La Sicile d’al-Idrīsī
p. 28-29
Texte intégral
1Abū ʿAbd Allāh Muḥammad al-Idrīsī, le plus connu des géographes médiévaux, était un prince descendant du prophète Muhammad, qui rédigea à Palerme un traité de géographie, le Kitāb nuzhat al-mushtāq fī-ikhtirāq al-āfāq, « L’Agrément de celui qui est passionné par la pérégrination à travers le monde », appelé également Kitāb Rujār, le « Livre de Roger ».
2L’ouvrage, dont la rédaction commença en 1154, à l’issue de quinze années de collecte d’informations, accompagnait un planisphère en argent aujourd’hui disparu ; il contient, à la fin de chaque chapitre, la carte correspondant à l’espace décrit, soit soixante-dix cartes illustrant les dix sections que comporte chacun des sept climats* du monde. C’est ainsi un portrait de l’ensemble de l’œkoumène, la terre habitée, qu’a dressé le géographe, et un quadrillage au sein duquel la Méditerranée et ses îles, âprement disputées entre Islam et Chrétienté au xiie siècle, tiennent une place de choix.
3La Sicile, où l’auteur est vraisemblablement né et où il servit le normand Roger II (roi entre 1130 et 1154), en constitue le cœur. Décrite avec force détails sur plus de 30 pages, l’île est sous sa plume une terre particulièrement riche, habilement gouvernée depuis sa capitale, Palerme, et fermement défendue par ses maîtres normands. Son unité géographique et son insularité sont renforcées par le fait que c’est dans un autre chapitre que le géographe décrit la Calabre et les terres d’Italie du Sud, pourtant elles aussi dominées par les rois normands.
4Après avoir présenté les 34 localités littorales siciliennes, il inventorie de manière très complète l’intérieur de l’île en suivant des itinéraires et en indiquant les distances entre chaque étape. Peu de terres échappent à son minutieux maillage et il énumère des dizaines de villages, bourgs et hameaux, tous plus florissants et prospères les uns que les autres, produisant en abondance grains, fruits et bétails, traversés de cours d’eau et de rivières. Il est en revanche particulièrement discret, comme dans le reste de son ouvrage, sur les populations qui peuplent ce pays de cocagne situé à la confluence entre Islam, Empire byzantin et Occident latin.
La Sicile selon al-Idrīsī.

© Paris, BnF, ms. Arabe 2221, fol. 203v-204.
Roger II couronné par le Christ.

Palerme, mosaïque de l’église de la Martorana, 1149.
© Matthias Süssen
« Palerme se compose de deux parties: la partie dite du Cassaro [al-Qaṣr], et le Faubourg [al-Rabaḍ*]. […] Le Cassaro […] est parmi les villes fortifiées les mieux défendues et les plus élevées; il peut résister aux attaques et est tout à fait imprenable. À son sommet est un fort (ḥiṣn), bâti récemment pour le grand roi Roger et constitué d’énormes blocs de pierre de taille recouverts de mosaïques.
Les murs du Cassaro sont bien alignés et élevés, ses tours de guet et ses postes de garde sont d’une composition fort solide, de même que les différents palais et salles qu’il abrite. Ces derniers sont ornés des motifs calligraphiques les plus merveilleux et couverts de peintures remarquables. Tous les voyageurs attestent de la splendeur de Palerme et en font une description hyperbolique. Ils affirment clairement qu’il n’y a point hors de Palerme d’édifices plus magnifiques que les siens, de demeures plus nobles, de palais plus imposants et de maisons plus agréables.
Le faubourg qui environne l’ancienne ville forte est très vaste, il contient un grand nombre de maisons d’hôtelleries, de bains, de boutiques et de marchés. Il est entouré d’une enceinte, d’un fossé et d’un espace vide. À l’intérieur, il y a beaucoup de jardins, de parcs splendides, de canaux d’eau fraîche courante provenant des montagnes qui entourent cette plaine. À l’extérieur, au sud, coule la rivière de ʿAbbās (Oreto), qui fait tourner des moulins en assez grand nombre pour suffire aux besoins de la ville. »
al-Idrīsī, La première géographie de l’Occident, p. 308-309.
La Sicile selon al-Idrīsī.

Auteur

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