Introduction
p. 46-47
Texte intégral
1Ce chapitre rend compte de l’histoire des pays d’Islam du viie au xvie siècle. L’avènement d’une nouvelle religion et la conquête que firent ses adeptes eurent pour conséquence que soient rassemblés sous la domination politique des musulmans des peuples aux coutumes, langues et religions diverses. Au-delà de ce dénominateur commun, la diversité l’emporte : types d’économies, ethnies et religions, et même modalités de gouvernement sont extrêmement variés.
2À la veille de la prédication muhammadienne, les habitants de la péninsule Arabique, s’ils se reconnaissaient une affiliation tribale, n’étaient pas pour autant tous nomades. Citadins et agriculteurs sédentaires y étaient nombreux. L’historiographie récente, renouvelée par l’archéologie et l’épigraphie, a établi que les monothéismes juif et chrétien avaient largement pénétré la Péninsule et que de puissants royaumes en avaient dominé la majeure partie pendant de longs siècles. Cette réalité a été occultée par la vision musulmane désignant cette période comme la Jāhiliyya*, « l’époque de l’Ignorance », afin de mettre en valeur la rupture que représentait l’apparition de l’islam.
3Au début du viie siècle, Muhammad s’imposa, à La Mecque puis à Médine, comme prophète et comme chef politique et soumit toute la Péninsule à son autorité. Après sa mort en 632, les Arabes se lancèrent à la conquête de la Syrie, de l’Iraq, de l’Iran occidental et de l’Égypte, dès 634. En quelques décennies, ils formèrent un Empire réunissant des régions jusqu’alors partagées entre deux mondes politiques, religieux et culturels : le monde iranien, dominé par les Sassanides, zoroastriens et de langue pehlvie*, et le monde méditerranéen, gouverné par les Byzantins, majoritairement chrétien, avec le latin et le grec pour langues officielles. Mais la question de la succession de Muhammad ne faisait pas l’unanimité. Si certains considéraient qu’il avait désigné ʿAlī ibn Abī Ṭālib, son cousin et gendre, pour être son « successeur » (khalīfa), d’autres portèrent au pouvoir Abū Bakr, un Compagnon, qu’ils jugeaient plus digne de conduire la communauté des croyants. La période des quatre premiers califes dits « bien guidés » s’acheva par un conflit armé entre ʿAlī, enfin désigné comme calife, et Muʿāwiya, du puissant clan mecquois des Omeyyades. Cette première fitna* (guerre interne à la communauté) se conclut par la prise de pouvoir de ce dernier, qui rendit le califat héréditaire. Ce fut l’origine du schisme entre sunnisme*, chiisme* et kharijisme* dont les doctrines se fixèrent progressivement par la suite.
4Malgré ces dissensions politiques, l’expansion de l’Islam se poursuivit, vers l’est avec la conquête de l’Iran oriental, vers l’ouest avec celle du Maghreb et de la plus grande partie de la péninsule Ibérique. Un Empire géré par un État centralisé se constitua alors, avec installation d’une armée de conquêtes (le jund*), découpage de circonscriptions administratives, levée d’impôts, nomination de gouverneurs dans les provinces, mise en place de chancelleries. Par la construction de mosquées et l’arabisation progressive de l’administration, les Omeyyades développèrent une culture d’Empire.
5Lorsque les Abbassides les renversèrent en 750, ils héritèrent de cet État organisé. La légitimation de leur pouvoir était généalogique puisque, descendants d’al-ʿAbbās, l’un des oncles de Muhammad, ils appartenaient à la Famille du Prophète. Sunnites*, ils régnèrent sur un grand empire depuis leur capitale Bagdad, fondée en 762.
6Tous les chiites* partageaient l’exigence de choisir le calife, leur imam*, dans la famille du Prophète, mais en la limitant aux descendants de ʿAlī ibn Abī Ṭālib. Ils restèrent donc opposés aux Abbassides dont ils ne reconnurent pas la légitimité. Mais, divergeant sur le choix de l’imam, ils se divisèrent en plusieurs branches. La branche ismaélienne* mit en place un système de propagande (daʿwa) faisant émerger une figure charismatique, le mahdī*. Leur succès en Ifriqiya permit la naissance d’un califat chiite, celui des Fatimides qui, d’abord établis au Maghreb, conquirent l’Égypte (969) où ils fondèrent leur capitale, al-Qāhira (Le Caire). Leur projet de conquête de l’Orient jusqu’à Bagdad tourna court, mais ils réussirent à maintenir pendant plus de deux siècles (909‑1171) un califat chiite, à diffuser un savoir ismaélien*, à capter le grand commerce international et à développer un artisanat d’une qualité technologique et d’un luxe inouïs.
7De leur côté, les Abbassides avaient subi un émiettement territorial de leur empire. Dès le ixe siècle, des dynasties avaient pris leur autonomie en al-Andalus, au Maghreb, puis en Égypte et en Iran. Le xe siècle vit l’émergence de califats rivaux, chiite (Fatimides) mais aussi sunnite (Omeyyades de Cordoue). En 945, le califat abbasside passa sous la tutelle de chefs militaires iraniens et chiites, les Buyides, puis, au siècle suivant, en 1055, sous la domination des Seljukides, turcs et sunnites. Un redressement califal eut lieu au xiie siècle, mais il fut interrompu par les conquêtes mongoles du xiiie siècle. Car le Dār al-Islām* dut faire face, à partir du xe siècle, à de graves menaces extérieures. En Occident, al-Andalus fut, à partir de 1085 (prise de Tolède), progressivement conquise par des souverains chrétiens et la chute de Grenade en 1492 marqua la fin de la domination musulmane. Au xixe siècle, un courant nationaliste, écrivant le roman national espagnol, appela cette longue épopée militaire « Reconquista ».
