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L’homme et l’habitat

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François Valla

Chapitre 3. Le Natoufien récent : des transformations dans la continuité

Volltext

1Le Natoufien récent est beaucoup plus court que le Natoufien ancien. Dans le Carmel et la Galilée, les couches sont d’ordinaire moins épaisses que celles de la période précédente. La grotte d’Hayonim, ne contient plus traces d’architecture, mais des constructions sont bâties sur la terrasse, où on n’en connaît pas auparavant. Un nouveau site construit apparaît à Nahal Oren. Loin de ce « centre », en Syrie, en Jordanie, dans le sud d’Israël, les sites se multiplient et certains d’entre eux conservent les restes d’aménagements plus ou moins sommaires. Les sépultures sont toujours présentes. Sur les sites du Carmel et de la Galilée elles demeurent nombreuses, même quand l’architecture manque. Plus on s’éloigne de cette région plus elles deviennent rares. Une sépulture découverte à Azraq, dans l’est jordanien, fait figure d’exception. À Abu Hureyra, sur l’Euphrate, des os humains isolés sont signalés, mais pas de tombe.

  • 1 Stekelis et Yisraeli, 1963.
  • 2 Grosman, 2003.
  • 3 Henry, 1976.

2Les constructions sont mal connues. Beaucoup d’entre elles, proches de la surface, sont perturbées. D’autres ont été bouleversées par des aménagements ultérieurs. Malgré tout, la diversité apparente des intentions au Natoufien ancien semble, jusqu’à un certain point, se perpétuer. Le muret largement ouvert qui court sur 8 m en travers de la pente abrupte devant la grotte de Nahal Oren délimiterait un « camp » dans un relief naturel défavorable1. Il serait donc destiné à produire un espace commun ou un espace partagé sans division matérialisée plutôt qu’à séparer une partie du groupe. À l’opposé, deux petites cellules qui n’ont pas 2 m de diamètre, dans la grotte d’Hilazon Tachtit, rappellent les petites unités de la grotte d’Hayonim à la phase précédente2. Sur la terrasse d’Hayonim, on trouve des structures passablement diverses. Au milieu, devant l’entrée de la grotte, un muret légèrement incurvé court sur environ 4 m tandis qu’à l’extrême ouest deux constructions, d’ailleurs de techniques différentes puisque le muret de l’une est sub-vertical alors que celui de l’autre est fortement évasé, semblent avoir isolé des surfaces de quelques mètres carrés, aujourd’hui coupées par l’érosion. De plus, la contemporanéité absolue des constructions ne peut pas être établie. Aussi ne sait-on pas dans quelle mesure il serait permis de spéculer sur ces différences en termes de fonctions juxtaposées. Un document peut-être plus facile à interpréter provient de Rosh Zin, dans le Néguev, où les vestiges de quatre constructions de 2 à 3 m de diamètre sont encore lisibles. Elles sont adossées les unes aux autres. L’une d’elles se distingue par la présence d’un monolithe dressé d’environ 1,50 m de haut. Quoique ces constructions soient très ruinées, et qu’elles se trouvent dans un environnement qui semble interdire des séjours permanents, leur plan suggère assez bien des abris qui reflèteraient quelque chose de la division du groupe pendant son séjour sur le site3.

3À Mallaha, le Natoufien récent n’est pas non plus dépourvu d’architecture. Les structures utilisent le même relief naturel que les constructions plus anciennes désormais comblées. Elles semblent s’étager sur la pente en trois rangées parallèles ce qui suppose probablement, en plus des travaux de terrassement, une sorte de planification, encore que, comme d’habitude, il faut se méfier des termes qu’on emploie dans un contexte aussi ancien. D’autant que l’érosion a fait son œuvre et que la plupart des abris ne sont connus que par des fragments de mur. Ceux-ci apparaissent tous comme des parements de pierre contre une paroi creusée. Au bas du talus, ils sont relativement élevés (environ 80 cm) et sub-verticaux. Sur la pente et à son sommet leur hauteur est plutôt de l’ordre de 50 cm. Une dizaine d’abris ont été identifiés. Il semble qu’ils soient en général plus petits qu’auparavant. Le plus vaste pourrait avoir couvert une vingtaine de mètres carrés, mais la plupart ne paraissent pas avoir dépassé les 10 m2. On note aussi que, quand leur plan peut être reconstitué, les constructions sont maintenant rondes ou ovales (Figure 4). Elles sont disposées selon un axe nord-ouest/sud-est qui correspond à l’orientation du talus. La direction de l’entrée n’est presque jamais préservée. Les fragments de mur subsistant indiquent qu’elle n’était pas uniforme.

