmes de poche d’Albert-Birot au moyen d’un « Poèmepréface-prophétie », où il écrivait non sans machiavélisme : « Pierre Albert-Birot est une sorte de pyrogène » (G. Apollinaire, Œuvres poétiques, bibl. 14, p. 692).
28 SIC, n° 28, avril 1918, p. 1.
29 Ibid., n° 27, mars 1918, p. 5.
30 Ibid., n° 8-9-10, août-octobre 1916, p. 5.
31 Auteur d’un recueil de Réflexions poétiques, illustré de reproductions de sculptures de Chana Orloff, Editions SIC, 1917.
32 Voir infra, p. 87, note 15.
33 Mais pas tous. On remarque l’absence d’Éluard, de Fraenkel, de Breton (sauf un poème en collaboration avec Aragon), de Ribemont-Dessaignes, entre autres.
34 « Usine-usine », poème (n° 8-9-10, août-octobre 1916, p. 17) ; « Dernière nouvelle », prose (n° 21-22, septembre-octobre 1917, p. 9) ; compte rendu de son livre Interrogation (n° 24, décembre 1917, p. 6).
35 « Jeu » (n° 12, décembre 1916, p. 3) ; « Un poème » (n° 14, février 1917, p. 3) ; « Poème » (n° 19-20, juillet-août 1917, p. 8) ; « Jean Metzinger, étude » (n° 42-43, mars-avril 1919, p. 336) et un compte rendu sur son recueil Spirales (n° 24, décembre 1917, p. 3-4).
36 « Départ », signé Philippe Verneuil (n° 15, mars 1917, p. 3) ; « Déception » (avril 1917), (n° 19-20, juillet-août 1917, p. 12) ; « Route et miroir » (n° 23, novembre 1917, p. 3) ; une « Note sur le cinéma » (n° 25, janvier 1918, p. 3) ; « Indifférence, poème cinématographique (décembre 1917) » ; « Scénario automatique » (ibid., p. 4) ; « Café » (n° 27, mars 1918, p. 4) ; « Escalade (mars-avril 1918) » (n° 29, mai 1918, p. 4) ; « [3] photographies animées » (n° 32, octobre 1918, p. 4) ; « Photographies animées (IV et V) » (n° 33, novembre 1918, p. 3) ; « 23 heures (août 1918) » (n° 35, décembre 1918, p. 4).
37 « Note 6 sur l’art nègre » (n° 21-22, septembre-octobre 1917, p. 2) ; « Retraite » (ibid., p. 5) ; « Bois parlant » (n° 28, avril 1918, p. 6) ; « Arc » (n° 32, octobre 1918, p. 5) ; « Note 12 sur la poésie nègre » (n° 34, novembre 1918) ; « La mort de Guillaume Apollinaire » (n° 37-38-39, janvier-février 1919, p. 308) ; compte rendu des 25 Poèmes de Tzara par Joan Perez-Jorba ; « Boxe » (n° 42-43, mars-avril 1919, p. 325) ; « Calendrier (6 et 7) » (n° 44, 30 avril 1919, p. 346) ; « Calendrier (8 et 9) » (n° 45-46, mai 1919, p. 349) ; « Calendrier (10 et 11) » (n° 47-48, juin 1919, p. 366) ; « Bilan » (n° 49-50, octobre 1919, p. 385).
38 « Le 24 juin 1917 », compte rendu des Mamelles de Tirésias, (n° 27, mars 1918, p. 6-7) ; critique des Ardoises du toit de Pierre Reverdy, (n° 29, mai 1918, p. 6-7) ; « Treize études », en coll. avec Breton (ibid., p. 3) ; « Garni pour garçon » et « Fugue » (n° 30, juin 1918, p. 2) ; « Critiques synthétiques » sur : Calligrammes (n° 31, octobre 1918, p. 3) ; Le Cubisme de Roland Chavanon et Le Pain dur de Paul Claudel (n° 33, novembre 1918, p. 2) ; Dans les ténèbres de Léon Bloy, Morceaux choisis de Walt Whitman et Le Panama de Blaise Cendrars (n° 35, décembre 1918, p. 3), Le Phanérogame de Max Jacob et Simon le pathétique de Jean Giraudoux (n° 40-41, février-mars 1919, p. 310) et Allusions de Raymond Radiguet (n° 42-43, mars-avril 1919, p. 330) ; « Oraison funèbre » (n° 37-38-39, janvier-février 1919, p. 283).