8À la même époque, les croisés s’emparèrent de Jérusalem (1099) et s’établirent au Levant pour deux siècles. Les Fatimides, affaiblis par des épidémies et des crises de subsistance, inquiets des incursions croisées en Égypte, firent appel à un prince zenguide sunnite de Syrie, qui envoya une armée. Après de nombreux troubles, à la mort du dernier calife fatimide (1171), Saladin, d’origine kurde, prit le pouvoir en Égypte avec le titre de sultan et rétablit le sunnisme. Il fut à l’origine de la dynastie des Ayyubides. Près d’un siècle plus tard, ceux-ci ne purent empêcher la Septième Croisade d’envahir l’Égypte en 1250, et ce furent leurs esclaves militaires, les Mamluks, qui menèrent victorieusement ce combat. Ces esclaves affranchis devenus sultans se firent des champions du sunnisme, repoussèrent définitivement les croisés et défendirent le Dār al-Islām face aux avancées des Mongols (victoire de ʿAyn Jālūt en 1260). Ils se maintinrent en Syrie, en Égypte et au Hedjaz jusqu’aux conquêtes ottomanes (1516‑1517).
9En 1258, un petit-fils de Gengis Khan, Hülegü, avait pris Bagdad et mis à mort le calife abbasside, mettant fin à une dynastie qui avait régné cinq siècles. Les Mongols, convertis à l’islam, établirent des dynasties locales (Ilkhanides en Iran, Horde d’Or en Russie et Europe orientale) et développèrent une brillante civilisation, avec de grands savants et des arts florissants. Les Timurides, descendants de Tamerlan, permirent l’épanouissement des arts et des lettres dans leur capitale, Samarcande, et étendirent leur territoire jusqu’à l’Inde (prise de Delhi en 1398).
10Ainsi, depuis le xe siècle, les souverains musulmans n’étaient plus systématiquement arabes. Dans l’Occident musulman, deux dynasties berbères, les Almohades puis les Almoravides, développèrent de la seconde moitié du xie siècle au xiiie siècle des empires réunissant le Maghreb et ce qu’il restait d’al-Andalus, permettant ainsi un bel essor économique et artisanal ainsi que le développement de voies soufies*. Au Mashreq, la bataille de Mantzikert, gagnée par le sultan seljukide Alp Arslān en 1071, amorça la fin des Byzantins en Anatolie et une nouvelle expansion du domaine musulman. La prise de Constantinople par les croisés en 1204 contribua grandement à affaiblir les Byzantins et permit le développement d’émirats turcs en Anatolie, mais les luttes entre musulmans (les Seljukides de Rūm contre l’ilkhanat* mongol) mirent un terme au pouvoir des Seljukides d’Anatolie. En Égypte, les Ayyubides étaient kurdes et, dès avant leur sultanat, des principautés kurdes avaient vu le jour en Haute Mésopotamie et dans le Caucase du Sud ; les Mamluks étaient originaires d’Asie centrale, de Crimée, des terres tcherkesses, et convertis à l’islam. Quant aux Mongols, leur berceau était la Mongolie, au nord de la Chine. Enfin, en Afrique, les marchands islamisés développèrent des dynasties locales qui adoptèrent, à partir du xie siècle, l’islam comme religion officielle, tandis qu’il se diffusait également dans l’océan Indien grâce à l’expansion des réseaux marchands.
11La plupart des souverains musulmans de la fin du Moyen Âge, arabes ou non arabes, se revendiquèrent de l’islam sunnite. Puis les Safavides, chiites duodécimains*, prirent le pouvoir dans l’Orient iranien et régnèrent jusqu’au xviiie siècle. Les terres centrales de l’ancien califat abbasside ainsi que les régions de l’est et du sud de la Méditerranée (sauf le Maroc) furent conquises par les Turcs ottomans, sunnites, qui avaient mis fin à l’Empire byzantin en prenant Constantinople (1453) ; ils régnèrent jusqu’en 1922.
12Les territoires de l’islam furent ainsi divisés en deux entités politiques et culturelles majeures dont la frontière se situait à nouveau en Mésopotamie. Si les multiples dominations politiques musulmanes contribuèrent à une certaine homogénéisation culturelle sur un territoire immense aux frontières mouvantes, elles n’effacèrent cependant pas la diversité religieuse et linguistique des populations locales. Le monde musulman reste ainsi, jusqu’à aujourd’hui, marqué par une hétérogénéité qu’ont accentuée les affirmations nationalistes et la construction des États modernes.

Le texte seul est utilisable sous licence Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les chemins de la décolonisation de l’empire colonial français, 1936-1956
Colloque organisé par l’IHTP les 4 et 5 octobre 1984
Charles-Robert Ageron (dir.)
1986
Premières communautés paysannes en Méditerranée occidentale
Actes du Colloque International du CNRS (Montpellier, 26-29 avril 1983)
Jean Guilaine, Jean Courtin, Jean-Louis Roudil et al. (dir.)
1987
La formation de l’Irak contemporain
Le rôle politique des ulémas chiites à la fin de la domination ottomane et au moment de la création de l’état irakien
Pierre-Jean Luizard
2002
La télévision des Trente Glorieuses
Culture et politique
Évelyne Cohen et Marie-Françoise Lévy (dir.)
2007
L’homme et sa diversité
Perspectives en enjeux de l’anthropologie biologique
Anne-Marie Guihard-Costa, Gilles Boetsch et Alain Froment (dir.)
2007