4Pourtant, une construction se distingue des autres et pourrait ne pas être une maison. Il s’agit d’une structure ovale d’environ 3,5 m sur 2 m de diamètres, soit peut-être un peu plus petite que la plupart des constructions contemporaines. C’est surtout le sol, empierré et sans foyer apparent (mais la structure a été en partie détruite par une grande fosse), qui laisse supposer un usage un peu particulier à cette construction.

Figure 4. Une maison du Natoufien récent à Mallaha (fouilles J. Perrot ; photo CRFJ).

5Les aménagements sont rares à l’intérieur des abris. Deux d’entre eux conservaient des foyers. Dans le premier une installation centrale, carrée, en partie bordée de pierres, a été remplacée par une autre, un peu décentrée, plus ou moins circulaire, tapissée de petits blocs de calcaire sur deux couches superposées. Le foyer du second, lui aussi décentré, se présente comme un amoncellement de cendres blanchâtres dans lesquelles sont pris quelques galets chauffés. Aucune de ces structures n’est très explicite quant à la manière dont elle fonctionnait ou ce à quoi elle servait. Dans un autre abri, établi à l’emplacement d’une construction de la phase précédente, il n’est pas impossible qu’un mortier posé sur le sol ancien ait été réutilisé à cette phase. Cette fois, seule la lèvre du mortier aurait affleuré au niveau du nouveau sol. Il existe d’autres exemples de mortiers destinés à fonctionner enterrés jusqu’à la lèvre, ce qui donne force à cette interprétation. Quoique l’usage précis de ces mortiers reste à élucider, on admet en général qu’ils sont en relation avec le traitement des végétaux. On tiendrait donc une indication sur une des fonctions techniques de cette construction, voire sur la permanence de cette fonction au même endroit. Plus tard encore, une fois le mortier hors d’usage, un troisième sol est signalé par plusieurs pilons et broyeurs. Certains de ces objets sont même assemblés pour former une figure qui a été interprétée comme une représentation humaine.

6Le Natoufien récent n’ajoute pas grand-chose à ce qui a été expliqué à propos du Natoufien ancien au sujet des fonctions sociales et techniques des abris. Il y a pourtant quelques nuances. À Mallaha, comme à Rosh Zin, la présence de plusieurs abris dont certains au moins pourraient être contemporains appuie l’idée que les constructions transcrivent au sol quelque chose de la division du groupe. Il n’est guère possible d’aller plus loin avec les informations disponibles mais c’est une avancée considérable. Les dimensions des abris témoignent d’une certaine uniformité, que tempère la diversité des foyers. La distribution du matériel sur les sols n’est pas connue avec assez de précision pour indiquer aucune piste qui permettrait de comprendre les activités qu’on y menait. Il serait abusif dans l’état actuel de l’information, d’évoquer aucune spécialisation. Il n’est pas douteux que les constructions servaient de cadre à des activités techniques. Quelques témoins suggèrent même que ces activités pourraient ne pas avoir été identiques dans toutes les constructions. Ce sont des renseignements non négligeables, mais qui n’autorisent pas à pousser la spéculation.

7Cette phase est la seule où les fosses sont relativement nombreuses. On se souvient qu’elles constituaient un argument clé en faveur du stockage des céréales et de la présence permanente des Natoufiens à Mallaha. Pour appuyer la démonstration, on a même prétendu que les fosses utilisées comme sépultures, dont certaines sont enduites, ne seraient que des silos recyclés. Aucun de ces silos présumés ne se rattache au sol d’une construction. Quand une relation stratigraphique peut être établie, les fosses sont soit antérieures aux abris qui les recouvrent, soit, au contraire, plus tardives et creusées dans leur remplissage. Si on veut apprécier sainement leur densité, il faut donc tenir compte de leur étagement dans le dépôt ainsi que de leur variété d’aspect et de contenu. Telle grande fosse en forme de cloche, profonde de plus d’1 m, dont la paroi (mais pas le fond) est recouverte d’un épais placage d’argile et dont le remplissage est celui d’une poubelle, ne peut pas être assimilée à tel bassin superficiel, en partie chaulé et qui contient des restes humains, ni à telle cuvette brûlée qui paraît avoir servi à des manipulations impliquant le feu.