39 « Poème » (n° 33, novembre 1918, p. 2) ; « Tohu » (n° 35, décembre 1918, p. 8) ; « Plan » (n° 40-41, février-mars 1919, p. 316) ; « Cadran sans aiguilles » (ibid., p. 324).
40 « Poème » (25 décembre 1918) sur la mort d’Apollinaire, (n° 37-38-39, janvier-février 1919, p. 299).
41 « Revue littéraire ». Le titre était emprunté à la ligne (aujourd’hui n° 12, Porte de la Chapelle-Mairie d’Issy) du chemin de fer métropolitain qui relie Montmartre à Montparnasse, les deux quartiers parisiens traditionnellement voués aux artistes et aux écrivains.
42 Nord-Sud, bibl. 713, n° 1, p. 12.
43 Sur les relations Reverdy-Breton, voir notamment Henri Pastoureau, « Des influences dans la poésie présurréaliste d’André Breton », bibl. 443, p. 167-169. Sur Soupault et Reverdy, voir Profils perdus, bibl. 601, p. 83-89.
44 Voir ses nombreuses collaborations : « La victoire » (n° 1, 15 mars 1917, p. 8-10) ; « Avant le cinéma » et « Fusée-signal » (n° 2, 15 avril 1917, p. 5-6) ; « Baudelaire dans le domaine public » (n° 3, 15 mai 1917, p. 3-5) ; « Allons plus vite » (ibid., p. 5) ; « Aux grands hommes la patrie reconnaissante » (n° 4-5, juin-juillet 1917, p. 9) ; « Sanglots et bluets » (ibid., p. 10-11) ; « À Luigi Amaro » et « Fagnes de Wallonie » (n° 6-7, août-septembre 1917, p. 8-10) ; « Départ » (n° 8, octobre 1917, p. 11) ; « La guerre et nous autres » (ibid., p. 10) ; « Le vigneron champenois » (n° 9, novembre 1917, p. 7) ; « Chant d’amour » (n° 10, décembre 1917, p. 6) ; « Océan de terre (1915) » [n° 12, février 1918, p. 5] ; « Vers le sud (3 avril 1915) » [ibid., p. 6].
45 N° 1, p. 2-4. Autres contributions de Paul Dermée : « Festin », n° 2, 15 avril 1917; p. 10 ; « Poèmes en prose », n° 3, mai 1917, p. 8 ; « Nietzsche » et « Cinquième ligne », n° 4-5, juin-juillet 1917, p. 12-14 ; « Intelligence et création », n° 6-7, août-septembre 1917, p. 4-5 ; « Sisley » et « Agrafes d’argent », ibid., p. 7 ; « Poème », n° 8, octobre 1917, p. 12 ; « Radiateur », n° 9, novembre 1917, p. 12 ; « Poème », n° 10, décembre 1917, p. 11 ; « Un prochain âge classique », n° 11, janvier 1918, p. 3-4 ; « Poème », ibid., p. 5 ; « Deux poèmes », n° 12, février 1918, p. 7-8 ; « En cellule », n° 13, mars 1918, p. 10-11 ; « Alerte », n° 14, avril 1918, p. 8.
46 « Promenade » (n° 6-7, août-septembre 1917, p. 28) ; compte rendu d’« Aquarium » de Soupault (n° 9, novembre 1917, p. 2) ; « Souffrance » (ibid., p. 11) ; « Antipodes » (n° 11, janvier 1918, p. 12) ; « Souvenirs » (n° 12, février 1918, p. 14-15) ; « Marche (janvier-février 1918) » et « Poème (décembre-janvier 1918) » [n° 13, mars 1918, p. 12-13] ; « Rose des vents (mars 1918) » [n° 14, avril 1918, p. 9] ; « Tag-time » [sic], (n° 16, octobre 1918, p. 6).
47 « Coqs de bruyère » (n° 3, 15 mai 1917, p. 7) ; « L’an suave » (n° 6-7, août-septembre 1917, p. 27) ; « André Derain » (n° 12, février 1918, p. 13) ; « Sujet » (n° 14, avril 1918, p. 14) ; « Forêt noire » (n° 16, octobre 1918, p. 3).
48 « La grande complainte de mon obscurité » (n° 4-5, juin-juillet 1917, p. 27) ; « Verre traverser paisible » (ibid.., p. 28) ; « Petite ville en Sibérie » (n° 13, mars 1918, p. 17) ; « La grande complainte de mon obscurité, III » (n° 14, avril 1918, p. 13) ; « Danse obscure briser » (n° 15, mai 1918, p. 6).
