Préface

1Au cours des récentes années, une attention particulière s’est portée vers l’histoire de la recherche scientifique, en ses très diverses branches pour mieux dessiner les objectifs qui peuvent être fixés, sans doute paraît-il utile de mieux connaître les étapes franchies par les démarches que suscite le goût du savoir. L’intérêt de telles perspectives épistémologiques est particulièrement notable pour l’archéologie, si considérables ont été les révélations et les conquêtes réalisées dans l’approche des civilisations antiques : au-delà des objets, des monuments et des sites, il s’agit en fait de la découverte, sans cesse renouvelée, de l’homme dans sa diversité.

2Aussi aura-t-on la plus grande reconnaissance envers Ève Gran-Aymerich pour avoir ouvert, avec une passion méthodique, le grand dossier de l’histoire de l’archéologie française et l’avoir inséré au sein du développement des écoles archéologiques des autres nations.

3Pratiquée d’abord par les « antiquaires» à la quête d’objets, dans une tradition qui remonte à la Renaissance, l’archéologie, s’appuyant sur sa sœur la philologie, s’est constituée en science, dont les progrès ont été particulièrement rapides tout au cours de la première moitié du xix^e siècle. De grandes figures de chercheurs se sont alors dessinées et des « événements» ont favorisé le développement des enquêtes; il suffit par exemple de rappeler l’importance de l’Expédition d’Égypte (1798-1801) dont Égyptiens et Français célèbrent actuellement le bicentenaire, de la Description de l’Égypte et de la découverte retentissante du déchiffrement des hiéroglyphes par Jean-François Champollion en septembre 1822, ou encore en Mésopotamie celle des découvertes de P.-É. Botta à Khorsabad (1844). Peu à peu se sont développées des institutions destinées à aider l’essor des recherches : la création de l’École française d’Athènes en 1846, puis celle de Rome juste après 1870 ont été décisives. En France même, après Arcisse de Caumont, les enquêtes locales se sont multipliées, mais c’est seulement en 1941-1942 qu’avec les lois Carcopino naîtra une véritable organisation de l’archéologie métropolitaine. Chemin faisant, on constate combien les préoccupations proprement scientifiques se sont trouvées dépendre de l’ensemble de la vie culturelle certes, mais aussi économique et politique du pays. Bien entendu, les péripéties françaises ne peuvent être dissociées de leur contexte international, sur lequel l’auteur n’a pas omis de se pencher.

4Il a fallu de très longues et patientes recherches à Ève Gran-Aymerich pour mener à bien son œuvre, et un véritable esprit de synthèse pour en présenter les résultats. L’ampleur et la précision de ses enquêtes préliminaires se mesurent en parcourant les références bibliographiques qui complètent son ouvrage, ainsi que les notes si nombreuses et susbtantielles dont il est pourvu. De façon claire et ordonnée, elle sait dresser le bilan d’un siècle et demi de résultats obtenus dans les directions les plus diverses. En un domaine où le rôle des personnalités est certes prépondérant (combien de noms illustres s’offrent à notre admiration !), le rôle des institutions a été déterminant : Académie des inscriptions et belles-lettres, Société asiatique, Bureau des missions scientifiques et littéraires ainsi que le Comité des travaux historiques du ministère de l’Instruction publique, Commission des fouilles du ministère des Affaires étrangères, Musée du Louvre, Centre national de la recherche scientifique ; ajoutons les grandes Écoles et les instituts à l’étranger : Athènes, Rome, IFAO du Caire, Casa de Velasquez, École française d’Extrême-Orient et, depuis la fin de la dernière guerre, IFAPO (Beyrouth, Damas, Amman), Téhéran, Istanbul, Mexico…

5À travers les vicissitudes de l’histoire et dans un immense champ spatial qui, de l’Hexagone, nous fait parcourir le si vaste monde, l’auteur sait évoquer la variété des méthodes et des techniques ; elle met en évidence les liens si divers de l’archéologie avec les autres domaines du savoir et aussi – ce qui étonnera peut-être plus d’un lecteur – avec le politique, conçu dans le sens le plus large, et plus précisément la diplomatie.

6Dans des circonstances pour elle difficiles – car elle a dû œuvrer seule, sans rencontrer les appuis nécessaires –, c’est ainsi un beau livre, fort utile, souvent passionnant, qu’Ève Gran-Aymerich a su réaliser et qu’elle offre maintenant à notre curiosité.