8Il est possible que quelques fosses aient fonctionné comme des silos. L’exemple le plus explicite a été trouvé sur la terrasse d’Hayonim où une fosse entièrement tapissée de dalles de calcaire pourrait avoir eu cet usage. Mais il semble certain que la plupart d’entre elles étaient destinées à un autre emploi. L’archéologie ne perçoit pas, à ce stade, d’indices qui permettraient de conclure à la mise en réserve systématique d’aliments sur une échelle appréciable.

  • 4 Bouchud, 1987, p. 103.
  • 5 Valla, 1984, p. 81 ; Bouchud, 1987, p. 103.
  • 6 Valla, Le Mort, Plisson, 1991.

9Si le stockage ne semble pas avoir connu le développement qu’on a quelquefois proposé, on trouve à cette période, pour la première fois dans le Natoufien, des traces positives du souci de ne pas abandonner sur place les ordures. Le document le plus spectaculaire provient de Mallaha où, à l’emplacement d’un abri désaffecté, trois crânes de sanglier et leurs mandibules désarticulées au niveau de la symphyse avaient été rassemblés4. Plus discret, mais peut-être plus significatif, le contenu étudié en détail sur le terrain d’une grande fosse enduite évoquait une poubelle. On y a observé, entre autres rebuts, une succession de lentilles cendreuses accompagnées de terre brûlée et de paquets d’ossements de poisson et de tortue5. Le fait n’est d’ailleurs pas particulier à Mallaha. Sur la terrasse d’Hayonim une petite fosse irrégulière rassemblait des objets de toutes sortes, surtout silex, mais aussi faune, et pierres, qui semblaient avoir été accumulés progressivement par strates successives6.

10Au Natoufien ancien à Mallaha l’intégration des constructions dans un système de pensée supposant une vision globale du monde environnant était rendue sensible par la relation établie avec les sépultures. Les abris eux-mêmes, indépendamment des activités qu’ils pouvaient accueillir, s’en trouvaient investis d’une dimension symbolique forte. Or, avec le Natoufien récent, les sépultures changent. Elles ne sont plus individuelles et groupées, mais, le plus souvent, dans des fosses qui recueillent plusieurs sujets. Comment la dimension symbolique des constructions s’en trouve-t-elle affectée ?

11À la phase précédente, le contour des tombes ne se laissait presque jamais discerner. Cette fois, au contraire, de nombreuses tombes sont dans des fosses au moins en partie chaulées. Surtout, bien qu’elles ne soient pas dispersées uniformément mais qu’elles tendent à se rassembler à certains endroits, elles ne sont plus en groupes séparés à l’emplacement des structures. Si quelques-unes sont à l’endroit probable de sols érodés la plupart sont clairement dans les remplissages. Autre nouveauté, dans ces fosses sont rassemblés les os de plusieurs individus (deux à une dizaine), certains sans beaucoup de connexions anatomiques manifestes, et parfois très incomplets. Dans ces conditions il paraît aléatoire de spéculer sur l’orientation des squelettes. Mieux vaut ne pas s’y risquer, même si quelquefois on pourrait être tenté de le faire. L’indice le plus clair de l’existence d’un système de pensée cohérent s’estompe donc. Enfin, les parures qui accompagnaient les corps ont disparu.

12La rupture avec la phase précédente ne fait pas de doute. Mais celle-ci pourrait être moins brutale qu’il n’y paraît à première vue, et les indices de continuité ne sont pas tout à fait absents.

  • 7 En anthropologie funéraire, une « sépulture secondaire » est le résultat de funérailles en plusieur (...)
  • 8 Bocquentin, 2003, p. 264.