49 « Soifs de l’Ouest » (n° 13, mars 1918, p. 14) ; « Acrobate » (n° 14, avril 1918, p. 10) ; « Charlot mystique » (n° 15, mai 1918, p. 5).
50 Voir supra, Préambule, p. 11.
51 In 391, n° 5, New York, juin 1917, p. 8.
52 N° 21-22, septembre-octobre 1917, p. 11.
53 Pierre Albert-Birot, in SIC, n° 25, janvier 1918, p. 8. En se reportant aux deux premiers numéros de Dada, on jugera du bien-fondé de ces critiques du directeur de SIC, assez mal placé, semblait-il, pour donner des conseils d’audace. Comparer avec la critique de Dada 4-5 parue dans le même SIC en juin 1919 (n° 47-48, p. 375), laquelle est rédigée dans le style spontané et incohérent des publications dadaïstes. Le « thermomètre littéraire » de SIC (n° 42-43, mars-avril 1919, p. 339) place Dada 3 un peu au-dessous, et 391 légèrement au-dessus, du point marqué « Explosion ».
54 SIC, n° 15, mars 1917, p. 8.
55 Il est tout de même assez surprenant, à la lumière des développements ultérieurs du dadaïsme, qu’aucun de ceux qui allaient devenir les protagonistes du mouvement parisien ne se soit déclaré ouvertement contre la guerre. Dès 1915, en effet, ils eussent pu se joindre à la minorité pacifiste d’extrême gauche qui estimait avoir été trahie par les dirigeants socialistes en août 1914. Le 15 août 1915, les délégués du syndicat des métaux, Alphonse Merrheim et Albert Bourderon, faisaient approuver, par 30 voix contre 91, une résolution minoritaire dans laquelle ils déclaraient en substance : « Cette guerre n’est pas notre guerre. »
De même, Breton, Soupault, Aragon et Éluard paraissent n’avoir pas eu connaissance ou du moins n’avoir tenu aucun compte des conférences de Zimmerwald (septembre 1915) et de Kienthal (avril 1916), non plus que de la révolution russe de 1917. L’explication que donne Aragon de cette abstention dans ses Entretiens avec Francis Crémieux (bibl. 30, p. 27-32) : « […] j’étais de ceux qui croyaient (c’est là sans doute une idée un peu enfantine, mais enfin c’était la mienne) que, même si c’était pour lutter contre elle, nommer la guerre, c’était lui faire de la réclame », est loin d’être satisfaisante. Breton, de son côté, reconnaît plus franchement que la « conscience sociale » n’existait pas parmi eux (Entretiens, bibl. 106, p. 40).
56 Aragon, « Les Beautés de la guerre », in Europe, décembre 1935, bibl. 27.
57 Voir Ado Kyrou, Le Surréalisme au cinéma, bibl. 355, p. 53-59. La compilation des textes littéraires des années 1910-1920 touchant au cinéma permet de comprendre l’influence aujourd’hui difficilement concevable du septième art sur les intellectuels de l’époque : « Le grand théâtre qui produit une dramaturgie totale, déclarait Apollinaire, c’est le cinéma » (« Interview Albert-Birot-Apollinaire », in SIC, n° 9-10, août-octobre 1916, p. 2-3). De même les premiers écrits de Soupault dans SIC révèlent déjà cet amour immodéré des salles obscures qu’il ne reniera jamais (voir « Note sur le cinéma », n° 25, janvier 1918, p. 3 ; « Indifférence, poème cinématographique », p. 4 ; « Photographies animées », n° 32, octobre 1918, p. 4, et n° 33, novembre 1918, p. 3), et surtout son essai sur « Charlot », bibl. 599. Avec lui, Aragon et Picabia (ce dernier dès avant la guerre), Duchamp et Man Ray, furent les plus ardents cinéphiles du groupe, mais la passion du cinéma semble n’avoir épargné aucun des futurs dadaïstes parisiens.
58 Charlie Chaplin deviendra l’un des héros favoris du surréalisme. Voir par exemple « Hands Off Love », texte collectif paru dans La Révolution surréaliste du 1er octobre 1927. Dada sera plus cavalier : on exploitera son nom sans scrupules pour attirer le badaud au cours de la manifestation du Salon des indépendants, le 5 février 1920.
