Desktop versionMobile Version

L’homme et la mort

 | 
Anne-Marie Tillier

Conclusion

Volltext

  • 1 Sima de los Huesos, à proximité de Burgos en Espagne, a livré, en contexte karstique, plusieurs mil (...)

1En Préhistoire, l’émergence de la conscience de la mort et le traitement accordé au défunt ont tous deux une histoire récente qui ne remonte pas au-delà de 150 000 ans1.

2L’essentiel de la documentation est fourni par les sépultures primaires, même si l’existence d’autres gestes funéraires ne peut être exclue. La distribution spatiale des sépultures connues pour le Moustérien ne correspond pas à celle des sites d’habitat inventoriés, du moins d’après le corpus actuel, mais il est vrai qu’elles sont bien moins nombreuses que les habitats. Toutes les sépultures retrouvées en France se trouvaient sous abri-sous-roche ou en grotte et toutes sont localisées au sud de la Loire, principalement dans le grand Sud-Ouest (Charente, Dordogne, Corrèze). Cela peut tenir à des raisons d’ordre géologique qui expliquerait la meilleure conservation des vestiges humains en milieu karstique. Curieusement, on ne connaît aucune sépulture moustérienne en Italie, en Espagne, dans de nombreuses régions d’Europe Centrale et au Maghreb. Mais toutes ces régions n’ont pas encore fait l’objet de prospections systématiques et de fouilles, ce qui peut expliquer partiellement l’absence de témoins de pratiques funéraires. Ainsi, jusqu’au début des années 1990 au Proche-Orient, période à laquelle commencèrent les fouilles à Dederiyeh en Syrie, seul le sud du Levant méditerranéen avait livré des sépultures.

3Le référentiel se construit au fur et à mesure des découvertes et demeure aléatoire, en particulier du fait que le paléolithicien, comme tout archéologue, a tendance à concentrer son attention sur les habitats.

4Lorsqu’un même lieu a servi d’habitat et d’espace funéraire, la question de la contemporanéité entre lieu de vie et espace sépulcral se pose. Compte tenu des limites techniques des méthodes de datation radiométrique et de la marge d’erreur à respecter pour les périodes anciennes, nous n’avons aujourd’hui aucun moyen de démontrer la simultanéité des deux événements. L’inhumation comme l’habitation peuvent être liées à une fréquentation régulière, brève, voire épisodique, du site.

5Mise à part la proximité des sépultures avec le lieu de vie, on ne note aucun trait récurrent entre les modes d’inhumation. Quel que soit le critère choisi, aucune norme n’apparaît : qu’il s’agisse du mode de dépôt (utilisation d’une anfractuosité naturelle, creusement d’une fosse, espace colmaté ou non), de la disposition dans l’espace (à l’extérieur de l’abri, près de l’entrée de la grotte, au milieu de celle-ci), de l’orientation des corps par rapport aux points cardinaux, de sa posture (allongée, repliée sur le côté, sur le dos, sur le ventre…). Au bout du compte, il s’avère impossible de dresser une liste de normes funéraires pour les premières sépultures. Mais il est vrai que leur nombre est faible et que la période concernée est immense. Si ces normes ont existé, elles ne sont peut-être pas perceptibles à partir d’un échantillon aussi réduit.

6Autre fait troublant : l’apparition de l’inhumation en contexte archéologique moustérien est le fait de groupes humains différents, dispersés dans le temps et l’espace. En Europe, dans l’état actuel des découvertes, la sépulture est le fait des Néandertaliens et l’analyse rigoureuse des documents disponibles ne permet pas de déduire que ce traitement était une pratique généralisée. Au Proche-Orient, si les plus anciennes sépultures sont le fait des hommes modernes et sont antérieures à celles des Néandertaliens, l’identité des inhumés pour les périodes plus récentes du Moustérien reste débattue au sein de la communauté scientifique. La pratique de l’enterrement, apparue au Moustérien, est donc un fait de civilisation sans lien avec la nature des populations concernées.

7Quelle que soit leur identité biologique, ces fabricants d’industrie moustérienne ne semblent pas avoir réservé l’inhumation à une classe d’âge particulière. Le nombre d’enfants inhumés et leur présence exclusive dans certains sites, comme au Roc de Marsal et à Dederiyeh où ce sont uniquement des enfants de 1 à 4 ans, est surprenant. Un autre site, Le Moustier, se distingue par la présence de deux sujets non adultes, un périnatal et un adolescent. Dans tous les autres sites, la pratique funéraire a concerné toutes les classes d’âges (enfants et adultes).

8L’inhumation en contexte moustérien n’est presque jamais signalée par un quelconque balisage. Lorsque des dépôts archéologiques sont associés au défunt, il s’agit essentiellement de vestiges de faune, mais dans deux cas, à Qafzeh (Qafzeh 11) et à Teshik-Tash, ils n’ont aucune valeur alimentaire. Ce n’est qu’au Paléolithique supérieur, avec le Gravettien, que les dépôts archéologiques qui accompagnent le défunt se multiplient et offrent une certaine variété, traduisant une diversification des usages établis vis-à-vis des morts et peut-être de nouvelles préoccupations des hommes touchant l’au-delà.

9Chacun s’accorde à reconnaître la rareté de la documentation archéothanatologique pour le Paléolithique moyen. L’explication classique consiste à admettre que ces populations nomades abandonnaient le plus souvent le corps de leurs défunts aux éléments naturels, ce qui entraînait sa disparition rapide après la décomposition et la dispersion des ossements par des agents naturels. Curieusement, lorsqu’il est question du Paléolithique supérieur et des auteurs de l’industrie aurignacienne, dont on suppose communément que ce sont des hommes modernes, le discours change : le caractère lacunaire de la documentation est d’emblée interprété comme résultant de pratiques funéraires différentes de l’inhumation ou du choix d’un espace sépulcral dissocié de l’aire d’habitation.

10Nous avons vu que l’inhumation intentionnelle ne semble pas avoir été pratiquée dans certaines régions pourtant fréquentées par les chasseurs nomades moustériens. Une des explications pourrait être la nature du terrain (acidité du sol, région calcaire), qui influe sur la conservation différentielle des os. Mais une telle explication peut-elle s’appliquer à l’Italie où l’absence de sépultures moustériennes contraste avec leur abondance au Paléolithique supérieur ?

11La concentration des sépultures du Paléolithique moyen dans deux régions privilégiées, le Périgord et le Proche-Orient peut-elle s’interpréter en termes de tradition locale ? Si nous sommes aujourd’hui en mesure de situer le moment où sont apparues, chez les hommes de la Préhistoire, une forme de respect envers les défunts et l’intégration sociale de la mort, nous devons cependant reconnaître que notre compréhension des comportements funéraires, des traditions et des croyances qu’ils supposent, reste bien modeste.

Anmerkungen

1 Sima de los Huesos, à proximité de Burgos en Espagne, a livré, en contexte karstique, plusieurs milliers de vestiges humains, datés de plus de 500 000 ans. Une intervention humaine à l’origine de l’accumulation des vestiges a été avancée (Arsuaga et al. 1997), mais cette interprétation reste discutée.

Der Text und andere Elemente (Illustrationen, importierte Anhänge) stehen unter OpenEdition Books License, sofern nicht anders angegeben.

Suche in OpenEdition Search

Sie werden weitergeleitet zur OpenEdition Search