13À y regarder de près, il semble que toutes les fosses aient contenu des individus en sépultures primaires. Les corps n’auraient pas été recouverts de terre au fur et à mesure des inhumations. Ils auraient simplement été déposés dans un volume vide fermé par une couverture qui a disparu. Les réutilisations successives seraient responsables de la désorganisation des os. Il n’est pourtant pas exclu que des ossements déjà en partie décharnés ailleurs (donc en sépulture secondaire7) aient été apportés dans certaines d’entre elles8. La parure, expression notoire de la pensée, devient très rare. Pourtant les restes de 4 chevilles osseuses de corne de gazelle ont été trouvés dans une sépulture. Trois d’entre elles encore en relation avec des crânes suggèrent qu’elles étaient utilisées deux à deux comme parure de tête. L’apport de pierres, placées sous ou sur les squelettes, pourrait être un autre indice de continuité.

  • 9 Voir les contributions de Bocquentin, Cabellos, Bar-Yosef Mayer, Le Dosseur, Regev, Chu et Weiner i (...)

14Peut-être le signe le plus sûr d’une certaine permanence est-il proposé par une inhumation mise au jour pendant les dernières fouilles9. Par ses caractères mixtes, cette sépulture qui appartient à la phase ancienne annonce les pratiques de la phase récente. Deux sujets, un adulte masculin et un enfant au stade périnatal, ont été introduits dans une fosse dont la forme oblongue exclut qu’elle ait été un silo. La fosse a été aménagée pour l’adulte. Le bord et le fond sont recouverts d’un enduit épais. Au-dessus se trouve un lit de terre sur lequel l’adulte a été déposé. Ce geste a été observé plusieurs fois au Natoufien récent, à Mallaha et ailleurs. Plus tard, la fosse a été rouverte au prix de quelques perturbations des os afin d’y introduire l’enfant, couché perpendiculaire à l’adulte. Les deux sujets sont décorés avec des parures qui, d’une certaine façon, se répondent. Elles incluent des dentales, des perles en os et, fait plus rare, 4 grandes valves de Glycymeris bimaculata pour l’adulte et 5 valves plus petites : Glycymeris glycymeris pilosa (1), Cerastoderma glaucum (3) et Acanthocardia tuberculata (1), pour l’enfant. Une pelle en os se trouvait sur le bébé. Comme celui de l’abri 1 (cf. chapitres précédents), l’enduit a été obtenu en brûlant du calcaire ou de la craie. Il souligne à sa façon l’importance accordée aux tombes en montrant le soin dont elles pouvaient faire l’objet. Il démontre aussi qu’il n’est pas nécessaire de faire appel à un remploi afin d’expliquer la présence d’un enduit dans une sépulture. Plus généralement, cette tombe témoigne dès la phase ancienne d’une pratique qui tend à se généraliser ensuite mais qui est déjà imaginable avec les modes de pensée de l’époque.

  • 10 Valla, 1995.

15Le maintien au Natoufien récent d’une pensée organisant le monde dans un système cohérent est d’ailleurs garanti par la tombe de la terrasse d’Hayonim à laquelle il a été fait allusion en analysant la portée symbolique des vestiges laissés sur un sol de Mallaha au Natoufien ancien. C’est cette tombe qui permet d’assurer que les éléments rassemblés sur le sol sont chacun, et plus encore ensemble, chargés de sens. C’est elle aussi qui révèle que l’orientation des corps à 90° dans les sépultures n’est pas aléatoire. L’intérêt unique de ce document réside dans la combinaison de plusieurs symboles, mais surtout dans l’évidente organisation de ces symboles10 (Figure 5).

Figure 5. Plan photographique du niveau inférieur d’une sépulture de la terrasse d’Hayonim. Noter la présence de deux individus perpendiculaires l’un à l’autre. Ils sont associés à deux chiens et à des pierres. Il y a aussi deux tortues qui ne sont pas visibles (fouilles F. Valla ; photo CRFJ).