59 André Breton, « Jacques Vaché », in Les Pas perdus, bibl. 103, p. 69-70.
60 Voici quelques détails, recueillis de la bouche de sa fille, sur ce personnage qui n’est plus guère aujourd’hui qu’un nom. Musidora, pour l’état civil Jeanne Roques, était née à Paris de parents artistes en 1897 (la même année qu’Aragon). Elle n’avait donc que dix-sept ans en 1914 quand le metteur en scène Louis Feuillade (réalisateur de Fantômas) la vit dans un tour de chant à Ba-ta-clan où elle passait avec sa grande amie Colette. La série des Vampires était déjà commencée, mais la vedette qui tenait le rôle de l’héroïne ne le satisfaisant pas, Feuillade la fit « mourir » dans l’épisode suivant. Il donna ensuite le rôle à Jeanne Roques pour qui Pierre Louÿs alla chercher dans le roman Fortunio (1837) de Théophile Gautier le nom de la courtisane Musidora. Elle rendit célèbre dans Les Vampires le collant de soie noire et la cagoule dessinés pour elle par Paul Poiret, d’après l’uniforme classique des souris d’hôtel, mis à la mode depuis peu par une actrice allemande. Immédiatement célèbres dans toutes les classes sociales, Les Vampires servirent longtemps de norme aux serials cinématographiques. Feuillade engagea ensuite Musidora pour tourner la série des Judex. Très belle, quoiqu’un peu forte, brune aux grands yeux noirs, elle jouait avec une sensualité savante de ses longues mains. Elle s’appelait dans ses premiers films Irma Vem (anagramme de « vampire ») et devait fournir à Hollywood le modèle sur lequel allaient se régler toutes les vamps du septième art. Sa vie était par ailleurs remarquablement bourgeoise. Sauf une tournée en Espagne durant laquelle elle s’amouracha d’un torero à cheval, elle mena une existence sans histoire et épousa en 1927 un médecin du nom de Clément Marot. Elle mourut en 1957. Voir Alice GUY, Autobiographie d’une pionnière du cinéma, bibl. 298.
61 Voir Aragon, Les Vampires, manuscrit inédit, déposé à la B.L.J.D., B.IV.3 7206-10. Partiellement reproduit dans Roger Garaudy, L’Itinéraire d’Aragon, bibl. 271, p. 26 ; et André Breton, « Introduction » aux Lettres de guerre de J. Vaché, bibl. 644, [p. 17].
62 On sait que, préparé à Rome par Serge de Diaghilev, Cocteau, Satie, Picasso et Léonide Massine, Parade fut présenté le 18 mai 1917 (au plus fort de la guerre) au théâtre du Châtelet, où il reçut un accueil houleux. Voir « La collaboration de Parade » de Jean Cocteau, in Nord-Sud, n° 4-5, juin-juillet 1917, p. 29-30.
63 Premier nom donné aux jeunes musiciens qu’Henri Collet devait baptiser les « Six ».
64 Compagnie dramatique animée par Louise Lara, ex-sociétaire de la Comédie-Française, et son mari, Claude Autant. Les cours d’art dramatique et les théâtres de Paris faisaient pendant les hostilités office de points de ralliement pour les artistes dispersés par les hasards de la guerre : citons pour mémoire les représentations des Mamelles de Tirésias (juin 1917) ; de Couleur du temps (novembre 1918) ; de Cuirs de bœuf (décembre 1918) de Georges Polti au conservatoire René Maubel ; du Dit des jeux du monde (décembre 1918) de Paul Méral au Vieux-Colombier ; de Parade (mai 1917), etc. Voir le détail des manifestations in Catalogue de la collection Art et Action, B.L.J.D. 50.282.
65 On aimerait être assez charitable pour passer sous silence les « potassons » de la bonne Adrienne Monnier (voir Rue de l’Odéon, bibl. 424, p. 47-50 et passim). Mais cette entreprenante personne finit par faire jouer le jeu à de grands et forts esprits comme Valery Larbaud, Léon-Paul Fargue et même Erik Satie, qui composa à l’intention des « potassons » la Marche de Cocagne.
66 Adrienne Monnier, Rue de l’Odéon, bibl. 424, p. 48.
67 Loc. cit. Le « bibisme » devait son nom à un texte romanesque (Bibi-la-bibiste) de Raymonde Linossier, publié en 1917 à compte d’auteur et dédié à Francis Poulenc (qui venait d’étonner la congrégation d’Art et Vie par sa Rhapsodie nègre).
68 Bibl. 705.
Notes de fin
i Voir Pierre Miquel, La Grande Guerre au jour le jour, bibl. 421a.
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.