16Au fond de la fosse, deux carapaces de tortue et deux chiens ont été introduits, sur lesquels on a déposé un individu probablement masculin. Une pierre à cupule était dressée devant le visage de ce sujet. Ses jambes, fléchies, remontaient contre la paroi de la fosse de même que les pattes arrière d’un des chiens dont une était posée sur le crâne d’un second individu très incomplet disposé perpendiculairement à l’autre. Au-dessus du premier sujet et dans le même axe, séparé de lui par une couche de terre, un troisième individu reposait sur le ventre. Un massacre de gazelle et une cheville osseuse de corne du même animal était en relation avec ce sujet comme les chiens et les tortues l’étaient avec l’individu sous-jacent. Des blocs de calcaire se trouvaient sur chacun des trois crânes et la cage thoracique de chacun des deux individus superposés était écrasée par un bloc massif.

17Il ne fait pas de doute que le système de pensée déjà en place au Natoufien ancien persiste. Ce n’est probablement pas par hasard si le document le plus élaboré dans lequel ce système s’exprime provient du Natoufien récent. Peut-être, le temps aidant, le système s’est-il compliqué ? Peut-être a-t-il été exprimé dans des formes plus codifiées et plus rigides. Du point de vue adopté ici, le fait important ce sont les passerelles qui rendent plus que vraisemblable la continuité du système symbolique. De cette continuité on pourrait trouver d’autres indices. Sur la terrasse d’Hayonim, par exemple, la plupart des sépultures sont individuelles, comme à Mallaha au Natoufien ancien. Preuve que la pensée tolérait des comportements susceptibles de varier dans une certaine marge. Peut-être est-ce l’association relativement étroite entre sépulture individuelle et construction, telle qu’elle est illustrée à la phase ancienne de Mallaha, qui doit être comprise comme un cas particulier ? La pratique la plus générale, dès le Natoufien ancien pourrait avoir consisté simplement à rassembler dans un même lieu constructions et sépultures. L’essentiel pour la pensée natoufienne serait la réunion du lieu où on séjourne et des tombes. Les deux formes observées à Mallaha au Natoufien ancien et au Natoufien récent pourraient n’illustrer que des variations sur ce thème.

18Il se pourrait aussi que les documents du Natoufien récent nous permettent un pas supplémentaire vers la compréhension du mode d’occupation des villages au Natoufien. S’il est vrai que la domestication du chien au Levant soit l’aboutissement d’un phénomène de commensalisme, la tombe d’Hayonim décrite ci-dessus, par la différence du traitement réservé aux chiens et aux gazelles, les premiers enterrés comme les humains, les secondes évoquées par le moyen d’os remarquables, opère, consciemment ou non, une sorte d’assimilation entre humains et chiens qui les oppose aux gazelles. S’il est probable que le statut particulier des chiens était déjà acquis pendant le Natoufien ancien, nous ne possédons pas à cette époque de document qui le rende à ce point explicite. Nous n’avons pas davantage le moyen de savoir comment les Natoufiens eux-mêmes justifiaient une telle différence de traitement. Nous savons que les chevilles osseuses de corne de gazelle ont appartenu avant et après eux au domaine de la symbolique au Proche-Orient. Et nous soupçonnons que l’intérêt porté à ces os faisait référence à leur forme plutôt qu’à l’animal dont ils proviennent. Pour le reste, nous pouvons seulement observer que, si l’hypothèse de la domestication par le commensalisme tient, la présence de chiens dans les tombes est l’aboutissement dans la société et dans la pensée des changements opérés dans l’environnement par la permanence des villages. C’est-à-dire que ces changements ont désormais acquis une évidence telle qu’ils s’imposent à la représentation que la société se forge d’elle-même.

  • 11 Cucci, 2005.

19Pourtant, ce que nous pouvons savoir du développement du commensalisme au Natoufien récent n’est pas univoque. À el-Ouad, dans la phase récente ou finale du Natoufien, la situation est confuse. Il apparaît que des souris qui par la morphologie de leurs dents (non plus leur longueur) appartiendraient à l’espèce Mus macedonicus spretoides, c’est-à-dire à l’espèce considérée comme inapte à la commensalité, occupent l’espace habité alors que la souris domestique est absente. Plusieurs hypothèses sont possibles pour rendre compte de cette anomalie. Elle pourrait résulter d’une erreur d’interprétation de la morphologique des dents de Mus musculus qui n’auraient pas encore acquis certains caractères diagnostiques sur les souris modernes. Selon un autre scénario, un recul de la sédentarité à el-Ouad, et la faiblesse ou l’absence du stockage, en relation avec un certain refroidissement du climat, auraient entraîné l’extinction provisoire de Mus musculus et le retour de la souris sauvage malgré la présence limitée des hommes11.

  • 12 Desse, 1987.

20Toutes ces analyses ne parviennent pas à dissiper un certain flou parce qu’elles ne permettent qu’une approche globale du problème de la résidence continue ou non des Natoufiens dans un même lieu. Pour acquérir une certitude, au moins morale, on aimerait pouvoir démontrer saison après saison la présence des Natoufiens à Mallaha, par exemple. Or, il n’y a guère que la faune qui puisse fournir de telles informations, et encore faut-il être prudent. À Mallaha, il semble que le matériel le plus prometteur à ce point de vue soit les vertèbres de poisson. Ces restes abondent, de sorte qu’il n’est pas difficile d’isoler des échantillons assez riches et stratigraphiquement cohérents. Les cernes sur les vertèbres permettent de déterminer la saison de pêche. Un échantillon tiré d’une fosse du Natoufien récent a été analysé par Jean Desse12. Les poissons ont été pêchés surtout en été, en hiver et au printemps. À l’automne, il n’y a presque rien. Faut-il se hâter de conclure que les Natoufiens avaient à peu près abandonné le site à l’automne ? ou penser, plus simplement que la fosse, peut-être pleine, n’a pas été utilisée pendant ces mois-là ?

21Résumons ce que nous avons appris au sujet du Natoufien récent. Dans les domaines qui nous intéressent – l’architecture et la permanence de l’occupation –, la contribution du Natoufien récent n’est pas négligeable. À Mallaha et à Rosh Zin, il se pourrait que l’architecture reflète plus clairement qu’auparavant la division de la société. Cela ne rend pas plus claire pour nous la nature de cette division mais cela pourrait être un pas vers la reconnaissance de maisons. La relation des constructions et des sépultures reçoit peut-être un éclairage nouveau avec le relâchement du lien étroit qui, à Mallaha, associait jusque là constructions et tombes. Sans remettre en cause les observations précédentes, le Natoufien récent permet d’entrevoir une association peut-être plus générale entre, cette fois, le village et les tombes. Un peu comme si, par rapport aux morts, le village se substituait aux constructions individuelles. Mais que signifient, en termes de présence du groupe, ces sépultures périodiquement rouvertes ? Quant à la permanence de l’occupation des villages, les données continuent d’être enveloppées d’une certaine ambiguïté. D’une part, une pensée très construite semble intégrer la domestication du chien, et par ricochet, le commensalisme, c’est-à-dire la sédentarité qu’il impliquerait. D’autre part, on peine à démontrer saison après saison la présence des Natoufiens toute l’année au même endroit.

Anmerkungen

1 Stekelis et Yisraeli, 1963.

2 Grosman, 2003.

3 Henry, 1976.

4 Bouchud, 1987, p. 103.

5 Valla, 1984, p. 81 ; Bouchud, 1987, p. 103.

6 Valla, Le Mort, Plisson, 1991.

7 En anthropologie funéraire, une « sépulture secondaire » est le résultat de funérailles en plusieurs temps qui ont donné lieu au transport des restes du défunt d’au moins une sépulture provisoire à la sépulture définitive.

8 Bocquentin, 2003, p. 264.

9 Voir les contributions de Bocquentin, Cabellos, Bar-Yosef Mayer, Le Dosseur, Regev, Chu et Weiner in Valla et al., 2007, p. 147.

10 Valla, 1995.

11 Cucci, 2005.

12 Desse, 1987.

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Bildunterschrift Figure 4. Une maison du Natoufien récent à Mallaha (fouilles J. Perrot ; photo CRFJ).
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Bildunterschrift Figure 5. Plan photographique du niveau inférieur d’une sépulture de la terrasse d’Hayonim. Noter la présence de deux individus perpendiculaires l’un à l’autre. Ils sont associés à deux chiens et à des pierres. Il y a aussi deux tortues qui ne sont pas visibles (fouilles F. Valla ; photo CRFJ).
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